Le comte de Monte-Cristo

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DE MONTE-CRISTO ï. M. NOlRTlER DE VILLEFORT. Voici ce qui s'était passé dans la maison du procureur du roi après le départ de madame Danglars et.
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ŒUVRES COMPLÈTES

D'ALEXANDRE DUMAS LE COMTE DE MONTE-CRISTO IV

ŒUVRES COMPLETES D'ALEXANDRE DUMAS PUBUKKS DANS LA COLLECTION MlCnSL LBVT Ac!é

La Femme aa

1

Aniaury

1

Ange

3 2

l'iiou

Ascanio

Une A\ciiture mour Aveiiiores

de

...

Une

Fille du réi,'eiil Filles, Loreiies et

d'a-

.

Mém.

3

Gabriel Laniliert. Les Garibaldiens

{

Gaule

LcsM;uicsellfsricus LaBouillicdclacuiu-

3

Geort;es

Un G

3

LeCapiiaiiiel'iinii'liilc

1

Cadet de

LeCapittiine l'aiil. . Le Capitaine Itliino. Le Capitaine Uicliai'd Cailierine Biuui. Caoserit'S Cécile




nu. . . Les Leux lleJucà. . Liiu dis) ose. ... Le Drame de 93 . . Les Drames de la mer

2

LyoDna.

.

Savoie rarisiens ciaux

Provin-

et

Lel'asleurd'Ashbourn Pauline et Pascal

Bruno

Un Pays inconnu.

Le

.Spcronarc.

.

Le Véloce..

.

l.^aac l.a(|nedeni.

.

Princesse de .Monaco. La Princesse Floia.. Propos d'Art et (le Cui.-iiic

Les Quarante-Cinii. La Kei;cnce La Reine Mar«ot .

do

lloodle Proscrit La Route de Varennes. Le Salléadur. . . . Salvalor («uiii il«] lo'ilRoliiii

caiK du Parii)

....

.

Souvenirs d'une Fa-

.

voriie-

Sylvandire 'Icrrciir pnis.sionno. Le 'l'esiMnient de M.

Louis XI V tison tjiixle Louis XV et sa Cour. Louis XVI et la llé-

1

Jeliannc

la

Tucelle.

.

.

VdllItiUM

Les s

tUILt

Louves

de .Ma-

Aliidamcdc Clianililay. COLl.N



.

.

.

.

.Mousnue-

taires

Le Trou do Pciifor . La Tulipe noire. . . Le Vicomte de Uragelonm; La Vie au

Une

cliecoul

.

Les Siuarts Snlianella

2 n



Sonvciiirsdrainaiii|ues

Les Trois

.

.

.

Wullor

iradatliM)

.

Souvenirs d'Anlouy

Jane

(

.

.

.

de Bavière. . Haliens cl Flamamls. Ivanlioe

.

Le Père Gigogne . . Le Père la Uuine. . Le Prince des Volcui:;

3 2

2 .

Russie.

Scott

do Cléves. . Le l'âge du Aiiii do

(ilynipe

LaSan-FtIice.

Kn

vile.

l'Ioreiice.

Cliauvelin Tliéâiie complot. Trois Maîtres. .

La Maniuise d'Esi^uiiua

Paris à Cadix.

Quinze jours au Sinal

il

Jacijues Orli.s. . . . Ja('i{uolsan3 Urcilles.

2

LcsDian]e.«gal:inis.—

com.in

.

la

ls;licl

tion.— LeLocicur

...

— — — —

De

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de

La Villa Paliuieri. Ingénue

2

DiysKrieux.

Le Gorricolo

Le Midi France

~ —

6

de

Cliarny

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....

— — —

Le

Coniie de AlonleCrislo

Année



Los Compagnons de Jéliu

Une



3 1

.

.

.

Florence L'Arabie lleuicuse. LcsBordsduIliiin Le Capit. Arena. Le Caucase. . .



li:ilir«

liCilibrils.

.

.

Iniprcssionsdevoyage: En Suisse. . . .

2

son-Ronpe. ... Le Ciillierdclareiiie.

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noiseite

Mai-

Cli(V.ilicrdc

LaColomlie.

Ilenii IV, Louis XIII, Uicliclieu. . La Guerre des reinines llisl. de mes l-êtes. Histoire d'un casse-

L'Horoscope L'He de Fen.

2

Les jMorts vont Napoléon

Une Nuil

Cés.ir

1

d'Iiai-

n.ei.lal

Le

Les.Moliicaiisde Paris

L'Homme aux contes. Les Hommes de Ter.

LcClia^scurdeSauvagine LcCliâieaud'Eppsieiii

Ca-

2

t

Charles le Téméraire.

d'une aveugle. .'\Ienioires d'un médecin B.ils.ni'). . Le Meneur de loups. Les Mille et un Fantômes :

.

.

1

.

.

Blas en

il

.

. .

Les Grands Ilonnues en robede chambre:

raniiilc.

Un

. .

France.

Cl

liroiiiio

1

,

Les Frères corses.

Blarli

1

.

.

Mémoires de tiaribaldi

du lor(al

2 2

.

.

.

Fils

.

Havjs Les baleiniers. . . LeBAiaiddcMaulcuii

....

.

.

Le

i

Médicis.

.

Mes Mémoires.

1

.

Olifus

Les

.

Courtisanes.

de Jobn

tesse Uerilie. . La lioiile (le neige Bric-à-llrac

La Maison de çjl.iiis. Le .Maître d'armes.. LesMariai;es du pèra

collier

velours.

Fernande

Désert. Vieil'ariisla .

Vingt Ans après.

lUrUIllEltlE un. LAU.

Y

. .

.

LE COMTE

k

MONTB-GRISTO PAR

ALEXANDRE DUMAS IV

NOUVELLE EDITION

PARIS

CALMANN LÉVY, ÉDITEUa ANCIENNE MAISON MICHEL LÉVY FRÉRBS 3,

RUE AUBER,

3

1800 Droits de /eproduction et de trftductioa r4serv4i

LE COMTE

DE MONTE-CRISTO

ï

M. NOlRTlER DE VILLEFORT.

Voici ce qui s'était passé dans la maison

du

fille,

madame

après le départ de

roi et

pendant

du procureur

Danglars

et

de sa

conversation que nous venons de rap-

la

porter.

M. de

Villefort était entré

dame de

Villefort;

chez son père, suivi

dema^

quant à Valentine, nous savons où

elle était.

Tous deux, après avoir salué

le vieillard, après avoir

songédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingtcinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.

M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes,

où on

le plaçait le

matin

et

d'où on

le tirait le soir, assis

devant une glace qui réfléchissait tout l'appartement lUi

permettait de voir, sans

devenu impossible, qui TOME

IV.

même

entrait

tenter

et

un mouv^.ment

dans sa chambre, qui en i

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

2

sortait, et ce

qu'on

faisait tout

comme un

immobile

autour de

dont

ntellifrenL; et vifs ses enfants,

férence

lui

lui

;

M. Noirtier,

cadavre, regardait avec des yeuï la

cérémonieuse ré-

annonçait quelque démarche

officielle

inat-

tendue.

La vue

comme deux

,

humaine déjà aux

étincelles,

la vie intérieure

un

ani-

cette matière

quarts façonnée pour

trois

encore, de ces deux sens,

dehors

deux seuls sens qui

et l'ouie étaient les

massent encore

tombe ;

la

seul pouvait-il révéler

qui animait

la statue

gard qui dénonçait cette vie intérieure

était

une de ces lumières lointaines qui, durant prennent au voyageur perdu dans ur désert

au

et le re-

:

semblable à nuit, ap-

la

qu'il

y a en-

core ua être existant qui veille dans ce silence et celte obscurité.

Aussi, dans cet œil noir

du vieux

Noirtier,

surmonté

d'un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu'il portait

longue

dans cet

œil,

et

pendante sur

comme

blanche;

les épaules, était

cela arrive pour tout organe de

l'homme exercé aux dépens des autres organes, concentrées toute

s'étaient

l'activité, toute l'adresse, toute la forre,

toute l'intelligence répandues autrefois dans ce corps et Certes, le geste du bras le son de la du corps manquaient, mais cet œil puisii commandait avec les yeux; sant suppléait à tout remerciait avec les yeux; c'était un cadavre avec de yeux vivants, et rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une co-

dans cet

esprit.

,

voix, l'attitude

:

lère

ou

luisait

une

joie.

Trois personnes seulement sa-

yaient comprendre ce langage du pauvre paralytique c'étaient Villefort, Valentine et le

nous avons déjà q;ue

parlé. Mais

rarement son père,

et.

comme

pour

:

vieux domestique dont Villefort

ainsi dire,

nt voyait

quand

ii

ne

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. pouvait faire autrement

comme,

;

3

lorsqu'il le voyait,

il

ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout' le bonheur du vieillard reposait en sa petite-tille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et

de patience, à comprendre du regard toutes /es pensées de Noirtie». A ee langage muet ou inintelligible

pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physic nomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune Glle et cette prétendue argile, à était

peu prés redevenue poussière,

encore

un homme d'un

et

qui cependant

immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'àme enfermée dans une matière par laquelle elle à perdu le pouvoir de se faira obéir. savoir

Valentine avait donc résolu cet étrange problème de

comprendre

la

pensée du

prendre sa pensée à elle

vieillard,

pour

lui faire

com-

grâce à celte étude , il était bien rare que, pour les choses ordinaires de la vie, elle ;

et,

ne tombât point avec précision sur le désir de cette âme vivante, ou sur le besoin de ce cada^Te à moitié insensible.

Quant au domestique, comme depuis vingt-cinq ans, que nous l'avons dit, il servait son maitre, il

ainsi

con-

naissait si bien toutes ses habitudes, qu'il était rare Noirtier eût besoin de lui demander quelque

que

chose.

Villefort n'avait

en conséquence besoin du secours ni de l'autre pour entamer avec son père l'étrange conversatiofi qu'il venait Provoquer. Lui-même, nous de l'un

ni

l'avons

dit,

vieillard, et

connaissait partaitemenl le vocabulaire s'il

ne s'en servait point plus souvent,

tait

par enoui

tine

descendre au jardin,

et

par indifférence. il

Il

donc Valen-

laissa

éloigna doncBarrois, et après

avoir pris sa place à la droite de son père, tandis

madame

du c'é-

de Villefort s'asseyait à sa gauche

;

que

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

4

— Monsieur, ne

ne vous étonnez pas que Valentioe

dit-il,

pas montée avec nous

soit

rois, car la

que

et

éloigné Rar-

j'aie

conférence que nous allons avoir ensemble

est de celles qui ne

peuvent avoir

madame

îhe ou un domestique;

nne communication à vous

devant une jeum

lieu

de Villefort et moi avo»?'

faire.

Le visage de Noirtier resta impassible pendant ce préambule, tandis qu'au contraire l'œil de Villeiîrt semblait

du cœur du

vouloir plonger jusqu'au plus profond

vieillard.

— Cette communication, continua avec son ton glacé contestation,

le

prccureur du

roi

semblait ne jamais admettre

et qui

nous sommes sûrs, madame de

la

Villefort et

moi, qu'elle vous agréera. L'œil tait

:

du

demeurer atone

vieillard continua de

;

il

écou-

voilà tout.

— Monsieur,

Villbfori

reprit

nous marions Valen-

,

tine.

Une

figure de cire

ne

nouvelle que ne resta



Le mariage aura

fût pas restée plus froide à cette

la figure

du

vieillard.

lieu avant trois mois, reprit Ville-

fort.

L'œil

du

Madame d'ajouter

vieillard continua d'être inanimé.

de Villefort prit

la

parole à son tour, et se hâta

:

— Nous avons pensé que cette nouvelle aurait de térêt

pour vous. Monsieur

semblé dire

attirer

le

nom du

et

nous

il

jeune

;

il

y a de

reste

homme

un des plus honorables

tine puisse prétendre

la

partis

de celui que nous

donc à vous

qui lui est des-

auxquels Valen-

fortune,

des garanties parfaites de bonheur dans

les goûts

l'in-

d'ailleurs Valentine a toujours

votre affection;

seulement

tiné. C'est

;

un beau nom la

conduite et

lui destinons, et

dont le nom

.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

m

àoit pas

vous

être inconnu.

s a^it

Q

de M. Franz de

baron d'Épinay.

U'fftsnel,

Vlllefort,

pendant

le petit

fhait sur le vieillard

f.orsque

11

madame

discours de sa femme, atta-

un regard plus

attentif

de Villefort prononça

que jamais.

nom

de tranz, œil de Noirlier, que son fils connaissait si bien, frissonna, et les paupières se dilatant comme eussent pu faire des lèvres pour laisser passer des paroles, laissèrent, elles, passer un éclair. le

1

Le procureur du roi , qui savait les anciens rapports d'inimitié publique qui avaient existé entre son père et père de Franz, comprit ce feu

le

cependant nant



la

il

les laissa

parole où sa

Monsieur,

nez bien, près

passer

femme

dit-il,

il

comme

et cette agitation;

comme

mais

inaperçus, et repre-

l'avait laissée

est important,

:

vous

le

elle est d'atteindre sa

compredix-neu-

vième année, que Valentine soit enfin établie. Néanmoins, nous ne vous avons point oublié dans les

conférences,'

et

nous nous sommes assurés d'avance que

le mari de Valentine accepterait, sinon de vivre près de nous, qiu gênerions peut-être un jeune ménage,

du moins'que

vous, que Valentine chérit particulièrement, et qui, de TOtre côté, paraissez lui rendre

cette affection, vivriez

près d'eux, de sorte que vous ne perdrez aucune de vos habitudes, et que vous aurez seulement deux enfants au lieu d'un pour veiller sur vous. L'éclair du regard de Noirtier devint sanglant. Assurément il se passait quelque chose

d'affreux dans

l'âme de ce vieillard

de

;

assurément

le cri

de

la do-ileur eJ

Ja colère

l'etouffait,

montait à sa gorge ; et, ne pouvant éclater, car son visage s'empourpra et ses lèvres de-

vinrent bleues. Villefort ouvrit tranauillcment

une fenêtre en disant

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«

— M.

fait

11

bien chaud

ici

mal à

et celle chaleur fait

,

Noirlier.

Puis



mais sans se rasseoir.

revint,

il

Ce mariage, ajouta madame de

M. d'Épinay

et

à sa famille

pose seulement d'un oncle

morte au moment où

Villefort, plaît

d'ailleurs sa famille se

;

et

à

com-

d'une tanle. Sa mère étant

elle le mettait

au monde

et

,

son

père ayant été assassiné en 1815, c'est-à-dire quand l'en-

deux ans à peine,

fant avait

il

ne relève donc que de sa

propre volonté.

— Assassinat

mystérieux,

dit Villefort,

auteurs sont restés inconnus, quoique

plané sans s'abaltre au-dessus de !a

tèle

dont les

3t

soupçon

le

ail

de beaucoup

de gens. Noirtier

un

fit

comme pour



que ses lèvres se contractèrent

tel effort

sourire.

Or, continua Villefort,

le

sur lesquels peut descendre

des

dant leur vie et seraient bien

une

la justice

la justice

heureux

coupables,

les véritables

ceux-là qui savent qu'ils ont commis

crime

,

ceux-là

hommes pen-

de Dieu après lem mort,

d'être

à notre place,

et d'avoir

à offrir à M. Franz d'Épinay pour éteindre jus-

fille

qu'à l'apparence du soupçon. Noirtier s'était rait

— Oui fort

;

,

je

et ce

profond

l'on n'au-

comprends

,

répondit-il

du regard à

Ville-

regard exprimait tout ensemble le dédain

cl la colère intelligente.

Villefort, il

calmé avec une puissance que

pas dû attendre de cette organisation brisée.

de son coté, répondit à ce regard, dans lequel

avait lu ce qu'il contenait, par

un

léger

mouvemenl

d'épaules.

Puis

il

fit

signe à sa

— Maintenant

,

femme de

Monsieur,

dit

se lever.

madame

de Villetort

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. agréez

mes

toLS

Vous

respects.

f

qu'Edouard

plait-il

vienne vous présenter ses respects?

convenu que

était

11

le vieillard

exprimait son aporo-

bation en fermant les yeux, son refus en les clignaat à

plusieurs reprises, ei avait quelques désirs à exprimer

quand

il

les levait

an

ciel.

demandait Valentine

S'il

il

,

fermait

droit seule-

l'oa'l

ment.

demandait Barrois,

S'il

A

la proposition

ment

de

il

fermait l'œil gauche.

madame de

Villefort,

il

cligna vive-

jeux.

les

Madame

de Villefort, accueillie par un refus évident,

se pinça les lèvres.

— Je vous enverrai donc Valentine, alors? — Oui, vieillard en fermant yeux avec vivacité. dit-elle.

M.

et

les

le

fit

madame

de Villefort saluèrent et sortirent eu

ordonnant qu'on appelât Valentine

,

déjà prévenue

au

reste qu'elle aurait quelque chose à faire dans la journée

près de M, Noirtier. Derrière

eux Valentine ,

entra chez le vieillard. qu'elle comprit

de choses

— Oh On

t'a

1

combien

,

toute rose encore

ne

lui fallut

souffrait

démotion

qu'un regard pour

son aïeul

et

combiea

avait à lui dire.

il

bon papa,

s'écria-t-elle, qu'est-il

donc arrivé

t

fâché, n'est-ce pas, et tu es en colère ?

— Oui, — Contre

fit-il

madame, de

Le

11

en fermant

qui donc Villefort

vieillard

fit

?

les

yeux.

contre

?

non

;

mon

contre

père

?

non

;

contre

moi?

signe que oui.

— Contre moi? reprit Valentine étonnée. Le

vieillard

— Et que lentine.

renouvela

t'ai-jô

donc

le signe.

fait,

cher bon papa? s'écria Va-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.



Pas de réponse



continua

elle

;

vu de quelque chuse de moi ? J«»

ne

t'ai

pas

:

journée; on

la

l'a

dons rapporté

— Oui, regard du avec — Voyons donc que je cherche. Mon Dieu, je vieillard

dit le

bon

pas

d'ici, n'est-ce

— Oui. — Et ce

madame de

Ahl... M. et

père...

'ivacit*^.

sont eux qui t'ont dit ces choses qui te fâ-

mander pour que

je puisse

leur de-

j'aille le

m'excuser près de

toi?



Non, non,



Ohl mais tu m'elTrayes. Qu'ont-ils pu dire,

Dieu

!

fit

regard.

le

— Ohl peut-être

j'y suis, dit-elle,

en baissant

le

t'en rien dire et

;

que

;

mariage

;

Redevenu

atone

que

me

— Non, —

?

dit

à moi-

j'ai

été si réservée

le

avec

regard sembla répondre

demanda

je t'abandonnerais

la j-eune fille ,



u) 'afflige. »

bon père

,

et

:

tu c-ois

que mon

rendrait oublieuse?

dit le vieillard.

Ils t'oDi dit alors que M. d'Épinay consentait que nous demeuras8."ons ensemble ?

— Oui.

!

Noirtier.

seulement ton silence qui

Qu'est-ce donc

peut-être

,

Oh

en quelque sorte ce secret

voilà pourquoi

fixe et

n'est pas

silence.

recommandé de ne

ne m'en avaient rien

j'avais surpris

Pardonne-moi, bon papa

mariage

mon

m'en veux de mon

c'est qu'ils

par indiscrétion



voix et en se

regard courroucé. tu

vois-tu, c'est qu'ils m'avaient bien

même,

la

ont parlé de

Ils

?

— Oui, répliqua — Je comprends

Ce

mon

Et elle chercha.

rapprochant du vieillard.

toi.

jure,

?

chent? Qu'est-ce donc? Veux-tu que

«

te

Villefort sortenl

à ce

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Alois pourquoi es-tu fâché

9

?

Les yeux du vieillard prirent une expression de don ceur

infinie.

— Oui,

comprends,

je

Valentine; parce que iu

dit

m'aimes?

Le

vieillard

fit

signe que oui.

— Et tu as peur que je ne —

sois

malûeureusef

Oui.

— Tu n'aimes pas M. Franz Les yeux répétèrent

?

ou quatre

trois

fois

:

— Non, non, non. — Alors tu as bien du chagrin, bon père? — Oui. — Eh bien

!

écoute, dit Valentine en se mettant à ge-

noux devant Noirtier et en lui passant ses bras a.Ttour du cou, moi aussi, j'ai bien du chagrin, car moi non plus je

n'aime pas M, Franz d'Épinay.

Un

éclair



Quand

de joie passa dans les yeux de j'ai

me

voulu

rappelles bien, que tu as été

Une larme humecta

— Eh bien

!

si fort

fait

te ?

paupière aride du vieillard.

continua Valentine,

à ce mariage, qui

La

la

l'aïeul.

au couvent, tu fâché contre moi

retirer

mon

c'était

pour échapper

désespoir.

respiration de Noirtier devint haletante.

— Alors, ce mariage mon

Dieu,

si

te fait

bien du chagrin, bon père?

tu pouvais m'aider, si nous pouvions à

nous deux rompre leur projet Mais tu es sans force contre eux, toi dont l'esprit cependant est si vif et la vo!

lonté

si

faible et

pour

fe^me ,'mais quand

même

mu un protecteur

«t de ta santé;

comprendre

il

s'agit

de lutter tu es aussi

plus faible que moi. Hélas si

I

tu eusses été

puissant aux jours de

ta force

mais aujourd'hui tu ne peux plus que

et te réjouir

ou

t'affliser

me

avec moi. C'est un

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ÎO derniei

bcnheur que Dieu a oublié de m'enlever

a¥€fi les

autres. Il

y eut à ces paroles, dans les

yeux de

Noirtier,

telle

expression de malice et de profondeur, que

fille

;rut

— Tu

ces mots

la

y

lire

te

trompes, je puis encore beaucoup pour

— Tu peux

une

jeune

:

toi.

quelque chose pour moi, cher bon papa?

traduisit Valentine.

— Oui. yeux au

Noirtier leva les

ciel. C'était le

signe convenu

entre lui et Valentine lorsqu'il désirait quelque chose.

— Que veux-tu, cher père

?

voyons.

Valentine chercha un instant dans son esprit, exprima tout haut ses pensées à

à

elle

,

et

vieillard répondait

— Allons, si sotte

mesure

qu'elles se présentaient

voyant qu'à tout ce qu'elle pouvait

constamment non

fit-elle, les

dire, le

:

grands moyens, puisque je suis

!

Alors elle récita l'une après l'autre toute les lettres de l'alphabet depuis interrogeait l'œil

que

A

jusqu'à N, tandis que son sourire

du paralytique

;

à N, Noirtier

fit

signe

oui.

— Ah

dit Valentine, la chose que vous désirez commence par la lettre N c'est à l'N que nous avons affaire? Eh bien! voyons, que lui voulons-nous à l'N? Na, ne, I

;

ni, no.

— Oui, oui, oui, — Ahl no? — Oui.

fit

le vieillard.

c'est

Valentine alla chercher

un

dictionnaire qu'elle pos*

sur un pupitre devant Noirtier; elle l'ouvrit, et quand elle eut

vu

l'œil

du

vieillard fixé sur les feuilles, son doigt

courut vivement du haut en bas des colounssc

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. L'exercice,

dans

depuis six ans que Noirtier

fâcheux état où

le

épreuves

les

pensée du dans

Il

tombé

était

se trouvait, lui avait rendu

il

faciles, qu'elle devinait aussi vile

si

vieillard

que

la

lui-même eût pu cherchei

si

le dictionnaire.

Au mot

notaire, Noirtier

— Notaire, Le

dit-elle; tu

vieillard

fit

fit

signe de s'arrêter.

veux un

notaire,

bon papat

signe que c'était effectivement

un

no-

taire qu'il désirait.



faut donc envoyer chercher

Il

un

demanda

notaire ?

Valentine.

— Oui, paralytique. — Mon père savoir — Oui. fit

le

doit-il le

f

— Es-tu pressé d'avoir ton notaire? — Oui. — Alors on va l'envoyer chercher te

cher père. Est-ce tout ce que tu veux

— Oui.

Valentine courut à la sonnette

et

tique pour le priar de faire venir M. lefort

chez

le

— Es-tu bien Et

:

jeune

suita^^

appela un domesou madame de Vil-

grand-père.

content?

hein? ce

la

tout de

?

n'était

fille

dit

Valentine; oui... je

pas facile à trouver, cela

sourit à l'aïeul

comme

le

crois

pu

fairt

?

elle eût

à un enfant.

M. de

Villefort entra

ramené par

Barrois.

— Que voulez-vous, Monsieur ?demanda-t-il au parv lytique.

— Monsieur,

dit

Valentine,

mon

grand-père désire un

aotaire.

A

cette

Villefort

demande étrang3

et surtout inattendue,

échangea un regard avec

le

paralytique.

M. de

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.



— Oui, qu'avec

fit

ce dernier avec

l'aide

de Valentine

une fermeté qui

indiquait

de sou vieux servileur,qui

et

savait maiuieuant ce qu'il désirait,

il

a soutenir

était prêt

la lutte.

— Vous demandez — Oui. — Pour quoi faire?

le

notaire? répéta Villeforl.

Noirtier ne répondit pas.

— Mais

qu'avez- vous besoin d'un notaire? demanSa

Villefort.

Le regard du paralytique demeura immobile conséquent muet, ce qui voulait dire

ma

:

et

par

dam

Je persiste

volonté.

— Pour nous

faire

quelques mauvais tour?

dit Ville-

fort; est-ce la peine?

— Mais enfin,

dit Barrois, prêt

à insister avec

sévérance habituelle aux vieux domestiques,

veut un notaire

,

apparemment

c'est

Ainsi je vais chercher

un

qu'il

si

la

per-

monsieur

en a besoin.

notaire.

Barrois ne reconnaissait d'autre maître que Noirtier et

n'admettait jamais que ses volontés fussent contestées en rien.

— Oui, je veux un notaire, les

yeux d'un

si l'on

osera

air

me

de défi

et

fil

le vieillard

comme

s'il

eût

en fermant

dit

:

Voyons

refuser ce que jo veux.

— On aura un notaire,

puisque vous en voulez abso-

lument un, Monsieur; mais je m'excuserai près de vous excuserai vous-même, car

— N'importe,

la

scène sera

dit Barrois, je vais

toujours

cher.

El

le

vieux serviteur

sortit

triomphant.

lui et

fort ridicule. J'aller

cher-

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ii

II

LE TESTAMENT.

Au moment ou line

La jeune son

Barrois sortit, Noirlier regarda Valen-

av^c cet intérêt malicieux qui annonçait tant de choses. fille

comprit ce regard

car

et Villefort aussi,

front se rembrunit et son sourcil se fronça.

Il

prit

un

siège, s'installa dans la

chambre du paraly-

tique et attendit. Noirtier le regardait faire

rence

;

tine de

mais, du coin de

l'œil,

ne point s'inquiéter

et

avec une parfaite il

indiffé-

avait ordonné à Valen-

de rester aussi.

Trois quarts d'iieure après, le domestique rentra avec le notaire.

— Monsieur,

dit Villefort

après les premières saluta-

vous êtes mandé par M.

Noirtier de Villefort, que une paralysie générale lui a ôlé l'usage des membres et de la voix, et nous seuls à grand'peine parvenons à saisir quelques lambeaux de ses pensées.

tions,

voici;

Noirtier ût de

rieux et

— mon

si

l'oeil

un appel à Valentine, appel

si sé-

impératif, qu'elle répondit sur-le-champ

:

Moi, Monsieur, je comprends tout ce que veut dire grand-père.

— C'est vrai, comme

ajouta Barrois, tout, absolument tout,

je le disais à

Monsieur en venant.

— Permettez, Monsieur, dit le notaire

et

vous aussi. Mademoiselle,

en s'adressant à Villefort

et

à Valentine

un 1e ces cas où l'officier public ne peut mconsidérément procéder sans assumer une re5Doi»3abi"té dan c'est là

gereuse. La première nécessité, pour qu'un acte soil va-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

14 lable, esl

que

le noiaire soit

lement interprète

la

bien convaincu qu'il a fidè-

volonté de celui qui

le dicte.

Or, jo

ne puis pas moi-môme être sûr de l'approbation ou de l'improbal'on d'un client qui ne parle pas jet

de ses désirs

et

et

;

comme l'ob-

vu son mutisme,

de ses répugnances,

De peut m'étre prouvé clairement, mon ministère

est

plus qu'inutile et serait illégalement exercé.

Le

notaire

fit

un pas pour se

retirer.

Un

imperceptible

sourire de triomphe se dessina sur les lèvres

reur du

roi.

De son

une telle expression de douleur, chemin du noiaire.

— Monsieur,

du procu-

côté, Noirtier regarda Valentine avec

dit -elle, la

qu'elle se plaça sur le

langue que je parle avec

grand-père esl une langue qui se peut apprendre

ment,

et

de

même que je

le

comprends je puis en quel-

ques minutes vous amener à faut-il,

mon

facile-

,

le

comprendre. Que vous

voyons, Monsieur, pour arriver à

la parfaite édi-

de votre conscience?

fication

— Ce qui est nécessaire pour que nos actes soient valables. Mademoiselle,

répondit

certitude de l'approbation

la

peut

tester

le

notaire; c'est-à-dire

ou de

malade de corps, mais

l'improbation. il

On

faut tester sais

d'esprit.

— Eh bien! Monsieur, avec deux signes vous acquer rez celle certitude que

mon grand-père

n'a jamais mieux

joui qu'à celte heure de la plénitude de son intelligence.

M.

Noirtier, privé de la voix, privé

yeux quand reprises quand

les

il il

du mouvement, ferme

à plusieurs veut dire non. Vous eo savez assez

veut dire oui,

et les cligne

maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.

Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu'il fui oomf/ris

du

Qolaire lui-même.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Vous avez entendu

compris ce que vient de dire

et

TOtre peiile-ûlle, Monsieur?

doucement

Noiriier ferma

un

IK

demanda les

yeux,

le notaire.

et les rouvrit après

instant.

— Et vous approuvez ce qu'elle a dit? c'est-à-dire que bien ceux à l'aide des-

les signes indiqués par elle sont

quels vous faites comprendre votre pensée

?

— Oui, encore vieillard. — C'est vous qui m'avez demander? — Oui. — Pour faire votre testament — Oui. — Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir le

fit

fait

?

fait

ce testament?

Le paralytique cligna vivement

et à plusieurs reprises

ses yeux.

— Eh demanda

bien la

I

Monsieur, comprenez-vous, maintenant,

jeune

fille,

et votre

conscience sera-t-elle en

repos?

Mais avant que le notaire n'eût pu répondre, Yillefort le tira

à part

:

— Monsieur,

dit-il,

croyez-vous qu'un

homme

puisse

supporter impunément un choc physique aussi terrible

que

celui qu'a

que

le



moral

Ce

éprouvé M, Noirtier de

ait

n'est point c«la

sans ?

précisément qui m'inquiète,

iMonsieur, répondit le notaire, mais je

ment nous arriverons à deviner voquer

Villefort,

reçu lui-même une grave atteinte

les

me demande com-

pensées, afin de pro-

les réponses.

— Vous voyez donc que c'est impossible,

dit Villefort.

Valentine et le vieillard entendaient cette conversation. Noirtier arrêta son regard tine,

si fixe et si

ferme sur Valen-

que ce regard appelait évidemment une

riposte.

LE COM'IL DE MONTE-CRISTO.

J6

— Monsieur,

dit-elle,

que cela ne vous inquiète point;

si difficile

qu'il soit,

ou

couvrir

pensée de

mon

rai,

la

plutôt qu'il

vous paraisse de dé-

grand-père, je vous

la

ff.véle-

moi, de façon à lever tous les doutes à cet égard.

Voilà six ans que je suis près de M. Noirtier, dise lui-même,

dans son cœur faute de pouvoir

est resté enseveli faire

comprendre

— Non,

fil

et, qu'il le

depuis six ans, un seul de ses désirs

si,

me

le

?

le vieillard.

— Essayons donc,

dit le notaire

;

vous acceptez Made-

moiselle pour votre interprète?

Le paralytique

— Bien et

;

signe que oui.

fit

voyons. Monsieur, que désirez-vous de moi,

quel est l'acte que vous désirez faire?

Valentine qu'à

nomma

toutes les lettres de l'alphabet jus-

la lettre T.

A celte

lettre, l'éloquent

coup

d'œil de Noirtier l'arrêta.

— C'est la lettre T que Monsieur demande, taire; la



no-

Attendez, dit Valentine; puis, se retournant vers

son grand-père

Le

dit le

chose est visible.

:

Ta... te...

vieillard l'arrêta à la

Alors Valentine

prit

le

seconde de ces syllabes. dicllonnairo,, et

aux yeux du

notaire attentif elle feuilleta les pages.

— Testament,

son doigt arrêté par

dit

le

coup

d'oeil

de

Noirtier.

— Testament Monsieur veut

!

s'écria ie notaire, la

chose est visible

;

tester.

— Oui, Noirtier à plusieurs reprises. — Voilà qui est merveilleux. Monsieur, convenez-en, fit

dit le notaire à Villefort stupéfait.

— En effet,

répliqua-t-il, et plus merveill-^ux encore

serait ce testament

;

car, enfin, je

ne pense pas que

les

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

47

anicles se Tiennent ranger sar ie papier, uiui pai moi,

ma

sans l'intelligente aspiration de sera pent-être

un

être

un peu

Or, Valentine

tille.

trop intéressée à ce testament pour

interprète convenable des obscures volontés de

M. Noirtier de Villefort. '- Non, non! fît le paralytique.

— Comment

dit

I

M. de

Villefort, Valentine n'est point

intéressée à votre testament?

— Non, Noirtier. — Monsieur, fit

dit le

notaire

,

qui, enchanté de cette

épreuve, se promettait de raconter dans détails de cet

me

épisode pittoresque

;

paraît plus facile maintenant que ce

je regardais

ment

comme une

monde

et ce testa-

un testament mystique,

à-dire prévu et autorisé par la loi

pourvu

approuvé par

les

que tout à l'heure

chose impossible,

sera tout simplement

face de sept témoins,

le

monsieur, rien ne

c'est-

qu'il soit lu

le testateur

en

devant

eux, et fermé par le notaire, toujours devant eux. Quant au temps, il durera à peine plus longtemps qu'un testament ordinaire il y a d'abord les formules consacrées et qui sont toujours les mêmes, et quant aux détails, la plupart seront fournis par l'état même des affaires du testa;

teur et par vous qui, les ayant gérées, les connaissez.

Mais

d'ailleurs,

nous allons l'un de

mes

lui

pour que cet acte demeure inattaquable, donner l'authenticité la plus complète;

confrères

me

servira d'aide

et,

contre les

habitudes, assistera à la dictée. Êtes-vous satisfait, sieur

?

continua

— Oui, — Que

le notaire

en s'adressant au

répondit Noirtier, radieux d'être compris. va-t-il

faire? se

demanda

Villefort à qui sa

oaute position commandait tant de réserve,

et qui, d'ail-

ne pouvait deviner vers quel but tendait son père. se retourna donc pour envoyer chercher le deuxième

leurs, il

Mon-

vieillard.

LE COMTE DE MONTE-CIUSTO.

18

notaire désigné par le premier; mais Barrois, qui avail tout entendu et qui avait deviné le désir de son maître, était déjà parti.

Alors

Au dans

le

procureur du roi

fit

dire à sa

bout c'un quart d'heure, tout

la

chambre du paralytique,

le

et le

femme de monter. monde était réuni

second notaire

était

arrivé.

En peu de mots les deux officiers ministériels furem On lut à Noirlier une formule de testament

d'accord.

vague

,

banale; puis pour commencer, pour ainsi dire,

l'investigation de son intelligence, le premier notaire, se

retournant de son côté, lui dit

— Lorsqu'on

:

son testament. Monsieur,

fait

c'est

en

laveur de quelqu'un.

— Oui, Noirtier. — Avez- vous quelque idée du chiffre auquel se monte fit

votre fortune?

— Oui. — Je vais vous nommer plusieurs ront successivement teint celui

;

que vous croirez

monte-

j'aurai at-

être le vôtre.

— Oui. Il

chiffres qui

vous m'arrêterez quand

y avait dans cet interrogatoire une espèce de solen-

nité; d'ailleurs jamais la lutte de l'intelligence contre la

matière

n'a-^ait

peut-être été plus visible; et

un sublime, comme nous un curieux, spectacle.

On

faisait cercle

était assis

si

ce n'était

allions le dire, c'était

au moini

autour de Villefort

taire se tenait

debout devant

— Voti e fortune dopasse ce pas? demanda-t-il. Noirlier

;

le

à une table, tout prêt à écrire

fit

signe que oui.

;

second notaire le

premier no-

lui et interrogeait.

trois cent mille francs, n'es^

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Possédez-vous quatre cent

IS

mille francs?

demanda

le notaire.

Noirtier resta immobile.

— Cinq cent mille? Même



immobilité.

Six cent mille ? sept cent mille? huit cent millet

neuf cent mille? Noirtier

fit

signe que oui.

— Vous possédez neuf cent mille francs? — Oui. — En immeubles? demanda notaire. le

Noirtier

fit

signe que non.

— En inscriptions Noirtier

fit

de rentes?

signe que oui.



Ces inscriptions sont entre vos mains?

Un

coup

d'oeil

adressé à Barrois

viteur, qui revint

un

fît

sortir le

vieux ser-

une

petite cas-

instant après avec

sette.



Permettez-vous qu'on ouvre cette cassette? de-

manda

le notaire.

Noirtier

On

fit

signe que oui.

ouvrit la cassette et l'on trouva pour neuf cent

mille francs d'inscriptions sur le Grand-Livre.

Le premier notaire passa,

les

unes après

chaque inscription à son collègue;

comme

l'avait

les autres,

compte y

le

était,

accusé Noirtier.

— C'est bien cela,

dit-il;

il

est évident

que l'intelligence

est dans toute sa force et dans toute son étendue.

Puis, se retournant vers

— Donc,

lui dit-il,

de capital, qui, à

la

le

paralytique

:

vous possédez neuf cent mille francs façon dont

vous produire quarante mille

ils

sont placés, doivent

livres de rentes

à

peu

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

SO

— Oui,

fit

ISoiriier.

— A qui désirez-vous laisser cette fortune? — Ohl madame de Villefort, cela n'est pDinl doudit

teux; M. Noirlier aime uniquement sa moiselle Valenline de Villefort

depuis six ans

;

elle a

peiite-fillc,

made-

c'est elle qui le soigne

:

su captiver par ses soins assidu»

de son grand-père, et je dirai presque sa re-

l'affection

connaissance

;

il

est

donc juste qu'elle recueille

prix de

le

son dévouement. L'œil de Noirlier lança

un

éclair

comme

s'il

n'était

dupe de ce faux assentiment donné par madame de lefort



aux

pas Vil-

attentions qu'elle lui supposait.

Est-ce donc à mademoiselle Valenline de Villefort

neuf cent mille francs? demanda

que vous

laissez ces

le notaire,

qui croyait n'avoir plus qu'à enregistrer cette

clause, mais qui tenait à s'assurer cependant de l'assen-

timent de Noirlier, et voulait faire constater cet assenti-

ment par tous

les

Valentine avait

yeux

témoins de cette étrange scène. fait

un pas en

arrière et pleurait les

baissés; le vieillard la regarda

un

instant avec

l'expression d'une profonde tendresse; puis se retour-

nant vers

le notaire,

il

cligna des

yeux de

la

façon la plus

significative.

— Non?

dit le notaire;

comment, ce

n'est pas

made-

moiselle Valentine de Villefort que vous instituez pour votre légataire universelle? Noirtier

fit

signe que non.

— Vous ne vous trompez pas? s'écria vous

dites bien

— Non

!

le notaire

étonné;

non?

répéta Noirtier, noni

Valenline releva la tète; elle

était

stupéfaite,

de son exhédération, mais d'avoir provoqué qui dicte d'ordinaire de pareils actes.

non pas

le sentioienl

LE COMlTb DE MONTE-CRISTO. Mais Noirtier la regarda avec une sion de tendresse qu'elle s'écria



mon bon

Olil

— Oh

:

que

père, je le vois bien, ce n'est

votre fortune que vous m'ôtez

fQUJours votre

2!

profonde expres-

si

cœur

me

mais vous

,

laissez

?

yeux du paune expression à laquelle

oui, bien certainement, dirent les

I

ralytique, se fermant avec

Valentine ne pouvait se tromper.

— Merci

1

merci

murmura

!

Cependant ce refus avait

madame

la

jeune

fille.

dans

fait naître

le

cœur de

de Villefort une espérance inattendue;

elle se

rapprocha du vieillard.

— Alors fort

c'est

que vous

tier ?

donc à votre

demanda

la

Ville-

monsieur Noir-

fui terrible

:

il

exprimait pres-

la haine.

— Non, ici

Edouard de

mère.

Le clignement des yeux que

petit-fils

laissez votre fortune, cher

fit

présent

le notaire

;

alors c'est à

monsieur votre

— Non, répliqua

le vieillard.

Les deux notaires se regardèrent stupéfaits et sa

fils

?

femme

;

Villefort

se sentaient rougir, l'un de honte, l'autre de

colère.

^ Mais, que vous avons-nous donc

fait,

père, dit Va-

vous ne nous aimez donc plus ? Le regard du vieillard passa rapidement sur son

lentine

;

fils,

sur sa belle-fille, et s'arrêta sur Valentine avec une

expression de profonde tendresse.

— Eh bien

!

dit-elle, si tu

tâche d'allier cet

meni.

Tu me

la fortune

ma mère

,

:

m'aimes, voyons, bon père,

amour avec

ce que tu

fais

en ce mo-

connais, tu sais que je n'ai jamais songé à

d'ailleurs,

trop riche

on

dit

même

;

que je suis riche du côté de explique-toi donc.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

«2

main de Valeû-

Noirtier fixa son regard ardent sur la tine.

— Ma main? — Oui, Noirtier. — Sa maini répétèrent tous les assistants. dit-elle.

fil

- Ahl Messieurs, vous voyez bien que tout lile

,

que mon pauvre père est fou, dit Ohl s'écria tout à coup Valentine,



Mon mariage,

— Oui, çant

un

n'est-ce pas,

comprends!

je

bon père?

oui, oui, répéta trois fois le paralytique, lan-

éclair à

chaque

fois

— Tu nous en veux pour — Oui. — Mais absurde, — Pardon, Monsieur,

que le

se relevait sa paupière.

mariage, n'est-ce pas

?

dit Villefort.

c'est

dit le

traire

est inu*

Villefort.

et

est très-logique et nie

notaire, tout cela l'effet

fait

au con-

de s'enchaîner

parfaitement.



Tu ne veux

pas que j'épouse M. Franz d'Épi-

nay?



Non, je ne veux pas, exprima

— Et vous déshéritez votre taire,

-

parce qu'elle

fait

l'œil

petite-fllle

du ,

vieillard.

s'écria le

no-

un mariage contre votre gré?

— Oui, répondit Noirtier. — De sorte que sans ce mariage

elle serait votre

hé-

ère?

— Il

Oui. se

fil

alors

un

silence profond autour

du

vieillard.

Les deux notaires se consultaient; Valentine, •ointes, regardait

les

mains

son grand-père avec un sourire lecon-

oaissAnt; Villefort mordait ses lèvres minces;

de Villefort ne pouvait réprimer

madame

un sentiment joyeuï

qui, malgré elle, s'épanouissait sur son visage.

~ Mais,

dit enfin Villefi^'^t,

rompant

le

premier ce

si-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lence,

me

il

semble que

je suis seul

23

juge des convenances

qui plaident en faveur de cette union. Seul mdître de la

main de

ma fille,

je

veux

qu'elle épouse M. Franz d'Épi

oay, et elle l'épousera.

Valentine tomba pleurante sur

— Monsieur,

dit le notaire,

que comptez-vous

faire

un

fauteuil.

s'adressant au vieillard,

de votre fortune au cas où

demoiselle Valentine épouserait M. Franz

Le

vieillard resta

ma-

?

immobile.

— Vous comptez en disposer, cependant? — Oui, Noirtier. — En faveur de quelqu'un de votre famille fit



?

Non.

— En faveur des pauvres, alors — Oui. — Mais, notaire, vous savez que ?

dit le

la loi

à ce que vous dépouilliez entièrement votre

— Oui. — Vous ne disposerez donc que de

s'oppose

fils ?

la partie

que

la loi

vous autorise à distraire. Noirtier demeura immobile.

— Vous continuez à vouloir disposer de tout? — Oui. — Mais après votre mort on attaquera testament le

— Non. — Mon père me connaît fort,

leurs

il il

?

Monsieur, dit M. de Villeque sa volonté sera sacrée pour moi d'ailccrnprend que dans ma position je ne puis plai,

sait

;

der contre les pauvres. L'œil de Noirtier

exprima

— Que décidez -vous,

le

triomphe.

Monsieur? demanda

le notaire

à

Villefort.

— Rien

,

Monsieur, c'est une résolution prise dans

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

24

mon

de

l'espril

mon

père, et je sais que

me

pas de résolution. Je

père ne change

résigne donc. Ces neuf cent

mille fiancs sortiront de la famille pour aller eiirichir les

hôpitaux; mais je ne céderai pas à un caprice de vieillard, et je ferai selon

ma

conscience.

Et Villefort se retira avec sa femme, laissant son père libre

Le les

de tester

même

comme

jour

témoins,

fut

il

il

l'entendrait.

testament fut

le

approuvé par

fait

;

on

alla

le vieillard,

chercher

fermé en

leur présence et déposé chez M. Descharaps, le notaire

de

la famille.

m LE TÉLÉGRAPnE.

M.

et

madame

eux, que M.

pour leur



il

le

de Villefort apprirent, en rentrant chex

comte de Monte-Cristo, qui

faire visite, avait été introduit

les attendait

;

madame

était

dans

venu

le salon,

de Villefort, trop émolion-

née pour entrer ainsi tout à coup, passa par sa chambre à coucher, tandis que

le

procureur du

lui-même, s'avança directement vers Mais gût

si

roi,

nuage de son

rire brillait

front

Villefort

que

le

plus sûr de

salon.

maître qu'il fût de ses sensations,

composer son visage, M. de

écarter le

le

si

bien qu'il

ne put

comte, dont

si

le

bien

sou-

radieux, ne remarquât cet air sombre et rô-

veur.

— Oh

I

mon

Dieul

dit

Monte-Cristo après les premiers

compliments, qu avez-vous donc, monsieur de yillefor4f

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

95

au moment où vous dressiez quelque accusation an peu trop capitale ?

et suis-je arrivé

Villefort essaya de sourire.

— ISou, time

monsieur

que moi.

ici

le

C'est

comte,

dit-il,

il

n'y a d'autr3 vic-

moi qui perds mon procès

et

,

c'est le hasard, l'entêtement, la folie qui a lancé le réquisitoire.

— Que voulez-vous dire un

?

intérêt parfaitement joué.

rivé quelque

— Oh

1

demanda Monte-Cristo avec Vous est-il, en réalité, ar-

malheur grave ?

monsieur

le

comte,

dit Villefort

avec un calme

plein d'amertume, cela ne vaut pas la peine d'en parler

;

presque rien, une simple perte d'argent.

— En

effet, répondit Monte-Cristo, une perte d'argent peu de chose avec une fortune comme celle que vous possédez et avec un esprit philosophique et élevé comme

est

l'est le

vôtre

I

— Aussi, répondit d'argent qui

me

Villefort, n'est-ce point la question

préoccupe, quoique, après

cent mille francs vaillent bien

un

regret,

tout,

neuf

ou tout au moins

un mouvement de dépit. Mais je me blesse surtout de cette disposition du sort, du hasard, de la fatalité, je ne sais comment nommer la puissance qui dirige le coup qui me frappe et qui renverse mes espérances de forlune

et détruit peut-être l'avenir

de

ma

fille

par

le

ca-

tombé en enfance. Eh mon Dieu qu'est ce donc ? s'écria le comte. Neuf cent mille francs, avez-vous dit ? Mais, en vérité, comme vous le dites, la somme mérite d'êire regrettée, même par un philosophe. Et qui vous donne ce chaprice d'un vieillard



!

I

grin?

— Mon père, dont je vous parlé. — M. Noirtier vraiment Mais vous ai

1

I

m'aviez

dit,

ce

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

26

me

semble

,

en paralysie comnlète, et gne

était

qu'il

toutes ses facultés étaient anéanties ?

— Oui, ses facultés physiques, maer, dant,

pense,

il

quitte

ne peut point parler,

il

il

cupé à

veut,

il

il

et,

car

il

ne peut pas

avec tout

cela,

comme vous

agit,

y a cinq minutes,

dicter

et

rfr-

cepen-

voyez. Je

dans ce moment,

il

le

est oc-

un testament à deux notaires.

— Mais alors a parlé — a mieux, comprendre. — Comment cela? —A du regard; ses yeux ont continué de vivre, ?

il

fait

Il

il

s'est fait

l'aide

vous voyez,

et

ils

— Mon ami, trer à

dit

madame

de Villcfort qui venait d'en-

son tour, peut-être vous exagérez-vous la situation?

— Madame... •—

tuent.

Madame

dit le

comte en

s'inclinanl.

de Villefort salua avec son plus gracieux

sourire.

— Mais

que

me

dit

donc



M. de Villefort? demanda

Monte-Cri«to, et quelle disgrâce incompréhensible?...

— Incompréhensible, du

en haussant

roi

— Et

il

les

n'y a pas

mol

c'est le

!

reprit le

procureur

épaules, un caprice de vieillard

moyen de

le faire

!

revenir sur cette

décision?



Si

même

de

fait,

mon

dit

madame

de Villefort;

et

il

dépend

mari que ce testament, au lieu d'être

au détriment de Valentine,

soil

fait

fait

au contraire en sa

faveur.

Le comte, voyant que parler par paraboles, prit

les

deux époux commençaient à

l'air distrait, cl

regarda avec

tention la plus profonde et l'approbation la plus

l'at-

marquée

Edouard qui versait de l'encre dans l'abreuvoir des

oi-

ieaux.

— Ma chère

dit Villefort

répondant à sa femme, vous

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. savez que j'aime peu

que je

et

me

poser chez moi en patriarche,

jamais cru que

n'ai

ma

d'un signe de

le sort

Cependant

tête.

27

de l'univers dépendit importe que mes

il

décisions soient respectées dans ma famille, et que la folie

d'un vieillarQ

un

d'un enfant ne renversent pas

et le caprice

mon esprit depuis était mon ami, vous

projet arrêté dans

Le baron d'Épinay alliance avec son

— Vous croyez Une

est d'accord

fils était ,

dit

avec

une

des plus convenables.

madame de Villefort, que Va-snlui?... En effet... elle a toujours ne serais pas étonnée que

été opposée à ce mariage, et je

que nous venons de voir

tout ce

longues années. le savez, et

et d'entendre

ne

soit

que l'exécution d'un plan concerté entre eux. Madame dit Villefort on ne renonce pas ainsi croyez-moi, à une fortune de neuf cent mille francs. Elle renoncerait au monde Monsieur puisqu'il y a un an elle voulait entrer dans un couvent. N'importe, reprit de Villefort, je dis que ce mariage



,

,



,

,



Madame

doit se faire.

— Malgré Villefort

,

I

de votre père

la volonté

attaquant une autre corde

Monte-Cristo

faisait

,

jours respecté

de

reprit Villefort

mon

père

,

,

à deuy

titres,

sacré

;

madame de

c'est bien

grave

I

et

disait.

je puis dire

que

j'ai

tou-

parce qu'au sentiment naturel

descendance se joignait chez moi

la

sa supériorité morale

? dit

semblant de ne point écouter,

oe perdait point un mot de ce qui se

— Madame

:

la

conscience de

parce qu'enfin un père est sacré

comme

notre créateur, sacré

comme

notre maître; mais aujourd'hui je dois renoncer à reconjaîire

une

intelligence dans

simple souvenir de haine pour ûis

;

il

sei ait

le

le

vieillard qui, sur

un

père, poursuit ainsi le

donc ridicule à moi de conformer

duite à ses capricesi Je continuerai d'avoir

le

ma

con-

plus grand

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

Î8

respect pour M. Noirtier; je subirai sans

me

punition pécuniaire qu'il m'inflige

je resterai

muable dans ma volonté,

et le

mais

;

monde

plaindre la

im-

appréciera do quel

En conséquence, je marierai au baron Franz d'Épinay, parce que ce mariag*

côté était la saine raison.

ma

lîlle

est, à

mon

sens,

veux marier nu,



Eh quoi

I

qu'en définitive

et bonoraljle, et

à qui

me

comte

dit le

!

constamment

avait

quoi

bon fille

,

je

plaît.

dont

le

procureur du

sollicité l'approbation

du regard

roi ;

eh

M. Noirtier déshérite, dites-vous, mademoiselle

Valentine, parce qu'elle va épouser M. le baron Franz

d'Épinay



?

Eh mon Dieu I

Villefort

— La

1

en haussant

oui

,

Monsieur

;

voilà la raison

,

dit

les épaules.

raison visible

,

du moins

,

ajouta

madame de

Villefort.

— mon

La raison

réelle,

Madame. Croyez-moi,

— Conçoit-on cela? répondit vous

je

je connais

père.

le

la

jeune femme; en quoi,

demande, M. d'Epinay

déplaît-il plus

qu'un

autre à M. Noirtier?

— ney, fait

En le

effet, dit le

fils

comte,

j'ai

connu M. Franz d'Épi-

du général de Quesnel,

baron d'Épinay par

le roi

n'est-ce pas, qui a été

Charles

X?

— Justement, reprit — Eh bien mais c'est un jeune homme charmant, Villefort.

1

me

semble

— Aussi dit

n'est-ce qu'un prétexte, j'en suis certaine,

madame

de Villefort; les vieillards sont tyrans de

leurs affections fille



ce

1

;

M. Noirtier ne veut pas que sa

petite-

se marie.

Mais,

dit

Monte-Cristo, ne ^-onnaisse^- vous pas une

cause à celte haine ?

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Eh

mon

!

Dieul qui peut savoir

29

?

— Quelque antipathie politique peut-être — En père de M. d'Épinay mon père et

ont

vu que

les

?

effet

le

,

vécu dans des temps orageux dont je

n'ai

derniers jours, dit Villefort.



Votre père

comme

quelque chose

— Mon

me

?

demanda

rappeler que vous m'avez

dit

cela.

père a été jacobin avant toutes choses

,

reprit

emporté par son émotion hors des bornes de

Villefort,

prudence,

robe de sénateur que Napoléon

et la

jetée sur les épaules ne

homme, mais s.;^irair,

pas bonapartiste

n'était-il

Monte-Cristo. Je crois

faisait

sans l'avoir changé.

la

lui avait

que déguiser

le vieil

Quand mon père con-

ce n'était pas pour l'empereur, c'était contre les

BourLons qu'il n'a

;

mon

car

père avait cela de terrible en

lui,

jamais combattu pour les utopies irréalisables,

mais pour

les

choses possibles, et

qu'il a

appliqué à la

réussite de ces choses possibles ces terribles théories de la

Montagne, qui ne reculaient devant aucun moyen.

— Eh bien! M. Noirtier

Monte-Cristo, voyez-vous, c'est cela

dit

M. d'Épinay se seront rencontrés sur

et

de la politique. M.

le

général d'Épinay, quoique ayant

servi sous Napoléon, n'avait-il pas

au fond du cœur gardé

des sentiments royalistes, et n'est-ce pas assassiné

un

l'avait atdré

.

le sol

même qui

le

fu

soir sortant d'un club napoléonien,

où on

un

frère?

dans l'espérance de trouver en

Villefort regarda le

lui

comte presque avec terreur.

— Est-ce que me trompe? Monte-Cristo. — Non pas. Monsieur, madame de je

dit

Villefort, et

dit

c'est bien cela,

au

contraire

;

et c'est

justement à cause de

ce que vous venez de dire que, pour voir s'éteindre de vieilles haines,

M. de

Villefort avait

eu

l'idée

aimer deux enfants dont les pères s'étaient haïs.

de faire

,

uE COMTE DE MONTE-CRISTO.

80

-— Idée sublime

1

dit

Monle-Crislo, idée pleine de cha-

monde

Eo

rité et

à laquelle

c'était

beau de voir mademoiselle Noirtier de

le

madame Franz

8'appcler

devait applaudir.

d'Épinay.

Villefort tressaillit et regarda Monte-Cristo

eût voulu

au fond de son cœur

lire

effet

Villefort

comme

s'il

l'intention qui avait

dicté les paroles qu'il venait de prononcer.

Mais

le

comte garda

sur ses lèvres

de son regard,

sourire stéréotypé

le bienveillant

encore, malgré la profondeur

et celte fois

;

procureur du roi ne

le

pas au delà do

vit

î'épiderme.

— Aussi,

quoique ce

reprit Villefort

malheur pour Valcnline que de perdre

soit

un grand

la fortune

de son

grand-père, je ne crois pas cependant que pour cela

le

mariage manque; je ne crois pas que M. d'Épinay recule devant cet échec pécuniaire

mieux que

être

de

lui tenir

ma

leurs, est riche

madame

;

verra que je vaux peut-

il

somme moi

qui la sacrifle au désir

,

parole

;

il

calculera que Valcntine

,

d'ail-

du bien de sa mère, administré par M.

de Saint-Méran, ses aïeuls maternels, qui

chérissent tous



la

et la

deux tendrement.

Et qui valent bien qu'on les aime et qu'on les

«oigne

comme

Valentine a

dame de Villefort un mois au plus,

;

fait

d'ailleurs,

et Valentine,

dispensée de s'enterrer

pour M. Noirtier,

ils

dit

ma-

vont venir à Paris dans

après un

comme

elle

tel affront,

l'a

fait

sera

jusqu'ici

auprès de M. Noirtier.

Le comte écoutait avec complaisance

la

voix discor-

lante de ces amours-propres blessés et de ces intérêts meurtris.

— Mais

il

de silence,

que

me

semble,

et je

je vais dire

;

dit

Monte-Cristo après un instant

vous demande pardon d'avance de ce il

me semble aue

si

M.

Noirtier désbé-

,,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO, mademoiselle de

rite

n'a pas le

il

même

— N'est-ce fort

coupable de se vouloir

Villefort,

marier avec un jeune tort

homme



donl

il

a délesté

père

le

à reprocher à ce cher Edouard.

pas, Monsieur? s'écria

madame de

avec une intonation impossible à décrire

:

Ville-

n'est-ce

pas que cest injuste, odieusement injuste? Ce pauvre

Edouard,

il

est aussi bien le petit-fils de

Valentine, et cependant ser M.

Franz

si

M. Noirlier

,

son bien

lui laissait tout

de plus, enfin, Edouard porte qui n'empêche pas que,

M. K^irtier que

Valentine n'avait pas dû épou-

même

nom

le

;

et

de la famille, ce

en supposant que Valen-

effectivement déshéritée par son grand-père

tine soit

encore

elle sera

trois fois

Ce coup porté,

— Tenez,

le

plus riche que

comte écouta

et

lui.

ne parla plus.

monsieur

reprit Villefort, tenez,

le

comte,

cessons, je vous prie, de nous entretenir de ces misères

de famille; oui,

c'est vrai,

ma

fortune va grossir le revenu

des pauvres, qui sont aujourd'hui les véritables riches.

Oui,

mon

père m'aura frustré d'un espoir légitime, et

cela sans raison

de sens, j'avais

;

mais moi

j'aurai agi

comme un homme

promis

revenu de

le

comme un homme

de cœur. M. d'Épinay, à qui cette

somme

,

le

recevra

dussé-je m'imposer les plus cruelles privations.

— Cependant

,

reprit

madame

de Villefort

,

revenant à

murmurât sans cesse au fond de son cœur , peut-être vaudrait-il mieux que l'on confiât cette mésaventure à M. d'Épinay et qu'il rendît lui-môme sa

.a seule idée qui

,

Darole.

— Oh

!

ce serait

un grand malheur

I

s'écria Villefort.

— Un grand malheur? répéta Monte-Cristo. — Sans doute, mariage manqué, de

la

reprit Villefort

même

en se radoucissant

;

un

pour des raisons dargent, jette

défaveur sur ime jeune

fille

;

puis, d aaciens bruits

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.



que

je voulais éteindre reprendraient de la consistance.

Mais non

homme,

,

n'en sera rien. M. d'Épinay

il

de Valentine qu'auparavant

— Je

comme

pense

autrement

;

dans un simple but d'avarice

,

esl

s'il

agirait

il

M. de Villcfort,

dit

Monte-Cristo

madame de Villcfort amis pour me permettre de

assez de ses

un

conseil, je l'inviterais

nir, à ce

que

m'a

l'on

dit

enfin

une

M. de

Villcfort.

— Bien

du moins, à nouer

,

dit-il

voilà tout ce

,

en tendant

monde

— Monsieur, ;

visible, tandis

que

je

demandais tel

il

;

n'y a rien de changé à nos projets.

comte,

le

monde,

tout injuste qu'il

vous en réponds, gré de voire réso-

je

vos amis en seront

fiers, et

M. d'Épinay,

prendre mademoiselle de Villcfort sans dot saurait être

,

et je

que vous,

considère ce qui est arrivé aujourd'hui

dit le

vous saura,

lution

pour

main à Monte-Cristo. Ainsi donc, que

la

ici

comme non avenu est,

celte affaire

pàlissaft légèrement.

prévaudrai de l'opinion d'un conseiller

tout le

donner

puisque M. d'Épinay va reve-

Ce dernier se leva, transporté d'une joie

dit-il

lui

partie dont l'issue doit être si honorable

que sa femme

me

et si j'é-

;

ne se put dénouer; j'engagerais

fortement qu'elle

Li

,

donc

non, c'est impossible.

:

en fixant son regard sur lais

honnête

engagé par rexhércdaiion

se verra encors plus

,

dùl-il

ce qui ne

sera charmé d'entrer dans une famille où

l'on sait s'élever à la

hauteur de

tels sacrifices

pour

tenir

sa parole et remplir son devoir.

En il

disant ces mois, le comte s'était levé et s'apprêtait

partir. —

ùc:

-

Vous nous

quittez,

monsieur

le

comte?

dit

madame

Vjljeiort.

— J'y

suis forcé

rapiielei voi'e

,

Madame

,

je venais

promesse pour samedi.

seulement vott»

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

33

— Craignez-vouâ que nons i'ôutîiassions — Vous êtes trop bonne, Madame; mais M. ?

fort

a de

graves

si

et parfois

de

si

de Ville-

urgentes occupA-

lions...



ma-

;Mon mari a donné sa parole, Monsieur, dit

dame de quand

vous venez de voir

Villefcrt,

qu'il la

tient

a tout à perdre, à plus forte raison quand

il

il

a

tout à gagner.



demanda

Et,



Non

maison des

Villefort, est-ce à votre

Champs-Elysées que

réunion a lieu?

la

pas, dit Monte-Cristo, et c'est ce qui lend

encore votre dévouement

plus méritoire

:

à la

c'est

campagne.

— A campagne? — Oui. — Et où cela? près de Paris, n'est-ce pas? — Aux portes, à une demi-lieue de barrière, la

la

à

Au-

teuil.



A

Auteuill s'écria Villefort. Ahl c'est vrai,

dame m'a c'est

ma-

que vous demeuriez à Auteuil, puisque

dit

chez vous qu'elle a été transportée. Et à quel en-

droit d'Auteuil?

— Rue de — Rue de alranglée

;

la

Fontaine

la

I

Fontaine!

et à quel

reprit Villefort d'une voix

numéro?

— Au n' 28. — Mais, s'écria Villefort, c'est donc à vous que l'on a yendu •

la

maison de M. de Saint-Méran?

- Dp m.

de Saint-Méran? demanda Monte-Crista

Cette maison appartenait-elle donc à M. de Saint-Meran



Oui, reprit

madame

une chose, monsieur

— Laquelle?

le

de Villefort

comte?

,

et

croyez-vouf

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

S4

— Vous trouvez celle maison n'esl-ce pasY — Charmante. — Eh bien mon mari n'a jamais voulu l'habiter. — Chl reprit Monte-Cristo, en vérité, Monsieur, jolie,

I

une prévention dont

je

me

ne

— Je n'aime pas Auteuil, Monsieur, reur du

en faisant un

roi,

c'est

rends pas compte.

effort

répondit

procu-

le

sur lui-même.



Mais je ne serai pas assez malheureux, je l'espère, Ht avec inquiétude Monte-Cristo, pour que celle antipathie

me

que

du bonheur de vous recevoir?

prive

— Non,

monsieur

— Oh!

le

que

je ferai tout ce

comte... j'espère bien... croyez je pourrai, balbutia Villefort.

répondit Monte-Cristo, je n'admets pas d'ex-

cuse. Samedi, à six heures, je vous attends, el

ne veniez pas, sur

que

moi?

si

vous

y a maison inhabitée depuis plus de vingt ans

cette

je croirais,

quelque lugubre

tradition,

sais-je,

qu'il

quelque sanglante légende.

vivementVillefort. monsieur — comte, — Merci, Monte-Cristo. Maintenant faut que vous j'irai, dit

le

J'irai,

dit

me

il

permettiez de prendre congé de vous.

— En nous

fort, et

faire,

vous avez

effet,

quitter,

vous

monsieur alliez

même,

quand vous vous

une autre



vous

Bah

que vous dit

je crois,

étiez forcé de

madame de

Ville-

nous dire pourquoi

êtes interrompu

pour passer à

idée.

— Fu vérité, Madame, j'oserai

dit

comte,

le

!

dire



dit

Monte-Cristo, je ne sais

si

je vais.

dites toujours.

— Je vais, en véritable badaud que

je suis, visiter

une

ehose qui m'a bien souvent fait rêver des heures entières. Laquelle?

— Un télégraphe. Ma tant voilà mol lâché. — Un télégraphe répéta madame de Villefort. foi

'

pis,

le

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Eh mon



un télégraphe. J'ai vu parfois 1 bout Q'un chemin, sur un tertre, par un heau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d'uiî immense coiéoptère, et jamais ce ne fut sans émof ,n, je vous jure, car je pensais que ces signes bizarre^ sp.ndant l'air

Dieu, oui,

avec précision, et portant à

lonlé inconnue

homme

d'un

trois cents lieues la

assis devant

une

rj.

table, à

un autre nomme assis à l'extrémité de la ligne devani une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l'azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout-puissant je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je :

Or, jamais l'envie ne m'était

riais.

venue de voir de près aux pattes noires et

ces gros insectes au ventre blanc,

maigres, car je craignais de trouver sous leurs ailes de pierre le petit génie

humain, bien gourmé, bien pédant,

bien bourré de science, de cabale ou de sorcellerie. Mais

beau matin

voilà qu'un

chaque télégraphe

était

appris que le moteur de

j'ai

un pauvre

diable d'employé à

douzft cents francs par an, occupé tout le jour à regarder,

non pas

comme

le

le ciel

comme

pécheur, non pas

l'astronome,

le

paysage

non pas

l'eau

comme un

cer-

veau vide, mais bien l'insecte au ventre blanc, aux pattes noires, son correspondant, placé à quelque quatre ou lui. Alors je me suis senti pris d'un désir curieux de voir de près cette chrysalide vivante et d'as-

cinq lieues de

sister

à

la

comédie que du fond de sa coque

à cette autre chrysalide, tres

quelques bouts de

en

tirant les

donne

eîlc

uns après

les

au-

ficelle.

— Et vous allez là? — J'y vais.



A

quel télégraphe?

ricbr ou de

A

l'Observatoire?

celui

du ministère de '^

l'inlé-

t

LE COMTE DE MUISlli-tRlSlO.

se

— Ohl

non pas,

trouverais là des gens qui rou-

je

draient n^e forcer de

comprendre des choses que

icnorer, et qui m'expliqueraient malgré qu'ils

ne connaissent pas. Peste

sions

que

donc

veux

veux garder

les illu-

encore sur les insectes; c'est bien assez

j'ai

d'avoir déjà perdu celles n'irai

je

!

je

moi un vnyslère

que

j'avais sur les

hommes.

au télégraphe du ministère de

ni

Je

l'intérieur,

au télégraphe de l'Observatoire. Ce qu'il me faut, c'est télégraphe en plein champ, pour y trouver le pur bon-

ni le

homme



pétrifié

Vous

êtes

dans sa tour.

un

singulier grand seigneur, dit Ville-

fort.

— Quelle ligne me conseillez-vous d'étudier? — Mais plus occupée à cette heure. — Bon! celle d'Espagne, alors — Justement. Voulez-vous une du ministre pour la

?

lettre

qu'on vous explique...

— Mais non, contraire,



dit

Monte-Cristo, puisque je vous dis, au

que je n'y veux rien comprendre.

comprendrai quelque chose,

j'y

télégraphe,

il

il

Du moment

n'y aura plus de

n'y aura plus qu'un signe de

M. Ducbàtel

ou de M. de Montalivet, transmis au préfet de Hayonne et travesti en doux mots grecs T-nlt, yfxkfziv. C'est :

la

bote

aux

pattes noires et le

mol

conserver dans toute sa pureté

et

cITrayant

que

dans toute

je

ma

veux véné-

ration.

— et

Mlez donc, car dans deux heures

vous ne verrez plus

— Diable vous m'effrayez. Quel est — Sur route de lîayonne — Oui, va pour route de Bayonne. — C'est celui de Châtillon. I

la

il

fera nuit, et

rien.

?

la

*- Et après celui de Cliâlillooî

le

plus proche

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Celui de —

Merci

la tour

de Montlhéry, je

au revoir

,

!

Samedi

je

37

croiii.

vous raconterai mes

impressions.

A

la porte, le

comîe se trouva avec

les

deux notaires

qui venaient de déshériter Valentine, et qui se retiraient

enchantés d'avoir

de leur

faire

fait

un

acte qui ne pouvait

manquer

grand honneur.

IV LE MOYEN DE DÉLIVRER UN JARDINIER DES LOIRS QUI MANGENT SES PÊCHES.

Non pas

même

le

lendemain matin,

le

comme

soir,

il

l'avait dit,

comte de Monte-Cristo

mais

sortit

le

par la

barrière d'Enfer, prit la route d'Orléans, dépassa le vil-

lage de Linas sans s'arrêter au télégraphe qui, juste-

ment au moment où

le

comte passait,

faisait

mouvoir ses

longs bras décharnés, et gagna la tour de Montlhéry, tuée,

comme chacun sait,

plaine de ce

la

Au un

si-

sur l'endroit le plus élevé de

nom.

pied de la colline, le comte mit pied à terre, et par

de

petit sentier circulaire, large

commença de

gravir la

dix-huit pouces,

montagne arrivé au sommet, ;

il

une haie sur laquelle des fruits verts avaient succédé aux fleurs roses et blanches. se trouv» arrêté par

Monte-Cristo chercha

la

porte

tarda point à la trouver. C'était

du

une

petit enclos, et

roulant sur des gonds d'osier et se fermant avec

une ficelle. En un instant le comte mécanisme et la porte s'ouvrit. et

TOME

IV.

ne

petite herse en bois,

fut

un cloo au courant du

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

88

Le comte se trouva alors dans un petit jardin de vingt pieds de long sur douze de large, borné d'un côté par la partie

dfe .a

haie dans laquelle était encadrée l'ingénieuse

machine que nous avons décrite sous de

•t

.^mée de ravenelles

On

et

nom

le

de

l'autre par la vieille tour ceinte

de porte

lierre, toute

par

de giroflées.

n'eût pas dit, à la voir sjnsi ridée et fleurie

comme

UD3 aïeule à qui ses petits-enfants viennent de souhaiter lît fête, qu'elle pourrait raconter liien des drames terribles si elle

une voii aux

joignait

menaçantes qu'un

oreilles

vieax proverbe donne aux murailles.

On

parcourait ce jardin en suivant

une

allée sablée de

sable rouge, sur lequel mordait, avec des tons qui eussent réjoui l'œil de Delacroix, notre

Rubens moderne, une

bordure de gros buis, vieille de plusieurs années. Cette allée avait la

manière à

forme d'un

faire

en s'élançant, de

8, et tournait

dans un jardin de vingt pieds une prome-

nade de soixante. Jamais Flore, déesse des bons jardiniers

riante

la

latins,

d'un culte aussi minutieux et aussi pur que

qu'on

En

lui

l'était

celui

rendait dans ce petit enclos.

effet,

de vingt rosiers qui compo. aient

pas une feuille ne portait la trace de petite

fllei la

et fraîche

n'avait été honorée

la

le parterre,

mouche, pas un

grappe de pucerons verts qui désolent

et

rongent les plantes grandissant sur un terrain humide.

Ce

n'était

lardin

;

cependant point l'humidité oui manquait à ce

la terre

noire

comme

de

la suie

,

l'opaque feuil-

lage des arbres, le disaient assez; d'ailleurs l'humidité taclice eût

promptement suppléé à l'humidité naturelle,

giice au tonneau plein d'eau croupissante qui creusait

on des angles du jardin, et dans lequel stationnaient, sur une nappe verte, une grenouille et un crapaud qui, par (Dcompalibililé d'buxnenr

.

sans doute

,

se tenaient tou-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lours,

3î>

en se tournant le dos, aux deux points opposés du

Tercle.

D'ailleurs, pas

une herbe dans

les allées,

ton parasite dans les plates-bandes;

émcnde avec moins de

polit et

pas un reje-

une petite-maîtresse

soin les géraniums, les

cactus et les rhododendroDS de sa jardinière de porcelaine

que ne

le faisait le

maître jusqu'alors invisible du

petit enclos.

Monte

Cri sto s'arrêta après avoir

agrafant la ficelle à son clou

,

refermé

la porte

en

embrassa d'un regard

et

toute la propriété.



Il

parait

,

dit-il

jardiniers à l'année,

que l'homme du télégraphe a des

,

ou se

passionnément à

livre

l'agri-

culture.

Tout à coup

il

se heurta à quelque chose

,

tapi der-

une brouette chargée de feuillage ce quelque chose se redressa en laissant échapper une exclamation qui

rière

:

peignait son étonnement, et Monte-Cristo se trouva en

bonhomme

face d'un

d'une cinquantaine d'années qui plaçait sur des feuilles

ramassait des fraises qu'il

de

vigne. Il

de

y avait douze feuilles de vigne et presque autant

fraises.

Le bonhomme, en se relevant,

faillit

laisser

choir

fraises, feuilles et assiette.

— Vous Cristo

faites

votre récolte

Monsieur

,

— Pardon, Monsieur, répondi'. tant la vrai,

?

dit

Monte-

en souriant. le

mais je viens d'en descendre à

— Que je ne vous gêne en cueille?:

vos

— J'en

ai

fraises,

si

encore di^

rien,

por-

l'instant

mon ami,

même.

dit le

comte

;

vous en reste encore. l'homme, c»r en voici onze.

toutefois dit

bonhomme en

jo ne suis pas là-haut, c'est

main à sa casquette,

il

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

40

et j'en avais

vingt et une, cinq de plus que l'année der-

nière. Mais ce n'est pas étonnant, le printemps a été

aux

celle année, et ce qu'il faut

chaud

la chaleur.

vouS, Monsieur, c'est

de seize que

eues l'année passée, j'en

j'ai

voyez-

fraise?

Voilà pourquoi, au lieu ai cette

année,

voyez-vous, onze déjà cueillies, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit. Oh!

manque deux elles

y étaient, j'en suis sûr, je les

que ce soit flées

;

je

de

le fils

mon Dieu

y étaient encore

elles

,

la

ai

I

comptées.

mère Simon qui me

il

m'en

Monsieur,

hier,

Il

faut

les ait souf-

vu rôder par ici ce matin. Ahl le petit drôle, un enclos il ne sait donc pas où cela peut le

l'ai

voler dans

!

mener.

— En

Monte-Cristo, c'est grave, mais vous

dit

effet,

ferez la part de la jeunesse

du délinquant

et

de sa gour-

mandise.

— Certainement, moins

est pas

fort

pardon, Monsieur attendre ainsi

Et

il

:

dit le jardinier

;

cependant ce n'en

désagréable. Mais, encore une fois, c'est peut-être

un chef que

je fais

?

interrogeait d'un regard craintif le

comte

et

son

habit bleu.

— Rassurez-vous, mon ami, à sa volonté,

rire qu'il faisait,

lant, et

qui cette

fois

dit le si

comte avec ce sou-

terrible et si bienveil-

n'exprimait que la bienveillance, je

ne suis point un chef qui vient pour vous inspecter, mais

un simple voyageur conduit par nnence

vous

même

qui com-

perdre votre temps.

fait

— Oh

la curiosité et

à se reprocher sa visite en voyant qu'ii

mon temps n'est pas cher, répliqua le homme avec un sourire mélancolique. Cependant le

I

temps du gouvernement,

mais j'avais reçu

le signal

et je

ne devrais pas

le

bonc'es

perdre

qui m'annonçait que je poa-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. vais

me reposer une heure

(il

4t

yeux sur un cadran

jeta les

y avait de tout dans l'enclos de Montlhéry, même un cadran solaire), et, vous solaire, car

j'avais encore dix

mûres,

étalent

voyez,

minutes devant moi, puis mes

frajses

un jour de

et

foi,

non

,

de

le

vous, Monsieur, que les

— Ma

la tour

il

loirs

ne

je

plus... D'ailleurs, croiriei-

me les mangent?

l'aurais pas cru, répondit grave-

ment Monte-Cristo c'est un mauvais voisinage, Monsieur, que celui des loirs, pour nous qui ne les man;

geons pas confits dans du miel mains.

,

— Ahl

Romains

les

mangeaient

ils

les

CMMne

faisaient les

Ro-

Jm^ mangeaient?

fit

le jardinier;

les loirs?

— comte. lu cela dans Pétrone, — Vraiment? Ça ne doit pas être bon, quoiqu'on dise dit le

J'ai

Gras

comme un

sieur,

que

Et ce n'est pas étonnant,

loir.

les loirs soient gras,

:

Mon

attendu qu'ils dorment

toute la sainte journée, et qu'ils ne se réveillent que pour

Tenez, l'an dernier, j'avais quatre

ronger toute

la nuit.

abricots

m'en ont entamé un. J'avais

un

;

seul,

Monsieur,

ils il

est vrai

me

ils

que

l'ont

c'est

un

un brugnon,

rare; eh bien!

fruit

à moitié dévoré du côté de la

mu-

un brugnon superbe et qui était excellent. Je n'en jamais mangé de meilleur. Vous l'avez mangé ? demanda Monte-Cristo. C'est-à-dire 'a moitié qui restail, vous comprenez

raille; ai

— —

bien. C'étai» exqu' là

5,

Monsieur.

Ah dame I

1

ces messieurs-

ne choisissent pas les pires morceaux. C'est

fils

de

la

mère

fraises, allez

I

Si:

non,

il

n'a pas choisi les plus

comme

le

mauvaises

Mais cette année, continua l'horticulteur,

soyez tranquille, cela ne m'arrivera pas, dussé-je, quand les fruits seront prêts (farder.

de mûrir, passer

la nuit

pour les

LE COMTE



E MONTE-CRISTO.

I

homme

Monte-Cristo en avait assez vu. Chaque

aisa

mord au fond du cœur, ccmme chaque son ver; ceUe de l'homme au télégraphe, c'était

passion qui le fruit

l'horticulture.

cœur du

dev'gne qui

se mil à cueillir les feuilles

Il

cachaient les grappes au soleil Jardinier.

,^^se ccuquit par

là le

""^R,*'

— Monsieur venu pour v(^46 télégraphe — Oui, Monsieur, toutefois cela n'est pas défendu ? dit-il.

était

si

par les règlements.

— Oh

!

pas défeiK^^e moins du monde, dit le jardi-

n^^ifcâiéide dangereux, vu que per-

nier, attendu qu'il

sonne ne



ne peut savoir ce que nous disons.

sait ni

On m'a

dit,

en

ijffel,

même,

wf^'— Certainemeii PTwsieur,

dit

comte, que vous ré-

reprit le

vous ne compreniez pas vous-

pétiez des signauijiroe '

et

j'aime bien

mieux

cela,

en riant l'homme du télégraphe.

— Pourquoi aimez-vous mieux cela? — Parce que, de cette façon, je pas n'ai

hilité.

de responsa-

Je suis une machine, moi, et pas autre chose, et

pourvu que

je fonctionne,

on ne m'en demande pas da-

vantage.



Diable

ûl

!

Monte-Cristo en lui-même,

par hasard je serais tombé sur pas d'ambition? Morbleu



Monsieur,

dit le

801 «tadran solaire, ermettez-moi de vous faire une question.

— — — —

rasse

Faites.

Vous aimez le jardinage? Avec passion. Et vous seriez heureux, au lieu d'avoir une de vingt pieds, d'avoir un enclos de deux

ter-

ar-

pents?

— — — — — —

Monsieur, j'en ferais un paradis terrestre.

Avec vos Assez mal

mille francs vous vivez

mal?

mais enfln je vis. Oui; mais vous n'avez qu'un jardin misérable.

Ah

I

;

c'est vrai, le jardin n'est

Et encore,

tel qu'il est,

il

est

pas grand.

peuplé de

loirs qui

dévorent tout.

— Ça, c'est mon Oéau. — vous aviez T)ites-raoi\ si

tète,

— —

quand Je ne

le

le

malheur de

tourne»- fa

correspondant de droite va marcher?

le verrais pas.

Alors, qu'arriverait-il?

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

46

— — —

Que

je

ne pourrais pas répéter ses signaux»

Et après? II

arriverait que,

l^ente, je serais



ne

pas répétés par négll-

les ayant

mis à l'amende.



De combien ? De cent francs.



Le dixième de votre revenu

— Ail l'employé. — Cela vous est arrivé — Une Monsieur, une

;

c'est joUI

fit

!

? dit

fois,

Monte-Cristo.

fois

que

je greffais

un

ro

sier noisette.



Bien. Maintenant,

si

vous vous avisiez de chan-

ger quelque chose au signal, ou d'en transmettre autre

— drais

— —

Alors, c'est différent, je serais renvoyé et je per-

ma

pension.

Trois cents francs?

Cent écus, oui. Monsieur; aussi vous comprenez

que jamais



un

?

je

ne

môme

Pas

ferai rien

de tout cela.

pour iiuinze ans de vos appointements?

Voyons, ceci mérite réflexion, hein

— — — — — — —

Pour quinze mille francs? Oui.

Monsieur, vous m'effrayez. IJah!

Monsieur, vous voulez

me

tenter?

Justement! Quinze mille francs, comprenez vous? Monsieur, laissez-moi regarder

de droite

mou

correspondant

I

— Au contraire, ne regardez pas et regardez ceci. — Qu'est-ce que c'est? le



Comment

plers-Ià?

1

vous ne connaissez pas cei

petits pA-

^ COMTE DE MONTE-CRISTO.

47

— Des de banque — Carrés y en a quinze. — El à qui «ont-ils? — A vous, vous voulez. — Amoil s'écria l'employé suffoqué. — Oh mon Dieu, oui à vous, en toute propriété. — Monsieur, voilà mon correspondant de droite qai billets ;

I

il

si

!

I

marche.

— Laissez-le marcher. — Monsieur, vous m'avez

distrait,

et je vais être

à

J'amende.

— Cela vous coûtera cent francs vous avez tout

intérêt à prendre

;

vous voyez bien que

mes quinze

billets

de

banque.

— Monsieur, il

le

correspondant de droite s'impatiente,

redouble ses signaux.

— Laissez-le

faire et prenez.

Le comte mit

le

— Maintenant, mille francs

paquet dans la main de l'employé.

dit-il,

ce n'est pas tout

:

avec vos quinze

vous ne vivrez pas.

— J'aurai toujours ma place. — Non, vous la perdrez car vous allez faire un autre ;

signe que celui de votre correspondant.

— Oh Monsieur, que me proposez-vous là? — Un enfantillage. — Monsieur, à moins que d'y être — Je compte bien vous y forcer effectivement. 1

forcé...

Et Monte-Cristo

tira

de sa poche un

— Voici dix autres mille francs,

autrf»

dit-il;

paquet.

avec

les

quinze

qui sont dans votre poche, cela fera vingt-cinq mille.

Avec cinq maison autres,

mille francs vous achèterez

une jolie petite deux arpents de terre avec les vingt miUd vous vous ferez mille francs de rente. et

;

LE COMTE DE iMONTE-CUlSTO.

48

— Vn jardin de deux arpents ? ~ Et mille francs de rente. — Mon Dieu mon Dieul — M;iis prenez donci !

Et Monte-Cristo mil de force les dix mille francs dans !a

main de l'employé.

— Que dois-je faire? — Rien de bien — Mais enfin? — Répéter les signes que voici. difficile.

Monte-Cristo

tira

l'ordre dans lequel

— Ce

de sa poche un papier sur lequel

ils

devaient être

ne sera pas long,

il

y

numéros indiquant

tout tracés, des

signes

avait trois

faits.

comme vous

voyez.

— Oui, mais... —

C'est

pour

coup que vous aurez des brugnons,

le

et

de reste.

Le coup porta gouttes, le trois

;

rouge de fièvre

bonhomme exécuta

les

et

suant à grosses

uns après

les autres les

signes donnés par le comte, malgré les effrayantes

dislocations

du correspondant de

droite, qui,

ne compre-

nant rien à ce changement, commençait à croire que

l'homme aux brugnons

devenu

était

fou.

Quant au correspondant de gauche, cieusement

les

mômes

il

répéta conscien-

signaux, qui furent recueillis dé-

finitivement au ministère de l'intérieur.



Maintenant, vous voilà

riclie, dit

Monte-Cristo.

— Oui, répondit l'employé, mais à quel prixl — fîcoutez, mon ami Monte-Cristo, je ne veux pas ,

que vous TOUS

jure,

ayf!Z

dit

des remords

vous n'avez

fait

;

de

croyez-moi donc, car, je tort à

personne,

et

vous

avez servi les projets de Dieu.

L'employé

re^arr^ait les billets

de banque, les palpail

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. les comptait

il

;

cipita ""ers sa il

était pâle,

il

était

rouge

;

enfin,

49 il

se pré-

chambre pour boire un verre d'eau

;

mais

n'eut pas le temps d'arriver jusqu'à la fontaine, et

il

s'évanouit au milieu de ses haricots secs.

Cinq minutes après que

la

arrivée au ministère, Debray

coupé,

et

nouvelle télégraphique fut fit

mettre les chevaux à son

courut chez Danglars.

— Votre

mari a des coupons de l'emprunt espagnci?

à la baronne.

dit-il

— Je crois bien en a pour six millions. — Qu'il les vende à quelque prix que ce — Pourquoi cela? — Parce que don Carlos sauvé de Bourges il

?

soit.

s'est

et est

rentré en Espagne.

— Comment savez-vous cela? — Parbleu, Debray en haussant les épaules, comme dit

je sais les nouvelles.

La baronne ne

se le

fit

pas répéter deux

fois

:

elle

courut chez son mari, lequel courut à son tour chez son agent de change et

Quand on

vit

lui

ordonna de vendre à tout prix.

que M. Danglars vendait,

les fonds

espa-

gnols baissèrent aussitôt. Danglars y perdit cinq cent mille francs, mais

Le

soir

on

lut

il

se débarrassa de tous ses coupons.

dans

le

Messager :

Dépêche télégraphique. m

Le

roi

don Carlos a échappé à

la

surveillance qu'on

exerçait sur lui à Bourges, et est rentré en la frontière

faveur.

Espagne par

de Catalogne. Barcelone s'est soulevée en sa

»

Pendant toute la soiréB il ne fut bruit que de la préToyance de Danglars, qui avait vendu ses coupons, et da

LE COMTE DE MONTE-GRISIT.

«0 bonheur de francs sur

l'agioteur, qui

un

ne perdait que cinq cent mHl«

pareil coup.

Ceux qui avaient conservé leurs coupons ou acheté «eux de Danglars se regardèrent comme ruinés et passèune fort mauvaise nuit. Le lendemain on lut dans le Moniteur : « C'est sans aucun fondement que le Messager a auloncé hier la fuite de don Carlos et la révolte de Bar-

rent

celone. «

Le

roi

don Carlos n'a pas quitté Bourges,

et la

Pé-

ninsule jouit de la plus profonde tranquillité. «

Un

signe télégraphique, mal interprété à cause da

brouillard, a

donné

lieu à cette erreur,

»

Les fonds remontèrent d'un chiffre double de celui où ils étaient descendus. Cela

fit,

en perte

et

en manque à gagner, un million

de différence pour Danglars.

— Bon!

dit

Monte-Cristo à Morrel, qui se trouvait chez

au moment où on annonçait l'étrange revirement de Bourse dont Danglars avait été victime je viens de faire lui

;

pour vingt-cinq mille francs une découverte que j'eusse payée cent mille.

— Que venez-vous donc de découvrir? demanda Maximilien.

— Je viens

de découvrir

le

moyen de

délivrer

iioier des loirs qui lui mangeaient ses pêches

un jar-

LK COMTE DE MONTE-CRISTO.

bi

LES FANTOMES.

A

première vne,

la

et

examinée du

deiiors, Ja maisc%'

d'Auteuil n'avait rien de splendide, rien de ce qu'on pouvait attendre

d'une habitation destinée au magnifique

ie Monte-Cristo

comtfc

:

mais cette simplicité

tenait à la

volonté du maître, qui avait positivement ordonné que rien

ne fût changé à

l'extérieur;

il

n'était

besom pour

convaincre que d^ considérer l'intérieur. porte était-elle ouverte

la

M. Bertuccio

s'était

que

le

s'en

En effet, a peine

spectacle changeait.

surpassé lui-même pour

le

goût

ameublements et la rapidité de l'exécution comme autrefois le duc d'Antin avait fait abattre en une nuit une allée d'arbres qui gênait le regard de Louis XIV, de même âes

en

:

trois

jours M. Bertuccio avait

entièrement nue,

et

venus avec leurs blocs énormes de la façade principale

fait

planter

une cour

de beaux peupliers, des sycomores racines, ombrageaient

delà maison, devant laquelle, au lieu

de pavés à moitié cachés par l'herbe, s'étendait une pelouse de gazon, dont les plaques avaient été posées le

même,

matin

et

qui formait

un vaste

tapis



perlait en-

core l'eau dont on l'avait arrosé.

Au

reste, les ordres venaient

remis à Bertuccio un plan où \Sl

du comte; lui-même avait

était

indiqué

le

nombre

et

place des arbres qui devaient être plantés, la forme et

l'espace

Vue

d«.

'a

pe'ouse qui devait succéder aux pavés.

ainsi, la

maison

était

devenue méconnaissable,

et

Bertuccic lui-même protestait qu'il ne la reconnaissait plus, emboîtée qu'elle était dans son cadre de verdure.

n

LE COMTE DE MUNTE-CKISIU. L'inlendanl n'eût pas été fâché, tandis qu'il y était,

quelques transformations au jardin:

faire subir

df»

m?.' s le

comte avait positivement défendu qu'on y touchât en rien. Bertuccio s'en dédommagea en encombrant de cheminées.

fleurs les antichambres, les escaliers ei ies

Ce qui annonçait l'extrême habileté de l'intendant la

pour se

que cette maison, déserte de. sombre et si triste encore la veille

faire servir, c'zst

puis vingt années,

si

imprégnée qu'elle

tout

de celte fade odeur qu'on

était

un jour, le mai

pourrait appeler l'odeur du temps, avait pris en

avec l'aspect de tre,

la vie, les

parfums que préférait

jusqu'au degré de son jour favori

et

comte, en arrivant, avait ses armes

;

là,

oiseaux dont

les il

chiens dont

aimait

le

c'est

que

le

il

aimait les caresses, les

chant ; c'est que toute cette mai-

son, réveillée de son long sommeil Belle

;

sous sa main, ses livres et

sous ses yeux ses tableaux préférés; dans les

antichambres

la

et

profonde science du maître, l'un pour servir, l'autre

au bois dormant,

pareille à ces

comme

le

palais de

vivait, chantait, s'épanouissait,

maisons que nous avons depuis longtemps

chéries, et dans lesquelles, lorsque par

malheur nous

les

nous laissons involontairement une partie de

quittons,

notre àme.

Des domestiques belle cour

:omme

:

s'ils

les

allaient et venaient

joyeux dans

uns possesseurs des cuisines,

cette

et glissant.

eussent toujours habile celte maison, dans dei

escaliers restaurés de la veille, les autres peuplant les re-

mises,

otx les

équipages, numérotés et casés, semblaieni

installés

depuis cinquante ans

vaux au

râtelier rc-pondaieni

Diers, qui leur parlaient

;

et les écuries,



en hennissant 5ux

les

che

oalofre-

avec infiniment plus de respect

que eaiicoup de domestiques ne parlent à leurs maîtres. l

La bibliothèque

était

dispo>Mtion d'esprit où nous nous trouvons.

LE'

COMTE DE MONTE-CRISTO.

Villefo-î s'efforça



de

75

rire.

Et alors vous comprenez,

dit-^î., il

suffit

d'une sud-

^osition; d'une chimère...

— Eh bien voulez,

!

j'ai la

dit

Monte-Cristo, vous m'en croirez

si vons commis dans

conviction qu'un crime a été

maison.

cette

— Pnenez garde, procureur du

ici le

— Ma

dit

madame de

Villefort,

nous avons

roi.

répondit Monte-Cristo, puisque cela se ren-

foi,

contre ainsi, j'en profiterai pour faire

— Votre déclaration? — Oui, en face de témoins. — Tout cela est intéressant,

ma déclaration.

dit Villefort.

et

fort

dit

Debray;

et s'il

y

a réellement crime, nous allons faire admirablement la digestion.



Il

y a crime,

dit

Monte-Cristo. Venez par ici, Mes-

sieurs ', venez, monsieur de Villefort

:

pour que la dé-

aux

claration soit valable, elle doit être faite

autorités

compétente3. Monte-Crioto prit le bras de Villefort, et en même temps qu'il

serrait

sous

le sien celui

traîna le procureur

l'ombre

Tous

était le

3

dit

iéjà vieux,

madame le

Danglars, platane,

il



convives suivaient.

du

j'ai fait

travailleurs

,

pied),

ici,

ici,

à cette place même (e

pour rajeunir ces arbres

creuser et mettre du terreau

en creusant

plutôt des ferrures de coffre, le squelette

de

jusque sous

Monte-Cristo,

frappait la terre

mes

roi

plus épaisse.

les autres

— Tenez,

du

,

ont déterré

un

;

eh biec coftre

ou

au milieu desquelles étai

d'un enfant nouveau-né. Ce n'est pas de

la

fantasmagorie cela, j'espire? Monte-Cristo sentit se roidir

U

bras de

glars et frissonner le coignet de Villefort.

madame Dan-

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

76

— Un

nouveau né? répéta Debray diable

enfant

;

devient sérieux

— Eh

me

ce

,

I

ceci

semble.

me

bieni dit Château-Renaud, je ne

trompais

dune pas quand je prétendais tout à l'heure que les mai-

âme

sons avaient une

;

un visage comme

La maison

leurs entrailles.

des remords

et

était triste

hommes,

les

un

sur leur physionomie

et qu'elles portaient

retlet

de

parce qu'elle avait

des remords parce qu'elle cachait

elle avait

un crime.

— Oh tentant

qui

!

dit

que

un dernier

— Comment

I

c'est

un crime?

reprit Villeforl

effort.

enfant enterré vivant dans

un

un

jardin,

ce n'est pas un crime? s'écria Monte-Cristo.

Comment

appelez-vous donc cette action-là, monsieur



reur du roi

procu-

?

— Mais qui dit qu'il a été enterré vivant? — Pourquoi l'enterrer là, était mort? Ce jardin n'a s'il

jamais été

un

cimetière.



Que fait-on aux infanticides dans ce pays-ci? demanda naïvement le major Cavalcanti. Oh mon Dieu on leur coupe tout bonnement le I

I

cou, répondit Danglars.

— Ah — Je

I

on leur ceupe

le

cou,

fit

Cavalcanti.

le crois... N'est-ce pas, monsieur de Villefort?

demanda Monte-Cristo.

— Oui,

monsieur

le

comte, répondit celui-ci avec

un

accent qui n'avait plus rien d'humain.

Monte-Cristo vit que

c'était tout

ce que pouvaient

supporter les deux

personnes pour lesquelles

paré cette scène;

et

loin

ne voulant pas

la

il

avait pré-

pousser trop

:

— nous

Mais i

le caf^.

oublions.

Messieurs,

dit-il, il

me

senble que

LU COMTE DE MONTE-CRISTO. Et lieu

il

ramena

77

ses convives vers la tablp placée

an mi-

de la pelouse.

— En

vérité,

glars, j'ai

monsieur

comte,

le

ma

honte d'avouer

dit

faiblesse,

madame Danmais toutes ces

affreuses histoires m'ont bouleversée; laissez-moi m'as seoir, je

vous

prie.

Et elle tomba sur une chaise.

Monte-Cristo la salua et s'approcha de

madame

de

Villefort.

— Je crois que madame votre flacon,

Mais avant que de son amie,

de

Danglars a encore be soin de

dit-il.

le

madame

de Villefort se fût approchée

procureur du

madame Danglars

roi avait déjà dit

à

l'oreille

:

— faut que je vous parle. — Quand cela? — Demain. — Où? — A mon bureau... au parquet Il

encore



là l'endroit le

si

vous voulez,

J'irai.

En ce moment madame

de Villefort s'approcha.

— Merci,

dit

chère amie,

madame

Danglars en es-

sayant de souwre, ce n'est plus rien, et je «

fait

c'est

plus sur.

me

sens tout

mieux.

VII LE MENDIANT.

La soirée s'avançait

;

madame

de Villefort avait mani

testé le désir de regagner Taris, ce

que

n'avai*. point

o&6

U: COMTE DE MONTE-CRISTO.

18

madame

faire

Danglars, malgré

le

malaise évident qu'elle

éprouvait.

Sur

donc

la

demande de

sa

femme, M. de

premiei le signal du départ.

le

dans son landeau à

madame

donna

Villefort

Tl olTrit

une place

Danglars, afin qu'elle eût les

femme. Quant à M. Danglars, absorbé dans

soins de sa

une conversation M. Cavalcanti,

il

avec

industrielle des plus intéressantes

ne

faisait

aucune

attention. à tout ce qui

se passait.

Monte-Cristo, tout en demandant son flacon à

madame

de Villefort, avait remarqué que M. de Villefort

approché de tion,

l'avait Tl

Danglars

;

et,

si

bas qu'à peine

si

madame

s'était

guidé par sa situa-

avait deviné ce qu'il lui avait

il

parlé

madame

dit,

quoiqu'il eût

Danglars elle-même

entendu.

laissa,

sans s'opposer à aucun arrangement, partir

Morrel, Debray et Château-Renaud à cheval, et monter les

deux dames dans

côté, Danglars,

le

landeau de M. de Villefort

;

de son

de plus en plus enchanté de Cavalcanti

père, l'invita à monter avec lui dans son coupé.

Quant à Andréa Cavalcanti, l'attendait rait les

devant

la porte, et

agréments de

il

gagna son

tilbury, qui

dont un groom, qui exagé-

la fashion anglaise, lui tenait,

en se

hissant sur la pointe de ses bottes, l'énorme cheval gris

de

fer.

Andréa n'avait pas beaucoup parlé durant le dîner, par cela

môme que

c'était

un garçon

fort intelligent, et qu'il

avait tout naturellement éprouvé la crainte de dire quel•^ue sottise

au milieu de ces convives riches

parmi Icpquols son œil

sans (Tainte un procureur Ensuite,

il

et puissants,

dilaté n'apercevait peut-ôtre

du

pas

roi.

avait été accaparé par M. Danglars, qui,

iDVès un rapide coup d'œil sur

le

vieux mî)or au (Xn

LE COMTE DE MONT&CRISTO. roide et sur son

un peu

encore

fils

79

timide, en rapprt»-

Mont^

chant tous ces symptômes de l'hospitalité de

nabal

Cristo, avaif pensé qu'il avait affaire à quelque

venu vie

à Paris

pour perfectionner son

fils

uniqi'e dans

b

mondaine. avait

Il

donc contemplé avec une complaisance indi-

cible l'énorme diamant qui brillait jor, car le

peur

major, en

qu'il n'arrivât

homme

au

prudent

petit doigt et

quelque accident à ses

que, les avait convertis à l'instant

du ma-

expérimenté, de

même

billets

de ban-

en un objet de

valeur. Puis, après le dîner, toujours sous prétexte d'industrie et de voyages,

il

avait questionné le père et le

sur leur manière de vivre

que

c'était

l'un,

;

et le

père

et le fils,

chez Danglars que devait leur être ouvert, à

son crédit de quarante-huit mille francs, une

donnés, à

charmants

et plein d'afabilité i

banquier, aux domestiques duquel, ils

fois

son crédit annuel de cinquante mille

l'autre,

livres, avaient été

retenus,

fils

prévenus

s'ils

our le

ne se tLisenS

eussent serré la main, tant leur reconnais-

sance éprouvait

Une chose

besoin de l'expansion.

le

surtout augmenta la considération, nous

dirons presque la vénération de Danglars pour Caval canti. Celui-ci, fidèle s'était contenté,

au principe d'Horace:

comme on

l'a

nil

admirari,

vu, de faire preuve de

science, en disant de quel lac on tirait les meilleures

lamproies. PHis dire

un

il

avait

mangé

sa part de celle-là sans

seul mot. Danglars en avait conclu

de sorROJETS

MARIA-^vlî

Le lenflfcmain de celte scène, s coutume de choisir pour veîil

avait

bureau, une petite visite à

ne parut pas dans

mada as

afcmfe aire,

que Debrav

en allant à sou

Danglars, son coupé

la cour.

A cette heure-là c'est-à-dire vers midi et demi madame Danglars demanda sa voiture et sortit. Danglars, placé derrière un rideau, avait guetté cette ,

,

sortie qu'il attendait.

aussitôt

que madame

elle n'était

A deux

Il

donna

l'ordre

reparaîtrait

;

qu'on

le

prévînt

mais à deux heures

pas rentrée.

il demanda ses chevaux, se rendit à la Chambre et se fit inscrire pour parler contre le budget. De midi à deux heures, Danglars était resté à son

heures

:-abinet, décachetant ses

dépêches, s'assombrissant de

plus en plus, entassant chilîres sur chiffres et recevant *;ntre

autres visites celle du major Cavalcanti, qui, tou-

jours aussi bleu, aussi roide et aussi exact, se présenta

l'heure annoncée

avec

le

la

veille

pour terminer sou

affaire

banquier.

Pn sortant de

la

Chamlirc, Danglars. qui avait dooû'i

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

lOR

de violentes marques d'agitation pendant la séance

et qui

surtout avait été plus acerbe que jamais contre le minis

remonta dans sa voiture

tère, le

et

ordonna au cocher de

conduire avenue des Champs-Elysées, n" 30. Monte-Cristo

quelqu'un, et

chez

était

priait

il

lui

seulement

;

il

était

avec

Danglars d'attendre un instant an

salon.

Pendant que et

il

d'attendre

dans

comme

maison,

la

appartements

Un

banquier attendait,

le

un homme

vit entrer

habillé

la porte s'ouvrît,

en abbé

lui, plus familier

que

,

qui

lui

,

au

lieu

sans doute

salua, entra dans l'intérieur des

le

et disparut.

instant après

la porte

,

par laquelle

le prêtre était

entré se rouvrit, et Monte-Cristo parut.

— Pardon, aiHis, l'abbé

cher baron, mais un de

dit-il,

mes bons

Busoni, que vous avez pu voir passer, vient

d'arriver à Paris

;

y avait

il

fort

longtemps que nous

étions séparés, et je n'ai pas eu le courage de le quitter

tout aussitôt. J'espère

qu'en faveur du motif, vous

m'excuserez de vous avoir

— c'est

Comment moi qui

ai

donc,

dit

mal

pris

fait

attendre.

Danglars, c'est tout simple;

mon moment,

et je vais

me

retirer.



Point

du

Mais, bon Dieu

tout !

asseyez-vous donc, au contraire.

;

qu'avez-vous donc? vous avez

soucieux; en vérité vous m'effrayez. grin est

comme

les

comètes,

il

Un

l'air

tout

capitaliste cha-

présage toujours quelque

grand malheur au monde.



J'ai,

mon cher

dit Danglars, que la maumoi depuis plusieurs jours, et que

Monsieur,

vaise chance est sur je n'apprends

— Ah!

que des

mon Dieu

!

sinistres. dit

Monte-Cristo, est-ce que vous

avez eu une rechute à la Bourse?

LE COMTE DE MONTE-CUISTO.

iOf-

—Non, j'en il

suis guéri, pour quelques jours

du moins;

bonnement pour moi d'une banqueroutes

s'agit tout

Iriesle.

— Vraiment? Est-ce que voire banqueroutier ferait par hasard Jar opo jManfredi

— Justement

?

homme

Figurez-vous un

1

qui

faisait,

de-

puis je ne sais combien de temps, pour huit ou neuf cent mille francs par an d'affaires avec moi. Jamais

un mé-

compte, jamais un retard

comme

;

un

gaillard qui payait

on prince... qui paye. Je me mets en avance d'un million

mon

ivec

lui, et

fredi

qui suspend ses payements

ne

voilà-t-il

— En vérité — C'est une

pas

diable de Jacopo

Man-

I

?

fatalité

mille livres, qui

me

inouïe. Je tire sur lui six cent

reviennent impayées, et de plus je

suis encore porteur de quatre cent mille francs de lettres

de change signées par

payables

lui et

toucher

mon

ah

;

affaire

!

bien oui,

le

courant chez

fin

son correspondant de Paris. Nous sommes

le 30, j'envoie

correspondant a disparu. Avec

d'Espagne, cela

me

fait

une

gentille fin de

mois.



Mais est-ce vraiment une

votre

perte,

affaire

d'Espagne?

— Certainement, caisse, rien

que

— Comment

sept cent mille francs hors de

ma

cela.

diable avez-vous

fait

une

pareille écoïC,

vous un vieux loup-cervier?

— Eh

!

c'est la faute

de

ma femme. Elle a rêvé que don aux

rêves. C'est

elle ri^ve

une chose,

Carlos était rentré en Espagne ; elle croit

du magnétisme,

dit-elle, et

quand

celte chose, à ce qu'elle assure, doit infailliblemeut arri-

ver. Sur sa conviction, je lui permets de jouer: elle cassette et son agent de chance

:

«Ue joue

i:

sa

et elle perd.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

H

que ce

est vrai

n'est pas

mon

argent, mais le sien

Cependant, n'importe, vous comprendrez

qu'elle joue.

que lorsque sept cent mille francs de la femme,

le

— Si

fait, ;

sortent de la poche

mari s'en aperçoit toujours bien un peu.

Commertl vous ne un bruit énorme. détails

10?

saviez pas cela? Mais la chose a

j'en avais

fait

entendu parler, mais j'ignorais les

puis je suis on ne peut plus ignorant de toutes

ces affaires de Bourse.

— Vous ne jouez donc pas — Moi! comment voulez-vous que je joue? Moi qui ?

et

mes revenus,

je serais

intendant, de prendre encore

un com-

déjà tant de peine à régler

ai

mon

forcé, outre

un garçon de

mis

et

me

semble que

l'histoire ils

pas

de

dit

la

la

caisse. Mais, à propos d'Espagne,

baronne n'avait pas tout à

rentrée de don Carlos. Les journaux n'ont-

quelque chose de cela?

— Vous croyez donc aux journaux, vous — Moi, pas moins du monde mais le

que

il

rêvé

fait

f

me

il

;

semble

cet honnête Messager faisait exception à la règle

qu'il n'annonçait

que

et

,

les

nou-

reprit

Dan-

les nouvelles certaines

,

velles télégraphiques.

— Eh bien glars

;

c'est

!

voilà ce qui est inexplicable

que

cette rentrée de

vement une nouvelle télégraphique. En sorte, dit Monte-Cristo, que



mille francs à

,

don Carlos

était effecti-

c'est dix-sept ceiÉ

peu près que vous perdez ce mois-ci ?

— n'y a pas d'à peu près, — Diable pour une fortune

c'est juste

Il

I

1

dit

chiffre. dit

un rude coup. Danglars un peu humilié;

Monte-Cristo avec compassion

— De troisième ordre

mon

de troisième ordre,

,

c'est

que diable entendez-vous par là?

— Sans doute, continua Monte-Cristo, je

fais trois

câ~

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

408

tégories dans les fortunes

fortune de

fortune de premier ordre,

:

deuxième ordre

,

fortune de troisième ordre.

J'appelle fortune de premier ordre celle qui se e

que

trésors

les

la

revenus sur des États

main,

comme

pourvu que ces

l'Angleterre,

et

sous

l'on a

revenus, forment un j'appelle fortune de

total

compose

les terres, les la

mines,

France, rAutriche

trésors, ces mines, ces

d'une centaine de millions;

second ordre les exploitations ma-

Dufacturières, les entreprises par association, les vice-

royautés et les principautés ne dépassant pas quinze cent mille francs de revenu,

tout formant

le

d'une cinquantaine de millions

;

un

capital

j'appelle enfin fortune

de troisième ordre les capitaux fructifiant par intérêts

composés,

les

gains dépendant de la volonté d'autrui ou

des chances du hasard

,

qu'une banqueroute entame,

qu'une nouvelle télégraphique ébranle

;

les spéculations

éventuelles, les opérations soumises enfin

de cette

en

la

comparant à

turelle

:

la force

majeure, qui est la force na-

formant un capital

le tout

fictif

quinzaine de millions. N'est-ce point

^u

aux chances

qu'on pourrait appeler force mineure,

fatalité

1î\

ou

réel d'une

votre position à

prêt, dites?

— Mais dame, oui répondit Danglars. — en résulte qu'avec six de mois comme celleI

fins

Il

,

continua imperturbablement Monte-Cristo

,

une mai-

ion de troisième ordre serait à l'agonie.

— Oh TOUS y

!

Danglars avec un sourire

dit

allez

fort pâle,

comme

I

— Mettons sept mois,

ton. Dites -moi,

répliqua Monte-Cristo

du même

avez-vous pensé à cela quelquefois, que

sept fois dix-sept cent mille francs font douze millions ou

4 peu près?...

Non? Eh bien! vous avez

raison, car

4vec des réflexions pareilles on n'engagerait jamais sôb

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

109

rapitaux, qui sont au financier ce que la peau est à

J'homme

civilisé.

somptueux, il

n'a

Nous avons nos

que sa peau, de

ou moins

habits plus

;

mais quand l'homme meurt

même

qu'en sortant des affaires,

c'est notre crédit

vous n'avez que votre bien réel, cinq ou six millions tout au plus car les fortunes de troisième ordre ne représentent guère que le tiers ou le quart de leur apparence, comme la locomotive d'un chemin de fer n'est toujours, ;

au milieu de

fumée qui l'enveloppe

la

qu'une machine plus ou moins

forte.

et qui la

Eh

bien

cinq millions qui forment votre actif réel,

grossit,

I

sur ces

vous venez

d'en perdre à peu près deux, qui diminuent d'autant votre

ou votre

fortune fictive

crédit; c'est-à-dire,

mon

cher

monsieur Danglars, que votre peau vient

d'être ouverte

par une saignée qui, réitérée quatre

entraînerait la

mort. Eh, eh glars.

faites attention,

!

mon

Avez-vous besoin d'argent

vous en prête

?

fois

,

cher monsieur Dan-

Voulez-vous que je

?

— Que vous êtes un mauvais calculateur!

Dan-

s'écria

glars en appelant à son aide toute la philosophie et toute

de l'apparence

la dissimulation

gent est rentré dans

mes

:

à l'heure

qu'il est, l'ar-

coffres par d'autres spéculations

qui ont réussi. Le sang sorti par la saignée est rentré par la

nmdtion.

battu

à.

perdu une

J'ai

Trieste

pris quelques galions

bataille

mon armée

mais

;

;

mes

en Espagne

,

j'ai

été

navale de l'Inde aura

pionniers

du Mexique auront

découvert quelque mine.

— Fort bien, première perte

fort

bien

I

mais

— Non, car je marche sur Danglars avec

la

trois

à la

des certitudes, poursuivit

faconde banale du charlatan, dont

est de prôner son crédit;

que

la cicatrice reste, et

elle se rouvrira.

il

faudrait,

pour

gouvernements croulasseoi.

me

l'étal

rerverst/r,

«0

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Dame cela vu. — Que terre manquai de — Rappelez-Yous sept vaches s'est

!

récoltes.

la

les

grasses et les sept

vaches maigres.

— Ou que encore

éton;

mer

la

se retirât,

comme du temps

de Pha-

y a plusieurs mers, et les vaisseau)( en

il

seraient quittes pour se faire caravanes.

— Tant mieux, mille

fois tant

Monte-Cristo;

dit

trompé,

que vous rentrez dans

et

mieux, cher monsieur vois que je m'étais

et je

Danglars,

les fortunes

du second

ordre.

— Je crois pouvoir aspirer à cet honneur, avec un de ces sourires stéréotypés qui

dit

Danglars

faisaient à

Monte-

Cristo l'effet d'une de ces lunes pâteuses dont les

vais peintres badigeonnent leurs ruines

;

mau-

mais, puisque

nous en sommes à parler d'affaires, ajouta-t-il, enchanté de trouver ce motif de changer la conversation, dites-

moi donc un peu ce que

— Mnis, vous

et

je puis faire

donner de l'argent,

lui

que ce

— Excellent

crédit !

il

pour M. Cavalcanti. s'il

a un crédit sur

vous paraisse bon.

s'est

présenté ce matin avec un bon

de quarante mille francs, payable à vue sur vous, signé Busoni, et renvoyé par vous à moi avec votre endos.

Vous comprenez que

je lui ai

compté à

l'instant

même

ses quarante billets carrés.

Monte-Cristo

fil

un

signe de tête qui indiquait toute

son adhésion.

— Mais ce n'est pas tout, continua Danglars vert à son ûls

un

— Combien,

;

il

a ou-

crédit chez moi.

sans indiscrétion, donne-t-il au jeune

homme?

— Cinq mille francs par mois. — Soixante mille francs par an. Je m'en doutais bien.

LE COMTE DE MOxME-CRISTO. Monte-Cristo en haussant les épaules

lit

pleutres

nomme

que

Que

les Cavalcanti.

veut-il

m

ce sont des

;

qu'un jeune

fasse avec cinq mille francs par mois ?

— Mais ^ous comprenez que

si le

jeune hommec?, be-

soin de qutriques mille francs de plus...

-ren

faites rien, le

votre compte;

père vous les laisserait pour vous ne connaissez pas tous les million-

naires ullramontains : ce sont de véritables harpagons. Et par qui lui est ouvert ce crédit ?

— Oh!

par la maison Fenzi, une des meilleures de

Florence.

— faut

;

Je ne veux pas dire que vous perdrez, tant s'en mais tenez-vous cependant dans les termes de la

lettre.

— Vous canti

°



n'auriez donc pas confiance dans ce Caval-

Moi je lui donnerais dix millions sur sa signature. Cela rentre dans les fortunes de second ordre, dont je

vous

I

parlais tout à l'heure,

— El avec cela comme

mon il

cher monsieur Danglars.

est simple! Je l'aurais prig

pour un major, rien de plus. Et vous lui eussiez fait honneur; car, vous avez raison, il ne paye pas de mine. Quand je l'ai vu pour la première fois, û m'a fait l'effet d'un vieux lieutenan; moisi sous la contre-épaulette. Mais tous les Italiens son: comme cela, ils ressemblent à de vieux juifs quand Us n'éblouissent nas comme des mages d'Orient. Le jeune homme est mieux, dit Danglars.



,

— — Oui,

un peu timide, peut-être; mais, en somme, a m'a para convenable. J'en étais inquiet. Pourquoi cela?

— — Parce que vous l'avez vu chez moi à peu prèsàsoa

ectrée dans

le

monde, à ce aue

l'on

m'a

dit

du moins. U

2

LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

H

très-sévère et n'était jaa voyagé avec un précepteur mais venu à Paris. — Tous ces Italiens de qualité ont l'habitude de se

négligemment mar.er entre eux, n'est-ce pas? demanda fortunes. leurs associer à aiment Danglars ; ils Cavalcanti D'habitude ils font ainsi, c'est vrai mais



est

;

un

original qui

ne

rien

fait

comme

m'ôtera pas de l'idée qu'il envoie son

les autres.

fils

On ne

en France pour

y trouve une femme.

qu'il

— Vous croyez — J'en suis sur. — Et vous avez entendu parler de sa fortune — n'est question que de cela seulement les ?

?

;

Il

lui

un;

prétendent qu'il ne accordent des millions, les autres

possède» pas

un

paul.

Kt votre o[iinion à vous? vous fonder dessus; elle est toute 11 ne faudra pas

_

personnelle.



Mais, enfin..

_ Mon opinion, à moi

,

est

que tous ces vieux podes-

ces Cavalcanti ont tous ces anciens condottieri, car

tats,

provinces ; des armées, ont gouverné des des millions enterré ont qu'ils est dis-je, opinion,

commandé

mon

seuls connaissent et font dans des coins que leurs aînés en génération; et la connaître à Ipurs aînés de génération et secs comme leurs preuve, c'est qu'ils sont tous jaunes dont ils conservent République, florins du temps de la

un

reflet

-

à force de les regarder.

Parfait,

dit

Danglars; et c'est d'autant plus vrai terre, à tous ces

qu'on ne leur connaît pas un pouce de gens-là.

— Fort

que je ne peu, du moins; moi, je sais bien

nalais de Lucques. oounais à Cavalcanti app- sau

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Ah

a un palais

il

!

en riant Danglars

dit

!

113 ;

c'est déjà

lueique chose.

— Oui,

et

encore

au ministre des îinances,

le loue-t-il

une maisonnette. Oh!

tandis qu'il habite, lui, dans

vous

déjà

l'ai

dit, je

crois le

bonhomme

— Allons, allons, vous ne — Écoutez, je connais à peine

je

serré.

le flattez pas.

le

dans

trois fois

Busoni

et

ma

vie.

Ce que

par lui-même

projets sur son

fils,

et

me

il

;

me

je crois l'avoir

:

matin de ses

parlait ce

laissait entrevoir

que, las de

voir dormir des fonds considérables en Italie, qui est

pays mort, soit

il

voudrait trouver

en Angleterre, de

vu

j'en sais, c'est par l'abbé

un moyen,

faire fructifier ses millions.

remarquez bien toujours que, quoique j'aie

un

en France,

soit

la plus

Mais

grande

confiance dans l'abbé Busoni personnellement, moi, je

ne réponds de

rien.

— N'importe, voyé ; et

c'est

mon

un

merci du client que vous m'avez en-

fort

beau nom à

Cavalcanti, en est tout détail

fier.

mes

inscrire sur

caissier, à qui j'ai expliqué ce

que

A propos, et ceci

registres,

c'était

est

que

les

un simple

de touriste, quand ces gens-là marient leurs

fils,

îeur donnent-ils des dots?

— Eh,

mon

italien, riche

J'ai

connu un prince

d'or,

un des premiers

Dieul c'est selon.

comme une mine

noms de Toscane,

qui, lorsque ses

fils

guise, leur donnait des millions, et, riaient

malgré

de trente

se mariaient à sa

quand

ils

se

ma-

se contentait de leur faire

une rente écus par mois. Admettons qu'Andréa se marie lui,

selon les vues de son père,

il

lui

donnera peut-être un,

jeux, trois millions. Si c'était avec la

fille

par exemple, peut-être prendrait-il

un

maison du beau-père de son de cela que sa bru

fils

lui déplaise

:

;

d'un banquier, intérêt

dans

la

puis, supposez à côté

bonsoir, le père Caval-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

i\A canti

met

la

main sur

double tuur à de vivre

la

def de son

comme un

coffre-fort,

donne un

maître Andréa obligé

la serrure, et voilà

de famille parisien, en bizeautant

fils

des cartes ou en piquant des dés.

— Ce garçon-là péruvienne;

trouvera une princesse bavaroise ou

voudra une couronne fermée, un El-

il

dorado traversé par

— Non,

le

Polose.

tous ces grands seigneurs de l'antre côté de?

monts épousent fréquemment de simples mortelles sont

comme Jupiter, ils aiment à croiser les

races.

Ah

;

ils

çàl

mais.est-cequevousvoulez marier Andréa, mon cher monsieur Danglars, que vous me faites toutes ces questions-là?

— Ma

foi, dit



Ce

me paraîtrait pas une un spéculateur, moi.

Danglars, cela ne

mauvaise spéculation;

et je suis

avec mademoiselle Danglars, je pré-

n'est pas

sume? vous ne voudriez pas

faire

égorger ce pauvre

Andréa par Albert?

— Albert! bien oui,

il

dit

Danglars en haussant les épaules; ahl

se soucie pas

mal de

cela.

— Mais est fiancé avec votre je crois? — C'est-à-dire que M. de Morcerf et moi nous avons fille,

il

quelquefois causé de ce mariage

;

mais

madame

de Mor-

cerf et Albert...

— N'allez-vous

pas

me

dire

que cdui-ci

n'est pas

un

bon parti?



Eh, ehl mademoiselle Danglars vaut bien M. de

Morcerf, ce

— La

me

semble

1

dot de mademoiselle Danglars sera belle, en

eOet, et je n'en doute pas, surtout

si le

tdégraphe ne

fait

plus de nouvelles folies.

— Oh

I

ce n'est pas seulement la dot. Mais; dites-moi

donc, à propos?

— Eh bien)

LE COMTE Uc MONTE-CRISTO.

115

— Pourquoi donc n'avez-vous pas invité Morcerf

et

sa

famille à voire dîner?

— Je l'avais Dieppe avec i'air

de

la

aussi,

fait

madame

mais

il

un

a objeLcé

voyajje à

de Morcerf, à qui on a recomiûandé

mer.

— Oui, oui, Dan^iars en être bon. doit — Pourquoi cela? qu'elle a respiré dans sa jeunesse. — Parce que riant,

dit

lui

il

c'est l'air

Monte-Cristo laissa passer l'épigramme sans paraître

y

faire attention.

— Mais

enfin, dit le

comte,

si

Albert n'est point aussi

que mademoiselle Danglars, vous ne pouvez nier quil porte un beau nom ? riche

— Soit, mais j'aime autant mien, Danglars. — Certainement, votre nom est populaire, et a orné dit

le

il

le titre

dont on a cru l'orner

;

mais vous êtes un

homme

pour n'avoir point compris que, selon certains préjugés trop puissamment enracinés pour qu'on les extirpe, noblesse de cinq siècles vaut mieux que notrop intelligent

blesse de vingt ans.

— Et voilà justement pourquoi,

dit

Danglars avec

un

sourire qu'il essayait de rendre sardonique, voilà pour-

quoi je préférerais M. Andréa Cavalcanti à M. Albert de Morcerf.

— Mais les

cependant,

Morcerf ne



le

dit

Monte-Cristo, je suppose que

cèdent nas aux Cavalcanti?

Les Morcerf

I...

lenei,

Danglars, vous êtes un galant

mon

cher comte, repri

homme,

n'est-ce pasf

— Je crois. — Et de plus, connaisseur en blason? le

— Ln peu. — Eh bien iolide

que

I

la couleur du mien du blason dp Morcerf.

regardez

celle

;

elle est plus

H6

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— —

Pourquoi cela? Parce que, moi,

si

je

ne suis pas baron de nais-

sance, je m'appelle Danglars au moins.

— Après? — Tandis que ne s'appelle pas Morcerf. — Comment, ne s'appelle Morcerf? — Pas moins da monde. — Allons donc — Moi quelqu'un m'a baron, de sorte que je lui

paj.

il

le

I

fait

,

suis; lui s'est l'est

fait

comte tout seul, de sorte

qu'il

le

ne

pas.

— Impossible. — Écoutez, mon cher comte, continua Danglars, M. de Morcerf est

mon

trente ans; moi,

mes

ami, ou plutôt

ma

vous savez que

armoiries, attendu

que

connaissance depuis

je fais

je n'ai

bon marché de

jamais oublié d'où je

suis parti.

— C'est

la

preuve d'une grande humilité ou d'un grand

orgueil, dit Monte-Cristo.

— Eh était

bienl

quand

j'étais petit

commis, moi, Morcerf

simple pécheur.

— Et alors on l'appelait? — Fernand. — Tout court? — Fernand Mondogo. — Vous en êtes sur. — Pardieu m'a vendu assez de poisson pour que je I

le

il

connaisse.

— Alors, pourquoi donniez-vous votre — Parce que Fernand et Danglars étant deux lui

fllle?

parve-

nus, tou' deux anoblis, tous deux enrichis, se valent au fond, sauf certaines choses cependant, qu'on a dites lai et

qu'on n'a jamais dites de moi.

de

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— QaDi donc? — Rien. — Ah oui, comprends

117

ce que vous me dites la me je mémoire à propos du nom de Fernano Monentendu prononcer ce nom-là en Grèce.

!

;

rafraîchit la

dego

:

j'ai

— A propos de — Justement. — Voilà mystère,

l'affaire

reprit Danglars, et j'avoue

le

j'eusse

d'Ali-Pacha?

donné bien des choses pour

— Ce

n'était

pas

difficile, si

le

que

découvrir.

vous en aviez eu grande

envie.

— Comment cela? — Sans doute, vous avez bien quelque correspdhdant en Grèce

?

— Pardicu — A Janina? — J'en partout... — Eh bieni écrivez !

ai

et

à votre correspondant de Janina,

demandez-lui quel

d'Ali-Tebelin

— Vous vivement,

rôle a joué

dans

la catastrophe

un Français nommé Fernand.

avez raison j'écrirai

I

s'écria

aujourd'hui

Danglars en se levant

même

!

— Faites. — Je vais — Et vous avez quelque nouvelle bien scandaleuse... — Je vous communiquerai. — Vous me ferez le faire.

si

la

plaisir.

Danglars s'élança hors de l'appartement, et ne

bond jusqu'à sa

voiture.

fit

qu'un

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

lis

X ZZ CABINET DU PROCUREUR DO ROI.

Laissons le banquier revenir au grand train de ses che-

vaux,

et

madame

suivons

Danglars dans son excursion

matinale.

Nous avons

qu'à midi et demi,

dit,

demandé

avait

chevaux

ses

en voiture.

du côté du faubourg Saint-Germain,

Elle se dirigea prit la

madame Danglars

et était sortie

rue Mazarine

,

et

fit

arrêter

au passage du Pont-

Neuf. Elle descendit et traversa le passage. Elle était vêtue fort

simplement,

qui sort

le

comme

Rue Guénégaud,

comme

le

il

convient à une

femme de goût

matin.

monta en

elle

but de sa course,

A peine

fut-elle

dans

fiacre

en désignant,

rue du Harlay.

la

la voiture,

qu'elle

tira

de sa

poche un voile noir très-épais, qu'elle attacha sur son

chapeau de tête, et vit

paille

avec

;

pais elle remit son chapeau sur sa

plaisir,

en regardant dans un

de poche, qu'on ne pouvait voir blanche

Le

d'elle

petit miroir

que sa peau

prunelle étincelante de son œil.

et la

fiacre prit le

Pont-Neuf, et entra, par la place Dau-

com du

phine, dans

la

portière, et

madame Danglars

Harlay

;

il

fut

payé en ouvrant

la

s'élançant vers l'escalier,

qu'elle franchit légèrement, arriva bientôt à la salle des

Pas-Perdus.

Le matin,

gens

affairés

beaucoup

y a beaucoup d'atTaires et encore plus de au Palais les gens affairés ne regardent pas

il

les

;

femmes

:

madame

Danglars traversa donc

H9

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

remarquée que dix

îa salle des Pas-Perdus sans être plus

autres

femmes qui

guettaient leur avocat.

y avait encombrement dans l'antichambre de M. de Villefort ; mais madame Danglars n'eut pas même besoin Il

nom

de prononcer son

sonne à laquelle M. dez-vous, par

un

et,

;

dès qu'elle parut,

demanda

leva, vint à elle, lui

le

un

si elle n'était

procureur du

roi avait

sur sa réponse afiQrmative,

il

huissier se

point la per-

donné ren-

la conduisit,

au cabinet de M. de

corridor réservé,

Ville-

fort.

Le magistrat

écrivait, assis sur

tourné à la porte

:

il

prononcer ces paroles

:

se refermer, sans faire

un

eut-il senti se perdre les

qu'il se retourna tirer les

rideaux

son fauteuil,

le

dos

entendit la porte s'ouvrir, l'huissier

Madame » et la porte mouvement mais à peine

Entrez,

«

seul

I

;

pas de l'huissier, qui s'éloignait,

vivement,

et visiter

alla

pousser les verrous

chaque coin du cabinet.

Puis lorsqu'il eut acquis la certitude qu'il ne pouvait être ni quillisé

vu

ni entendu, et

— Merci, Madame, Et

il

car le

que par conséquent

il

fut tran-

:

lui offrit

cœur

un

dit-il,

siège

merci de votre exactitude.

que madame Danglars accepta,

lui battait si

fortement qu'elle se sentait

près de suffoquer.

— Voilà,

dit le

procureur du

roi

en s'asseyant à son

un demi-cercle à son fauteuil, afin de 5e trouver en face de madame Danglars, voilà tAen longtemps Madame, qu'il ne m'est arrivé d'avoir tour et en faisant décrire

et, à mon grand nous nous retrouvons pour entamer une conver-

ce bonheur de causer seul avec vous ; regret,

sation Dien pénible,

— Cependant, Monsieur, vous voyez que je suis venue votre premier appel, quoique bien certainement cette

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

120

conversation soit eccore plus pénible pour moi que pour

vous.

amèrement.

Villefort sourit



Il

est

donc vrai,

dit-il,

répondant à sa propre pen-

madame

sée bien plutôt qu'aux paroles de est

unes sombres,

les

passé

I

est

II

il

sillon

!

marche du

la

Hélas

leurs larmes

I

reptile sur le sable et font

pour beaucoup

ce sillon est celui de

,

I

— Monsieur, dit mon

lumineuses, dans notre

les autres

donc vrai que tous nos pas dans cette vie

ressemblent à

un

Danglars,

donc vrai que toutes nos actions laissent leurs traces,

madame

Danglars, vous comprenez

émotion, n'est-ce pas? ménagez-moi donc, je vous

prie. Cette

chambre où

blants et honteux, ce

tant de coupables ont passé trem-

ma



fauteuil

tour honteuse et tremblante

!..

je m'assieds à

Oh! tenez,

j'ai

mon

besoin de

moi une femme un juge menaçant. Villefort secoua la tète et poussa un soupir. Et moi, reprit-il, et moi, je me dis que ma place n'est pas dans le fauteuil du juge, mais bien sur la sel-

toute

raison pour ne pas voir en

bien cocpable et en vous



leitâ

de l'accusé.

— Vous? madame Danglars étonnée. — Oui, moi. — Je crois que de votre pa;t, Monsieur, votre dit

nisme s'exagère l'œil si

la situation, dit

madame

beau s'illumina d'une fugitive lueur. Ces

dont vous parliez à l'instant

même,

toutes les jeunesses ardentes.

Au

delà du plaisir,

il

purita-

Danglars, dont sillons,

ont ^ti iracés par

fond des passions, au

y a toujours un peu de remords

;

c'est

pour cela que l'Évangile, celte ressource éternelle des

malheureux, nous a donné pour soutien, à nous autres pauvres femmes, l'admirable parabole de

la fllle

pèche-

LE COiMTE DE MONTE-CRISTO. resse et de là

me

femme

adultère. Aussi, je

de

reportanH; à ces délires

quelquefois que Dieu l'excuse,

du moins

vée dans

mes

la

me

ma

les

121

vous l'avoue, en

jeunesse, je pense

pardonneia,

sinon

'îar

compensation s'en est bien trou-

souffrances

mais vous, qu'avez-vous à

;

hommes que

craindre de tout cela, vous autres

tou*, le

monde excuse et que le scandale anoblit? Madame, répliqua Villefort, vous me connaissez ; je ne suis pas un hypocrite, ou du moins je ne fais pas



de l'hypocrisie sans raison. c'est

que bien des malheurs

s'est pétrifié, c'est afin qu'il

Si l'ont

mon

front

assombri

ainsi ce

sévère,

est si

mon cœur

de pouvoir supporter les chocs

ma

a reçus. Je n'étais pas ainsi dans

n'étais pas

;

jeunesse, je

où nous étions rue du Cours à Mar-

soir des fiançailles

tous assis autour d'une table de la

Mais, depuis, tout a bien changé en moi et autour

seille.

de moi ciles et

ma

;

vie s'est usée à poursuivre des choses

à briser dans les

difficultés

ceux

rement ou involontairement, par leur hasard, se trouvaient placés sur

par

le

me

susciter ces choses.

ardemment ne

soit

Il

est rare

diffi-

qui, volontai-

libre arbitre

ou

mon chemin pour

que ce qu'on désire

pas défendu ardemment par ceux de

qui on veut l'obtenir ou auxquels on tente de l'arracher. Ainsi, la plupart des mauvaises actions des

hommes

sont venues au-devant d'eux, déguisées sous la forme

spécieuse de la nécessité; puis, la mauvaise action com-

mise dans un moment d'exaltation, de crainte lire,

on voit qu'on aurait pu passer auprès

l'évitant.

Le moyen

qu'il eût été

et

de dé-

d'elle

n'a pas vu, aveugle qu'on était, se présente à vcs facile et

simple; vous vous dites

fait ceci

au

lieu de faire cela?

traire, bien

en

bon d'employer, qu'on

:

comment

yeux

n'ai-je

pas

Vous, Mesdames, au con-

rarement vous êlos tourmentées par des

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

422

remords, car bien rarement la décision vient de vous

som presque

vos malheurs vous

,

toujours imposés, vc

fautes sont presque toujours le crime des autres.



En tout cas, Monsieur, convenez-en, répondit nudame Banglars, si j'ai commis une faute, cette faute fût reçu hier soir

elle personnelle, j'en ai

— Pauvre femme

dit Villefort

en

la

sévère punitio»

lui serrant la

pour votre force, car deux

trop sévère lailliy

I

succomber,

main,

vous avez

fois

et cependant...

— Eh bien? — Eh bien! je dois

vous

rassemblez tout votre

dire...

courage. Madame, car vous n'êtes pas encore au bout.

— Mon Dieu a-l-il

I

s'écria

madame

— Vous ne voyez que est

passé.

le

Madame,

et certes

il

sombre. Eh blenl figurez-vous un avenir plus sombre

encore,

un

peut-êlre

affreux

avenir...

certainement... sanglant

!..

La baronne connaissait si

Danglars effrayée, qu'y

donc encore?

le

calme de Villefort;

épouvantée de son exaltation, qu'elle ouvrit

pour

crier,

mais que

— Comment Villefort

;

le cri

mourut

,

il

^Q5 sa gorge.

la

tombe

dormait, est-il sorti

pour

faire pâlir

nos joues



ll(iJas! dit

Hermine, sans doute

•-Le

et rougir

hasard! reprit Villefort

elle fut

bouche

ce passé terrible? s'écria

est-il ressuscité,

comment du fond de

nos cœurs où

la

;

du fond de

et

comme un fantôme

nos fronts

?

hasard!

le

non, non. Madame,

il

a'y a point de hasard!

— Mais

si;

n'est-ce point

mais un hasard qui a hasard que

le

fait

un hasard

futal,

n

est vrai,

tout cela? n'est-ce point par

comte de Monte-Cristo a acheté cette mai-

son? n'est-ce point par hasard

qu'il

a

terre? nesi-ce point par hasard, enfin,

fait

creuser

la

que ce malheu-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

123

reux enfent a été déterré sous les arbres? Pauvre innocente créature sortie de moi, à qui je n'ai jamais

ner un baiser, mais à qui

pu don-

donné bien des larmes. Ah! mon cœur a volé au-devanl du comte lorsqu'il a

tout

j'ai

parlé de cette chère dépouille trouvée sous des fleurs.

— Eh bien terrible

!

Madame

non,

;

et voilà ce

que

de

j'avais

a vous dire, répondit Villefort d'une voix sourde

;

;

non,

il

n'y a pas eu de dépouille trouvée sous les fleurs

non,

il

n'y a pas eu d'enfant déterré

pleurer ; non,



il

ne faut pas gémir

Que voulez-vous

non,

;

faut trembler

il

:

dire? s'écria

ne faut pas

il

!

madame Danglars

toute frémissante.

— Je veux dire que M. Monte-Cristo, en pied de ces arbres, n'a ni ferrures

de coffre

,

pu trouver

creusant au

ni squelette d'enfant,

parce que sous ces arbres

il

n'y

avait ni l'an ni l'autre.



n'y avait ni l'un ni l'autre! redit

Il

en

glars,

fixant sur le procureur

du

madame Dan-

roi des

yeux dont

prunelle, effroyablement dilatée, indiquait la terreur

n'y avait ni l'un ni l'autre

!

une personne qui essaye de et

fixer par le

la il

comme

son des paroles

par le bruit de la voix ses idées prêtes à lui échapper.

— ses

Non!

mains

dit Villefort, en. laissant ;

non

!..

donc point



non, cent

— Mais ce le

répéta-t-elle encore

;

n'est

fois

tomber son front dans

que vous aviez déposé

pauvre enfant. Monsieur? Pourquoi

me tromper?

dans

quel but, voyons, dites?

— C'est là; mais écoutez-moi, écoutez-moi. Madame, et

vous

allez

me

plaindre

,

moi qui

ai porté

gans en rejeter la moindre part sur vous,

douleurs que je vais vous

— Mon iez, je

Dieu

vous

!

vingt ans, fardeau de

dire.

vous m'effrayez

écout-e.

le

!

mais n'importe, par-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

i24

— Vous

comment

savez

s'accomplit cette nuit dou-

loureuse où vous étiez expirante sur votre

dans cette

lit,

chambre de damas rouge, tandis que moi prescjue aussi haletant que vous, j'attendais votre délivrance. L'enfant ,

vint,

me

voix

:

Madame elle eût

remis sans mouvement, sans souffle, sans

fut

nous

le

crûmes mort.

Danglars

fit

un mouvement

rapide,

comme si

voulu s'élancer de sa chaise.

Mais Villefort

l'arrêta

en joignaht

pour implorer son attention. Nous le crûmes mort, répéta-t-il



coffre qui devait

remplacer

jardin, je creusai

une fosse

vais à peine de

le

lus crier,

je le

le cercueil, je

et l'enfouis

mis dans un

descendis au

à la hâte. J'ache-

comme une ombre

frisson glacé

me

se dresser,

une douleur,

éclair reluire. Je sentis

un

;

parcourut tout

tué. Je n'oublierai jamais votre

me

calier, où, expirante

de moi.

Il

fallait

je

vou-

corps et

le

m'élreignità la gorge... Je tombai mourant, et je

revenu à moi, je

comme

mains,

couvrir de terre, que le bras du Corse

s'étendit vers moi. Je vis

comme un

les

me

crus

sublime courage, quand,

traînai expirant

jusqu'au bas de

l'es-

vous-même, vous vîntes au-devant

garder le silence sur la terrible cata-

strophe; vous eûtes le courage de regagner votre maison, soutenue par votre nourrice

ma blessure.

de

;

un duel

fut le prétexte

Contre toute attente, le secret nous fut

gardé à tous deux ; on

me

transporta à Versailles

dant trois mois, je luttai contre la mort; enfin, je

parus

l'air

du

me

rattacher à la vie,

Midi. Quatre

on m'ordonna

hommes me

me

pen-

le soleil et

portèrent de Pans à

Châlons, en faisant six lieues par jour. fort suivait le

;

comme

Madame de Ville-

brancard dans sa voilure.

A

Chàlons, on

mit sur la Saône, puis je passai sur le Rhône,

et,

par la seule vitesse du courant, je descendis jusqu'à

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

ma

Arles, puis d'Arles, je repris

chemin pour

Marseille.

Ma

125

conlinuai

litière et

mon

convalescence dura dix mois

je n'entendais plus parler de vous, je n'osai

;

m'informer

de ce que vous étiez devenue. Quand je revins à Paris,

que, veuve de M. de Nargonne, vous aviez

j'appris

épousé M. Danglars.

A tait

quoi avais-je pensé depuis que la connaissance m'é

revenue? Toujours à

même

la

chose, toujours à

cadavre d'enfant qui, chaque nuit, dans volait

en

du

mes

rêves,

a

s'en-

sein de la terre, et planait au-dessus delà fosse

me menaçant du

regard

du

et

retour à Paris, je m'informai; la

geste. Aussi, à peine de

maison

n'avait pas été

habitée depuis que nous en étions sortis, mais elle venait d'être louée

pour neuf ans.

feignis d'avoir

un grand

J'allai

trouver

le locataire, je

désir de ne pas voir passer entre

des mains étrangères cette maison, qui appartenait au et à la mère de ma femme j'offris un dédommagement pour qu'on rompit le bail on me demanda six

père

;

;

donné dix

mille francs, j'en eusse

mille, j'en eusse

vingt mille. Je les avais sur moi, je

fls,

donné

séance tenante,

signer la résiliation; puis, lorsque je tins cette cession

au galop pour Auteuil. Personne,

tant désirée, je partis

depuis que j'en étais Il était

sorti,

n'était entré

dans

la

maison.

cinq heures de l'après-midi, je montai dans la

chambre rouge et j'attendis la nuit. Là, tout ce que je me disais depuis un an dans mon agonie continuelle se représenta, bien plus menaçant que jamais, à

ma

pensée.

Ce Corse qui m'avait déclaré suivi de

Nîmes à

Paris

;

la vendetta,

jardin, qui m'avait frappé, m'avait

m'avait

vu

qui m'avaii

ce Corse, qui était caché dans le

enterrer l'enfant

;

il

vu creuser

la fosse,

i!

pouvait en arriver à vous

connaître; peut-êtr» voik connaissait-il...

Ne vous

fe-

LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

ff6 rail-iï

pas payer un jour

Ne

faire?...

;;eance, iion

serait-ce pas

quand

le secret

pour

de celte terrible af-

une bien douce ven-

lui

apprendrait que je n'étais pas inort de

il

cnrp de poignard?

Il

était

donc urgent qu'avant toute

chose, et à tout hasard, je fisse disparaître les traces de

que j'en détruisisse tout

ze passé,

aurait toujours C'était

cela

que

que trop de

"vestige matériel

réalité

dans

pour cela que j'avais annulé j'étais

La nuit

venu,

c'était

mon

;

n'y

il

souvenir.

le bail, c'était

pour

pour cela que j'attendais.

arriva, je la laissai bien s'épaissir; j'étais sans

lumière dans cette chambre, où des souffles de vent

fai-

saient trembler les portières derrière lesquelles je croyais

toujours voir quelque espion

temps je ce

lit,

tressaillais,

il

me

embusqué

entendre vos plaintes, et je n'osais

Mon cœur

battait

violemment que

dans

;

de temps en

semblait derrière moi, dans

me

retourner.

le silence, et je le sentais battre si

je croyais

que

ma blessure

allait

se rou-

viir; enfin, j'entendis s'éteindre, l'un après l'autre, tous

ces bruits divers de la campagne. Je compris

que

je n'a-

vais plus rien à craindre, que je ne pouvais être ni ni

entendu,

et je

me

Écoutez, Hermine, je

homme, mais tite clef

de

vu

décidai à descendre.

me

crois aussi brave

lorsque je retirai de

l'escalier,

ma

qu'un autre

poitrine celte pe-

que nous chérissions tous deux, et faire attacher à un anneau d'or,

que vous aviez voulu

lorsque j'ouvris la porte, lorsque, à travers les fenêtres, je vis

une lune pâle

jeter, sur les

degrés en spirale, une

longue bande de lumière blanche pareille à un spectre, je

me

blait

retins

que

au mur

j'allais

et je fûs près

de crier

;

il

me

sem-

devenir fou.

Enfin, je parvins à

me

rendre maître de moi-même. Je

desceudis l'escalier marche à marche; la seule chose que je n'avais

pu vaincre,

c'était

un étrange tremblement

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dans

me

genoux. Je

les

un

l'eusse lâchée

cramponnai à

me

instant, je

J'arrivai à la porte d'en bas

une

;

au milieu de

pour l'allumer, puis

rêtai

Novembre

;

si je

fusse précipité

en dehors de

;

127

rampe

cette porte,

muni

contre le mur. Je m'élai?

bfrche était posée

d'une lanterne sourde

la

la

je continuai

pelouse, je m'ar-

mon

chemin.

du jardin

unissait, toute la verdure

avait

disparu, les arbres n'étaient plus que des squelettes aux

longs bras décharnés, et les feuilles mortes criaient avec sable sous

(e

mes pas.

L'effroi m'étreignait si

prochant du massif je

fortement

un

tirai

la

cœur, qu'en ap-

pistolet de

ma

poche

et

l'armai. Je croyais toujours voir apparaître à travers les

branches

massif avec

yeux

vide. Je jetai les

seul

;

du Corse.

la figure

J'éclairai le

aucun

ma

ne troublait

bruit

lanterne sourde

;

il

était

tout autour de moi, j'étais bien

de la nuit,

le silence

n'est le chant d'une chouette qui jetait

son

cri

si

ce

aigu et

comme un appel aux fantômes de la nuit. ma lanterne à une branche fourchue que j'a-

lugubre

J'attachai

vais déjà



remarquée un an auparavant, à

je m'arrêtai

pour creuser

L'herbe avait, pendant

l'endroit

même

la fosse.

l'été,

poussé bien épaisse à cet

endroit, et, l'automne venu, personne se s'était trouvé là

pour tira

la faucher.

mon

Cependant, une place moins garnie at-

attention;

il

était

vais retourne la terre. Je

évident que

me

c'était là

que j'a-

mis à l'œuvre.

J'en étais donc arrivé à cette heure que j'attendais de-

uis plus d'un an

Aussi,

comme

je sondais

!

j'espérais,

chaque

résistance au bout de UTi trou

deux

fois

comme je

travaillais,

comme

touffe de gazon, croyant sentir de la

ma

bêche

;

rien

!

et

cependant je

fis

plus grand que n'était le premier. Je

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

!28

cros m'être abusé, m'être trompé de place; je m'oneotai, regardai les arbres, je cherchai à reconnaître les dé-

je

flait

bise froide et aiguè sif-

a travers les branches dépouillées, et cependant la

mon

sueur ruisselait sur

pour recouvrir

la terre

me

front. Je

r^jjpelai

coup de poignard au moment où

vais reçu le

je

Une

oui m'avaieri frappé.

tails

la fosse

en piétinant celte

;

neurs

destiné à servir de banc

ariillciel

ma

car en tombant,

;

me

moi

le colTret

— Le

même,

plaçant de

à élargir

et

le trou

A ma

de cette pierre.

droite était le faux ébénier, derrière

mis à creuser

terre,

était

main, qui venait de quitter

l'ébénier, avait senti la fraîcheur

je tombai en

j'a-

un aux prome-

m'appuyais à un faux ébénier; derrière mo'

rocher

que

je piétinais

:

je

était le

me

rien

!

rocher;

me

relevai et

toujours rien

I

n'y était pas.

cofTret

murmura madame Dan-

n'y était pas?

glars, suffoquée par l'épouvante.

— Ne croyez

pas que je

continua Villefort; non. Je sai

que

l'assassin

,

me

bornai à cette tentative,

fouillai tout le

ayant déterré

massif; je pen-

le coffre et

croyant que

c'était

un

porté

puis, s'apercevant de son erreur, avait

tour

;

un

trésor, avait

trou et

cette idée qu'il l'avait

Dans

purement

cette

l'y

voulu s'en emparer,

avait déposé

et

simplement

mes recherches, attendre chambre et j'attendis.

— Oh mon Dieu — Le jour venu, je mière

visitfc

rien. Puis

il

em-

à son

fait

me

vint

n'avait point pris tant de précaution, et

dernière hypothèse,

!

;

l'avait

le

jeté il

jour.

dans quelque coin.

me

fallait,

pour

faire

Je remontai dans

la

I

fut

pour

descendis de nouveau. le

Ma

pre-

massif; j'espérais y retiouver

des traces qui m'auraient échappé pendant l'obscurité. J'avais retourné la terre sur

une

superficie de plus de

129

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

vingt pieds carrés, et sur une profondeur de plus de deui salarié pied^. Une journée eût à peine suffi à un homme

pour je

que

faire ce

j'avais fait, moi,

en une heure. Rien,

ne vis absolument rien. me mis à la recherche du

Alors, je

supposition que j'avais quelque coin. Ce devait

chemin qui condui-

être sur le

à la petite porte de sortie

sait

;

mais

coffre, selon la

avait été jeté dans

qu'il

faite

cette nouvelle inves-

que la première, et, le cœur au massif, qui lui-même ne me laissait

tigation fut aussi inutile

serré, je revins

plus aucun espoir.

— Oh

!

s'écria

devenir fou

— Je

madame

Danglars,

y avait de quoi

il

!

l'espérai

un

instant, dit Villefort,

pas ce bonheur; cependant, rappelant

conséquent mes idées

Pourquoi cet

mais

ma

je n'eus

force et par

:

homme

me

emporté ce cadavre?

aurait-il

demandai-je.

— Mais vous l'avez

dit, reprit

madame Danglacs,pour

avoir une. preuve.

— Eh

non, Madame, ce ne pouvait plus être cela on pas un cadavre pendant un an, on le montre à ne garde et Ton fait sa déposition. Or, rien de tout magistrat, un ;

I

cela n'était arrivé.

— Eh

bien! alors?...

demanda Hermine

toute palpi-

tante.

— Alors,

y a quelque chose de plus terrible, de plus il y a que l'enfant fatal, de plus effrayant pour nous, l'a sauvé. l'assassin que et peut-être, était vivant il

lûadame Danglars poussa un les

mains de

Villefort

— Mon enfant

mon

était

cri terrible, et saisissant

:

vivant

1

enfant vivant, Monsieiv

dit-elle "

Vous

;

vous avez enterré que

n'étiez pas sur

LE COMTE DE MONTE-CRISTO,

130

mon enfant était mort, et vous l'avez enterré ahl,.„ Madame Danglars s'était redressée et elle se tenait deI

vant

procureur du

le

roi,

dont elle serrait les poignets

enire ses mains délicates, debout et presque meuaçante.

— Que sais-je? Je vous dis cela comme je vous

autre chose, répondit Villefort avec

homme

qui indiquait que cet

— Ahl

mon

enfant,

dirais

de regard

fixité

puissant était prêt d'at-

si

du désespoir

teindre les limites

une

et

de

mon pauvre

la folie.

enfant! s'écria la ba-

ronne, retombant sur sa chaise et étouffant ses sanglots

dans son mouchoir. Villefort revint à lui, et comprit

que pour détourner

l'orage maternel qui s'amassait sur sa tète,

madame

passer chez

Danglars la terreur

il

fallait faire

qu'il

éprouvait

lui-n;ème.

— Vous comprenez en se levant à son tour

pour

lui parler

perdus

:

que

alors

si

cela est ainsi

en s'approchant de

et

dune voix

la

plus basse, nous

,

dit-il

baronne

sommes

cet enfant vit, et quelqu'un sait qu'il vit, quel-

qu'un a notre secret; et puisque Monte-Cristo parle devant nous d'un enfant déterré où cet enfant n'était plus, «e secret c'est lui qui

l'a.

— Dieu, Dieu juste. Dieu vengeur

I

murmura madame

Danglars.

ne répondit que par une espèce de ragisse-

Villefort

ment.

— Mais

cet enfant, cet enfant.

Monsieur?

reprit

la

•ère obstinée.

^Oh les

!

bras

que ,

je

l'ai

que de

nuits sans sommeil

royale

cherché

fois je

I

reprit Villefort

en se tordant

appelé dans

mes longues

l'ai

que de fois j'ai désiré une richesse pour acheter un million de secrets à un million

d'homme s,

et

I

pour trouver

mou

secret dans les leurs

!

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. un jour que pour

Enfin,

me demandai

bêche, je

que

Corse avait

le

pu

rasse on fugitif;

vivant encore,

— Oh

la

pour

faire

la

131

fois je reprenais la

centième

de l'enfant

:

un

fois aussi ce

enfant embar-

peut-être en s'apercevant qu'il était

dans

l'avait-il jeté

impossible

I

centième

la rivière.

madame

s'écria

I

Danglars

;

on as-

un homme par vengeance, on ne noie pas de sang-froid un enfant

sassine

I

— Peut-être, continua

Villefort, l'avait-il

mis aux En-

fants-Trouvés.

— Oh

oui

oui,

I

s'écria la

!

baronne,

mon

enfant est

là! Monsieur!



Je courus à l'hospice

même,

la nuit

posé dans

en

viette

le

et j'appris que cette nuit du 20 septembre, un enfant avait été dé-

tour

;

était

il

,

enveloppé d'une moitié de ser-

déchirée avec intention. Cette moitié

toile fine,

de serviette poitait une moitié de couronne de baron la lettre

— C'est cela, mon

et

H. c'est cela! s'écria

marqué

linge était

ainsi

;

madame Danglars,

M. de Nargonne

ron, et je m'appelle Hermine. Merci, fant n'était pas

mort

— Non, — Et vous il

n'était

tout

était

ba-

mon Dieul mon

en-

I

pas n»rt

!

me le dites vous me dites cela sans craindre de me faire mourir de joie Monsieur ? Où estU ? où est mon enfant? !

,

Villefort

— Le rais, je

îomme hélas

1

haussa

les épaules.

sais-j>3? dit-il;

vous le

ferais

ferait

non!

je

mois environ,

et

croyez-vous que

si je le

sa-

passer par toutes ces gradations,

un dramaturge ou un romancier? Nod, le sais pas. Une femme, il y avait six

ne

étaii

venue réclamer

moitié de la servieiie. Cette

femme

l'enfant

avec

l'autre

avait fourni toutes

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

13?

que

.es garanties



Mais

lait la

cette

remis.

femme, û

me

de quoi pensez-vous donc que jo

Madame?

Joui ce 'e

le lui avait

vous informer de

ïal-

découvrir.

— El cupé.

on

la loi exige, et

fallait

il

que

J'ai feiut

la police

une instruction

sois oc-

criminelle, et

a de fins limiers, d'adroits agents,

mis à sa recherche. On a retrouvé ses traces

les ai

usqu'à Chàlons; à Châlons, on les a perdues.

— Perdues — Oui, perdues; perdues à jamais. ?

Danglars avait écouté ce récit avec un sou-

Madame pir,

une larme, un

— Et — Ohl

cri

pour chaque circonstance.

c'est tout, dit elle; et

non,

vous vous êtes borné là?

dit Villefort, je n'ai

jamais cessé de cher-

cher, de m'enquérir, de m'informer. Cependant, depuis

deux ou

donné quelque relâche. recommencer avec plus de d'acharnement que jamais et je réus-

trois ans, je m'étais

Mais, aujourd'hui

persévérance

et

je vais

,

;

voyez-vous; car ce n'est plus

sirai,

la

conscience qui

me

pousse, c'est la peur.

— Mais, Cristo

ne

reprit

madame

sait rien;

rechercherait point



Oli

1

Danglars, le comte de Monte-

sans quoi, ce

comme

il

me

méchanceté des hommes

la

dit Villefort,

semble

,

il

ne nous

le fait.

est bien profonde

puisqu'elle est plus profonde

que

la

bouM

de Dieu. Avez-vous remarqué les yeux de cet homme, tandis qu'il

nous

parlait?

— Non. — Mais l'avez-voas examiné profondément parfois? — Sans doute. est bizarre, mais voilà Une tout.

Il

chose qui m'a frappée seulement, c'est que de tout ce repas exquis qu'il nous a donné,

que d'aucun

plat

il

n'^

il

n'a rien touché, c'est

vnnhi nrcndre sa part.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oui, ouil j'avais

dit Villefort, j'ai

su ce que je

155

remarqué cela ajssi.

Si

maintenant, moi non plus je

sais

n'eusse touché à rien; j'aurais cru qu'il voulait nous

empoisonner.

— Et vous vous seriez trompé, vous voyez bien. — Oui, sans doute mais, croyez-moi, cet homme le

;

roilà

quii

pourquoi j'ai

pourquoi

projets. Voilà

à'autres

j'ai

demandé à vous

a

voulu vous voir,

j'ai

parler, voilà pour-

voulu vous prémunir contpe tout

monde, mais

le

contre lui surtout. Dites-moi, continua Villefort en fixant

plus profondément encore qu'il ne l'avait ses

yeux sur

la

fait

jusque-là

baronne, vous n'avez parlé de notre

liai-

son à personne?

— Jamais, à personne. — Vous me comprenez fort,

quand

,

reprit affectueusement Ville-

je dis à personne,

pardonnez-moi cette

tance, à personne au monde, n'est-ce pas

— Oh

!

oui, oui, je

comprends

en rougissant jamais ;

I

je

vous

très-bien, dit la

passé dans la nw.ùnée? vous

journal

baronne

le jure.

— Vous n'avez point l'habitude d'écrire s'est

insis-

?

ne

le soir ce

qui

pas

de

faites

?

— NonI Hélas

1

ma

vie passe empoilée par la frivohté;

moi-même, je l'oublie. Vous ne rêvez pas haut, que vous sachiez? J'ai un sommeil d'enfant ne vous le rappelez-vous

— —

;

pas?

Le pourpre monta au visage de

la

baronne,

et la

pâleur

envahit celui de Villefort.

— C'est vrai, bas qu'on l'entendit a peine. — Eh bien? demanda baronne. — Eh bien je comprends ce me reste -à dit-il si

la

qu'il

I

reprit Villefort.

TOME

IV.

Avant huit jours

d'ici, je

faire,

saurai ce

8

que

LE COMTE DE MONTE-CRISlU.

134

que M. de Monte-Cristo, d'où il vient, où il va, et pour(juoi il parle devant nous des enfants qu'on déterre

c'est

dans àon jardin. Villefort

prononça ces mots avec un accent qui eût

comte

frissonner le

Puis

il

serra la

s'il

pu

eût

main que

la

fait

les entendre.

baronne répugnait à h

i

donner et la reconduisit avec respect jusqu'à la porte.

Madame Danglars au passage, de

un autre

reprit

duquel

l'autre côté

qui

fiacre,

la

ramenu

retrouva sa voi-

elle

qui, en l'attendant, dormait paisi-

lure et son cocher,

blement sur son siège.

XI CN BAL u'ÉTË.

même

Le sait la

jour, vers l'heure

procureur du la

dans

Au

la

le

la porte

du

n» 27 et s'arrê-

cour.

bout d'un instant

madaire

îa portière s'ouvrait, et

de Morcerf en descendait appuyée au bras de son

A

fai-

cabinet de M. le

une calèche de voyage, entrant dans

roi,

rue du Ilelder, franchissait

tait

où madame Danglars

séance que nous avons dite dans

peine Albert eut- il reconduit sa mère chez

commandant un bain

et ses

chevaux, après

mains de son valet de chambre Champs-Elysées, chez

Le comte

le

le

il

se

fit

s'être

que

mis

au.

conduire aux

comte de Monte-Cristo.

reçut avec son sourire habituel. C'était

une étrange chose

en avant dans

le

,

fils.

elle,

jamais on ne paraissait cœur ou dans Tesnrit de :

faire

cet

un pas

homme.

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Ceux qui voulaient,

si

ro-n peut

135 pas-

dire cela, forcer le

sage de son intimité, trouvaient un mur. Morcerf, qui accourait à lui les bras ouverts, laissa, en le

voyant

et

De son

malgré son sourire amical, tomber ses bras,

au plus

et osa tout

lui tendre la

main.

comme

côté, Monte-Cristo la lui toucha,

mais sans

sait toujours,

fai-

il

la lui serrer.

— Eh bien me voilà, cher comte. — Soyez bienvenu. — Je suis arrivé depuis une heure. — De Dieppe? — Du Tréport. dit-il,

!

le

— Ah —

Et

c'est vrai.

!

ma

— C'est

première visite est pour vous.

charmant de votre part,

comme il eût — Eh bien

— Des étranger

dit toute !



vous demandez cela à moi

!

,

à

un

I

quand je demande quelles nouvelles, vous avez fait quelque chose pour moi? M'aviez-vous donc chargé de quelque commission'

demande

dit

Monte-Cristo

voyons, quelles nouvelles?

nouvelles

— Je m'entends je

dit

autre chose.

:

si

Monte-Cristo en jouant l'inquiétude.

— Allons, allons, rence.

On

qui traversent la

mon coup

dit Albert, ne simulez pas l'indifféy a des avertissements sympathiques distance eh bien au Tréport, j'ai reçu

dit qu'il

:

électrique

;

!

vous avez

,

sinon travaillé pour

moi, da moins pensé à moi.

— Cela

est possible

pensé à vous; mais

le

,

dit

Monte-Cristo.

J'ai

courant magnétique dont

en

effet

j'étais le

conducteur agissait, je l'avoue, indépendamment de volonté.

— Vraiment

!

Contez-Ca

cela. Je

vous

prie-

ma

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

136

— C'est — Je saii

facile,

M. D.inglars a diné chez moi.

bien, puisque c'est pour fuir sa préseuo*

le

que nous sommes

ma mère

partis,

et

moi.

— Mais a diné avec M. Andréa Cavalcanli. — Voire prmce italien? — N'exagérons pas. M. Andréa se donne seulement il

titre

le

de vicomte.

— Se donne, dites-vous? — Je dis se donne. — ne donc pas? :

l'est

11

— on

Ehl

le lui

le sais-je,

donne

;

moi

? Il

se le donne, je le lui

comme

n'est-ce pas

s'il

donne

l'avait?

— Homme étrange que vous Eh bien? — Eh bieni quoi? — M. Danglars a donc diné ici? — Oui. — Avec voire vicomte Andréa Cavalcanti? — Avec vicomte Andréa Cavalcanti, marquis son faites, allez!

le

le

père,

madame

Danglars, M.

madame de

cl

Villcfort,

gens charmants, M. Debray, Maximiiien Morrel, attendez donc

qui encore

des

et puis

ahl M. de Château-

Renaud.

— On a parlé de moi

— On n'en a pas — Tant — Pourquoi cela?

?

un mot.

dit

pis.

oublié,

on n'a

fait,

II

me

semble que

en agissant

ainsi,

si l'on vous a que ce que vous dé-

siriez?

— Mon cher comte,

si

l'on n'a point parlé

de moi, c'est

qu'on y pensait beaucoup, et alors je suis désespéré. "Jue vous importe, puisque mademoiselle Danglars



n'était point

au nombre de ceux qui y pensaient

U est vrai qu'elle pouvait y pen^^Hr chez

elle.

ici? Alàl

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

— Oh! quant

à cela, non, j'en suis sûr; ou

pensait, c'est certainement de la

pense à



137

même

si elle

y

façon que je

elle.

Touchante sympathie!

dit

le

comte. Alors vous

vous détestez?



Écoutez,

dit

Morcerf,

femsie à prendre en

était

souffre pas

pour

si

pitié

mademoiselle Danglars le

martyre que je

ne

à m'en récompenser en dehors

elle et

des conventions matrimoniales arrêtées entre nos deux familles, cela m'irait à merveille. Bref, je crois

que ma-

demoiselle Danglars serait une maîtresse charmante;

comme femme,

mais

— Ainsi,

diable...

Monte-Cristo en riant, voilà votre façon

dit

de penser sur votre future

— Oh

mon Dieu

!

!

oui

? ,

un peu

brutale

c'est vrai,

,

mais exacte du moins. Or, puisqu'on ne peut rêve une réalité

;

comme pour

arriver à

un

que mademoiselle Danglars devienne

faut

c'est-à-dire qu'elle vive avec moi, qu'elle

faire

de ce

certain but

il

ma femme,

pense près de

moi, qu'elle chante près de moi, qu'elle fasse des vers

musique à dix pas de moi,

ft

de

le

temps de

mon

la

et cela

pendant tout

ma vie, alors je m'épouvante. Une maîtresse,

cher comte, cela se quitte; mais une femme, peste

I

c'est autre chose, cela se garde éternellement, de près

ou de

loin c'est-à-dire. Or, c'est effrayant de garder tou-

jours mademoiselle Danglars, fût-ce

— Vous êtes — Oui car souvent

difficile,

,

môme

de

loin.

vicomte. je

pense à une chose impos-

sible. '

— A laquelle? — A trouver pour

moi une femme comme mon père

en a trouv*3 une pour Monte-Cristo

pâlit

lui.

et

regarda Albert en jouant ayeo

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

!38

des pistolets magnifiques dont

il

faisait

rapidement crier

les ressort.osait le retour

probable de Tile d'Elbe, et promettait une nouvelle lettre

de plus amples détails à l'arrivée du Pharaon, bâtiment appartenant à l'armateur Morrel, de Marseille, et

et

dont

Ib

capitaine était à l'entière dévotion de l'empereur

Pendant toute cette lecture, avait cru pouvoir compter

le

comme

général, sur lequel on

sur

un frère, donna au

,

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. des signes de mécontentement

contraire

gnance

visibles.

«Lalecture terminée, cil

255 de répu-

et

il

demeura silencieux

et le

sour-

dites

vous

froncé. «

— Eh bien

de cette a

lettre,

— Je dis

demanda

I

monsieur

le président,

le

que

général?

y a bien peu de temps,

qu'il

qu'on a prêté serment au

répondit-il

Louis XVIII, pour le violer déjà au bénéfice de l'ex-empereur. «

roi

Cette fois la réponse était trop claire pour

que

l'on

pût se tromper à ses sentiments. «

— Général,

nous de

roi

dit le président,

Louis

XVUI qu'il n'y

a que Sa Majesté l'empereur

mois de

la

il

n'y a pas plus pour

a d'ex-empereur.

et roi, éloigné

Il

n'y

depuis dix

France, son État, par la violence

et la tra-

hison. «

— Pardon, Messieurs,

n'y ait pas pour

un pour moi de camp,

et

:

vous de

dit le

roi

attendu qu'il m'a

que

«

— Monsieur,

fait

dit le

se peut qu'il

il

baron

je n'oublierai jamais

heureux retour en France que et

général;

Louis XVIII, mais

que

je dois ces

il

y en a

maréchal

et

c'est à

deux

son

titres.

président du ton le plus sérieux

en se levant, prenez garde à ce que vous

dites

;

vos

paroles nous démontrent clairement que l'on s'est trompé

sur votre compte à

l'ile

d'Elbe et qu'on nous a trompés.

La communication qui vous a qu'on avait en vous,

et

été faite tient à la confiance

par conséquent à

un sentiment

qui vous honore. Maintenant nous étions dans l'erreur

:

nouveau gouverrenverser. INouî. ne vous contraindrons pas à nous prêter votre concours nous n'en-

un titre et un grade vous nement que nous voulons

ont rallié au

;

rôlerons personne contre sa conscience et sa volonté; ûiais

nous vous contraindrons à

agir

comme un

galant

LE COMTE DE MONTE-CRISTO.

?56

homme, même au cas où vous n'y seriez point disposé. « Vous appelez être un galant homme connaître



votre conspiration et ne oas la révéler être votre complice,

J'appelle cela

!

moi.\>us voyez que je

suis encore

plus franc que vous...

— Ah

mon

!

père, dit Franz

prends maintenant pourquoi

,

ils

t'ont assassiné.

Valentine ne put s'empêcher de jeter

Franz;

homme

jeune

le

enthousiasme Villefort se

était

com-

s'inlerrompant, je

un regard sur

vraiment beau dans son

filial.

promenait de long en large derrière

Noirtier suivait des

lui.

yeux l'expression de chacun,

et

conservait son attitude digne et sévère.

Franz revint au manuscrit «

— Monsieur,

dit le

et

continua

président,

:

on vous a

prié de

vous

rendre au sein de l'assemblée, on ne vous y a point traîné

de force; on vous a proposé de vous bander les yeux, vous avez accepté. Quand vous avez accédé à cette double demande, vous saviez parfaitement que nous no

nous occupions pas d'assuier

le trône

de Louis XVlll,

sans quoi nous n'eussions pas pris tant de soin de nous

Maintenant, vous

cacher à

la police.

rait trop

commode de

on surprend

mettre

le secret

le

comprenez,

un masque à

l'aide

il

se-

duquel

des gens, et de n'avoir ensuite

qu'à ôter ce masque pour perdre ceux qui se sont

fiés

vous. Non, non, vous allez d'abord dire franchement

vous

êtes

ou pour «

pour

S.

— Je

le roi

de hasard qui régne en ce moment,

M. l'empereur. suis

royaliste

,

répondit le général

serment à Louis XVIIl, je tiendrai «

à si

mon

;

j'ai fait

serment.

Ces mots furent suivis d'un murmure général, eK î'on

put voir, par les regards d'un graod nombre des

membres

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. du

club,

257

qu'ils agitaient la question de faire

repentir

M. fl'Épinay de ces imprudentes paroles. «

Le président se leva de nouveau

«



grave

Monsieur,

et trop

quences de

vous

lui dit-il,

;\nposa silence.

et

êtes

un homme

trop

sensé pour ne pas comprendre les consé-

où nous nous trouvons

la situation

en face des autres,

et

les conditions qu'il

nous reste à vous

votre franchise

les

uns

même

nous

dicte

faire

vous

allez

:

donc jurer sur l'honneur de ne rien révéler de ce que

vous avez entendu.

main à son épée

"

Le général porta

«

— Si vous parlez d'honneur, commencez par ne pas

anéconnaitre ses «

— Et

vous

un calme plus ral,

la

lois, et ,

et s'écria

:

n'imposez rien par la violence.

Monsieur, continua le président avec

terrible peut-être

que

la colère

ne touchez pas à votre épée, c'est

un

du géné-

conseil

que

je

vous donne. «

Le général tourna autour de

celaient fléchit «

«

un commencement

lui

des regards qui dé-

d'inquiétude. Cependant

il

ne

pas encore; au contraire, rappelant toute sa force-

— Je ne jurerai pas, — Alors, Monsieur, vous

dit-il.

mourrez, répondit tran-

quillement le président. «

M. d'Épinay devint

fort pâle

:

il

regarda une seconde

autour de lui; plusieurs membres du club chuchotaient et cherchaient des armes sous leurs mantout

fois

teaux. «

— Général,

dit le

président, soyez tranquille

;

vous

tous les ïies parmi des gens d'honneur qui essayeront do contre porter se avant de convaincre moyens de vous

mais aussi, vous l'avez dit, vous tenez notre seconspirateurs, des parmi vous êtes

vous à cret,

il

la dernière extrémité;

faut

nous

le rendre.

LE COMTE DE MONTE-CMSTO.

258

Un silence plein de comme le général ne

«

et

signification suivit ces paroles

répondait rien

«

— Fermez les portes,

«

Le

«

Abr»» îe général s'avança,

même



J'ai

aux huissiers

président

silence de mort succéda à ses paroles.

sur lui-même «

dit le

;

:

un

et faisant

un

violent effort

:

fils

dit-il,

,

et je dois

me

scnger à lui en

trouvant parmi des assassins. «

— Général,

avec noblesse

dit

chef de rassemblée,

le

un seul homme a toujours

le

quante

la faiblesse.

c'est le privilège

:

tort d'user

de

droit d'en insulter cin-

Seulement

de ce droit. Croyez-moi, général jurez

il

et

,

a

ne

nous insultez pas. «

Le général, encore une

dompté par

fois

du chef de l'assemblée,

riorité

hésita

un

bureau du président

enfin, s'avançant jusqu'au

supé-

cette

instant; mais :

«

— Quelle

«

La

«

Je jure sur l'honneur de ne jamais révéler à qui que

voici

est la

formule? demanda-t-il.

:

monde

vu

«

ce soit au

«

vrier 1815, entre neuf et dix heures clare mériter la «

ce que

mort

si

j'ai

je viole

et

mon

entendu

du

le 5 fé-

,

dé-

soir, et je

serment.

»

Le général parut éprouver un frémissement nerveux

qui l'empêcha de répondre pendant quelques secondes

surmontant une répugnance manifeste,

enfin,

nonça

le

serment exigé, mais d'une voix

peine on l'entendit ils qu'il le

qui fut •

:

aussi plusieurs

si

membres

il

;

pro-

basse qu'à exigèrent-

répétât à voix plus haute et plus distincte, ce

fait.

— Maintenant, je désire

me

iJîtirer, dit le

général

;

suis-je enfin libre? «

Le

prt^-sident se leva,

désigna trois membres de

semblée pour l'accompagner,

et

l'as-

monta en voiture avec

LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le général, après lui avoir

de ces

trois

membres

bandé

était le

les

yeux.

259

Au nombre

cocher qui les avait amenés

«

Les autres membres du club se séparèrent en silence

«

— Où voulez-vous

demanda

que nous vous reconduisions*

le président.

— Partout où

je pourrai être délivré

de votre pré«

sence, répondit M. d'Épinay. "

— Monsieur, reprit alors

vous n'êtes plus qu'à des

affaire

ici

le président,

prenez garde,

dans l'assemblée, vous n'avez plus

hommes

isolés

;

ne

les insultez

pas

si

vous ne voulez pas être rendu responsable de l'insulte. « Mais au lieu de comprendre ce langage, M. d'Épinay répondit «

:

— Vous êtes toujours aussi brave dans votre voilure

que dans votre

hommes

club, par la raison. Monsieur,

«

Le président

«

On

fi*

était juste

arrêter la voiture.

à l'endroit

du quai des Ormes où

trouve l'escalier qui descend à «

que quatre

sont toujours plus forts qu'un seul.

se

la rivière.

— Pourquoi faites- vous arrêter ici? demanda M. d'É-

pinay. «

— Parce que, Monsieur,

insulté

un h