◆ ARTICLE ORIGINAL
Progrès en Urologie (2004), 14, 1151-1161
Composition des calculs observés aujourd’hui dans les pays non industrialisés
Michel DAUDON (1), Bounthaphany BOUNXOUEI (2), Francisco SANTA CRUZ (3), Sônia LEITE DA SILVA (4), Boucar DIOUF (5), Fru F. ANGWAFOO III (6), Jamsheer TALATI (7), Gonzague DESREZ (8) (1) Laboratoire Cristal, Service de Biochimie A, Hôpital Necker, Paris, France, (2) Service d’Urologie, Hôpital Mahosot, Vientiane, Laos, (3) Servicio de Nefrologia, Hospital de Clinicas, Asuncion, Paraguay, (4) Servicio de Nefrologia, Hospital de Clinicas, Fortaleza, Brésil, (5) Service de Médecine Interne et Néphrologie, CHU Le Dantec, Fann Dakar, Sénégal, (6) Service d’Urologie, Hôpital Général, Yaoundé, Cameroun, (7) Section of Urology, Medical College, The Aga Khan University, Karachi, Pakistan, (8) Service d’Urologie, Centre Hospitalier Territorial, Papeete, Tahiti
RESUME But : La lithiase des pays en développement était considérée, jusqu’à une période encore récente, comme une lithiase très différente de celle observée dans les pays industrialisés, caractérisée notamment par la prépondérance des phosphates et urates alors que la lithiase des pays développés est majoritaire en oxalate de calcium. Pour vérifier si cette différence de profil épidémiologique est toujours observée aujourd’hui, nous avons analysé les calculs recueillis dans différentes régions du globe et comparé leur composition à celle des calculs observés en France. Matériel et Méthode : 1042 calculs ont été collectés entre 1991 et 2000 dans 14 pays ou zones géographiques différentes : Afrique noire (Cameroun, Mali, Sénégal), Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), Amérique du Sud (Brésil, Paraguay), Asie mineure (Pakistan, Turquie), Extrême-Orient (Chine, Laos, Vietnam) et en Polynésie française (Tahiti). Ils ont été analysés par spectrophotométrie infrarouge. La composition de ces calculs a été comparée à celle de 24706 calculs recueillis en France au cours de la même période et analysés selon le même protocole. Résultats : Globalement, la proportion des calculs d’oxalate de calcium est la même chez l’adulte en France et dans les pays en développement (hommes : 75,7 contre 72% ; femmes : 59,8% contre 56,3%). Elle est en revanche plus élevée chez les enfants des pays non industrialisés (garçons : 52,6% contre 31,8% en France ; filles : 67,8% contre 48,8% en France, p < 0,0001). La fréquence des calculs phosphocalciques est particulièrement faible chez les garçons des pays en développement (8,3% contre 45,1% en France, p < 0,0001) et celle des purines plus élevée chez les garçons (21,3% contre 5,2% en France, p < 0,0001) comme chez les filles (13,6% contre 4,3% en France, p < 0,05). Des différences importantes sont observées selon les continents et les régions : la struvite est présente dans 42,9% des calculs chez la femme en Afrique noire contre 13% en Amérique du Sud et 2,7% en Asie mineure. Les purines sont 4 fois plus fréquentes chez l’homme tahitien que chez l’homme du Maghreb. Les phosphates calciques sont 10 fois moins fréquents chez l’homme d’Asie mineure que chez l’homme d’ExtrêmeOrient. Conclusion : L’évolution épidémiologique des calculs urinaires se poursuit à travers le monde dans le sens d’une prépondérance de l’oxalate de calcium, qui est aujourd’hui généralisée. Des différences importantes dans la fréquence des autres constituants, en particulier les purines et la struvite, reflètent des comportements nutritionnels particuliers et des facteurs de risque infectieux propres à certains groupes de populations. Mots clés : Calculs urinaires, épidémiologie, pays en développement, oxalate de calcium, adultes, enfants, étiologie.
La lithiase des pays en développement était considérée, jusqu’à une période encore récente [7] comme une lithiase particulière, affectant principalement le jeune garçon de moins de 5 ans et caractérisée par des calculs localisés préférentiellement dans la vessie et de composition prédominante en urates et/ou phosphates. Ce profil épidémiologique tranchait fortement avec le profil de la lithiase observée dans les pays industrialisés, dominée par l’oxalate de calcium formé essentiellement dans le rein chez des adultes de 30 à 60 ans sans prédominance majeure du sexe masculin. Cependant, des études successives réalisées à intervalles de temps suffisants tendaient à montrer dans divers pays une évolution progressive du pro-
fil épidémiologique des calculs vers celui observé en Europe occidentale, aux États Unis ou au Japon [7, 21, 40, 41, 44]. Grâce à des collaborations engagées avec plusieurs pays, plus d’un millier de calculs provenant de différentes régions du globe a pu être Manuscrit reçu : décembre 2003, accepté : septembre 2004 Adresse pour correspondance : Dr. M. Daudon, Service de Biochimie A, Hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris Cedex 15. e-mail :
[email protected] Ref : DAUDON M., BOUNXOUEI B., SANTA CRUZ F., LEITE DA SILVA S., DIOUF B., ANGWAFOO III F.F., TALATI J., DESREZ G., Prog. Urol., 2004, 14, 1151-1161
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Tableau I. Fréquence des constituants majoritaires observés dans les calculs de l’adulte.
recueilli au cours de la dernière décennie. Leur analyse, réalisée selon le même protocole que celui utilisé pour les calculs collectés en France, permet d’apprécier l’évolution épidémiologique des calculs urinaires dans ces régions par rapport aux données publiées antérieurement. MATERIEL ET METHODE
Entre 1991 et 2000, 1042 calculs de l’appareil urinaire ont été collectés auprès d’urologues et néphrologues de 14 pays ou zones géographiques différentes : en Afrique noire (Cameroun, Mali, Sénégal), dans le Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), en Amérique du Sud (Brésil, Paraguay), en Asie mineure (Pakistan, Turquie), en Extrême Orient (Chine, Laos, Vietnam) et enfin à Tahiti, territoire français d’OutreMer au cœur de l’océan Pacifique. Les calculs ont été collectés dans chaque pays sur une période de 1 à 3 ans et représentaient l’essentiel du recrutement lithiasique des services concernés sur la période considérée. A titre de comparaison, nous avons utilisé la composition des calculs recueillis en France sur la même période et concernant 24706 calculs de l’adulte (17544 hommes et 7162 femmes) et 844 calculs d’enfants âgés de quelques mois à 16 ans (541 garçons et 303 filles). Les calculs ont été analysés par spectrophotométrie infrarouge selon la technique du pastillage [16] sur un spectrophotomètre infrarouge à transformée de Fourier Bruker IFS 25. L’analyse comportait un examen morphologique de la surface puis de la section après coupe du calcul à l’aide d’un scalpel [15]. Toutes les zones représentatives de la structure et de la composition du calcul, en particulier la zone de nucléation, les couches internes et la partie superficielle ont été prélevées sous une loupe binoculaire et analysées séparément en infrarouge ainsi qu’une poudre globale du calcul ou d’une portion représentative de celui-ci pour déterminer les proportions de chaque constituant en cas de composition hétérogène. Les comparaisons statistiques ont été réalisées par les tests du chi2.
RESULTATS
Données globales Les calculs provenaient globalement de 804 adultes (540 hommes et 264 femmes, rapport H/F=2,02) et 238 enfants (169 garçons et 59 filles, rapport H/F=2,86). La localisation des calculs était vésicale dans 9,9% des cas chez l’adulte et dans 35,3% des cas chez l’enfant avec des différences significatives selon le sexe des sujets: 11,5% chez l’homme contre 6,5% chez la femme (p < 0,05) ; 40,3% chez le garçon et 20,8% chez la fille (p < 0,05). La fréquence des lithiases vésicales était 2 à 4 fois plus élevée que celle observée en France, qui est de 6,3% chez l’homme et 2,7% chez la femme, 11,3% chez le garçon et 9,2% chez la fille. Dans les pays en développement comparativement à la France, l’âge de découverte des calculs vésicaux est, en moyenne, de 16 mois inférieur chez le garçon (6,1 contre 7,9 ans), mais pas chez la fille (8,5 contre 8,1 ans) et de 12 ans inférieur chez l’adulte (H: 53,5 contre 64,1 ans ; F: 39,5 ans contre 56,6 ans, p < 0,01). La différence était beaucoup moins marquée pour les calculs du haut appareil: en effet, chez l’adulte, l’âge de découverte était en moyenne de 4,4 ans inférieur dans les pays en développement (H: 42,3 ans; F: 41,4 ans) comparativement à la France (H: 46,7 ans; F: 45,8 ans) ; chez l’enfant, les âges étaient comparables dans les pays en développement et en France: 7,5 ans et 6,6 ans respectivement pour le garçon ; 9,6 ans et 10,3 ans pour les filles. Composition des calculs de l’adulte Composition globale En première analyse, la composition des calculs, exprimée en constituant majoritaire, révèle assez peu de différences entre les pays en développement et la France, puisque les proportions d’oxalate de calcium, de phosphates de calcium et de purines sont comparables
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Tableau II. Fréquence des constituants majoritaires observés chez l’homme dans les pays en développement regroupés par régions géographiques.
(Tableau I). L’oxalate de calcium est le constituant prépondérant des calculs. Il représente environ les 3/4 des calculs d’origine masculine et plus de la moitié de ceux d’origine féminine. Sa forme monohydratée prédomine aussi bien chez l’homme que chez la femme (Tableau I) sans différence significative entre les pays en développement et la France. En ce qui concerne la weddellite, les différences sont beaucoup plus marquées. Elle est moins fréquente dans les pays en développement qu’en France (p < 0,0001) tout en étant plus fréquente chez l’homme que chez la femme dans les deux populations (p < 0,001). L’autre différence significative concerne la struvite majoritaire. Comparativement à la France, elle paraît, pour les deux sexes, 3 fois plus fréquente dans les pays en développement (p < 0,0001). Cependant, chez la femme, la différence est beaucoup moins nette si l’on considère l’ensemble des calculs contenant de la struvite (16,9% et 11,7% respectivement, p