DE MONTE-CRISTO ï. M. NOlRTlER DE VILLEFORT. Voici ce qui s'était passé
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ŒUVRES COMPLÈTES
D'ALEXANDRE DUMAS LE COMTE DE MONTE-CRISTO IV
ŒUVRES COMPLETES D'ALEXANDRE DUMAS PUBUKKS DANS LA COLLECTION MlCnSL LBVT Ac!é
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Gabriel Laniliert. Les Garibaldiens
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Cadet de
LeCapittiine l'aiil. . Le Capitaine Itliino. Le Capitaine Uicliai'd Cailierine Biuui. Caoserit'S Cécile
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nu. . . Les Leux lleJucà. . Liiu dis) ose. ... Le Drame de 93 . . Les Drames de la mer
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LyoDna.
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Savoie rarisiens ciaux
Provin-
et
Lel'asleurd'Ashbourn Pauline et Pascal
Bruno
Un Pays inconnu.
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.
Le Véloce..
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l.^aac l.a(|nedeni.
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Les Quarante-Cinii. La Kei;cnce La Reine Mar«ot .
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lloodle Proscrit La Route de Varennes. Le Salléadur. . . . Salvalor («uiii il«] lo'ilRoliiii
caiK du Parii)
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Souvenirs d'une Fa-
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Sylvandire 'Icrrciir pnis.sionno. Le 'l'esiMnient de M.
Louis XI V tison tjiixle Louis XV et sa Cour. Louis XVI et la llé-
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Le Trou do Pciifor . La Tulipe noire. . . Le Vicomte de Uragelonm; La Vie au
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Souvenirs d'Anlouy
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de Bavière. . Haliens cl Flamamls. Ivanlioe
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Le Père Gigogne . . Le Père la Uuine. . Le Prince des Volcui:;
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Russie.
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do Cléves. . Le l'âge du Aiiii do
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LaSan-FtIice.
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Cliauvelin Tliéâiie complot. Trois Maîtres. .
La Maniuise d'Esi^uiiua
Paris à Cadix.
Quinze jours au Sinal
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Jacijues Orli.s. . . . Ja('i{uolsan3 Urcilles.
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Los Compagnons de Jéliu
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Florence L'Arabie lleuicuse. LcsBordsduIliiin Le Capit. Arena. Le Caucase. . .
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Iniprcssionsdevoyage: En Suisse. . . .
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son-Ronpe. ... Le Ciillierdclareiiie.
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LaColomlie.
Ilenii IV, Louis XIII, Uicliclieu. . La Guerre des reinines llisl. de mes l-êtes. Histoire d'un casse-
L'Horoscope L'He de Fen.
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Les jMorts vont Napoléon
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Les.Moliicaiisde Paris
L'Homme aux contes. Les Hommes de Ter.
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Charles le Téméraire.
d'une aveugle. .'\Ienioires d'un médecin B.ils.ni'). . Le Meneur de loups. Les Mille et un Fantômes :
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France.
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LE COMTE
k
MONTB-GRISTO PAR
ALEXANDRE DUMAS IV
NOUVELLE EDITION
PARIS
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RUE AUBER,
3
1800 Droits de /eproduction et de trftductioa r4serv4i
LE COMTE
DE MONTE-CRISTO
ï
M. NOlRTlER DE VILLEFORT.
Voici ce qui s'était passé dans la maison
du
fille,
madame
après le départ de
roi et
pendant
du procureur
Danglars
et
de sa
conversation que nous venons de rap-
la
porter.
M. de
Villefort était entré
dame de
Villefort;
chez son père, suivi
dema^
quant à Valentine, nous savons où
elle était.
Tous deux, après avoir salué
le vieillard, après avoir
songédié Barrois, vieux domestique depuis plus de vingtcinq ans à son service, avaient pris place à ses côtés.
M. Noirtier, assis dans son grand fauteuil à roulettes,
où on
le plaçait le
matin
et
d'où on
le tirait le soir, assis
devant une glace qui réfléchissait tout l'appartement lUi
permettait de voir, sans
devenu impossible, qui TOME
IV.
même
entrait
tenter
et
un mouv^.ment
dans sa chambre, qui en i
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
2
sortait, et ce
qu'on
faisait tout
comme un
immobile
autour de
dont
ntellifrenL; et vifs ses enfants,
férence
lui
lui
;
M. Noirtier,
cadavre, regardait avec des yeuï la
cérémonieuse ré-
annonçait quelque démarche
officielle
inat-
tendue.
La vue
comme deux
,
humaine déjà aux
étincelles,
la vie intérieure
un
ani-
cette matière
quarts façonnée pour
trois
encore, de ces deux sens,
dehors
deux seuls sens qui
et l'ouie étaient les
massent encore
tombe ;
la
seul pouvait-il révéler
qui animait
la statue
gard qui dénonçait cette vie intérieure
était
une de ces lumières lointaines qui, durant prennent au voyageur perdu dans ur désert
au
et le re-
:
semblable à nuit, ap-
la
qu'il
y a en-
core ua être existant qui veille dans ce silence et celte obscurité.
Aussi, dans cet œil noir
du vieux
Noirtier,
surmonté
d'un sourcil noir, tandis que toute la chevelure, qu'il portait
longue
dans cet
œil,
et
pendante sur
comme
blanche;
les épaules, était
cela arrive pour tout organe de
l'homme exercé aux dépens des autres organes, concentrées toute
s'étaient
l'activité, toute l'adresse, toute la forre,
toute l'intelligence répandues autrefois dans ce corps et Certes, le geste du bras le son de la du corps manquaient, mais cet œil puisii commandait avec les yeux; sant suppléait à tout remerciait avec les yeux; c'était un cadavre avec de yeux vivants, et rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une co-
dans cet
esprit.
,
voix, l'attitude
:
lère
ou
luisait
une
joie.
Trois personnes seulement sa-
yaient comprendre ce langage du pauvre paralytique c'étaient Villefort, Valentine et le
nous avons déjà q;ue
parlé. Mais
rarement son père,
et.
comme
pour
:
vieux domestique dont Villefort
ainsi dire,
nt voyait
quand
ii
ne
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. pouvait faire autrement
comme,
;
3
lorsqu'il le voyait,
il
ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout' le bonheur du vieillard reposait en sa petite-tille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et
de patience, à comprendre du regard toutes /es pensées de Noirtie». A ee langage muet ou inintelligible
pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physic nomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune Glle et cette prétendue argile, à était
peu prés redevenue poussière,
encore
un homme d'un
et
qui cependant
immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'àme enfermée dans une matière par laquelle elle à perdu le pouvoir de se faira obéir. savoir
Valentine avait donc résolu cet étrange problème de
comprendre
la
pensée du
prendre sa pensée à elle
vieillard,
pour
lui faire
com-
grâce à celte étude , il était bien rare que, pour les choses ordinaires de la vie, elle ;
et,
ne tombât point avec précision sur le désir de cette âme vivante, ou sur le besoin de ce cada^Te à moitié insensible.
Quant au domestique, comme depuis vingt-cinq ans, que nous l'avons dit, il servait son maitre, il
ainsi
con-
naissait si bien toutes ses habitudes, qu'il était rare Noirtier eût besoin de lui demander quelque
que
chose.
Villefort n'avait
en conséquence besoin du secours ni de l'autre pour entamer avec son père l'étrange conversatiofi qu'il venait Provoquer. Lui-même, nous de l'un
ni
l'avons
dit,
vieillard, et
connaissait partaitemenl le vocabulaire s'il
ne s'en servait point plus souvent,
tait
par enoui
tine
descendre au jardin,
et
par indifférence. il
Il
donc Valen-
laissa
éloigna doncBarrois, et après
avoir pris sa place à la droite de son père, tandis
madame
du c'é-
de Villefort s'asseyait à sa gauche
;
que
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
4
— Monsieur, ne
ne vous étonnez pas que Valentioe
dit-il,
pas montée avec nous
soit
rois, car la
que
et
éloigné Rar-
j'aie
conférence que nous allons avoir ensemble
est de celles qui ne
peuvent avoir
madame
îhe ou un domestique;
nne communication à vous
devant une jeum
lieu
de Villefort et moi avo»?'
faire.
Le visage de Noirtier resta impassible pendant ce préambule, tandis qu'au contraire l'œil de Villeiîrt semblait
du cœur du
vouloir plonger jusqu'au plus profond
vieillard.
— Cette communication, continua avec son ton glacé contestation,
le
prccureur du
roi
semblait ne jamais admettre
et qui
nous sommes sûrs, madame de
la
Villefort et
moi, qu'elle vous agréera. L'œil tait
:
du
demeurer atone
vieillard continua de
;
il
écou-
voilà tout.
— Monsieur,
Villbfori
reprit
nous marions Valen-
,
tine.
Une
figure de cire
ne
nouvelle que ne resta
—
Le mariage aura
fût pas restée plus froide à cette
la figure
du
vieillard.
lieu avant trois mois, reprit Ville-
fort.
L'œil
du
Madame d'ajouter
vieillard continua d'être inanimé.
de Villefort prit
la
parole à son tour, et se hâta
:
— Nous avons pensé que cette nouvelle aurait de térêt
pour vous. Monsieur
semblé dire
attirer
le
nom du
et
nous
il
jeune
;
il
y a de
reste
homme
un des plus honorables
tine puisse prétendre
la
partis
de celui que nous
donc à vous
qui lui est des-
auxquels Valen-
fortune,
des garanties parfaites de bonheur dans
les goûts
l'in-
d'ailleurs Valentine a toujours
votre affection;
seulement
tiné. C'est
;
un beau nom la
conduite et
lui destinons, et
dont le nom
.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
m
àoit pas
vous
être inconnu.
s a^it
Q
de M. Franz de
baron d'Épinay.
U'fftsnel,
Vlllefort,
pendant
le petit
fhait sur le vieillard
f.orsque
11
madame
discours de sa femme, atta-
un regard plus
attentif
de Villefort prononça
que jamais.
nom
de tranz, œil de Noirlier, que son fils connaissait si bien, frissonna, et les paupières se dilatant comme eussent pu faire des lèvres pour laisser passer des paroles, laissèrent, elles, passer un éclair. le
1
Le procureur du roi , qui savait les anciens rapports d'inimitié publique qui avaient existé entre son père et père de Franz, comprit ce feu
le
cependant nant
—
la
il
les laissa
parole où sa
Monsieur,
nez bien, près
passer
femme
dit-il,
il
comme
et cette agitation;
comme
mais
inaperçus, et repre-
l'avait laissée
est important,
:
vous
le
elle est d'atteindre sa
compredix-neu-
vième année, que Valentine soit enfin établie. Néanmoins, nous ne vous avons point oublié dans les
conférences,'
et
nous nous sommes assurés d'avance que
le mari de Valentine accepterait, sinon de vivre près de nous, qiu gênerions peut-être un jeune ménage,
du moins'que
vous, que Valentine chérit particulièrement, et qui, de TOtre côté, paraissez lui rendre
cette affection, vivriez
près d'eux, de sorte que vous ne perdrez aucune de vos habitudes, et que vous aurez seulement deux enfants au lieu d'un pour veiller sur vous. L'éclair du regard de Noirtier devint sanglant. Assurément il se passait quelque chose
d'affreux dans
l'âme de ce vieillard
de
;
assurément
le cri
de
la do-ileur eJ
Ja colère
l'etouffait,
montait à sa gorge ; et, ne pouvant éclater, car son visage s'empourpra et ses lèvres de-
vinrent bleues. Villefort ouvrit tranauillcment
une fenêtre en disant
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«
— M.
fait
11
bien chaud
ici
mal à
et celle chaleur fait
,
Noirlier.
Puis
—
mais sans se rasseoir.
revint,
il
Ce mariage, ajouta madame de
M. d'Épinay
et
à sa famille
pose seulement d'un oncle
morte au moment où
Villefort, plaît
d'ailleurs sa famille se
;
et
à
com-
d'une tanle. Sa mère étant
elle le mettait
au monde
et
,
son
père ayant été assassiné en 1815, c'est-à-dire quand l'en-
deux ans à peine,
fant avait
il
ne relève donc que de sa
propre volonté.
— Assassinat
mystérieux,
dit Villefort,
auteurs sont restés inconnus, quoique
plané sans s'abaltre au-dessus de !a
tèle
dont les
3t
soupçon
le
ail
de beaucoup
de gens. Noirtier
un
fit
comme pour
—
que ses lèvres se contractèrent
tel effort
sourire.
Or, continua Villefort,
le
sur lesquels peut descendre
des
dant leur vie et seraient bien
une
la justice
la justice
heureux
coupables,
les véritables
ceux-là qui savent qu'ils ont commis
crime
,
ceux-là
hommes pen-
de Dieu après lem mort,
d'être
à notre place,
et d'avoir
à offrir à M. Franz d'Épinay pour éteindre jus-
fille
qu'à l'apparence du soupçon. Noirtier s'était rait
— Oui fort
;
,
je
et ce
profond
l'on n'au-
comprends
,
répondit-il
du regard à
Ville-
regard exprimait tout ensemble le dédain
cl la colère intelligente.
Villefort, il
calmé avec une puissance que
pas dû attendre de cette organisation brisée.
de son coté, répondit à ce regard, dans lequel
avait lu ce qu'il contenait, par
un
léger
mouvemenl
d'épaules.
Puis
il
fit
signe à sa
— Maintenant
,
femme de
Monsieur,
dit
se lever.
madame
de Villetort
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. agréez
mes
toLS
Vous
respects.
f
qu'Edouard
plait-il
vienne vous présenter ses respects?
convenu que
était
11
le vieillard
exprimait son aporo-
bation en fermant les yeux, son refus en les clignaat à
plusieurs reprises, ei avait quelques désirs à exprimer
quand
il
les levait
an
ciel.
demandait Valentine
S'il
il
,
fermait
droit seule-
l'oa'l
ment.
demandait Barrois,
S'il
A
la proposition
ment
de
il
fermait l'œil gauche.
madame de
Villefort,
il
cligna vive-
jeux.
les
Madame
de Villefort, accueillie par un refus évident,
se pinça les lèvres.
— Je vous enverrai donc Valentine, alors? — Oui, vieillard en fermant yeux avec vivacité. dit-elle.
M.
et
les
le
fit
madame
de Villefort saluèrent et sortirent eu
ordonnant qu'on appelât Valentine
,
déjà prévenue
au
reste qu'elle aurait quelque chose à faire dans la journée
près de M, Noirtier. Derrière
eux Valentine ,
entra chez le vieillard. qu'elle comprit
de choses
— Oh On
t'a
1
combien
,
toute rose encore
ne
lui fallut
souffrait
démotion
qu'un regard pour
son aïeul
et
combiea
avait à lui dire.
il
bon papa,
s'écria-t-elle, qu'est-il
donc arrivé
t
fâché, n'est-ce pas, et tu es en colère ?
— Oui, — Contre
fit-il
madame, de
Le
11
en fermant
qui donc Villefort
vieillard
fit
?
les
yeux.
contre
?
non
;
mon
contre
père
?
non
;
contre
moi?
signe que oui.
— Contre moi? reprit Valentine étonnée. Le
vieillard
— Et que lentine.
renouvela
t'ai-jô
donc
le signe.
fait,
cher bon papa? s'écria Va-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
•
Pas de réponse
—
continua
elle
;
vu de quelque chuse de moi ? J«»
ne
t'ai
pas
:
journée; on
la
l'a
dons rapporté
— Oui, regard du avec — Voyons donc que je cherche. Mon Dieu, je vieillard
dit le
bon
pas
d'ici, n'est-ce
— Oui. — Et ce
madame de
Ahl... M. et
père...
'ivacit*^.
sont eux qui t'ont dit ces choses qui te fâ-
mander pour que
je puisse
leur de-
j'aille le
m'excuser près de
toi?
—
Non, non,
—
Ohl mais tu m'elTrayes. Qu'ont-ils pu dire,
Dieu
!
fit
regard.
le
— Ohl peut-être
j'y suis, dit-elle,
en baissant
le
t'en rien dire et
;
que
;
mariage
;
Redevenu
atone
que
me
— Non, —
?
dit
à moi-
j'ai
été si réservée
le
avec
regard sembla répondre
demanda
je t'abandonnerais
la j-eune fille ,
•
u) 'afflige. »
bon père
,
et
:
tu c-ois
que mon
rendrait oublieuse?
dit le vieillard.
Ils t'oDi dit alors que M. d'Épinay consentait que nous demeuras8."ons ensemble ?
— Oui.
!
Noirtier.
seulement ton silence qui
Qu'est-ce donc
peut-être
,
Oh
en quelque sorte ce secret
voilà pourquoi
fixe et
n'est pas
silence.
recommandé de ne
ne m'en avaient rien
j'avais surpris
Pardonne-moi, bon papa
mariage
mon
m'en veux de mon
c'est qu'ils
par indiscrétion
—
voix et en se
regard courroucé. tu
vois-tu, c'est qu'ils m'avaient bien
même,
la
ont parlé de
Ils
?
— Oui, répliqua — Je comprends
Ce
mon
Et elle chercha.
rapprochant du vieillard.
toi.
jure,
?
chent? Qu'est-ce donc? Veux-tu que
«
te
Villefort sortenl
à ce
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Alois pourquoi es-tu fâché
9
?
Les yeux du vieillard prirent une expression de don ceur
infinie.
— Oui,
comprends,
je
Valentine; parce que iu
dit
m'aimes?
Le
vieillard
fit
signe que oui.
— Et tu as peur que je ne —
sois
malûeureusef
Oui.
— Tu n'aimes pas M. Franz Les yeux répétèrent
?
ou quatre
trois
fois
:
— Non, non, non. — Alors tu as bien du chagrin, bon père? — Oui. — Eh bien
!
écoute, dit Valentine en se mettant à ge-
noux devant Noirtier et en lui passant ses bras a.Ttour du cou, moi aussi, j'ai bien du chagrin, car moi non plus je
n'aime pas M, Franz d'Épinay.
Un
éclair
—
Quand
de joie passa dans les yeux de j'ai
me
voulu
rappelles bien, que tu as été
Une larme humecta
— Eh bien
!
si fort
fait
te ?
paupière aride du vieillard.
continua Valentine,
à ce mariage, qui
La
la
l'aïeul.
au couvent, tu fâché contre moi
retirer
mon
c'était
pour échapper
désespoir.
respiration de Noirtier devint haletante.
— Alors, ce mariage mon
Dieu,
si
te fait
bien du chagrin, bon père?
tu pouvais m'aider, si nous pouvions à
nous deux rompre leur projet Mais tu es sans force contre eux, toi dont l'esprit cependant est si vif et la vo!
lonté
si
faible et
pour
fe^me ,'mais quand
même
mu un protecteur
«t de ta santé;
comprendre
il
s'agit
de lutter tu es aussi
plus faible que moi. Hélas si
I
tu eusses été
puissant aux jours de
ta force
mais aujourd'hui tu ne peux plus que
et te réjouir
ou
t'affliser
me
avec moi. C'est un
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ÎO derniei
bcnheur que Dieu a oublié de m'enlever
a¥€fi les
autres. Il
y eut à ces paroles, dans les
yeux de
Noirtier,
telle
expression de malice et de profondeur, que
fille
;rut
— Tu
ces mots
la
y
lire
te
trompes, je puis encore beaucoup pour
— Tu peux
une
jeune
:
toi.
quelque chose pour moi, cher bon papa?
traduisit Valentine.
— Oui. yeux au
Noirtier leva les
ciel. C'était le
signe convenu
entre lui et Valentine lorsqu'il désirait quelque chose.
— Que veux-tu, cher père
?
voyons.
Valentine chercha un instant dans son esprit, exprima tout haut ses pensées à
à
elle
,
et
vieillard répondait
— Allons, si sotte
mesure
qu'elles se présentaient
voyant qu'à tout ce qu'elle pouvait
constamment non
fit-elle, les
dire, le
:
grands moyens, puisque je suis
!
Alors elle récita l'une après l'autre toute les lettres de l'alphabet depuis interrogeait l'œil
que
A
jusqu'à N, tandis que son sourire
du paralytique
;
à N, Noirtier
fit
signe
oui.
— Ah
dit Valentine, la chose que vous désirez commence par la lettre N c'est à l'N que nous avons affaire? Eh bien! voyons, que lui voulons-nous à l'N? Na, ne, I
;
ni, no.
— Oui, oui, oui, — Ahl no? — Oui.
fit
le vieillard.
c'est
Valentine alla chercher
un
dictionnaire qu'elle pos*
sur un pupitre devant Noirtier; elle l'ouvrit, et quand elle eut
vu
l'œil
du
vieillard fixé sur les feuilles, son doigt
courut vivement du haut en bas des colounssc
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. L'exercice,
dans
depuis six ans que Noirtier
fâcheux état où
le
épreuves
les
pensée du dans
Il
tombé
était
se trouvait, lui avait rendu
il
faciles, qu'elle devinait aussi vile
si
vieillard
que
la
lui-même eût pu cherchei
si
le dictionnaire.
Au mot
notaire, Noirtier
— Notaire, Le
dit-elle; tu
vieillard
fit
fit
signe de s'arrêter.
veux un
notaire,
bon papat
signe que c'était effectivement
un
no-
taire qu'il désirait.
—
faut donc envoyer chercher
Il
un
demanda
notaire ?
Valentine.
— Oui, paralytique. — Mon père savoir — Oui. fit
le
doit-il le
f
— Es-tu pressé d'avoir ton notaire? — Oui. — Alors on va l'envoyer chercher te
cher père. Est-ce tout ce que tu veux
— Oui.
Valentine courut à la sonnette
et
tique pour le priar de faire venir M. lefort
chez
le
— Es-tu bien Et
:
jeune
suita^^
appela un domesou madame de Vil-
grand-père.
content?
hein? ce
la
tout de
?
n'était
fille
dit
Valentine; oui... je
pas facile à trouver, cela
sourit à l'aïeul
comme
le
crois
pu
fairt
?
elle eût
à un enfant.
M. de
Villefort entra
ramené par
Barrois.
— Que voulez-vous, Monsieur ?demanda-t-il au parv lytique.
— Monsieur,
dit
Valentine,
mon
grand-père désire un
aotaire.
A
cette
Villefort
demande étrang3
et surtout inattendue,
échangea un regard avec
le
paralytique.
M. de
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lî
— Oui, qu'avec
fit
ce dernier avec
l'aide
de Valentine
une fermeté qui
indiquait
de sou vieux servileur,qui
et
savait maiuieuant ce qu'il désirait,
il
a soutenir
était prêt
la lutte.
— Vous demandez — Oui. — Pour quoi faire?
le
notaire? répéta Villeforl.
Noirtier ne répondit pas.
— Mais
qu'avez- vous besoin d'un notaire? demanSa
Villefort.
Le regard du paralytique demeura immobile conséquent muet, ce qui voulait dire
ma
:
et
par
dam
Je persiste
volonté.
— Pour nous
faire
quelques mauvais tour?
dit Ville-
fort; est-ce la peine?
— Mais enfin,
dit Barrois, prêt
à insister avec
sévérance habituelle aux vieux domestiques,
veut un notaire
,
apparemment
c'est
Ainsi je vais chercher
un
qu'il
si
la
per-
monsieur
en a besoin.
notaire.
Barrois ne reconnaissait d'autre maître que Noirtier et
n'admettait jamais que ses volontés fussent contestées en rien.
— Oui, je veux un notaire, les
yeux d'un
si l'on
osera
air
me
de défi
et
fil
le vieillard
comme
s'il
eût
en fermant
dit
:
Voyons
refuser ce que jo veux.
— On aura un notaire,
puisque vous en voulez abso-
lument un, Monsieur; mais je m'excuserai près de vous excuserai vous-même, car
— N'importe,
la
scène sera
dit Barrois, je vais
toujours
cher.
El
le
vieux serviteur
sortit
triomphant.
lui et
fort ridicule. J'aller
cher-
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ii
II
LE TESTAMENT.
Au moment ou line
La jeune son
Barrois sortit, Noirlier regarda Valen-
av^c cet intérêt malicieux qui annonçait tant de choses. fille
comprit ce regard
car
et Villefort aussi,
front se rembrunit et son sourcil se fronça.
Il
prit
un
siège, s'installa dans la
chambre du paraly-
tique et attendit. Noirtier le regardait faire
rence
;
tine de
mais, du coin de
l'œil,
ne point s'inquiéter
et
avec une parfaite il
indiffé-
avait ordonné à Valen-
de rester aussi.
Trois quarts d'iieure après, le domestique rentra avec le notaire.
— Monsieur,
dit Villefort
après les premières saluta-
vous êtes mandé par M.
Noirtier de Villefort, que une paralysie générale lui a ôlé l'usage des membres et de la voix, et nous seuls à grand'peine parvenons à saisir quelques lambeaux de ses pensées.
tions,
voici;
Noirtier ût de
rieux et
— mon
si
l'oeil
un appel à Valentine, appel
si sé-
impératif, qu'elle répondit sur-le-champ
:
Moi, Monsieur, je comprends tout ce que veut dire grand-père.
— C'est vrai, comme
ajouta Barrois, tout, absolument tout,
je le disais à
Monsieur en venant.
— Permettez, Monsieur, dit le notaire
et
vous aussi. Mademoiselle,
en s'adressant à Villefort
et
à Valentine
un 1e ces cas où l'officier public ne peut mconsidérément procéder sans assumer une re5Doi»3abi"té dan c'est là
gereuse. La première nécessité, pour qu'un acte soil va-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
14 lable, esl
que
le noiaire soit
lement interprète
la
bien convaincu qu'il a fidè-
volonté de celui qui
le dicte.
Or, jo
ne puis pas moi-môme être sûr de l'approbation ou de l'improbal'on d'un client qui ne parle pas jet
de ses désirs
et
et
;
comme l'ob-
vu son mutisme,
de ses répugnances,
De peut m'étre prouvé clairement, mon ministère
est
plus qu'inutile et serait illégalement exercé.
Le
notaire
fit
un pas pour se
retirer.
Un
imperceptible
sourire de triomphe se dessina sur les lèvres
reur du
roi.
De son
une telle expression de douleur, chemin du noiaire.
— Monsieur,
du procu-
côté, Noirtier regarda Valentine avec
dit -elle, la
qu'elle se plaça sur le
langue que je parle avec
grand-père esl une langue qui se peut apprendre
ment,
et
de
même que je
le
comprends je puis en quel-
ques minutes vous amener à faut-il,
mon
facile-
,
le
comprendre. Que vous
voyons, Monsieur, pour arriver à
la parfaite édi-
de votre conscience?
fication
— Ce qui est nécessaire pour que nos actes soient valables. Mademoiselle,
répondit
certitude de l'approbation
la
peut
tester
le
notaire; c'est-à-dire
ou de
malade de corps, mais
l'improbation. il
On
faut tester sais
d'esprit.
— Eh bien! Monsieur, avec deux signes vous acquer rez celle certitude que
mon grand-père
n'a jamais mieux
joui qu'à celte heure de la plénitude de son intelligence.
M.
Noirtier, privé de la voix, privé
yeux quand reprises quand
les
il il
du mouvement, ferme
à plusieurs veut dire non. Vous eo savez assez
veut dire oui,
et les cligne
maintenant pour causer avec M. Noirtier, essayez.
Le regard que lança le vieillard à Valentine était si humide de tendresse et de reconnaissance, qu'il fui oomf/ris
du
Qolaire lui-même.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Vous avez entendu
compris ce que vient de dire
et
TOtre peiile-ûlle, Monsieur?
doucement
Noiriier ferma
un
IK
demanda les
yeux,
le notaire.
et les rouvrit après
instant.
— Et vous approuvez ce qu'elle a dit? c'est-à-dire que bien ceux à l'aide des-
les signes indiqués par elle sont
quels vous faites comprendre votre pensée
?
— Oui, encore vieillard. — C'est vous qui m'avez demander? — Oui. — Pour faire votre testament — Oui. — Et vous ne voulez pas que je me retire sans avoir le
fit
fait
?
fait
ce testament?
Le paralytique cligna vivement
et à plusieurs reprises
ses yeux.
— Eh demanda
bien la
I
Monsieur, comprenez-vous, maintenant,
jeune
fille,
et votre
conscience sera-t-elle en
repos?
Mais avant que le notaire n'eût pu répondre, Yillefort le tira
à part
:
— Monsieur,
dit-il,
croyez-vous qu'un
homme
puisse
supporter impunément un choc physique aussi terrible
que
celui qu'a
que
le
—
moral
Ce
éprouvé M, Noirtier de
ait
n'est point c«la
sans ?
précisément qui m'inquiète,
iMonsieur, répondit le notaire, mais je
ment nous arriverons à deviner voquer
Villefort,
reçu lui-même une grave atteinte
les
me demande com-
pensées, afin de pro-
les réponses.
— Vous voyez donc que c'est impossible,
dit Villefort.
Valentine et le vieillard entendaient cette conversation. Noirtier arrêta son regard tine,
si fixe et si
ferme sur Valen-
que ce regard appelait évidemment une
riposte.
LE COM'IL DE MONTE-CRISTO.
J6
— Monsieur,
dit-elle,
que cela ne vous inquiète point;
si difficile
qu'il soit,
ou
couvrir
pensée de
mon
rai,
la
plutôt qu'il
vous paraisse de dé-
grand-père, je vous
la
ff.véle-
moi, de façon à lever tous les doutes à cet égard.
Voilà six ans que je suis près de M. Noirtier, dise lui-même,
dans son cœur faute de pouvoir
est resté enseveli faire
comprendre
— Non,
fil
et, qu'il le
depuis six ans, un seul de ses désirs
si,
me
le
?
le vieillard.
— Essayons donc,
dit le notaire
;
vous acceptez Made-
moiselle pour votre interprète?
Le paralytique
— Bien et
;
signe que oui.
fit
voyons. Monsieur, que désirez-vous de moi,
quel est l'acte que vous désirez faire?
Valentine qu'à
nomma
toutes les lettres de l'alphabet jus-
la lettre T.
A celte
lettre, l'éloquent
coup
d'œil de Noirtier l'arrêta.
— C'est la lettre T que Monsieur demande, taire; la
—
no-
Attendez, dit Valentine; puis, se retournant vers
son grand-père
Le
dit le
chose est visible.
:
Ta... te...
vieillard l'arrêta à la
Alors Valentine
prit
le
seconde de ces syllabes. dicllonnairo,, et
aux yeux du
notaire attentif elle feuilleta les pages.
— Testament,
son doigt arrêté par
dit
le
coup
d'oeil
de
Noirtier.
— Testament Monsieur veut
!
s'écria ie notaire, la
chose est visible
;
tester.
— Oui, Noirtier à plusieurs reprises. — Voilà qui est merveilleux. Monsieur, convenez-en, fit
dit le notaire à Villefort stupéfait.
— En effet,
répliqua-t-il, et plus merveill-^ux encore
serait ce testament
;
car, enfin, je
ne pense pas que
les
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
47
anicles se Tiennent ranger sar ie papier, uiui pai moi,
ma
sans l'intelligente aspiration de sera pent-être
un
être
un peu
Or, Valentine
tille.
trop intéressée à ce testament pour
interprète convenable des obscures volontés de
M. Noirtier de Villefort. '- Non, non! fît le paralytique.
— Comment
dit
I
M. de
Villefort, Valentine n'est point
intéressée à votre testament?
— Non, Noirtier. — Monsieur, fit
dit le
notaire
,
qui, enchanté de cette
épreuve, se promettait de raconter dans détails de cet
me
épisode pittoresque
;
paraît plus facile maintenant que ce
je regardais
ment
comme une
monde
et ce testa-
un testament mystique,
à-dire prévu et autorisé par la loi
pourvu
approuvé par
les
que tout à l'heure
chose impossible,
sera tout simplement
face de sept témoins,
le
monsieur, rien ne
c'est-
qu'il soit lu
le testateur
en
devant
eux, et fermé par le notaire, toujours devant eux. Quant au temps, il durera à peine plus longtemps qu'un testament ordinaire il y a d'abord les formules consacrées et qui sont toujours les mêmes, et quant aux détails, la plupart seront fournis par l'état même des affaires du testa;
teur et par vous qui, les ayant gérées, les connaissez.
Mais
d'ailleurs,
nous allons l'un de
mes
lui
pour que cet acte demeure inattaquable, donner l'authenticité la plus complète;
confrères
me
servira d'aide
et,
contre les
habitudes, assistera à la dictée. Êtes-vous satisfait, sieur
?
continua
— Oui, — Que
le notaire
en s'adressant au
répondit Noirtier, radieux d'être compris. va-t-il
faire? se
demanda
Villefort à qui sa
oaute position commandait tant de réserve,
et qui, d'ail-
ne pouvait deviner vers quel but tendait son père. se retourna donc pour envoyer chercher le deuxième
leurs, il
Mon-
vieillard.
LE COMTE DE MONTE-CIUSTO.
18
notaire désigné par le premier; mais Barrois, qui avail tout entendu et qui avait deviné le désir de son maître, était déjà parti.
Alors
Au dans
le
procureur du roi
fit
dire à sa
bout c'un quart d'heure, tout
la
chambre du paralytique,
le
et le
femme de monter. monde était réuni
second notaire
était
arrivé.
En peu de mots les deux officiers ministériels furem On lut à Noirlier une formule de testament
d'accord.
vague
,
banale; puis pour commencer, pour ainsi dire,
l'investigation de son intelligence, le premier notaire, se
retournant de son côté, lui dit
— Lorsqu'on
:
son testament. Monsieur,
fait
c'est
en
laveur de quelqu'un.
— Oui, Noirtier. — Avez- vous quelque idée du chiffre auquel se monte fit
votre fortune?
— Oui. — Je vais vous nommer plusieurs ront successivement teint celui
;
que vous croirez
monte-
j'aurai at-
être le vôtre.
— Oui. Il
chiffres qui
vous m'arrêterez quand
y avait dans cet interrogatoire une espèce de solen-
nité; d'ailleurs jamais la lutte de l'intelligence contre la
matière
n'a-^ait
peut-être été plus visible; et
un sublime, comme nous un curieux, spectacle.
On
faisait cercle
était assis
si
ce n'était
allions le dire, c'était
au moini
autour de Villefort
taire se tenait
debout devant
— Voti e fortune dopasse ce pas? demanda-t-il. Noirlier
;
le
à une table, tout prêt à écrire
fit
signe que oui.
;
second notaire le
premier no-
lui et interrogeait.
trois cent mille francs, n'es^
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Possédez-vous quatre cent
IS
mille francs?
demanda
le notaire.
Noirtier resta immobile.
— Cinq cent mille? Même
—
immobilité.
Six cent mille ? sept cent mille? huit cent millet
neuf cent mille? Noirtier
fit
signe que oui.
— Vous possédez neuf cent mille francs? — Oui. — En immeubles? demanda notaire. le
Noirtier
fit
signe que non.
— En inscriptions Noirtier
fit
de rentes?
signe que oui.
—
Ces inscriptions sont entre vos mains?
Un
coup
d'oeil
adressé à Barrois
viteur, qui revint
un
fît
sortir le
vieux ser-
une
petite cas-
instant après avec
sette.
—
Permettez-vous qu'on ouvre cette cassette? de-
manda
le notaire.
Noirtier
On
fit
signe que oui.
ouvrit la cassette et l'on trouva pour neuf cent
mille francs d'inscriptions sur le Grand-Livre.
Le premier notaire passa,
les
unes après
chaque inscription à son collègue;
comme
l'avait
les autres,
compte y
le
était,
accusé Noirtier.
— C'est bien cela,
dit-il;
il
est évident
que l'intelligence
est dans toute sa force et dans toute son étendue.
Puis, se retournant vers
— Donc,
lui dit-il,
de capital, qui, à
la
le
paralytique
:
vous possédez neuf cent mille francs façon dont
vous produire quarante mille
ils
sont placés, doivent
livres de rentes
à
peu
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
SO
— Oui,
fit
ISoiriier.
— A qui désirez-vous laisser cette fortune? — Ohl madame de Villefort, cela n'est pDinl doudit
teux; M. Noirlier aime uniquement sa moiselle Valenline de Villefort
depuis six ans
;
elle a
peiite-fillc,
made-
c'est elle qui le soigne
:
su captiver par ses soins assidu»
de son grand-père, et je dirai presque sa re-
l'affection
connaissance
;
il
est
donc juste qu'elle recueille
prix de
le
son dévouement. L'œil de Noirlier lança
un
éclair
comme
s'il
n'était
dupe de ce faux assentiment donné par madame de lefort
—
aux
pas Vil-
attentions qu'elle lui supposait.
Est-ce donc à mademoiselle Valenline de Villefort
neuf cent mille francs? demanda
que vous
laissez ces
le notaire,
qui croyait n'avoir plus qu'à enregistrer cette
clause, mais qui tenait à s'assurer cependant de l'assen-
timent de Noirlier, et voulait faire constater cet assenti-
ment par tous
les
Valentine avait
yeux
témoins de cette étrange scène. fait
un pas en
arrière et pleurait les
baissés; le vieillard la regarda
un
instant avec
l'expression d'une profonde tendresse; puis se retour-
nant vers
le notaire,
il
cligna des
yeux de
la
façon la plus
significative.
— Non?
dit le notaire;
comment, ce
n'est pas
made-
moiselle Valentine de Villefort que vous instituez pour votre légataire universelle? Noirtier
fit
signe que non.
— Vous ne vous trompez pas? s'écria vous
dites bien
— Non
!
le notaire
étonné;
non?
répéta Noirtier, noni
Valenline releva la tète; elle
était
stupéfaite,
de son exhédération, mais d'avoir provoqué qui dicte d'ordinaire de pareils actes.
non pas
le sentioienl
LE COMlTb DE MONTE-CRISTO. Mais Noirtier la regarda avec une sion de tendresse qu'elle s'écria
—
mon bon
Olil
— Oh
:
que
père, je le vois bien, ce n'est
votre fortune que vous m'ôtez
fQUJours votre
2!
profonde expres-
si
cœur
me
mais vous
,
laissez
?
yeux du paune expression à laquelle
oui, bien certainement, dirent les
I
ralytique, se fermant avec
Valentine ne pouvait se tromper.
— Merci
1
merci
murmura
!
Cependant ce refus avait
madame
la
jeune
fille.
dans
fait naître
le
cœur de
de Villefort une espérance inattendue;
elle se
rapprocha du vieillard.
— Alors fort
c'est
que vous
tier ?
donc à votre
demanda
la
Ville-
monsieur Noir-
fui terrible
:
il
exprimait pres-
la haine.
— Non, ici
Edouard de
mère.
Le clignement des yeux que
petit-fils
laissez votre fortune, cher
fit
présent
le notaire
;
alors c'est à
monsieur votre
— Non, répliqua
le vieillard.
Les deux notaires se regardèrent stupéfaits et sa
fils
?
femme
;
Villefort
se sentaient rougir, l'un de honte, l'autre de
colère.
^ Mais, que vous avons-nous donc
fait,
père, dit Va-
vous ne nous aimez donc plus ? Le regard du vieillard passa rapidement sur son
lentine
;
fils,
sur sa belle-fille, et s'arrêta sur Valentine avec une
expression de profonde tendresse.
— Eh bien
!
dit-elle, si tu
tâche d'allier cet
meni.
Tu me
la fortune
ma mère
,
:
m'aimes, voyons, bon père,
amour avec
ce que tu
fais
en ce mo-
connais, tu sais que je n'ai jamais songé à
d'ailleurs,
trop riche
on
dit
même
;
que je suis riche du côté de explique-toi donc.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
«2
main de Valeû-
Noirtier fixa son regard ardent sur la tine.
— Ma main? — Oui, Noirtier. — Sa maini répétèrent tous les assistants. dit-elle.
fil
- Ahl Messieurs, vous voyez bien que tout lile
,
que mon pauvre père est fou, dit Ohl s'écria tout à coup Valentine,
—
Mon mariage,
— Oui, çant
un
n'est-ce pas,
comprends!
je
bon père?
oui, oui, répéta trois fois le paralytique, lan-
éclair à
chaque
fois
— Tu nous en veux pour — Oui. — Mais absurde, — Pardon, Monsieur,
que le
se relevait sa paupière.
mariage, n'est-ce pas
?
dit Villefort.
c'est
dit le
traire
est inu*
Villefort.
et
est très-logique et nie
notaire, tout cela l'effet
fait
au con-
de s'enchaîner
parfaitement.
—
Tu ne veux
pas que j'épouse M. Franz d'Épi-
nay?
—
Non, je ne veux pas, exprima
— Et vous déshéritez votre taire,
-
parce qu'elle
fait
l'œil
petite-fllle
du ,
vieillard.
s'écria le
no-
un mariage contre votre gré?
— Oui, répondit Noirtier. — De sorte que sans ce mariage
elle serait votre
hé-
ère?
— Il
Oui. se
fil
alors
un
silence profond autour
du
vieillard.
Les deux notaires se consultaient; Valentine, •ointes, regardait
les
mains
son grand-père avec un sourire lecon-
oaissAnt; Villefort mordait ses lèvres minces;
de Villefort ne pouvait réprimer
madame
un sentiment joyeuï
qui, malgré elle, s'épanouissait sur son visage.
~ Mais,
dit enfin Villefi^'^t,
rompant
le
premier ce
si-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lence,
me
il
semble que
je suis seul
23
juge des convenances
qui plaident en faveur de cette union. Seul mdître de la
main de
ma fille,
je
veux
qu'elle épouse M. Franz d'Épi
oay, et elle l'épousera.
Valentine tomba pleurante sur
— Monsieur,
dit le notaire,
que comptez-vous
faire
un
fauteuil.
s'adressant au vieillard,
de votre fortune au cas où
demoiselle Valentine épouserait M. Franz
Le
vieillard resta
ma-
?
immobile.
— Vous comptez en disposer, cependant? — Oui, Noirtier. — En faveur de quelqu'un de votre famille fit
—
?
Non.
— En faveur des pauvres, alors — Oui. — Mais, notaire, vous savez que ?
dit le
la loi
à ce que vous dépouilliez entièrement votre
— Oui. — Vous ne disposerez donc que de
s'oppose
fils ?
la partie
que
la loi
vous autorise à distraire. Noirtier demeura immobile.
— Vous continuez à vouloir disposer de tout? — Oui. — Mais après votre mort on attaquera testament le
— Non. — Mon père me connaît fort,
leurs
il il
?
Monsieur, dit M. de Villeque sa volonté sera sacrée pour moi d'ailccrnprend que dans ma position je ne puis plai,
sait
;
der contre les pauvres. L'œil de Noirtier
exprima
— Que décidez -vous,
le
triomphe.
Monsieur? demanda
le notaire
à
Villefort.
— Rien
,
Monsieur, c'est une résolution prise dans
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
24
mon
de
l'espril
mon
père, et je sais que
me
pas de résolution. Je
père ne change
résigne donc. Ces neuf cent
mille fiancs sortiront de la famille pour aller eiirichir les
hôpitaux; mais je ne céderai pas à un caprice de vieillard, et je ferai selon
ma
conscience.
Et Villefort se retira avec sa femme, laissant son père libre
Le les
de tester
même
comme
jour
témoins,
fut
il
il
l'entendrait.
testament fut
le
approuvé par
fait
;
on
alla
le vieillard,
chercher
fermé en
leur présence et déposé chez M. Descharaps, le notaire
de
la famille.
m LE TÉLÉGRAPnE.
M.
et
madame
eux, que M.
pour leur
où
il
le
de Villefort apprirent, en rentrant chex
comte de Monte-Cristo, qui
faire visite, avait été introduit
les attendait
;
madame
était
dans
venu
le salon,
de Villefort, trop émolion-
née pour entrer ainsi tout à coup, passa par sa chambre à coucher, tandis que
le
procureur du
lui-même, s'avança directement vers Mais gût
si
roi,
nuage de son
rire brillait
front
Villefort
que
le
plus sûr de
salon.
maître qu'il fût de ses sensations,
composer son visage, M. de
écarter le
le
si
bien qu'il
ne put
comte, dont
si
le
bien
sou-
radieux, ne remarquât cet air sombre et rô-
veur.
— Oh
I
mon
Dieul
dit
Monte-Cristo après les premiers
compliments, qu avez-vous donc, monsieur de yillefor4f
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
95
au moment où vous dressiez quelque accusation an peu trop capitale ?
et suis-je arrivé
Villefort essaya de sourire.
— ISou, time
monsieur
que moi.
ici
le
C'est
comte,
dit-il,
il
n'y a d'autr3 vic-
moi qui perds mon procès
et
,
c'est le hasard, l'entêtement, la folie qui a lancé le réquisitoire.
— Que voulez-vous dire un
?
intérêt parfaitement joué.
rivé quelque
— Oh
1
demanda Monte-Cristo avec Vous est-il, en réalité, ar-
malheur grave ?
monsieur
le
comte,
dit Villefort
avec un calme
plein d'amertume, cela ne vaut pas la peine d'en parler
;
presque rien, une simple perte d'argent.
— En
effet, répondit Monte-Cristo, une perte d'argent peu de chose avec une fortune comme celle que vous possédez et avec un esprit philosophique et élevé comme
est
l'est le
vôtre
I
— Aussi, répondit d'argent qui
me
Villefort, n'est-ce point la question
préoccupe, quoique, après
cent mille francs vaillent bien
un
regret,
tout,
neuf
ou tout au moins
un mouvement de dépit. Mais je me blesse surtout de cette disposition du sort, du hasard, de la fatalité, je ne sais comment nommer la puissance qui dirige le coup qui me frappe et qui renverse mes espérances de forlune
et détruit peut-être l'avenir
de
ma
fille
par
le
ca-
tombé en enfance. Eh mon Dieu qu'est ce donc ? s'écria le comte. Neuf cent mille francs, avez-vous dit ? Mais, en vérité, comme vous le dites, la somme mérite d'êire regrettée, même par un philosophe. Et qui vous donne ce chaprice d'un vieillard
—
!
I
grin?
— Mon père, dont je vous parlé. — M. Noirtier vraiment Mais vous ai
1
I
m'aviez
dit,
ce
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
26
me
semble
,
en paralysie comnlète, et gne
était
qu'il
toutes ses facultés étaient anéanties ?
— Oui, ses facultés physiques, maer, dant,
pense,
il
quitte
ne peut point parler,
il
il
cupé à
veut,
il
il
et,
car
il
ne peut pas
avec tout
cela,
comme vous
agit,
y a cinq minutes,
dicter
et
rfr-
cepen-
voyez. Je
dans ce moment,
il
le
est oc-
un testament à deux notaires.
— Mais alors a parlé — a mieux, comprendre. — Comment cela? —A du regard; ses yeux ont continué de vivre, ?
il
fait
Il
il
s'est fait
l'aide
vous voyez,
et
ils
— Mon ami, trer à
dit
madame
de Villcfort qui venait d'en-
son tour, peut-être vous exagérez-vous la situation?
— Madame... •—
tuent.
Madame
dit le
comte en
s'inclinanl.
de Villefort salua avec son plus gracieux
sourire.
— Mais
que
me
dit
donc
là
M. de Villefort? demanda
Monte-Cri«to, et quelle disgrâce incompréhensible?...
— Incompréhensible, du
en haussant
roi
— Et
il
les
n'y a pas
mol
c'est le
!
reprit le
procureur
épaules, un caprice de vieillard
moyen de
le faire
!
revenir sur cette
décision?
—
Si
même
de
fait,
mon
dit
madame
de Villefort;
et
il
dépend
mari que ce testament, au lieu d'être
au détriment de Valentine,
soil
fait
fait
au contraire en sa
faveur.
Le comte, voyant que parler par paraboles, prit
les
deux époux commençaient à
l'air distrait, cl
regarda avec
tention la plus profonde et l'approbation la plus
l'at-
marquée
Edouard qui versait de l'encre dans l'abreuvoir des
oi-
ieaux.
— Ma chère
dit Villefort
répondant à sa femme, vous
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. savez que j'aime peu
que je
et
me
poser chez moi en patriarche,
jamais cru que
n'ai
ma
d'un signe de
le sort
Cependant
tête.
27
de l'univers dépendit importe que mes
il
décisions soient respectées dans ma famille, et que la folie
d'un vieillarQ
un
d'un enfant ne renversent pas
et le caprice
mon esprit depuis était mon ami, vous
projet arrêté dans
Le baron d'Épinay alliance avec son
— Vous croyez Une
est d'accord
fils était ,
dit
avec
une
des plus convenables.
madame de Villefort, que Va-snlui?... En effet... elle a toujours ne serais pas étonnée que
été opposée à ce mariage, et je
que nous venons de voir
tout ce
longues années. le savez, et
et d'entendre
ne
soit
que l'exécution d'un plan concerté entre eux. Madame dit Villefort on ne renonce pas ainsi croyez-moi, à une fortune de neuf cent mille francs. Elle renoncerait au monde Monsieur puisqu'il y a un an elle voulait entrer dans un couvent. N'importe, reprit de Villefort, je dis que ce mariage
—
,
,
—
,
,
—
Madame
doit se faire.
— Malgré Villefort
,
I
de votre père
la volonté
attaquant une autre corde
Monte-Cristo
faisait
,
jours respecté
de
reprit Villefort
mon
père
,
,
à deuy
titres,
sacré
;
madame de
c'est bien
grave
I
et
disait.
je puis dire
que
j'ai
tou-
parce qu'au sentiment naturel
descendance se joignait chez moi
la
sa supériorité morale
? dit
semblant de ne point écouter,
oe perdait point un mot de ce qui se
— Madame
:
la
conscience de
parce qu'enfin un père est sacré
comme
notre créateur, sacré
comme
notre maître; mais aujourd'hui je dois renoncer à reconjaîire
une
intelligence dans
simple souvenir de haine pour ûis
;
il
sei ait
le
le
vieillard qui, sur
un
père, poursuit ainsi le
donc ridicule à moi de conformer
duite à ses capricesi Je continuerai d'avoir
le
ma
con-
plus grand
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
Î8
respect pour M. Noirtier; je subirai sans
me
punition pécuniaire qu'il m'inflige
je resterai
muable dans ma volonté,
et le
mais
;
monde
plaindre la
im-
appréciera do quel
En conséquence, je marierai au baron Franz d'Épinay, parce que ce mariag*
côté était la saine raison.
ma
lîlle
est, à
mon
sens,
veux marier nu,
—
Eh quoi
I
qu'en définitive
et bonoraljle, et
à qui
me
comte
dit le
!
constamment
avait
quoi
bon fille
,
je
plaît.
dont
le
procureur du
sollicité l'approbation
du regard
roi ;
eh
M. Noirtier déshérite, dites-vous, mademoiselle
Valentine, parce qu'elle va épouser M. le baron Franz
d'Épinay
—
?
Eh mon Dieu I
Villefort
— La
1
en haussant
oui
,
Monsieur
;
voilà la raison
,
dit
les épaules.
raison visible
,
du moins
,
ajouta
madame de
Villefort.
— mon
La raison
réelle,
Madame. Croyez-moi,
— Conçoit-on cela? répondit vous
je
je connais
père.
le
la
jeune femme; en quoi,
demande, M. d'Epinay
déplaît-il plus
qu'un
autre à M. Noirtier?
— ney, fait
En le
effet, dit le
fils
comte,
j'ai
connu M. Franz d'Épi-
du général de Quesnel,
baron d'Épinay par
le roi
n'est-ce pas, qui a été
Charles
X?
— Justement, reprit — Eh bien mais c'est un jeune homme charmant, Villefort.
1
me
semble
— Aussi dit
n'est-ce qu'un prétexte, j'en suis certaine,
madame
de Villefort; les vieillards sont tyrans de
leurs affections fille
—
ce
1
;
M. Noirtier ne veut pas que sa
petite-
se marie.
Mais,
dit
Monte-Cristo, ne ^-onnaisse^- vous pas une
cause à celte haine ?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Eh
mon
!
Dieul qui peut savoir
29
?
— Quelque antipathie politique peut-être — En père de M. d'Épinay mon père et
ont
vu que
les
?
effet
le
,
vécu dans des temps orageux dont je
n'ai
derniers jours, dit Villefort.
—
Votre père
comme
quelque chose
— Mon
me
?
demanda
rappeler que vous m'avez
dit
cela.
père a été jacobin avant toutes choses
,
reprit
emporté par son émotion hors des bornes de
Villefort,
prudence,
robe de sénateur que Napoléon
et la
jetée sur les épaules ne
homme, mais s.;^irair,
pas bonapartiste
n'était-il
Monte-Cristo. Je crois
faisait
sans l'avoir changé.
la
lui avait
que déguiser
le vieil
Quand mon père con-
ce n'était pas pour l'empereur, c'était contre les
BourLons qu'il n'a
;
mon
car
père avait cela de terrible en
lui,
jamais combattu pour les utopies irréalisables,
mais pour
les
choses possibles, et
qu'il a
appliqué à la
réussite de ces choses possibles ces terribles théories de la
Montagne, qui ne reculaient devant aucun moyen.
— Eh bien! M. Noirtier
Monte-Cristo, voyez-vous, c'est cela
dit
M. d'Épinay se seront rencontrés sur
et
de la politique. M.
le
général d'Épinay, quoique ayant
servi sous Napoléon, n'avait-il pas
au fond du cœur gardé
des sentiments royalistes, et n'est-ce pas assassiné
un
l'avait atdré
.
le sol
même qui
le
fu
soir sortant d'un club napoléonien,
où on
un
frère?
dans l'espérance de trouver en
Villefort regarda le
lui
comte presque avec terreur.
— Est-ce que me trompe? Monte-Cristo. — Non pas. Monsieur, madame de je
dit
Villefort, et
dit
c'est bien cela,
au
contraire
;
et c'est
justement à cause de
ce que vous venez de dire que, pour voir s'éteindre de vieilles haines,
M. de
Villefort avait
eu
l'idée
aimer deux enfants dont les pères s'étaient haïs.
de faire
,
uE COMTE DE MONTE-CRISTO.
80
-— Idée sublime
1
dit
Monle-Crislo, idée pleine de cha-
monde
Eo
rité et
à laquelle
c'était
beau de voir mademoiselle Noirtier de
le
madame Franz
8'appcler
devait applaudir.
d'Épinay.
Villefort tressaillit et regarda Monte-Cristo
eût voulu
au fond de son cœur
lire
effet
Villefort
comme
s'il
l'intention qui avait
dicté les paroles qu'il venait de prononcer.
Mais
le
comte garda
sur ses lèvres
de son regard,
sourire stéréotypé
le bienveillant
encore, malgré la profondeur
et celte fois
;
procureur du roi ne
le
pas au delà do
vit
î'épiderme.
— Aussi,
quoique ce
reprit Villefort
malheur pour Valcnline que de perdre
soit
un grand
la fortune
de son
grand-père, je ne crois pas cependant que pour cela
le
mariage manque; je ne crois pas que M. d'Épinay recule devant cet échec pécuniaire
mieux que
être
de
lui tenir
ma
leurs, est riche
madame
;
verra que je vaux peut-
il
somme moi
qui la sacrifle au désir
,
parole
;
il
calculera que Valcntine
,
d'ail-
du bien de sa mère, administré par M.
de Saint-Méran, ses aïeuls maternels, qui
chérissent tous
—
la
et la
deux tendrement.
Et qui valent bien qu'on les aime et qu'on les
«oigne
comme
Valentine a
dame de Villefort un mois au plus,
;
fait
d'ailleurs,
et Valentine,
dispensée de s'enterrer
pour M. Noirtier,
ils
dit
ma-
vont venir à Paris dans
après un
comme
elle
tel affront,
l'a
fait
sera
jusqu'ici
auprès de M. Noirtier.
Le comte écoutait avec complaisance
la
voix discor-
lante de ces amours-propres blessés et de ces intérêts meurtris.
— Mais
il
de silence,
que
me
semble,
et je
je vais dire
;
dit
Monte-Cristo après un instant
vous demande pardon d'avance de ce il
me semble aue
si
M.
Noirtier désbé-
,,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO, mademoiselle de
rite
n'a pas le
il
même
— N'est-ce fort
coupable de se vouloir
Villefort,
marier avec un jeune tort
homme
3«
donl
il
a délesté
père
le
à reprocher à ce cher Edouard.
pas, Monsieur? s'écria
madame de
avec une intonation impossible à décrire
:
Ville-
n'est-ce
pas que cest injuste, odieusement injuste? Ce pauvre
Edouard,
il
est aussi bien le petit-fils de
Valentine, et cependant ser M.
Franz
si
M. Noirlier
,
son bien
lui laissait tout
de plus, enfin, Edouard porte qui n'empêche pas que,
M. K^irtier que
Valentine n'avait pas dû épou-
même
nom
le
;
et
de la famille, ce
en supposant que Valen-
effectivement déshéritée par son grand-père
tine soit
encore
elle sera
trois fois
Ce coup porté,
— Tenez,
le
plus riche que
comte écouta
et
lui.
ne parla plus.
monsieur
reprit Villefort, tenez,
le
comte,
cessons, je vous prie, de nous entretenir de ces misères
de famille; oui,
c'est vrai,
ma
fortune va grossir le revenu
des pauvres, qui sont aujourd'hui les véritables riches.
Oui,
mon
père m'aura frustré d'un espoir légitime, et
cela sans raison
de sens, j'avais
;
mais moi
j'aurai agi
comme un homme
promis
revenu de
le
comme un homme
de cœur. M. d'Épinay, à qui cette
somme
,
le
recevra
dussé-je m'imposer les plus cruelles privations.
— Cependant
,
reprit
madame
de Villefort
,
revenant à
murmurât sans cesse au fond de son cœur , peut-être vaudrait-il mieux que l'on confiât cette mésaventure à M. d'Épinay et qu'il rendît lui-môme sa
.a seule idée qui
,
Darole.
— Oh
!
ce serait
un grand malheur
I
s'écria Villefort.
— Un grand malheur? répéta Monte-Cristo. — Sans doute, mariage manqué, de
la
reprit Villefort
même
en se radoucissant
;
un
pour des raisons dargent, jette
défaveur sur ime jeune
fille
;
puis, d aaciens bruits
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
5î
que
je voulais éteindre reprendraient de la consistance.
Mais non
homme,
,
n'en sera rien. M. d'Épinay
il
de Valentine qu'auparavant
— Je
comme
pense
autrement
;
dans un simple but d'avarice
,
esl
s'il
agirait
il
M. de Villcfort,
dit
Monte-Cristo
madame de Villcfort amis pour me permettre de
assez de ses
un
conseil, je l'inviterais
nir, à ce
que
m'a
l'on
dit
enfin
une
M. de
Villcfort.
— Bien
du moins, à nouer
,
dit-il
voilà tout ce
,
en tendant
monde
— Monsieur, ;
visible, tandis
que
je
demandais tel
il
;
n'y a rien de changé à nos projets.
comte,
le
monde,
tout injuste qu'il
vous en réponds, gré de voire réso-
je
vos amis en seront
fiers, et
M. d'Épinay,
prendre mademoiselle de Villcfort sans dot saurait être
,
et je
que vous,
considère ce qui est arrivé aujourd'hui
dit le
vous saura,
lution
pour
main à Monte-Cristo. Ainsi donc, que
la
ici
comme non avenu est,
celte affaire
pàlissaft légèrement.
prévaudrai de l'opinion d'un conseiller
tout le
donner
puisque M. d'Épinay va reve-
Ce dernier se leva, transporté d'une joie
dit-il
lui
partie dont l'issue doit être si honorable
que sa femme
me
et si j'é-
;
ne se put dénouer; j'engagerais
fortement qu'elle
Li
,
donc
non, c'est impossible.
:
en fixant son regard sur lais
honnête
engagé par rexhércdaiion
se verra encors plus
,
dùl-il
ce qui ne
sera charmé d'entrer dans une famille où
l'on sait s'élever à la
hauteur de
tels sacrifices
pour
tenir
sa parole et remplir son devoir.
En il
disant ces mois, le comte s'était levé et s'apprêtait
partir. —
ùc:
-
Vous nous
quittez,
monsieur
le
comte?
dit
madame
Vjljeiort.
— J'y
suis forcé
rapiielei voi'e
,
Madame
,
je venais
promesse pour samedi.
seulement vott»
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
33
— Craignez-vouâ que nons i'ôutîiassions — Vous êtes trop bonne, Madame; mais M. ?
fort
a de
graves
si
et parfois
de
si
de Ville-
urgentes occupA-
lions...
—
ma-
;Mon mari a donné sa parole, Monsieur, dit
dame de quand
vous venez de voir
Villefcrt,
qu'il la
tient
a tout à perdre, à plus forte raison quand
il
il
a
tout à gagner.
—
demanda
Et,
—
Non
maison des
Villefort, est-ce à votre
Champs-Elysées que
réunion a lieu?
la
pas, dit Monte-Cristo, et c'est ce qui lend
encore votre dévouement
plus méritoire
:
à la
c'est
campagne.
— A campagne? — Oui. — Et où cela? près de Paris, n'est-ce pas? — Aux portes, à une demi-lieue de barrière, la
la
à
Au-
teuil.
—
A
Auteuill s'écria Villefort. Ahl c'est vrai,
dame m'a c'est
ma-
que vous demeuriez à Auteuil, puisque
dit
chez vous qu'elle a été transportée. Et à quel en-
droit d'Auteuil?
— Rue de — Rue de alranglée
;
la
Fontaine
la
I
Fontaine!
et à quel
reprit Villefort d'une voix
numéro?
— Au n' 28. — Mais, s'écria Villefort, c'est donc à vous que l'on a yendu •
la
maison de M. de Saint-Méran?
- Dp m.
de Saint-Méran? demanda Monte-Crista
Cette maison appartenait-elle donc à M. de Saint-Meran
—
Oui, reprit
madame
une chose, monsieur
— Laquelle?
le
de Villefort
comte?
,
et
croyez-vouf
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
S4
— Vous trouvez celle maison n'esl-ce pasY — Charmante. — Eh bien mon mari n'a jamais voulu l'habiter. — Chl reprit Monte-Cristo, en vérité, Monsieur, jolie,
I
une prévention dont
je
me
ne
— Je n'aime pas Auteuil, Monsieur, reur du
en faisant un
roi,
c'est
rends pas compte.
effort
répondit
procu-
le
sur lui-même.
—
Mais je ne serai pas assez malheureux, je l'espère, Ht avec inquiétude Monte-Cristo, pour que celle antipathie
me
que
du bonheur de vous recevoir?
prive
— Non,
monsieur
— Oh!
le
que
je ferai tout ce
comte... j'espère bien... croyez je pourrai, balbutia Villefort.
répondit Monte-Cristo, je n'admets pas d'ex-
cuse. Samedi, à six heures, je vous attends, el
ne veniez pas, sur
que
moi?
si
vous
y a maison inhabitée depuis plus de vingt ans
cette
je croirais,
quelque lugubre
tradition,
sais-je,
qu'il
quelque sanglante légende.
vivementVillefort. monsieur — comte, — Merci, Monte-Cristo. Maintenant faut que vous j'irai, dit
le
J'irai,
dit
me
il
permettiez de prendre congé de vous.
— En nous
fort, et
faire,
vous avez
effet,
quitter,
vous
monsieur alliez
même,
quand vous vous
une autre
—
vous
Bah
que vous dit
je crois,
étiez forcé de
madame de
Ville-
nous dire pourquoi
êtes interrompu
pour passer à
idée.
— Fu vérité, Madame, j'oserai
dit
comte,
le
!
dire
où
dit
Monte-Cristo, je ne sais
si
je vais.
dites toujours.
— Je vais, en véritable badaud que
je suis, visiter
une
ehose qui m'a bien souvent fait rêver des heures entières. Laquelle?
— Un télégraphe. Ma tant voilà mol lâché. — Un télégraphe répéta madame de Villefort. foi
'
pis,
le
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Eh mon
5Ç
un télégraphe. J'ai vu parfois 1 bout Q'un chemin, sur un tertre, par un heau soleil, se lever ces bras noirs et pliants pareils aux pattes d'uiî immense coiéoptère, et jamais ce ne fut sans émof ,n, je vous jure, car je pensais que ces signes bizarre^ sp.ndant l'air
Dieu, oui,
avec précision, et portant à
lonlé inconnue
homme
d'un
trois cents lieues la
assis devant
une
rj.
table, à
un autre nomme assis à l'extrémité de la ligne devani une autre table, se dessinaient sur le gris du nuage ou sur l'azur du ciel, par la seule force du vouloir de ce chef tout-puissant je croyais alors aux génies, aux sylphes, aux gnomes, aux pouvoirs occultes enfin, et je :
Or, jamais l'envie ne m'était
riais.
venue de voir de près aux pattes noires et
ces gros insectes au ventre blanc,
maigres, car je craignais de trouver sous leurs ailes de pierre le petit génie
humain, bien gourmé, bien pédant,
bien bourré de science, de cabale ou de sorcellerie. Mais
beau matin
voilà qu'un
chaque télégraphe
était
appris que le moteur de
j'ai
un pauvre
diable d'employé à
douzft cents francs par an, occupé tout le jour à regarder,
non pas
comme
le
le ciel
comme
pécheur, non pas
l'astronome,
le
paysage
non pas
l'eau
comme un
cer-
veau vide, mais bien l'insecte au ventre blanc, aux pattes noires, son correspondant, placé à quelque quatre ou lui. Alors je me suis senti pris d'un désir curieux de voir de près cette chrysalide vivante et d'as-
cinq lieues de
sister
à
la
comédie que du fond de sa coque
à cette autre chrysalide, tres
quelques bouts de
en
tirant les
donne
eîlc
uns après
les
au-
ficelle.
— Et vous allez là? — J'y vais.
—
A
quel télégraphe?
ricbr ou de
A
l'Observatoire?
celui
du ministère de '^
l'inlé-
t
LE COMTE DE MUISlli-tRlSlO.
se
— Ohl
non pas,
trouverais là des gens qui rou-
je
draient n^e forcer de
comprendre des choses que
icnorer, et qui m'expliqueraient malgré qu'ils
ne connaissent pas. Peste
sions
que
donc
veux
veux garder
les illu-
encore sur les insectes; c'est bien assez
j'ai
d'avoir déjà perdu celles n'irai
je
!
je
moi un vnyslère
que
j'avais sur les
hommes.
au télégraphe du ministère de
ni
Je
l'intérieur,
au télégraphe de l'Observatoire. Ce qu'il me faut, c'est télégraphe en plein champ, pour y trouver le pur bon-
ni le
homme
—
pétrifié
Vous
êtes
dans sa tour.
un
singulier grand seigneur, dit Ville-
fort.
— Quelle ligne me conseillez-vous d'étudier? — Mais plus occupée à cette heure. — Bon! celle d'Espagne, alors — Justement. Voulez-vous une du ministre pour la
?
lettre
qu'on vous explique...
— Mais non, contraire,
où
dit
Monte-Cristo, puisque je vous dis, au
que je n'y veux rien comprendre.
comprendrai quelque chose,
j'y
télégraphe,
il
il
Du moment
n'y aura plus de
n'y aura plus qu'un signe de
M. Ducbàtel
ou de M. de Montalivet, transmis au préfet de Hayonne et travesti en doux mots grecs T-nlt, yfxkfziv. C'est :
la
bote
aux
pattes noires et le
mol
conserver dans toute sa pureté
et
cITrayant
que
dans toute
je
ma
veux véné-
ration.
— et
Mlez donc, car dans deux heures
vous ne verrez plus
— Diable vous m'effrayez. Quel est — Sur route de lîayonne — Oui, va pour route de Bayonne. — C'est celui de Châtillon. I
la
il
fera nuit, et
rien.
?
la
*- Et après celui de Cliâlillooî
le
plus proche
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Celui de —
Merci
la tour
de Montlhéry, je
au revoir
,
!
Samedi
je
37
croiii.
vous raconterai mes
impressions.
A
la porte, le
comîe se trouva avec
les
deux notaires
qui venaient de déshériter Valentine, et qui se retiraient
enchantés d'avoir
de leur
faire
fait
un
acte qui ne pouvait
manquer
grand honneur.
IV LE MOYEN DE DÉLIVRER UN JARDINIER DES LOIRS QUI MANGENT SES PÊCHES.
Non pas
même
le
lendemain matin,
le
comme
soir,
il
l'avait dit,
comte de Monte-Cristo
mais
sortit
le
par la
barrière d'Enfer, prit la route d'Orléans, dépassa le vil-
lage de Linas sans s'arrêter au télégraphe qui, juste-
ment au moment où
le
comte passait,
faisait
mouvoir ses
longs bras décharnés, et gagna la tour de Montlhéry, tuée,
comme chacun sait,
plaine de ce
la
Au un
si-
sur l'endroit le plus élevé de
nom.
pied de la colline, le comte mit pied à terre, et par
de
petit sentier circulaire, large
commença de
gravir la
dix-huit pouces,
montagne arrivé au sommet, ;
il
une haie sur laquelle des fruits verts avaient succédé aux fleurs roses et blanches. se trouv» arrêté par
Monte-Cristo chercha
la
porte
tarda point à la trouver. C'était
du
une
petit enclos, et
roulant sur des gonds d'osier et se fermant avec
une ficelle. En un instant le comte mécanisme et la porte s'ouvrit. et
TOME
IV.
ne
petite herse en bois,
fut
un cloo au courant du
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
88
Le comte se trouva alors dans un petit jardin de vingt pieds de long sur douze de large, borné d'un côté par la partie
dfe .a
haie dans laquelle était encadrée l'ingénieuse
machine que nous avons décrite sous de
•t
.^mée de ravenelles
On
et
nom
le
de
l'autre par la vieille tour ceinte
de porte
lierre, toute
par
de giroflées.
n'eût pas dit, à la voir sjnsi ridée et fleurie
comme
UD3 aïeule à qui ses petits-enfants viennent de souhaiter lît fête, qu'elle pourrait raconter liien des drames terribles si elle
une voii aux
joignait
menaçantes qu'un
oreilles
vieax proverbe donne aux murailles.
On
parcourait ce jardin en suivant
une
allée sablée de
sable rouge, sur lequel mordait, avec des tons qui eussent réjoui l'œil de Delacroix, notre
Rubens moderne, une
bordure de gros buis, vieille de plusieurs années. Cette allée avait la
manière à
forme d'un
faire
en s'élançant, de
8, et tournait
dans un jardin de vingt pieds une prome-
nade de soixante. Jamais Flore, déesse des bons jardiniers
riante
la
latins,
d'un culte aussi minutieux et aussi pur que
qu'on
En
lui
l'était
celui
rendait dans ce petit enclos.
effet,
de vingt rosiers qui compo. aient
pas une feuille ne portait la trace de petite
fllei la
et fraîche
n'avait été honorée
la
le parterre,
mouche, pas un
grappe de pucerons verts qui désolent
et
rongent les plantes grandissant sur un terrain humide.
Ce
n'était
lardin
;
cependant point l'humidité oui manquait à ce
la terre
noire
comme
de
la suie
,
l'opaque feuil-
lage des arbres, le disaient assez; d'ailleurs l'humidité taclice eût
promptement suppléé à l'humidité naturelle,
giice au tonneau plein d'eau croupissante qui creusait
on des angles du jardin, et dans lequel stationnaient, sur une nappe verte, une grenouille et un crapaud qui, par (Dcompalibililé d'buxnenr
.
sans doute
,
se tenaient tou-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. lours,
3î>
en se tournant le dos, aux deux points opposés du
Tercle.
D'ailleurs, pas
une herbe dans
les allées,
ton parasite dans les plates-bandes;
émcnde avec moins de
polit et
pas un reje-
une petite-maîtresse
soin les géraniums, les
cactus et les rhododendroDS de sa jardinière de porcelaine
que ne
le faisait le
maître jusqu'alors invisible du
petit enclos.
Monte
Cri sto s'arrêta après avoir
agrafant la ficelle à son clou
,
refermé
la porte
en
embrassa d'un regard
et
toute la propriété.
—
Il
parait
,
dit-il
jardiniers à l'année,
que l'homme du télégraphe a des
,
ou se
passionnément à
livre
l'agri-
culture.
Tout à coup
il
se heurta à quelque chose
,
tapi der-
une brouette chargée de feuillage ce quelque chose se redressa en laissant échapper une exclamation qui
rière
:
peignait son étonnement, et Monte-Cristo se trouva en
bonhomme
face d'un
d'une cinquantaine d'années qui plaçait sur des feuilles
ramassait des fraises qu'il
de
vigne. Il
de
y avait douze feuilles de vigne et presque autant
fraises.
Le bonhomme, en se relevant,
faillit
laisser
choir
fraises, feuilles et assiette.
— Vous Cristo
faites
votre récolte
Monsieur
,
— Pardon, Monsieur, répondi'. tant la vrai,
?
dit
Monte-
en souriant. le
mais je viens d'en descendre à
— Que je ne vous gêne en cueille?:
vos
— J'en
ai
fraises,
si
encore di^
rien,
por-
l'instant
mon ami,
même.
dit le
comte
;
vous en reste encore. l'homme, c»r en voici onze.
toutefois dit
bonhomme en
jo ne suis pas là-haut, c'est
main à sa casquette,
il
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
40
et j'en avais
vingt et une, cinq de plus que l'année der-
nière. Mais ce n'est pas étonnant, le printemps a été
aux
celle année, et ce qu'il faut
chaud
la chaleur.
vouS, Monsieur, c'est
de seize que
eues l'année passée, j'en
j'ai
voyez-
fraise?
Voilà pourquoi, au lieu ai cette
année,
voyez-vous, onze déjà cueillies, douze, treize, quatorze, quinze, seize, dix-sept, dix-huit. Oh!
manque deux elles
y étaient, j'en suis sûr, je les
que ce soit flées
;
je
de
le fils
mon Dieu
y étaient encore
elles
,
la
ai
I
comptées.
mère Simon qui me
il
m'en
Monsieur,
hier,
Il
faut
les ait souf-
vu rôder par ici ce matin. Ahl le petit drôle, un enclos il ne sait donc pas où cela peut le
l'ai
voler dans
!
mener.
— En
Monte-Cristo, c'est grave, mais vous
dit
effet,
ferez la part de la jeunesse
du délinquant
et
de sa gour-
mandise.
— Certainement, moins
est pas
fort
pardon, Monsieur attendre ainsi
Et
il
:
dit le jardinier
;
cependant ce n'en
désagréable. Mais, encore une fois, c'est peut-être
un chef que
je fais
?
interrogeait d'un regard craintif le
comte
et
son
habit bleu.
— Rassurez-vous, mon ami, à sa volonté,
rire qu'il faisait,
lant, et
qui cette
fois
dit le si
comte avec ce sou-
terrible et si bienveil-
n'exprimait que la bienveillance, je
ne suis point un chef qui vient pour vous inspecter, mais
un simple voyageur conduit par nnence
vous
même
qui com-
perdre votre temps.
fait
— Oh
la curiosité et
à se reprocher sa visite en voyant qu'ii
mon temps n'est pas cher, répliqua le homme avec un sourire mélancolique. Cependant le
I
temps du gouvernement,
mais j'avais reçu
le signal
et je
ne devrais pas
le
bonc'es
perdre
qui m'annonçait que je poa-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. vais
me reposer une heure
(il
4t
yeux sur un cadran
jeta les
y avait de tout dans l'enclos de Montlhéry, même un cadran solaire), et, vous solaire, car
j'avais encore dix
mûres,
étalent
voyez,
minutes devant moi, puis mes
frajses
un jour de
et
foi,
non
,
de
le
vous, Monsieur, que les
— Ma
la tour
il
loirs
ne
je
plus... D'ailleurs, croiriei-
me les mangent?
l'aurais pas cru, répondit grave-
ment Monte-Cristo c'est un mauvais voisinage, Monsieur, que celui des loirs, pour nous qui ne les man;
geons pas confits dans du miel mains.
,
— Ahl
Romains
les
mangeaient
ils
les
CMMne
faisaient les
Ro-
Jm^ mangeaient?
fit
le jardinier;
les loirs?
— comte. lu cela dans Pétrone, — Vraiment? Ça ne doit pas être bon, quoiqu'on dise dit le
J'ai
Gras
comme un
sieur,
que
Et ce n'est pas étonnant,
loir.
les loirs soient gras,
:
Mon
attendu qu'ils dorment
toute la sainte journée, et qu'ils ne se réveillent que pour
Tenez, l'an dernier, j'avais quatre
ronger toute
la nuit.
abricots
m'en ont entamé un. J'avais
un
;
seul,
Monsieur,
ils il
est vrai
me
ils
que
l'ont
c'est
un
un brugnon,
rare; eh bien!
fruit
à moitié dévoré du côté de la
mu-
un brugnon superbe et qui était excellent. Je n'en jamais mangé de meilleur. Vous l'avez mangé ? demanda Monte-Cristo. C'est-à-dire 'a moitié qui restail, vous comprenez
raille; ai
— —
bien. C'étai» exqu' là
5,
Monsieur.
Ah dame I
1
ces messieurs-
ne choisissent pas les pires morceaux. C'est
fils
de
la
mère
fraises, allez
I
Si:
non,
il
n'a pas choisi les plus
comme
le
mauvaises
Mais cette année, continua l'horticulteur,
soyez tranquille, cela ne m'arrivera pas, dussé-je, quand les fruits seront prêts (farder.
de mûrir, passer
la nuit
pour les
LE COMTE
4Î
E MONTE-CRISTO.
I
homme
Monte-Cristo en avait assez vu. Chaque
aisa
mord au fond du cœur, ccmme chaque son ver; ceUe de l'homme au télégraphe, c'était
passion qui le fruit
l'horticulture.
cœur du
dev'gne qui
se mil à cueillir les feuilles
Il
cachaient les grappes au soleil Jardinier.
,^^se ccuquit par
là le
""^R,*'
— Monsieur venu pour v(^46 télégraphe — Oui, Monsieur, toutefois cela n'est pas défendu ? dit-il.
était
si
par les règlements.
— Oh
!
pas défeiK^^e moins du monde, dit le jardi-
n^^ifcâiéide dangereux, vu que per-
nier, attendu qu'il
sonne ne
—
ne peut savoir ce que nous disons.
sait ni
On m'a
dit,
en
ijffel,
même,
wf^'— Certainemeii PTwsieur,
dit
comte, que vous ré-
reprit le
vous ne compreniez pas vous-
pétiez des signauijiroe '
et
j'aime bien
mieux
cela,
en riant l'homme du télégraphe.
— Pourquoi aimez-vous mieux cela? — Parce que, de cette façon, je pas n'ai
hilité.
de responsa-
Je suis une machine, moi, et pas autre chose, et
pourvu que
je fonctionne,
on ne m'en demande pas da-
vantage.
—
Diable
ûl
!
Monte-Cristo en lui-même,
par hasard je serais tombé sur pas d'ambition? Morbleu
—
Monsieur,
dit le
801 «tadran solaire, ermettez-moi de vous faire une question.
— — — —
rasse
Faites.
Vous aimez le jardinage? Avec passion. Et vous seriez heureux, au lieu d'avoir une de vingt pieds, d'avoir un enclos de deux
ter-
ar-
pents?
— — — — — —
Monsieur, j'en ferais un paradis terrestre.
Avec vos Assez mal
mille francs vous vivez
mal?
mais enfln je vis. Oui; mais vous n'avez qu'un jardin misérable.
Ah
I
;
c'est vrai, le jardin n'est
Et encore,
tel qu'il est,
il
est
pas grand.
peuplé de
loirs qui
dévorent tout.
— Ça, c'est mon Oéau. — vous aviez T)ites-raoi\ si
tète,
— —
quand Je ne
le
le
malheur de
tourne»- fa
correspondant de droite va marcher?
le verrais pas.
Alors, qu'arriverait-il?
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
46
— — —
Que
je
ne pourrais pas répéter ses signaux»
Et après? II
arriverait que,
l^ente, je serais
—
ne
pas répétés par négll-
les ayant
mis à l'amende.
—
De combien ? De cent francs.
—
Le dixième de votre revenu
— Ail l'employé. — Cela vous est arrivé — Une Monsieur, une
;
c'est joUI
fit
!
? dit
fois,
Monte-Cristo.
fois
que
je greffais
un
ro
sier noisette.
—
Bien. Maintenant,
si
vous vous avisiez de chan-
ger quelque chose au signal, ou d'en transmettre autre
— drais
— —
Alors, c'est différent, je serais renvoyé et je per-
ma
pension.
Trois cents francs?
Cent écus, oui. Monsieur; aussi vous comprenez
que jamais
—
un
?
je
ne
môme
Pas
ferai rien
de tout cela.
pour iiuinze ans de vos appointements?
Voyons, ceci mérite réflexion, hein
— — — — — — —
Pour quinze mille francs? Oui.
Monsieur, vous m'effrayez. IJah!
Monsieur, vous voulez
me
tenter?
Justement! Quinze mille francs, comprenez vous? Monsieur, laissez-moi regarder
de droite
mou
correspondant
I
— Au contraire, ne regardez pas et regardez ceci. — Qu'est-ce que c'est? le
—
Comment
plers-Ià?
1
vous ne connaissez pas cei
petits pA-
^ COMTE DE MONTE-CRISTO.
47
— Des de banque — Carrés y en a quinze. — El à qui «ont-ils? — A vous, vous voulez. — Amoil s'écria l'employé suffoqué. — Oh mon Dieu, oui à vous, en toute propriété. — Monsieur, voilà mon correspondant de droite qai billets ;
I
il
si
!
I
marche.
— Laissez-le marcher. — Monsieur, vous m'avez
distrait,
et je vais être
à
J'amende.
— Cela vous coûtera cent francs vous avez tout
intérêt à prendre
;
vous voyez bien que
mes quinze
billets
de
banque.
— Monsieur, il
le
correspondant de droite s'impatiente,
redouble ses signaux.
— Laissez-le
faire et prenez.
Le comte mit
le
— Maintenant, mille francs
paquet dans la main de l'employé.
dit-il,
ce n'est pas tout
:
avec vos quinze
vous ne vivrez pas.
— J'aurai toujours ma place. — Non, vous la perdrez car vous allez faire un autre ;
signe que celui de votre correspondant.
— Oh Monsieur, que me proposez-vous là? — Un enfantillage. — Monsieur, à moins que d'y être — Je compte bien vous y forcer effectivement. 1
forcé...
Et Monte-Cristo
tira
de sa poche un
— Voici dix autres mille francs,
autrf»
dit-il;
paquet.
avec
les
quinze
qui sont dans votre poche, cela fera vingt-cinq mille.
Avec cinq maison autres,
mille francs vous achèterez
une jolie petite deux arpents de terre avec les vingt miUd vous vous ferez mille francs de rente. et
;
LE COMTE DE iMONTE-CUlSTO.
48
— Vn jardin de deux arpents ? ~ Et mille francs de rente. — Mon Dieu mon Dieul — M;iis prenez donci !
Et Monte-Cristo mil de force les dix mille francs dans !a
main de l'employé.
— Que dois-je faire? — Rien de bien — Mais enfin? — Répéter les signes que voici. difficile.
Monte-Cristo
tira
l'ordre dans lequel
— Ce
de sa poche un papier sur lequel
ils
devaient être
ne sera pas long,
il
y
numéros indiquant
tout tracés, des
signes
avait trois
faits.
comme vous
voyez.
— Oui, mais... —
C'est
pour
coup que vous aurez des brugnons,
le
et
de reste.
Le coup porta gouttes, le trois
;
rouge de fièvre
bonhomme exécuta
les
et
suant à grosses
uns après
les autres les
signes donnés par le comte, malgré les effrayantes
dislocations
du correspondant de
droite, qui,
ne compre-
nant rien à ce changement, commençait à croire que
l'homme aux brugnons
devenu
était
fou.
Quant au correspondant de gauche, cieusement
les
mômes
il
répéta conscien-
signaux, qui furent recueillis dé-
finitivement au ministère de l'intérieur.
—
Maintenant, vous voilà
riclie, dit
Monte-Cristo.
— Oui, répondit l'employé, mais à quel prixl — fîcoutez, mon ami Monte-Cristo, je ne veux pas ,
que vous TOUS
jure,
ayf!Z
dit
des remords
vous n'avez
fait
;
de
croyez-moi donc, car, je tort à
personne,
et
vous
avez servi les projets de Dieu.
L'employé
re^arr^ait les billets
de banque, les palpail
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. les comptait
il
;
cipita ""ers sa il
était pâle,
il
était
rouge
;
enfin,
49 il
se pré-
chambre pour boire un verre d'eau
;
mais
n'eut pas le temps d'arriver jusqu'à la fontaine, et
il
s'évanouit au milieu de ses haricots secs.
Cinq minutes après que
la
arrivée au ministère, Debray
coupé,
et
nouvelle télégraphique fut fit
mettre les chevaux à son
courut chez Danglars.
— Votre
mari a des coupons de l'emprunt espagnci?
à la baronne.
dit-il
— Je crois bien en a pour six millions. — Qu'il les vende à quelque prix que ce — Pourquoi cela? — Parce que don Carlos sauvé de Bourges il
?
soit.
s'est
et est
rentré en Espagne.
— Comment savez-vous cela? — Parbleu, Debray en haussant les épaules, comme dit
je sais les nouvelles.
La baronne ne
se le
fit
pas répéter deux
fois
:
elle
courut chez son mari, lequel courut à son tour chez son agent de change et
Quand on
vit
lui
ordonna de vendre à tout prix.
que M. Danglars vendait,
les fonds
espa-
gnols baissèrent aussitôt. Danglars y perdit cinq cent mille francs, mais
Le
soir
on
lut
il
se débarrassa de tous ses coupons.
dans
le
Messager :
Dépêche télégraphique. m
Le
roi
don Carlos a échappé à
la
surveillance qu'on
exerçait sur lui à Bourges, et est rentré en la frontière
faveur.
Espagne par
de Catalogne. Barcelone s'est soulevée en sa
»
Pendant toute la soiréB il ne fut bruit que de la préToyance de Danglars, qui avait vendu ses coupons, et da
LE COMTE DE MONTE-GRISIT.
«0 bonheur de francs sur
l'agioteur, qui
un
ne perdait que cinq cent mHl«
pareil coup.
Ceux qui avaient conservé leurs coupons ou acheté «eux de Danglars se regardèrent comme ruinés et passèune fort mauvaise nuit. Le lendemain on lut dans le Moniteur : « C'est sans aucun fondement que le Messager a auloncé hier la fuite de don Carlos et la révolte de Bar-
rent
celone. «
Le
roi
don Carlos n'a pas quitté Bourges,
et la
Pé-
ninsule jouit de la plus profonde tranquillité. «
Un
signe télégraphique, mal interprété à cause da
brouillard, a
donné
lieu à cette erreur,
»
Les fonds remontèrent d'un chiffre double de celui où ils étaient descendus. Cela
fit,
en perte
et
en manque à gagner, un million
de différence pour Danglars.
— Bon!
dit
Monte-Cristo à Morrel, qui se trouvait chez
au moment où on annonçait l'étrange revirement de Bourse dont Danglars avait été victime je viens de faire lui
;
pour vingt-cinq mille francs une découverte que j'eusse payée cent mille.
— Que venez-vous donc de découvrir? demanda Maximilien.
— Je viens
de découvrir
le
moyen de
délivrer
iioier des loirs qui lui mangeaient ses pêches
un jar-
LK COMTE DE MONTE-CRISTO.
bi
LES FANTOMES.
A
première vne,
la
et
examinée du
deiiors, Ja maisc%'
d'Auteuil n'avait rien de splendide, rien de ce qu'on pouvait attendre
d'une habitation destinée au magnifique
ie Monte-Cristo
comtfc
:
mais cette simplicité
tenait à la
volonté du maître, qui avait positivement ordonné que rien
ne fût changé à
l'extérieur;
il
n'était
besom pour
convaincre que d^ considérer l'intérieur. porte était-elle ouverte
la
M. Bertuccio
s'était
que
le
s'en
En effet, a peine
spectacle changeait.
surpassé lui-même pour
le
goût
ameublements et la rapidité de l'exécution comme autrefois le duc d'Antin avait fait abattre en une nuit une allée d'arbres qui gênait le regard de Louis XIV, de même âes
en
:
trois
jours M. Bertuccio avait
entièrement nue,
et
venus avec leurs blocs énormes de la façade principale
fait
planter
une cour
de beaux peupliers, des sycomores racines, ombrageaient
delà maison, devant laquelle, au lieu
de pavés à moitié cachés par l'herbe, s'étendait une pelouse de gazon, dont les plaques avaient été posées le
même,
matin
et
qui formait
un vaste
tapis
où
perlait en-
core l'eau dont on l'avait arrosé.
Au
reste, les ordres venaient
remis à Bertuccio un plan où \Sl
du comte; lui-même avait
était
indiqué
le
nombre
et
place des arbres qui devaient être plantés, la forme et
l'espace
Vue
d«.
'a
pe'ouse qui devait succéder aux pavés.
ainsi, la
maison
était
devenue méconnaissable,
et
Bertuccic lui-même protestait qu'il ne la reconnaissait plus, emboîtée qu'elle était dans son cadre de verdure.
n
LE COMTE DE MUNTE-CKISIU. L'inlendanl n'eût pas été fâché, tandis qu'il y était,
quelques transformations au jardin:
faire subir
df»
m?.' s le
comte avait positivement défendu qu'on y touchât en rien. Bertuccio s'en dédommagea en encombrant de cheminées.
fleurs les antichambres, les escaliers ei ies
Ce qui annonçait l'extrême habileté de l'intendant la
pour se
que cette maison, déserte de. sombre et si triste encore la veille
faire servir, c'zst
puis vingt années,
si
imprégnée qu'elle
tout
de celte fade odeur qu'on
était
un jour, le mai
pourrait appeler l'odeur du temps, avait pris en
avec l'aspect de tre,
la vie, les
parfums que préférait
jusqu'au degré de son jour favori
et
comte, en arrivant, avait ses armes
;
là,
oiseaux dont
les il
chiens dont
aimait
le
c'est
que
le
il
aimait les caresses, les
chant ; c'est que toute cette mai-
son, réveillée de son long sommeil Belle
;
sous sa main, ses livres et
sous ses yeux ses tableaux préférés; dans les
antichambres
la
et
profonde science du maître, l'un pour servir, l'autre
au bois dormant,
pareille à ces
comme
le
palais de
vivait, chantait, s'épanouissait,
maisons que nous avons depuis longtemps
chéries, et dans lesquelles, lorsque par
malheur nous
les
nous laissons involontairement une partie de
quittons,
notre àme.
Des domestiques belle cour
:omme
:
s'ils
les
allaient et venaient
joyeux dans
uns possesseurs des cuisines,
cette
et glissant.
eussent toujours habile celte maison, dans dei
escaliers restaurés de la veille, les autres peuplant les re-
mises,
otx les
équipages, numérotés et casés, semblaieni
installés
depuis cinquante ans
vaux au
râtelier rc-pondaieni
Diers, qui leur parlaient
;
et les écuries,
où
en hennissant 5ux
les
che
oalofre-
avec infiniment plus de respect
que eaiicoup de domestiques ne parlent à leurs maîtres. l
La bibliothèque
était
dispo>Mtion d'esprit où nous nous trouvons.
LE'
COMTE DE MONTE-CRISTO.
Villefo-î s'efforça
—
de
75
rire.
Et alors vous comprenez,
dit-^î., il
suffit
d'une sud-
^osition; d'une chimère...
— Eh bien voulez,
!
j'ai la
dit
Monte-Cristo, vous m'en croirez
si vons commis dans
conviction qu'un crime a été
maison.
cette
— Pnenez garde, procureur du
ici le
— Ma
dit
madame de
Villefort,
nous avons
roi.
répondit Monte-Cristo, puisque cela se ren-
foi,
contre ainsi, j'en profiterai pour faire
— Votre déclaration? — Oui, en face de témoins. — Tout cela est intéressant,
ma déclaration.
dit Villefort.
et
fort
dit
Debray;
et s'il
y
a réellement crime, nous allons faire admirablement la digestion.
—
Il
y a crime,
dit
Monte-Cristo. Venez par ici, Mes-
sieurs ', venez, monsieur de Villefort
:
pour que la dé-
aux
claration soit valable, elle doit être faite
autorités
compétente3. Monte-Crioto prit le bras de Villefort, et en même temps qu'il
serrait
sous
le sien celui
traîna le procureur
l'ombre
Tous
était le
3
dit
iéjà vieux,
madame le
Danglars, platane,
il
où
convives suivaient.
du
j'ai fait
travailleurs
,
pied),
ici,
ici,
à cette place même (e
pour rajeunir ces arbres
creuser et mettre du terreau
en creusant
plutôt des ferrures de coffre, le squelette
de
jusque sous
Monte-Cristo,
frappait la terre
mes
roi
plus épaisse.
les autres
— Tenez,
du
,
ont déterré
un
;
eh biec coftre
ou
au milieu desquelles étai
d'un enfant nouveau-né. Ce n'est pas de
la
fantasmagorie cela, j'espire? Monte-Cristo sentit se roidir
U
bras de
glars et frissonner le coignet de Villefort.
madame Dan-
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
76
— Un
nouveau né? répéta Debray diable
enfant
;
devient sérieux
— Eh
me
ce
,
I
ceci
semble.
me
bieni dit Château-Renaud, je ne
trompais
dune pas quand je prétendais tout à l'heure que les mai-
âme
sons avaient une
;
un visage comme
La maison
leurs entrailles.
des remords
et
était triste
hommes,
les
un
sur leur physionomie
et qu'elles portaient
retlet
de
parce qu'elle avait
des remords parce qu'elle cachait
elle avait
un crime.
— Oh tentant
qui
!
dit
que
un dernier
— Comment
I
c'est
un crime?
reprit Villeforl
effort.
enfant enterré vivant dans
un
un
jardin,
ce n'est pas un crime? s'écria Monte-Cristo.
Comment
appelez-vous donc cette action-là, monsieur
1«
reur du roi
procu-
?
— Mais qui dit qu'il a été enterré vivant? — Pourquoi l'enterrer là, était mort? Ce jardin n'a s'il
jamais été
un
cimetière.
—
Que fait-on aux infanticides dans ce pays-ci? demanda naïvement le major Cavalcanti. Oh mon Dieu on leur coupe tout bonnement le I
I
cou, répondit Danglars.
— Ah — Je
I
on leur ceupe
le
cou,
fit
Cavalcanti.
le crois... N'est-ce pas, monsieur de Villefort?
demanda Monte-Cristo.
— Oui,
monsieur
le
comte, répondit celui-ci avec
un
accent qui n'avait plus rien d'humain.
Monte-Cristo vit que
c'était tout
ce que pouvaient
supporter les deux
personnes pour lesquelles
paré cette scène;
et
loin
ne voulant pas
la
il
avait pré-
pousser trop
:
— nous
Mais i
le caf^.
oublions.
Messieurs,
dit-il, il
me
senble que
LU COMTE DE MONTE-CRISTO. Et lieu
il
ramena
77
ses convives vers la tablp placée
an mi-
de la pelouse.
— En
vérité,
glars, j'ai
monsieur
comte,
le
ma
honte d'avouer
dit
faiblesse,
madame Danmais toutes ces
affreuses histoires m'ont bouleversée; laissez-moi m'as seoir, je
vous
prie.
Et elle tomba sur une chaise.
Monte-Cristo la salua et s'approcha de
madame
de
Villefort.
— Je crois que madame votre flacon,
Mais avant que de son amie,
de
Danglars a encore be soin de
dit-il.
le
madame
de Villefort se fût approchée
procureur du
madame Danglars
roi avait déjà dit
à
l'oreille
:
— faut que je vous parle. — Quand cela? — Demain. — Où? — A mon bureau... au parquet Il
encore
—
là l'endroit le
si
vous voulez,
J'irai.
En ce moment madame
de Villefort s'approcha.
— Merci,
dit
chère amie,
madame
Danglars en es-
sayant de souwre, ce n'est plus rien, et je «
fait
c'est
plus sur.
me
sens tout
mieux.
VII LE MENDIANT.
La soirée s'avançait
;
madame
de Villefort avait mani
testé le désir de regagner Taris, ce
que
n'avai*. point
o&6
U: COMTE DE MONTE-CRISTO.
18
madame
faire
Danglars, malgré
le
malaise évident qu'elle
éprouvait.
Sur
donc
la
demande de
sa
femme, M. de
premiei le signal du départ.
le
dans son landeau à
madame
donna
Villefort
Tl olTrit
une place
Danglars, afin qu'elle eût les
femme. Quant à M. Danglars, absorbé dans
soins de sa
une conversation M. Cavalcanti,
il
avec
industrielle des plus intéressantes
ne
faisait
aucune
attention. à tout ce qui
se passait.
Monte-Cristo, tout en demandant son flacon à
madame
de Villefort, avait remarqué que M. de Villefort
approché de tion,
l'avait Tl
Danglars
;
et,
si
bas qu'à peine
si
madame
s'était
guidé par sa situa-
avait deviné ce qu'il lui avait
il
parlé
madame
dit,
quoiqu'il eût
Danglars elle-même
entendu.
laissa,
sans s'opposer à aucun arrangement, partir
Morrel, Debray et Château-Renaud à cheval, et monter les
deux dames dans
côté, Danglars,
le
landeau de M. de Villefort
;
de son
de plus en plus enchanté de Cavalcanti
père, l'invita à monter avec lui dans son coupé.
Quant à Andréa Cavalcanti, l'attendait rait les
devant
la porte, et
agréments de
il
gagna son
tilbury, qui
dont un groom, qui exagé-
la fashion anglaise, lui tenait,
en se
hissant sur la pointe de ses bottes, l'énorme cheval gris
de
fer.
Andréa n'avait pas beaucoup parlé durant le dîner, par cela
môme que
c'était
un garçon
fort intelligent, et qu'il
avait tout naturellement éprouvé la crainte de dire quel•^ue sottise
au milieu de ces convives riches
parmi Icpquols son œil
sans (Tainte un procureur Ensuite,
il
et puissants,
dilaté n'apercevait peut-ôtre
du
pas
roi.
avait été accaparé par M. Danglars, qui,
iDVès un rapide coup d'œil sur
le
vieux mî)or au (Xn
LE COMTE DE MONT&CRISTO. roide et sur son
un peu
encore
fils
79
timide, en rapprt»-
Mont^
chant tous ces symptômes de l'hospitalité de
nabal
Cristo, avaif pensé qu'il avait affaire à quelque
venu vie
à Paris
pour perfectionner son
fils
uniqi'e dans
b
mondaine. avait
Il
donc contemplé avec une complaisance indi-
cible l'énorme diamant qui brillait jor, car le
peur
major, en
qu'il n'arrivât
homme
au
prudent
petit doigt et
quelque accident à ses
que, les avait convertis à l'instant
du ma-
expérimenté, de
même
billets
de ban-
en un objet de
valeur. Puis, après le dîner, toujours sous prétexte d'industrie et de voyages,
il
avait questionné le père et le
sur leur manière de vivre
que
c'était
l'un,
;
et le
père
et le fils,
chez Danglars que devait leur être ouvert, à
son crédit de quarante-huit mille francs, une
donnés, à
charmants
et plein d'afabilité i
banquier, aux domestiques duquel, ils
fois
son crédit annuel de cinquante mille
l'autre,
livres, avaient été
retenus,
fils
prévenus
s'ils
our le
ne se tLisenS
eussent serré la main, tant leur reconnais-
sance éprouvait
Une chose
besoin de l'expansion.
le
surtout augmenta la considération, nous
dirons presque la vénération de Danglars pour Caval canti. Celui-ci, fidèle s'était contenté,
au principe d'Horace:
comme on
l'a
nil
admirari,
vu, de faire preuve de
science, en disant de quel lac on tirait les meilleures
lamproies. PHis dire
un
il
avait
mangé
sa part de celle-là sans
seul mot. Danglars en avait conclu
de sorROJETS
MARIA-^vlî
Le lenflfcmain de celte scène, s coutume de choisir pour veîil
avait
bureau, une petite visite à
ne parut pas dans
mada as
afcmfe aire,
que Debrav
en allant à sou
Danglars, son coupé
la cour.
A cette heure-là c'est-à-dire vers midi et demi madame Danglars demanda sa voiture et sortit. Danglars, placé derrière un rideau, avait guetté cette ,
,
sortie qu'il attendait.
aussitôt
que madame
elle n'était
A deux
Il
donna
l'ordre
reparaîtrait
;
qu'on
le
prévînt
mais à deux heures
pas rentrée.
il demanda ses chevaux, se rendit à la Chambre et se fit inscrire pour parler contre le budget. De midi à deux heures, Danglars était resté à son
heures
:-abinet, décachetant ses
dépêches, s'assombrissant de
plus en plus, entassant chilîres sur chiffres et recevant *;ntre
autres visites celle du major Cavalcanti, qui, tou-
jours aussi bleu, aussi roide et aussi exact, se présenta
l'heure annoncée
avec
le
la
veille
pour terminer sou
affaire
banquier.
Pn sortant de
la
Chamlirc, Danglars. qui avait dooû'i
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lOR
de violentes marques d'agitation pendant la séance
et qui
surtout avait été plus acerbe que jamais contre le minis
remonta dans sa voiture
tère, le
et
ordonna au cocher de
conduire avenue des Champs-Elysées, n" 30. Monte-Cristo
quelqu'un, et
chez
était
priait
il
lui
seulement
;
il
était
avec
Danglars d'attendre un instant an
salon.
Pendant que et
il
d'attendre
dans
comme
maison,
la
appartements
Un
banquier attendait,
le
un homme
vit entrer
habillé
la porte s'ouvrît,
en abbé
lui, plus familier
que
,
qui
lui
,
au
lieu
sans doute
salua, entra dans l'intérieur des
le
et disparut.
instant après
la porte
,
par laquelle
le prêtre était
entré se rouvrit, et Monte-Cristo parut.
— Pardon, aiHis, l'abbé
cher baron, mais un de
dit-il,
mes bons
Busoni, que vous avez pu voir passer, vient
d'arriver à Paris
;
y avait
il
fort
longtemps que nous
étions séparés, et je n'ai pas eu le courage de le quitter
tout aussitôt. J'espère
qu'en faveur du motif, vous
m'excuserez de vous avoir
— c'est
Comment moi qui
ai
donc,
dit
mal
pris
fait
attendre.
Danglars, c'est tout simple;
mon moment,
et je vais
me
retirer.
—
Point
du
Mais, bon Dieu
tout !
asseyez-vous donc, au contraire.
;
qu'avez-vous donc? vous avez
soucieux; en vérité vous m'effrayez. grin est
comme
les
comètes,
il
Un
l'air
tout
capitaliste cha-
présage toujours quelque
grand malheur au monde.
—
J'ai,
mon cher
dit Danglars, que la maumoi depuis plusieurs jours, et que
Monsieur,
vaise chance est sur je n'apprends
— Ah!
que des
mon Dieu
!
sinistres. dit
Monte-Cristo, est-ce que vous
avez eu une rechute à la Bourse?
LE COMTE DE MONTE-CUISTO.
iOf-
—Non, j'en il
suis guéri, pour quelques jours
du moins;
bonnement pour moi d'une banqueroutes
s'agit tout
Iriesle.
— Vraiment? Est-ce que voire banqueroutier ferait par hasard Jar opo jManfredi
— Justement
?
homme
Figurez-vous un
1
qui
faisait,
de-
puis je ne sais combien de temps, pour huit ou neuf cent mille francs par an d'affaires avec moi. Jamais
un mé-
compte, jamais un retard
comme
;
un
gaillard qui payait
on prince... qui paye. Je me mets en avance d'un million
mon
ivec
lui, et
fredi
qui suspend ses payements
ne
voilà-t-il
— En vérité — C'est une
pas
diable de Jacopo
Man-
I
?
fatalité
mille livres, qui
me
inouïe. Je tire sur lui six cent
reviennent impayées, et de plus je
suis encore porteur de quatre cent mille francs de lettres
de change signées par
payables
lui et
toucher
mon
ah
;
affaire
!
bien oui,
le
courant chez
fin
son correspondant de Paris. Nous sommes
le 30, j'envoie
correspondant a disparu. Avec
d'Espagne, cela
me
fait
une
gentille fin de
mois.
—
Mais est-ce vraiment une
votre
perte,
affaire
d'Espagne?
— Certainement, caisse, rien
que
— Comment
sept cent mille francs hors de
ma
cela.
diable avez-vous
fait
une
pareille écoïC,
vous un vieux loup-cervier?
— Eh
!
c'est la faute
de
ma femme. Elle a rêvé que don aux
rêves. C'est
elle ri^ve
une chose,
Carlos était rentré en Espagne ; elle croit
du magnétisme,
dit-elle, et
quand
celte chose, à ce qu'elle assure, doit infailliblemeut arri-
ver. Sur sa conviction, je lui permets de jouer: elle cassette et son agent de chance
:
«Ue joue
i:
sa
et elle perd.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
H
que ce
est vrai
n'est pas
mon
argent, mais le sien
Cependant, n'importe, vous comprendrez
qu'elle joue.
que lorsque sept cent mille francs de la femme,
le
— Si
fait, ;
sortent de la poche
mari s'en aperçoit toujours bien un peu.
Commertl vous ne un bruit énorme. détails
10?
saviez pas cela? Mais la chose a
j'en avais
fait
entendu parler, mais j'ignorais les
puis je suis on ne peut plus ignorant de toutes
ces affaires de Bourse.
— Vous ne jouez donc pas — Moi! comment voulez-vous que je joue? Moi qui ?
et
mes revenus,
je serais
intendant, de prendre encore
un com-
déjà tant de peine à régler
ai
mon
forcé, outre
un garçon de
mis
et
me
semble que
l'histoire ils
pas
de
dit
la
la
caisse. Mais, à propos d'Espagne,
baronne n'avait pas tout à
rentrée de don Carlos. Les journaux n'ont-
quelque chose de cela?
— Vous croyez donc aux journaux, vous — Moi, pas moins du monde mais le
que
il
rêvé
fait
f
me
il
;
semble
cet honnête Messager faisait exception à la règle
qu'il n'annonçait
que
et
,
les
nou-
reprit
Dan-
les nouvelles certaines
,
velles télégraphiques.
— Eh bien glars
;
c'est
!
voilà ce qui est inexplicable
que
cette rentrée de
vement une nouvelle télégraphique. En sorte, dit Monte-Cristo, que
—
mille francs à
,
don Carlos
était effecti-
c'est dix-sept ceiÉ
peu près que vous perdez ce mois-ci ?
— n'y a pas d'à peu près, — Diable pour une fortune
c'est juste
Il
I
1
dit
chiffre. dit
un rude coup. Danglars un peu humilié;
Monte-Cristo avec compassion
— De troisième ordre
mon
de troisième ordre,
,
c'est
que diable entendez-vous par là?
— Sans doute, continua Monte-Cristo, je
fais trois
câ~
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
408
tégories dans les fortunes
fortune de
fortune de premier ordre,
:
deuxième ordre
,
fortune de troisième ordre.
J'appelle fortune de premier ordre celle qui se e
que
trésors
les
la
revenus sur des États
main,
comme
pourvu que ces
l'Angleterre,
et
sous
l'on a
revenus, forment un j'appelle fortune de
total
compose
les terres, les la
mines,
France, rAutriche
trésors, ces mines, ces
d'une centaine de millions;
second ordre les exploitations ma-
Dufacturières, les entreprises par association, les vice-
royautés et les principautés ne dépassant pas quinze cent mille francs de revenu,
tout formant
le
d'une cinquantaine de millions
;
un
capital
j'appelle enfin fortune
de troisième ordre les capitaux fructifiant par intérêts
composés,
les
gains dépendant de la volonté d'autrui ou
des chances du hasard
,
qu'une banqueroute entame,
qu'une nouvelle télégraphique ébranle
;
les spéculations
éventuelles, les opérations soumises enfin
de cette
en
la
comparant à
turelle
:
la force
majeure, qui est la force na-
formant un capital
le tout
fictif
quinzaine de millions. N'est-ce point
^u
aux chances
qu'on pourrait appeler force mineure,
fatalité
1î\
ou
réel d'une
votre position à
prêt, dites?
— Mais dame, oui répondit Danglars. — en résulte qu'avec six de mois comme celleI
fins
Il
,
continua imperturbablement Monte-Cristo
,
une mai-
ion de troisième ordre serait à l'agonie.
— Oh TOUS y
!
Danglars avec un sourire
dit
allez
fort pâle,
comme
I
— Mettons sept mois,
ton. Dites -moi,
répliqua Monte-Cristo
du même
avez-vous pensé à cela quelquefois, que
sept fois dix-sept cent mille francs font douze millions ou
4 peu près?...
Non? Eh bien! vous avez
raison, car
4vec des réflexions pareilles on n'engagerait jamais sôb
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
109
rapitaux, qui sont au financier ce que la peau est à
J'homme
civilisé.
somptueux, il
n'a
Nous avons nos
que sa peau, de
ou moins
habits plus
;
mais quand l'homme meurt
même
qu'en sortant des affaires,
c'est notre crédit
vous n'avez que votre bien réel, cinq ou six millions tout au plus car les fortunes de troisième ordre ne représentent guère que le tiers ou le quart de leur apparence, comme la locomotive d'un chemin de fer n'est toujours, ;
au milieu de
fumée qui l'enveloppe
la
qu'une machine plus ou moins
forte.
et qui la
Eh
bien
cinq millions qui forment votre actif réel,
grossit,
I
sur ces
vous venez
d'en perdre à peu près deux, qui diminuent d'autant votre
ou votre
fortune fictive
crédit; c'est-à-dire,
mon
cher
monsieur Danglars, que votre peau vient
d'être ouverte
par une saignée qui, réitérée quatre
entraînerait la
mort. Eh, eh glars.
faites attention,
!
mon
Avez-vous besoin d'argent
vous en prête
?
fois
,
cher monsieur Dan-
Voulez-vous que je
?
— Que vous êtes un mauvais calculateur!
Dan-
s'écria
glars en appelant à son aide toute la philosophie et toute
de l'apparence
la dissimulation
gent est rentré dans
mes
:
à l'heure
qu'il est, l'ar-
coffres par d'autres spéculations
qui ont réussi. Le sang sorti par la saignée est rentré par la
nmdtion.
battu
à.
perdu une
J'ai
Trieste
pris quelques galions
bataille
mon armée
mais
;
;
mes
en Espagne
,
j'ai
été
navale de l'Inde aura
pionniers
du Mexique auront
découvert quelque mine.
— Fort bien, première perte
fort
bien
I
mais
— Non, car je marche sur Danglars avec
la
trois
à la
des certitudes, poursuivit
faconde banale du charlatan, dont
est de prôner son crédit;
que
la cicatrice reste, et
elle se rouvrira.
il
faudrait,
pour
gouvernements croulasseoi.
me
l'étal
rerverst/r,
«0
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Dame cela vu. — Que terre manquai de — Rappelez-Yous sept vaches s'est
!
récoltes.
la
les
grasses et les sept
vaches maigres.
— Ou que encore
éton;
mer
la
se retirât,
comme du temps
de Pha-
y a plusieurs mers, et les vaisseau)( en
il
seraient quittes pour se faire caravanes.
— Tant mieux, mille
fois tant
Monte-Cristo;
dit
trompé,
que vous rentrez dans
et
mieux, cher monsieur vois que je m'étais
et je
Danglars,
les fortunes
du second
ordre.
— Je crois pouvoir aspirer à cet honneur, avec un de ces sourires stéréotypés qui
dit
Danglars
faisaient à
Monte-
Cristo l'effet d'une de ces lunes pâteuses dont les
vais peintres badigeonnent leurs ruines
;
mau-
mais, puisque
nous en sommes à parler d'affaires, ajouta-t-il, enchanté de trouver ce motif de changer la conversation, dites-
moi donc un peu ce que
— Mnis, vous
et
je puis faire
donner de l'argent,
lui
que ce
— Excellent
crédit !
il
pour M. Cavalcanti. s'il
a un crédit sur
vous paraisse bon.
s'est
présenté ce matin avec un bon
de quarante mille francs, payable à vue sur vous, signé Busoni, et renvoyé par vous à moi avec votre endos.
Vous comprenez que
je lui ai
compté à
l'instant
même
ses quarante billets carrés.
Monte-Cristo
fil
un
signe de tête qui indiquait toute
son adhésion.
— Mais ce n'est pas tout, continua Danglars vert à son ûls
un
— Combien,
;
il
a ou-
crédit chez moi.
sans indiscrétion, donne-t-il au jeune
homme?
— Cinq mille francs par mois. — Soixante mille francs par an. Je m'en doutais bien.
LE COMTE DE MOxME-CRISTO. Monte-Cristo en haussant les épaules
lit
pleutres
nomme
que
Que
les Cavalcanti.
veut-il
m
ce sont des
;
qu'un jeune
fasse avec cinq mille francs par mois ?
— Mais ^ous comprenez que
si le
jeune hommec?, be-
soin de qutriques mille francs de plus...
-ren
faites rien, le
votre compte;
père vous les laisserait pour vous ne connaissez pas tous les million-
naires ullramontains : ce sont de véritables harpagons. Et par qui lui est ouvert ce crédit ?
— Oh!
par la maison Fenzi, une des meilleures de
Florence.
— faut
;
Je ne veux pas dire que vous perdrez, tant s'en mais tenez-vous cependant dans les termes de la
lettre.
— Vous canti
°
—
n'auriez donc pas confiance dans ce Caval-
Moi je lui donnerais dix millions sur sa signature. Cela rentre dans les fortunes de second ordre, dont je
vous
I
parlais tout à l'heure,
— El avec cela comme
mon il
cher monsieur Danglars.
est simple! Je l'aurais prig
pour un major, rien de plus. Et vous lui eussiez fait honneur; car, vous avez raison, il ne paye pas de mine. Quand je l'ai vu pour la première fois, û m'a fait l'effet d'un vieux lieutenan; moisi sous la contre-épaulette. Mais tous les Italiens son: comme cela, ils ressemblent à de vieux juifs quand Us n'éblouissent nas comme des mages d'Orient. Le jeune homme est mieux, dit Danglars.
—
,
— — Oui,
un peu timide, peut-être; mais, en somme, a m'a para convenable. J'en étais inquiet. Pourquoi cela?
— — Parce que vous l'avez vu chez moi à peu prèsàsoa
ectrée dans
le
monde, à ce aue
l'on
m'a
dit
du moins. U
2
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
H
très-sévère et n'était jaa voyagé avec un précepteur mais venu à Paris. — Tous ces Italiens de qualité ont l'habitude de se
négligemment mar.er entre eux, n'est-ce pas? demanda fortunes. leurs associer à aiment Danglars ; ils Cavalcanti D'habitude ils font ainsi, c'est vrai mais
—
est
;
un
original qui
ne
rien
fait
comme
m'ôtera pas de l'idée qu'il envoie son
les autres.
fils
On ne
en France pour
y trouve une femme.
qu'il
— Vous croyez — J'en suis sur. — Et vous avez entendu parler de sa fortune — n'est question que de cela seulement les ?
?
;
Il
lui
un;
prétendent qu'il ne accordent des millions, les autres
possède» pas
un
paul.
Kt votre o[iinion à vous? vous fonder dessus; elle est toute 11 ne faudra pas
_
personnelle.
—
Mais, enfin..
_ Mon opinion, à moi
,
est
que tous ces vieux podes-
ces Cavalcanti ont tous ces anciens condottieri, car
tats,
provinces ; des armées, ont gouverné des des millions enterré ont qu'ils est dis-je, opinion,
commandé
mon
seuls connaissent et font dans des coins que leurs aînés en génération; et la connaître à Ipurs aînés de génération et secs comme leurs preuve, c'est qu'ils sont tous jaunes dont ils conservent République, florins du temps de la
un
reflet
-
à force de les regarder.
Parfait,
dit
Danglars; et c'est d'autant plus vrai terre, à tous ces
qu'on ne leur connaît pas un pouce de gens-là.
— Fort
que je ne peu, du moins; moi, je sais bien
nalais de Lucques. oounais à Cavalcanti app- sau
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Ah
a un palais
il
!
en riant Danglars
dit
!
113 ;
c'est déjà
lueique chose.
— Oui,
et
encore
au ministre des îinances,
le loue-t-il
une maisonnette. Oh!
tandis qu'il habite, lui, dans
vous
déjà
l'ai
dit, je
crois le
bonhomme
— Allons, allons, vous ne — Écoutez, je connais à peine
je
serré.
le flattez pas.
le
dans
trois fois
Busoni
et
ma
vie.
Ce que
par lui-même
projets sur son
fils,
et
me
il
;
me
je crois l'avoir
:
matin de ses
parlait ce
laissait entrevoir
que, las de
voir dormir des fonds considérables en Italie, qui est
pays mort, soit
il
voudrait trouver
en Angleterre, de
vu
j'en sais, c'est par l'abbé
un moyen,
faire fructifier ses millions.
remarquez bien toujours que, quoique j'aie
un
en France,
soit
la plus
Mais
grande
confiance dans l'abbé Busoni personnellement, moi, je
ne réponds de
rien.
— N'importe, voyé ; et
c'est
mon
un
merci du client que vous m'avez en-
fort
beau nom à
Cavalcanti, en est tout détail
fier.
mes
inscrire sur
caissier, à qui j'ai expliqué ce
que
A propos, et ceci
registres,
c'était
est
que
les
un simple
de touriste, quand ces gens-là marient leurs
fils,
îeur donnent-ils des dots?
— Eh,
mon
italien, riche
J'ai
connu un prince
d'or,
un des premiers
Dieul c'est selon.
comme une mine
noms de Toscane,
qui, lorsque ses
fils
guise, leur donnait des millions, et, riaient
malgré
de trente
se mariaient à sa
quand
ils
se
ma-
se contentait de leur faire
une rente écus par mois. Admettons qu'Andréa se marie lui,
selon les vues de son père,
il
lui
donnera peut-être un,
jeux, trois millions. Si c'était avec la
fille
par exemple, peut-être prendrait-il
un
maison du beau-père de son de cela que sa bru
fils
lui déplaise
:
;
d'un banquier, intérêt
dans
la
puis, supposez à côté
bonsoir, le père Caval-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
i\A canti
met
la
main sur
double tuur à de vivre
la
def de son
comme un
coffre-fort,
donne un
maître Andréa obligé
la serrure, et voilà
de famille parisien, en bizeautant
fils
des cartes ou en piquant des dés.
— Ce garçon-là péruvienne;
trouvera une princesse bavaroise ou
voudra une couronne fermée, un El-
il
dorado traversé par
— Non,
le
Polose.
tous ces grands seigneurs de l'antre côté de?
monts épousent fréquemment de simples mortelles sont
comme Jupiter, ils aiment à croiser les
races.
Ah
;
ils
çàl
mais.est-cequevousvoulez marier Andréa, mon cher monsieur Danglars, que vous me faites toutes ces questions-là?
— Ma
foi, dit
—
Ce
me paraîtrait pas une un spéculateur, moi.
Danglars, cela ne
mauvaise spéculation;
et je suis
avec mademoiselle Danglars, je pré-
n'est pas
sume? vous ne voudriez pas
faire
égorger ce pauvre
Andréa par Albert?
— Albert! bien oui,
il
dit
Danglars en haussant les épaules; ahl
se soucie pas
mal de
cela.
— Mais est fiancé avec votre je crois? — C'est-à-dire que M. de Morcerf et moi nous avons fille,
il
quelquefois causé de ce mariage
;
mais
madame
de Mor-
cerf et Albert...
— N'allez-vous
pas
me
dire
que cdui-ci
n'est pas
un
bon parti?
—
Eh, ehl mademoiselle Danglars vaut bien M. de
Morcerf, ce
— La
me
semble
1
dot de mademoiselle Danglars sera belle, en
eOet, et je n'en doute pas, surtout
si le
tdégraphe ne
fait
plus de nouvelles folies.
— Oh
I
ce n'est pas seulement la dot. Mais; dites-moi
donc, à propos?
— Eh bien)
LE COMTE Uc MONTE-CRISTO.
115
— Pourquoi donc n'avez-vous pas invité Morcerf
et
sa
famille à voire dîner?
— Je l'avais Dieppe avec i'air
de
la
aussi,
fait
madame
mais
il
un
a objeLcé
voyajje à
de Morcerf, à qui on a recomiûandé
mer.
— Oui, oui, Dan^iars en être bon. doit — Pourquoi cela? qu'elle a respiré dans sa jeunesse. — Parce que riant,
dit
lui
il
c'est l'air
Monte-Cristo laissa passer l'épigramme sans paraître
y
faire attention.
— Mais
enfin, dit le
comte,
si
Albert n'est point aussi
que mademoiselle Danglars, vous ne pouvez nier quil porte un beau nom ? riche
— Soit, mais j'aime autant mien, Danglars. — Certainement, votre nom est populaire, et a orné dit
le
il
le titre
dont on a cru l'orner
;
mais vous êtes un
homme
pour n'avoir point compris que, selon certains préjugés trop puissamment enracinés pour qu'on les extirpe, noblesse de cinq siècles vaut mieux que notrop intelligent
blesse de vingt ans.
— Et voilà justement pourquoi,
dit
Danglars avec
un
sourire qu'il essayait de rendre sardonique, voilà pour-
quoi je préférerais M. Andréa Cavalcanti à M. Albert de Morcerf.
— Mais les
cependant,
Morcerf ne
—
le
dit
Monte-Cristo, je suppose que
cèdent nas aux Cavalcanti?
Les Morcerf
I...
lenei,
Danglars, vous êtes un galant
mon
cher comte, repri
homme,
n'est-ce pasf
— Je crois. — Et de plus, connaisseur en blason? le
— Ln peu. — Eh bien iolide
que
I
la couleur du mien du blason dp Morcerf.
regardez
celle
;
elle est plus
H6
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— —
Pourquoi cela? Parce que, moi,
si
je
ne suis pas baron de nais-
sance, je m'appelle Danglars au moins.
— Après? — Tandis que ne s'appelle pas Morcerf. — Comment, ne s'appelle Morcerf? — Pas moins da monde. — Allons donc — Moi quelqu'un m'a baron, de sorte que je lui
paj.
il
le
I
fait
,
suis; lui s'est l'est
fait
comte tout seul, de sorte
qu'il
le
ne
pas.
— Impossible. — Écoutez, mon cher comte, continua Danglars, M. de Morcerf est
mon
trente ans; moi,
mes
ami, ou plutôt
ma
vous savez que
armoiries, attendu
que
connaissance depuis
je fais
je n'ai
bon marché de
jamais oublié d'où je
suis parti.
— C'est
la
preuve d'une grande humilité ou d'un grand
orgueil, dit Monte-Cristo.
— Eh était
bienl
quand
j'étais petit
commis, moi, Morcerf
simple pécheur.
— Et alors on l'appelait? — Fernand. — Tout court? — Fernand Mondogo. — Vous en êtes sur. — Pardieu m'a vendu assez de poisson pour que je I
le
il
connaisse.
— Alors, pourquoi donniez-vous votre — Parce que Fernand et Danglars étant deux lui
fllle?
parve-
nus, tou' deux anoblis, tous deux enrichis, se valent au fond, sauf certaines choses cependant, qu'on a dites lai et
qu'on n'a jamais dites de moi.
de
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— QaDi donc? — Rien. — Ah oui, comprends
117
ce que vous me dites la me je mémoire à propos du nom de Fernano Monentendu prononcer ce nom-là en Grèce.
!
;
rafraîchit la
dego
:
j'ai
— A propos de — Justement. — Voilà mystère,
l'affaire
reprit Danglars, et j'avoue
le
j'eusse
d'Ali-Pacha?
donné bien des choses pour
— Ce
n'était
pas
difficile, si
le
que
découvrir.
vous en aviez eu grande
envie.
— Comment cela? — Sans doute, vous avez bien quelque correspdhdant en Grèce
?
— Pardicu — A Janina? — J'en partout... — Eh bieni écrivez !
ai
et
à votre correspondant de Janina,
demandez-lui quel
d'Ali-Tebelin
— Vous vivement,
rôle a joué
dans
la catastrophe
un Français nommé Fernand.
avez raison j'écrirai
I
s'écria
aujourd'hui
Danglars en se levant
même
!
— Faites. — Je vais — Et vous avez quelque nouvelle bien scandaleuse... — Je vous communiquerai. — Vous me ferez le faire.
si
la
plaisir.
Danglars s'élança hors de l'appartement, et ne
bond jusqu'à sa
voiture.
fit
qu'un
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
lis
X ZZ CABINET DU PROCUREUR DO ROI.
Laissons le banquier revenir au grand train de ses che-
vaux,
et
madame
suivons
Danglars dans son excursion
matinale.
Nous avons
qu'à midi et demi,
dit,
demandé
avait
chevaux
ses
en voiture.
du côté du faubourg Saint-Germain,
Elle se dirigea prit la
madame Danglars
et était sortie
rue Mazarine
,
et
fit
arrêter
au passage du Pont-
Neuf. Elle descendit et traversa le passage. Elle était vêtue fort
simplement,
qui sort
le
comme
Rue Guénégaud,
comme
le
il
convient à une
femme de goût
matin.
monta en
elle
but de sa course,
A peine
fut-elle
dans
fiacre
en désignant,
rue du Harlay.
la
la voiture,
qu'elle
tira
de sa
poche un voile noir très-épais, qu'elle attacha sur son
chapeau de tête, et vit
paille
avec
;
pais elle remit son chapeau sur sa
plaisir,
en regardant dans un
de poche, qu'on ne pouvait voir blanche
Le
d'elle
petit miroir
que sa peau
prunelle étincelante de son œil.
et la
fiacre prit le
Pont-Neuf, et entra, par la place Dau-
com du
phine, dans
la
portière, et
madame Danglars
Harlay
;
il
fut
payé en ouvrant
la
s'élançant vers l'escalier,
qu'elle franchit légèrement, arriva bientôt à la salle des
Pas-Perdus.
Le matin,
gens
affairés
beaucoup
y a beaucoup d'atTaires et encore plus de au Palais les gens affairés ne regardent pas
il
les
;
femmes
:
madame
Danglars traversa donc
H9
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
remarquée que dix
îa salle des Pas-Perdus sans être plus
autres
femmes qui
guettaient leur avocat.
y avait encombrement dans l'antichambre de M. de Villefort ; mais madame Danglars n'eut pas même besoin Il
nom
de prononcer son
sonne à laquelle M. dez-vous, par
un
et,
;
dès qu'elle parut,
demanda
leva, vint à elle, lui
le
un
si elle n'était
procureur du
roi avait
sur sa réponse afiQrmative,
il
huissier se
point la per-
donné ren-
la conduisit,
au cabinet de M. de
corridor réservé,
Ville-
fort.
Le magistrat
écrivait, assis sur
tourné à la porte
:
il
prononcer ces paroles
:
se refermer, sans faire
un
eut-il senti se perdre les
qu'il se retourna tirer les
rideaux
son fauteuil,
le
dos
entendit la porte s'ouvrir, l'huissier
Madame » et la porte mouvement mais à peine
Entrez,
«
seul
I
;
pas de l'huissier, qui s'éloignait,
vivement,
et visiter
alla
pousser les verrous
chaque coin du cabinet.
Puis lorsqu'il eut acquis la certitude qu'il ne pouvait être ni quillisé
vu
ni entendu, et
— Merci, Madame, Et
il
car le
que par conséquent
il
fut tran-
:
lui offrit
cœur
un
dit-il,
siège
merci de votre exactitude.
que madame Danglars accepta,
lui battait si
fortement qu'elle se sentait
près de suffoquer.
— Voilà,
dit le
procureur du
roi
en s'asseyant à son
un demi-cercle à son fauteuil, afin de 5e trouver en face de madame Danglars, voilà tAen longtemps Madame, qu'il ne m'est arrivé d'avoir tour et en faisant décrire
et, à mon grand nous nous retrouvons pour entamer une conver-
ce bonheur de causer seul avec vous ; regret,
sation Dien pénible,
— Cependant, Monsieur, vous voyez que je suis venue votre premier appel, quoique bien certainement cette
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
120
conversation soit eccore plus pénible pour moi que pour
vous.
amèrement.
Villefort sourit
—
Il
est
donc vrai,
dit-il,
répondant à sa propre pen-
madame
sée bien plutôt qu'aux paroles de est
unes sombres,
les
passé
I
est
II
il
sillon
!
marche du
la
Hélas
leurs larmes
I
reptile sur le sable et font
pour beaucoup
ce sillon est celui de
,
I
— Monsieur, dit mon
lumineuses, dans notre
les autres
donc vrai que tous nos pas dans cette vie
ressemblent à
un
Danglars,
donc vrai que toutes nos actions laissent leurs traces,
madame
Danglars, vous comprenez
émotion, n'est-ce pas? ménagez-moi donc, je vous
prie. Cette
chambre où
blants et honteux, ce
tant de coupables ont passé trem-
ma
où
fauteuil
tour honteuse et tremblante
!..
je m'assieds à
Oh! tenez,
j'ai
mon
besoin de
moi une femme un juge menaçant. Villefort secoua la tète et poussa un soupir. Et moi, reprit-il, et moi, je me dis que ma place n'est pas dans le fauteuil du juge, mais bien sur la sel-
toute
raison pour ne pas voir en
bien cocpable et en vous
—
leitâ
de l'accusé.
— Vous? madame Danglars étonnée. — Oui, moi. — Je crois que de votre pa;t, Monsieur, votre dit
nisme s'exagère l'œil si
la situation, dit
madame
beau s'illumina d'une fugitive lueur. Ces
dont vous parliez à l'instant
même,
toutes les jeunesses ardentes.
Au
delà du plaisir,
il
purita-
Danglars, dont sillons,
ont ^ti iracés par
fond des passions, au
y a toujours un peu de remords
;
c'est
pour cela que l'Évangile, celte ressource éternelle des
malheureux, nous a donné pour soutien, à nous autres pauvres femmes, l'admirable parabole de
la fllle
pèche-
LE COiMTE DE MONTE-CRISTO. resse et de là
me
femme
adultère. Aussi, je
de
reportanH; à ces délires
quelquefois que Dieu l'excuse,
du moins
vée dans
mes
la
me
ma
les
121
vous l'avoue, en
jeunesse, je pense
pardonneia,
sinon
'îar
compensation s'en est bien trou-
souffrances
mais vous, qu'avez-vous à
;
hommes que
craindre de tout cela, vous autres
tou*, le
monde excuse et que le scandale anoblit? Madame, répliqua Villefort, vous me connaissez ; je ne suis pas un hypocrite, ou du moins je ne fais pas
—
de l'hypocrisie sans raison. c'est
que bien des malheurs
s'est pétrifié, c'est afin qu'il
Si l'ont
mon
front
assombri
ainsi ce
sévère,
est si
mon cœur
de pouvoir supporter les chocs
ma
a reçus. Je n'étais pas ainsi dans
n'étais pas
;
jeunesse, je
où nous étions rue du Cours à Mar-
soir des fiançailles
tous assis autour d'une table de la
Mais, depuis, tout a bien changé en moi et autour
seille.
de moi ciles et
ma
;
vie s'est usée à poursuivre des choses
à briser dans les
difficultés
ceux
rement ou involontairement, par leur hasard, se trouvaient placés sur
par
le
me
susciter ces choses.
ardemment ne
soit
Il
est rare
diffi-
qui, volontai-
libre arbitre
ou
mon chemin pour
que ce qu'on désire
pas défendu ardemment par ceux de
qui on veut l'obtenir ou auxquels on tente de l'arracher. Ainsi, la plupart des mauvaises actions des
hommes
sont venues au-devant d'eux, déguisées sous la forme
spécieuse de la nécessité; puis, la mauvaise action com-
mise dans un moment d'exaltation, de crainte lire,
on voit qu'on aurait pu passer auprès
l'évitant.
Le moyen
qu'il eût été
et
de dé-
d'elle
n'a pas vu, aveugle qu'on était, se présente à vcs facile et
simple; vous vous dites
fait ceci
au
lieu de faire cela?
traire, bien
en
bon d'employer, qu'on
:
comment
yeux
n'ai-je
pas
Vous, Mesdames, au con-
rarement vous êlos tourmentées par des
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
422
remords, car bien rarement la décision vient de vous
som presque
vos malheurs vous
,
toujours imposés, vc
fautes sont presque toujours le crime des autres.
—
En tout cas, Monsieur, convenez-en, répondit nudame Banglars, si j'ai commis une faute, cette faute fût reçu hier soir
elle personnelle, j'en ai
— Pauvre femme
dit Villefort
en
la
sévère punitio»
lui serrant la
pour votre force, car deux
trop sévère lailliy
I
succomber,
main,
vous avez
fois
et cependant...
— Eh bien? — Eh bien! je dois
vous
rassemblez tout votre
dire...
courage. Madame, car vous n'êtes pas encore au bout.
— Mon Dieu a-l-il
I
s'écria
madame
— Vous ne voyez que est
passé.
le
Madame,
et certes
il
sombre. Eh blenl figurez-vous un avenir plus sombre
encore,
un
peut-êlre
affreux
avenir...
certainement... sanglant
!..
La baronne connaissait si
Danglars effrayée, qu'y
donc encore?
le
calme de Villefort;
épouvantée de son exaltation, qu'elle ouvrit
pour
crier,
mais que
— Comment Villefort
;
le cri
mourut
,
il
^Q5 sa gorge.
la
tombe
dormait, est-il sorti
pour
faire pâlir
nos joues
—
ll(iJas! dit
Hermine, sans doute
•-Le
et rougir
hasard! reprit Villefort
elle fut
bouche
ce passé terrible? s'écria
est-il ressuscité,
comment du fond de
nos cœurs où
la
;
du fond de
et
comme un fantôme
nos fronts
?
hasard!
le
non, non. Madame,
il
a'y a point de hasard!
— Mais
si;
n'est-ce point
mais un hasard qui a hasard que
le
fait
un hasard
futal,
n
est vrai,
tout cela? n'est-ce point par
comte de Monte-Cristo a acheté cette mai-
son? n'est-ce point par hasard
qu'il
a
terre? nesi-ce point par hasard, enfin,
fait
creuser
la
que ce malheu-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
123
reux enfent a été déterré sous les arbres? Pauvre innocente créature sortie de moi, à qui je n'ai jamais
ner un baiser, mais à qui
pu don-
donné bien des larmes. Ah! mon cœur a volé au-devanl du comte lorsqu'il a
tout
j'ai
parlé de cette chère dépouille trouvée sous des fleurs.
— Eh bien terrible
!
Madame
non,
;
et voilà ce
que
de
j'avais
a vous dire, répondit Villefort d'une voix sourde
;
;
non,
il
n'y a pas eu de dépouille trouvée sous les fleurs
non,
il
n'y a pas eu d'enfant déterré
pleurer ; non,
—
il
ne faut pas gémir
Que voulez-vous
non,
;
faut trembler
il
:
dire? s'écria
ne faut pas
il
!
madame Danglars
toute frémissante.
— Je veux dire que M. Monte-Cristo, en pied de ces arbres, n'a ni ferrures
de coffre
,
pu trouver
creusant au
ni squelette d'enfant,
parce que sous ces arbres
il
n'y
avait ni l'an ni l'autre.
—
n'y avait ni l'un ni l'autre! redit
Il
en
glars,
fixant sur le procureur
du
madame Dan-
roi des
yeux dont
prunelle, effroyablement dilatée, indiquait la terreur
n'y avait ni l'un ni l'autre
!
une personne qui essaye de et
fixer par le
la il
comme
son des paroles
par le bruit de la voix ses idées prêtes à lui échapper.
— ses
Non!
mains
dit Villefort, en. laissant ;
non
!..
donc point
là
non, cent
— Mais ce le
répéta-t-elle encore
;
n'est
fois
tomber son front dans
que vous aviez déposé
pauvre enfant. Monsieur? Pourquoi
me tromper?
dans
quel but, voyons, dites?
— C'est là; mais écoutez-moi, écoutez-moi. Madame, et
vous
allez
me
plaindre
,
moi qui
ai porté
gans en rejeter la moindre part sur vous,
douleurs que je vais vous
— Mon iez, je
Dieu
vous
!
vingt ans, fardeau de
dire.
vous m'effrayez
écout-e.
le
!
mais n'importe, par-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
i24
— Vous
comment
savez
s'accomplit cette nuit dou-
loureuse où vous étiez expirante sur votre
dans cette
lit,
chambre de damas rouge, tandis que moi prescjue aussi haletant que vous, j'attendais votre délivrance. L'enfant ,
vint,
me
voix
:
Madame elle eût
remis sans mouvement, sans souffle, sans
fut
nous
le
crûmes mort.
Danglars
fit
un mouvement
rapide,
comme si
voulu s'élancer de sa chaise.
Mais Villefort
l'arrêta
en joignaht
pour implorer son attention. Nous le crûmes mort, répéta-t-il
—
coffre qui devait
remplacer
jardin, je creusai
une fosse
vais à peine de
le
lus crier,
je le
le cercueil, je
et l'enfouis
mis dans un
descendis au
à la hâte. J'ache-
comme une ombre
frisson glacé
me
se dresser,
une douleur,
éclair reluire. Je sentis
un
;
parcourut tout
tué. Je n'oublierai jamais votre
me
calier, où, expirante
de moi.
Il
fallait
je
vou-
corps et
le
m'élreignità la gorge... Je tombai mourant, et je
revenu à moi, je
comme
mains,
couvrir de terre, que le bras du Corse
s'étendit vers moi. Je vis
comme un
les
me
crus
sublime courage, quand,
traînai expirant
jusqu'au bas de
l'es-
vous-même, vous vîntes au-devant
garder le silence sur la terrible cata-
strophe; vous eûtes le courage de regagner votre maison, soutenue par votre nourrice
ma blessure.
de
;
un duel
fut le prétexte
Contre toute attente, le secret nous fut
gardé à tous deux ; on
me
transporta à Versailles
dant trois mois, je luttai contre la mort; enfin, je
parus
l'air
du
me
rattacher à la vie,
Midi. Quatre
on m'ordonna
hommes me
me
pen-
le soleil et
portèrent de Pans à
Châlons, en faisant six lieues par jour. fort suivait le
;
comme
Madame de Ville-
brancard dans sa voilure.
A
Chàlons, on
mit sur la Saône, puis je passai sur le Rhône,
et,
par la seule vitesse du courant, je descendis jusqu'à
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
ma
Arles, puis d'Arles, je repris
chemin pour
Marseille.
Ma
125
conlinuai
litière et
mon
convalescence dura dix mois
je n'entendais plus parler de vous, je n'osai
;
m'informer
de ce que vous étiez devenue. Quand je revins à Paris,
que, veuve de M. de Nargonne, vous aviez
j'appris
épousé M. Danglars.
A tait
quoi avais-je pensé depuis que la connaissance m'é
revenue? Toujours à
même
la
chose, toujours à
cadavre d'enfant qui, chaque nuit, dans volait
en
du
mes
rêves,
a
s'en-
sein de la terre, et planait au-dessus delà fosse
me menaçant du
regard
du
et
retour à Paris, je m'informai; la
geste. Aussi, à peine de
maison
n'avait pas été
habitée depuis que nous en étions sortis, mais elle venait d'être louée
pour neuf ans.
feignis d'avoir
un grand
J'allai
trouver
le locataire, je
désir de ne pas voir passer entre
des mains étrangères cette maison, qui appartenait au et à la mère de ma femme j'offris un dédommagement pour qu'on rompit le bail on me demanda six
père
;
;
donné dix
mille francs, j'en eusse
mille, j'en eusse
vingt mille. Je les avais sur moi, je
fls,
donné
séance tenante,
signer la résiliation; puis, lorsque je tins cette cession
au galop pour Auteuil. Personne,
tant désirée, je partis
depuis que j'en étais Il était
sorti,
n'était entré
dans
la
maison.
cinq heures de l'après-midi, je montai dans la
chambre rouge et j'attendis la nuit. Là, tout ce que je me disais depuis un an dans mon agonie continuelle se représenta, bien plus menaçant que jamais, à
ma
pensée.
Ce Corse qui m'avait déclaré suivi de
Nîmes à
Paris
;
la vendetta,
jardin, qui m'avait frappé, m'avait
m'avait
vu
qui m'avaii
ce Corse, qui était caché dans le
enterrer l'enfant
;
il
vu creuser
la fosse,
i!
pouvait en arriver à vous
connaître; peut-êtr» voik connaissait-il...
Ne vous
fe-
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
ff6 rail-iï
pas payer un jour
Ne
faire?...
;;eance, iion
serait-ce pas
quand
le secret
pour
de celte terrible af-
une bien douce ven-
lui
apprendrait que je n'étais pas inort de
il
cnrp de poignard?
Il
était
donc urgent qu'avant toute
chose, et à tout hasard, je fisse disparaître les traces de
que j'en détruisisse tout
ze passé,
aurait toujours C'était
cela
que
que trop de
"vestige matériel
réalité
dans
pour cela que j'avais annulé j'étais
La nuit
venu,
c'était
mon
;
n'y
il
souvenir.
le bail, c'était
pour
pour cela que j'attendais.
arriva, je la laissai bien s'épaissir; j'étais sans
lumière dans cette chambre, où des souffles de vent
fai-
saient trembler les portières derrière lesquelles je croyais
toujours voir quelque espion
temps je ce
lit,
tressaillais,
il
me
embusqué
entendre vos plaintes, et je n'osais
Mon cœur
battait
violemment que
dans
;
de temps en
semblait derrière moi, dans
me
retourner.
le silence, et je le sentais battre si
je croyais
que
ma blessure
allait
se rou-
viir; enfin, j'entendis s'éteindre, l'un après l'autre, tous
ces bruits divers de la campagne. Je compris
que
je n'a-
vais plus rien à craindre, que je ne pouvais être ni ni
entendu,
et je
me
Écoutez, Hermine, je
homme, mais tite clef
de
vu
décidai à descendre.
me
crois aussi brave
lorsque je retirai de
l'escalier,
ma
qu'un autre
poitrine celte pe-
que nous chérissions tous deux, et faire attacher à un anneau d'or,
que vous aviez voulu
lorsque j'ouvris la porte, lorsque, à travers les fenêtres, je vis
une lune pâle
jeter, sur les
degrés en spirale, une
longue bande de lumière blanche pareille à un spectre, je
me
blait
retins
que
au mur
j'allais
et je fûs près
de crier
;
il
me
sem-
devenir fou.
Enfin, je parvins à
me
rendre maître de moi-même. Je
desceudis l'escalier marche à marche; la seule chose que je n'avais
pu vaincre,
c'était
un étrange tremblement
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. dans
me
genoux. Je
les
un
l'eusse lâchée
cramponnai à
me
instant, je
J'arrivai à la porte d'en bas
une
;
au milieu de
pour l'allumer, puis
rêtai
Novembre
;
si je
fusse précipité
en dehors de
;
127
rampe
cette porte,
muni
contre le mur. Je m'élai?
bfrche était posée
d'une lanterne sourde
la
la
je continuai
pelouse, je m'ar-
mon
chemin.
du jardin
unissait, toute la verdure
avait
disparu, les arbres n'étaient plus que des squelettes aux
longs bras décharnés, et les feuilles mortes criaient avec sable sous
(e
mes pas.
L'effroi m'étreignait si
prochant du massif je
fortement
un
tirai
la
cœur, qu'en ap-
pistolet de
ma
poche
et
l'armai. Je croyais toujours voir apparaître à travers les
branches
massif avec
yeux
vide. Je jetai les
seul
;
du Corse.
la figure
J'éclairai le
aucun
ma
ne troublait
bruit
lanterne sourde
;
il
était
tout autour de moi, j'étais bien
de la nuit,
le silence
n'est le chant d'une chouette qui jetait
son
cri
si
ce
aigu et
comme un appel aux fantômes de la nuit. ma lanterne à une branche fourchue que j'a-
lugubre
J'attachai
vais déjà
où
remarquée un an auparavant, à
je m'arrêtai
pour creuser
L'herbe avait, pendant
l'endroit
même
la fosse.
l'été,
poussé bien épaisse à cet
endroit, et, l'automne venu, personne se s'était trouvé là
pour tira
la faucher.
mon
Cependant, une place moins garnie at-
attention;
il
était
vais retourne la terre. Je
évident que
me
c'était là
que j'a-
mis à l'œuvre.
J'en étais donc arrivé à cette heure que j'attendais de-
uis plus d'un an
Aussi,
comme
je sondais
!
j'espérais,
chaque
résistance au bout de UTi trou
deux
fois
comme je
travaillais,
comme
touffe de gazon, croyant sentir de la
ma
bêche
;
rien
!
et
cependant je
fis
plus grand que n'était le premier. Je
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
!28
cros m'être abusé, m'être trompé de place; je m'oneotai, regardai les arbres, je cherchai à reconnaître les dé-
je
flait
bise froide et aiguè sif-
a travers les branches dépouillées, et cependant la
mon
sueur ruisselait sur
pour recouvrir
la terre
me
front. Je
r^jjpelai
coup de poignard au moment où
vais reçu le
je
Une
oui m'avaieri frappé.
tails
la fosse
en piétinant celte
;
neurs
destiné à servir de banc
ariillciel
ma
car en tombant,
;
me
moi
le colTret
— Le
même,
plaçant de
à élargir
et
le trou
A ma
de cette pierre.
droite était le faux ébénier, derrière
mis à creuser
terre,
était
main, qui venait de quitter
l'ébénier, avait senti la fraîcheur
je tombai en
j'a-
un aux prome-
m'appuyais à un faux ébénier; derrière mo'
rocher
que
je piétinais
:
je
était le
me
rien
!
rocher;
me
relevai et
toujours rien
I
n'y était pas.
cofTret
murmura madame Dan-
n'y était pas?
glars, suffoquée par l'épouvante.
— Ne croyez
pas que je
continua Villefort; non. Je sai
que
l'assassin
,
me
bornai à cette tentative,
fouillai tout le
ayant déterré
massif; je pen-
le coffre et
croyant que
c'était
un
porté
puis, s'apercevant de son erreur, avait
tour
;
un
trésor, avait
trou et
cette idée qu'il l'avait
Dans
purement
cette
l'y
voulu s'en emparer,
avait déposé
et
simplement
mes recherches, attendre chambre et j'attendis.
— Oh mon Dieu — Le jour venu, je mière
visitfc
rien. Puis
il
em-
à son
fait
me
vint
n'avait point pris tant de précaution, et
dernière hypothèse,
!
;
l'avait
le
jeté il
jour.
dans quelque coin.
me
fallait,
pour
faire
Je remontai dans
la
I
fut
pour
descendis de nouveau. le
Ma
pre-
massif; j'espérais y retiouver
des traces qui m'auraient échappé pendant l'obscurité. J'avais retourné la terre sur
une
superficie de plus de
129
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
vingt pieds carrés, et sur une profondeur de plus de deui salarié pied^. Une journée eût à peine suffi à un homme
pour je
que
faire ce
j'avais fait, moi,
en une heure. Rien,
ne vis absolument rien. me mis à la recherche du
Alors, je
supposition que j'avais quelque coin. Ce devait
chemin qui condui-
être sur le
à la petite porte de sortie
sait
;
mais
coffre, selon la
avait été jeté dans
qu'il
faite
cette nouvelle inves-
que la première, et, le cœur au massif, qui lui-même ne me laissait
tigation fut aussi inutile
serré, je revins
plus aucun espoir.
— Oh
!
s'écria
devenir fou
— Je
madame
Danglars,
y avait de quoi
il
!
l'espérai
un
instant, dit Villefort,
pas ce bonheur; cependant, rappelant
conséquent mes idées
Pourquoi cet
mais
ma
je n'eus
force et par
:
homme
me
emporté ce cadavre?
aurait-il
demandai-je.
— Mais vous l'avez
dit, reprit
madame Danglacs,pour
avoir une. preuve.
— Eh
non, Madame, ce ne pouvait plus être cela on pas un cadavre pendant un an, on le montre à ne garde et Ton fait sa déposition. Or, rien de tout magistrat, un ;
I
cela n'était arrivé.
— Eh
bien! alors?...
demanda Hermine
toute palpi-
tante.
— Alors,
y a quelque chose de plus terrible, de plus il y a que l'enfant fatal, de plus effrayant pour nous, l'a sauvé. l'assassin que et peut-être, était vivant il
lûadame Danglars poussa un les
mains de
Villefort
— Mon enfant
mon
était
cri terrible, et saisissant
:
vivant
1
enfant vivant, Monsieiv
dit-elle "
Vous
;
vous avez enterré que
n'étiez pas sur
LE COMTE DE MONTE-CRISTO,
130
mon enfant était mort, et vous l'avez enterré ahl,.„ Madame Danglars s'était redressée et elle se tenait deI
vant
procureur du
le
roi,
dont elle serrait les poignets
enire ses mains délicates, debout et presque meuaçante.
— Que sais-je? Je vous dis cela comme je vous
autre chose, répondit Villefort avec
homme
qui indiquait que cet
— Ahl
mon
enfant,
dirais
de regard
fixité
puissant était prêt d'at-
si
du désespoir
teindre les limites
une
et
de
mon pauvre
la folie.
enfant! s'écria la ba-
ronne, retombant sur sa chaise et étouffant ses sanglots
dans son mouchoir. Villefort revint à lui, et comprit
que pour détourner
l'orage maternel qui s'amassait sur sa tète,
madame
passer chez
Danglars la terreur
il
fallait faire
qu'il
éprouvait
lui-n;ème.
— Vous comprenez en se levant à son tour
pour
lui parler
perdus
:
que
alors
si
cela est ainsi
en s'approchant de
et
dune voix
la
plus basse, nous
,
dit-il
baronne
sommes
cet enfant vit, et quelqu'un sait qu'il vit, quel-
qu'un a notre secret; et puisque Monte-Cristo parle devant nous d'un enfant déterré où cet enfant n'était plus, «e secret c'est lui qui
l'a.
— Dieu, Dieu juste. Dieu vengeur
I
murmura madame
Danglars.
ne répondit que par une espèce de ragisse-
Villefort
ment.
— Mais
cet enfant, cet enfant.
Monsieur?
reprit
la
•ère obstinée.
^Oh les
!
bras
que ,
je
l'ai
que de
nuits sans sommeil
royale
cherché
fois je
I
reprit Villefort
en se tordant
appelé dans
mes longues
l'ai
que de fois j'ai désiré une richesse pour acheter un million de secrets à un million
d'homme s,
et
I
pour trouver
mou
secret dans les leurs
!
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. un jour que pour
Enfin,
me demandai
bêche, je
que
Corse avait
le
pu
rasse on fugitif;
vivant encore,
— Oh
la
pour
faire
la
131
fois je reprenais la
centième
de l'enfant
:
un
fois aussi ce
enfant embar-
peut-être en s'apercevant qu'il était
dans
l'avait-il jeté
impossible
I
centième
la rivière.
madame
s'écria
I
Danglars
;
on as-
un homme par vengeance, on ne noie pas de sang-froid un enfant
sassine
I
— Peut-être, continua
Villefort, l'avait-il
mis aux En-
fants-Trouvés.
— Oh
oui
oui,
I
s'écria la
!
baronne,
mon
enfant est
là! Monsieur!
—
Je courus à l'hospice
même,
la nuit
posé dans
en
viette
le
et j'appris que cette nuit du 20 septembre, un enfant avait été dé-
tour
;
était
il
,
enveloppé d'une moitié de ser-
déchirée avec intention. Cette moitié
toile fine,
de serviette poitait une moitié de couronne de baron la lettre
— C'est cela, mon
et
H. c'est cela! s'écria
marqué
linge était
ainsi
;
madame Danglars,
M. de Nargonne
ron, et je m'appelle Hermine. Merci, fant n'était pas
mort
— Non, — Et vous il
n'était
tout
était
ba-
mon Dieul mon
en-
I
pas n»rt
!
me le dites vous me dites cela sans craindre de me faire mourir de joie Monsieur ? Où estU ? où est mon enfant? !
,
Villefort
— Le rais, je
îomme hélas
1
haussa
les épaules.
sais-j>3? dit-il;
vous le
ferais
ferait
non!
je
mois environ,
et
croyez-vous que
si je le
sa-
passer par toutes ces gradations,
un dramaturge ou un romancier? Nod, le sais pas. Une femme, il y avait six
ne
étaii
venue réclamer
moitié de la servieiie. Cette
femme
l'enfant
avec
l'autre
avait fourni toutes
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
13?
que
.es garanties
—
Mais
lait la
cette
remis.
femme, û
me
de quoi pensez-vous donc que jo
Madame?
Joui ce 'e
le lui avait
vous informer de
ïal-
découvrir.
— El cupé.
on
la loi exige, et
fallait
il
que
J'ai feiut
la police
une instruction
sois oc-
criminelle, et
a de fins limiers, d'adroits agents,
mis à sa recherche. On a retrouvé ses traces
les ai
usqu'à Chàlons; à Châlons, on les a perdues.
— Perdues — Oui, perdues; perdues à jamais. ?
Danglars avait écouté ce récit avec un sou-
Madame pir,
une larme, un
— Et — Ohl
cri
pour chaque circonstance.
c'est tout, dit elle; et
non,
vous vous êtes borné là?
dit Villefort, je n'ai
jamais cessé de cher-
cher, de m'enquérir, de m'informer. Cependant, depuis
deux ou
donné quelque relâche. recommencer avec plus de d'acharnement que jamais et je réus-
trois ans, je m'étais
Mais, aujourd'hui
persévérance
et
je vais
,
;
voyez-vous; car ce n'est plus
sirai,
la
conscience qui
me
pousse, c'est la peur.
— Mais, Cristo
ne
reprit
madame
sait rien;
rechercherait point
—
Oli
1
Danglars, le comte de Monte-
sans quoi, ce
comme
il
me
méchanceté des hommes
la
dit Villefort,
semble
,
il
ne nous
le fait.
est bien profonde
puisqu'elle est plus profonde
que
la
bouM
de Dieu. Avez-vous remarqué les yeux de cet homme, tandis qu'il
nous
parlait?
— Non. — Mais l'avez-voas examiné profondément parfois? — Sans doute. est bizarre, mais voilà Une tout.
Il
chose qui m'a frappée seulement, c'est que de tout ce repas exquis qu'il nous a donné,
que d'aucun
plat
il
n'^
il
n'a rien touché, c'est
vnnhi nrcndre sa part.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Oui, ouil j'avais
dit Villefort, j'ai
su ce que je
155
remarqué cela ajssi.
Si
maintenant, moi non plus je
sais
n'eusse touché à rien; j'aurais cru qu'il voulait nous
empoisonner.
— Et vous vous seriez trompé, vous voyez bien. — Oui, sans doute mais, croyez-moi, cet homme le
;
roilà
quii
pourquoi j'ai
pourquoi
projets. Voilà
à'autres
j'ai
demandé à vous
a
voulu vous voir,
j'ai
parler, voilà pour-
voulu vous prémunir contpe tout
monde, mais
le
contre lui surtout. Dites-moi, continua Villefort en fixant
plus profondément encore qu'il ne l'avait ses
yeux sur
la
fait
jusque-là
baronne, vous n'avez parlé de notre
liai-
son à personne?
— Jamais, à personne. — Vous me comprenez fort,
quand
,
reprit affectueusement Ville-
je dis à personne,
pardonnez-moi cette
tance, à personne au monde, n'est-ce pas
— Oh
!
oui, oui, je
comprends
en rougissant jamais ;
I
je
vous
très-bien, dit la
passé dans la nw.ùnée? vous
journal
baronne
le jure.
— Vous n'avez point l'habitude d'écrire s'est
insis-
?
ne
le soir ce
qui
pas
de
faites
?
— NonI Hélas
1
ma
vie passe empoilée par la frivohté;
moi-même, je l'oublie. Vous ne rêvez pas haut, que vous sachiez? J'ai un sommeil d'enfant ne vous le rappelez-vous
— —
;
pas?
Le pourpre monta au visage de
la
baronne,
et la
pâleur
envahit celui de Villefort.
— C'est vrai, bas qu'on l'entendit a peine. — Eh bien? demanda baronne. — Eh bien je comprends ce me reste -à dit-il si
la
qu'il
I
reprit Villefort.
TOME
IV.
Avant huit jours
d'ici, je
faire,
saurai ce
8
que
LE COMTE DE MONTE-CRISlU.
134
que M. de Monte-Cristo, d'où il vient, où il va, et pour(juoi il parle devant nous des enfants qu'on déterre
c'est
dans àon jardin. Villefort
prononça ces mots avec un accent qui eût
comte
frissonner le
Puis
il
serra la
s'il
pu
eût
main que
la
fait
les entendre.
baronne répugnait à h
i
donner et la reconduisit avec respect jusqu'à la porte.
Madame Danglars au passage, de
un autre
reprit
duquel
l'autre côté
qui
fiacre,
la
ramenu
retrouva sa voi-
elle
qui, en l'attendant, dormait paisi-
lure et son cocher,
blement sur son siège.
XI CN BAL u'ÉTË.
même
Le sait la
jour, vers l'heure
procureur du la
dans
Au
la
le
la porte
du
n» 27 et s'arrê-
cour.
bout d'un instant
madaire
îa portière s'ouvrait, et
de Morcerf en descendait appuyée au bras de son
A
fai-
cabinet de M. le
une calèche de voyage, entrant dans
roi,
rue du Ilelder, franchissait
tait
où madame Danglars
séance que nous avons dite dans
peine Albert eut- il reconduit sa mère chez
commandant un bain
et ses
chevaux, après
mains de son valet de chambre Champs-Elysées, chez
Le comte
le
le
il
se
fit
s'être
que
mis
au.
conduire aux
comte de Monte-Cristo.
reçut avec son sourire habituel. C'était
une étrange chose
en avant dans
le
,
fils.
elle,
jamais on ne paraissait cœur ou dans Tesnrit de :
faire
cet
un pas
homme.
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. Ceux qui voulaient,
si
ro-n peut
135 pas-
dire cela, forcer le
sage de son intimité, trouvaient un mur. Morcerf, qui accourait à lui les bras ouverts, laissa, en le
voyant
et
De son
malgré son sourire amical, tomber ses bras,
au plus
et osa tout
lui tendre la
main.
comme
côté, Monte-Cristo la lui toucha,
mais sans
sait toujours,
fai-
il
la lui serrer.
— Eh bien me voilà, cher comte. — Soyez bienvenu. — Je suis arrivé depuis une heure. — De Dieppe? — Du Tréport. dit-il,
!
le
— Ah —
Et
c'est vrai.
!
ma
— C'est
première visite est pour vous.
charmant de votre part,
comme il eût — Eh bien
— Des étranger
dit toute !
—
vous demandez cela à moi
!
,
à
un
I
quand je demande quelles nouvelles, vous avez fait quelque chose pour moi? M'aviez-vous donc chargé de quelque commission'
demande
dit
Monte-Cristo
voyons, quelles nouvelles?
nouvelles
— Je m'entends je
dit
autre chose.
:
si
Monte-Cristo en jouant l'inquiétude.
— Allons, allons, rence.
On
qui traversent la
mon coup
dit Albert, ne simulez pas l'indifféy a des avertissements sympathiques distance eh bien au Tréport, j'ai reçu
dit qu'il
:
électrique
;
!
vous avez
,
sinon travaillé pour
moi, da moins pensé à moi.
— Cela
est possible
pensé à vous; mais
le
,
dit
Monte-Cristo.
J'ai
courant magnétique dont
en
effet
j'étais le
conducteur agissait, je l'avoue, indépendamment de volonté.
— Vraiment
!
Contez-Ca
cela. Je
vous
prie-
ma
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
136
— C'est — Je saii
facile,
M. D.inglars a diné chez moi.
bien, puisque c'est pour fuir sa préseuo*
le
que nous sommes
ma mère
partis,
et
moi.
— Mais a diné avec M. Andréa Cavalcanli. — Voire prmce italien? — N'exagérons pas. M. Andréa se donne seulement il
titre
le
de vicomte.
— Se donne, dites-vous? — Je dis se donne. — ne donc pas? :
l'est
11
— on
Ehl
le lui
le sais-je,
donne
;
moi
? Il
se le donne, je le lui
comme
n'est-ce pas
s'il
donne
l'avait?
— Homme étrange que vous Eh bien? — Eh bieni quoi? — M. Danglars a donc diné ici? — Oui. — Avec voire vicomte Andréa Cavalcanti? — Avec vicomte Andréa Cavalcanti, marquis son faites, allez!
le
le
père,
madame
Danglars, M.
madame de
cl
Villcfort,
gens charmants, M. Debray, Maximiiien Morrel, attendez donc
qui encore
des
et puis
ahl M. de Château-
Renaud.
— On a parlé de moi
— On n'en a pas — Tant — Pourquoi cela?
?
un mot.
dit
pis.
oublié,
on n'a
fait,
II
me
semble que
en agissant
ainsi,
si l'on vous a que ce que vous dé-
siriez?
— Mon cher comte,
si
l'on n'a point parlé
de moi, c'est
qu'on y pensait beaucoup, et alors je suis désespéré. "Jue vous importe, puisque mademoiselle Danglars
—
n'était point
au nombre de ceux qui y pensaient
U est vrai qu'elle pouvait y pen^^Hr chez
elle.
ici? Alàl
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
— Oh! quant
à cela, non, j'en suis sûr; ou
pensait, c'est certainement de la
pense à
—
137
même
si elle
y
façon que je
elle.
Touchante sympathie!
dit
le
comte. Alors vous
vous détestez?
—
Écoutez,
dit
Morcerf,
femsie à prendre en
était
souffre pas
pour
si
pitié
mademoiselle Danglars le
martyre que je
ne
à m'en récompenser en dehors
elle et
des conventions matrimoniales arrêtées entre nos deux familles, cela m'irait à merveille. Bref, je crois
que ma-
demoiselle Danglars serait une maîtresse charmante;
comme femme,
mais
— Ainsi,
diable...
Monte-Cristo en riant, voilà votre façon
dit
de penser sur votre future
— Oh
mon Dieu
!
!
oui
? ,
un peu
brutale
c'est vrai,
,
mais exacte du moins. Or, puisqu'on ne peut rêve une réalité
;
comme pour
arriver à
un
que mademoiselle Danglars devienne
faut
c'est-à-dire qu'elle vive avec moi, qu'elle
faire
de ce
certain but
il
ma femme,
pense près de
moi, qu'elle chante près de moi, qu'elle fasse des vers
musique à dix pas de moi,
ft
de
le
temps de
mon
la
et cela
pendant tout
ma vie, alors je m'épouvante. Une maîtresse,
cher comte, cela se quitte; mais une femme, peste
I
c'est autre chose, cela se garde éternellement, de près
ou de
loin c'est-à-dire. Or, c'est effrayant de garder tou-
jours mademoiselle Danglars, fût-ce
— Vous êtes — Oui car souvent
difficile,
,
môme
de
loin.
vicomte. je
pense à une chose impos-
sible. '
— A laquelle? — A trouver pour
moi une femme comme mon père
en a trouv*3 une pour Monte-Cristo
pâlit
lui.
et
regarda Albert en jouant ayeo
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
!38
des pistolets magnifiques dont
il
faisait
rapidement crier
les ressort.osait le retour
probable de Tile d'Elbe, et promettait une nouvelle lettre
de plus amples détails à l'arrivée du Pharaon, bâtiment appartenant à l'armateur Morrel, de Marseille, et
et
dont
Ib
capitaine était à l'entière dévotion de l'empereur
Pendant toute cette lecture, avait cru pouvoir compter
le
comme
général, sur lequel on
sur
un frère, donna au
,
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. des signes de mécontentement
contraire
gnance
visibles.
«Lalecture terminée, cil
255 de répu-
et
il
demeura silencieux
et le
sour-
dites
vous
froncé. «
— Eh bien
de cette a
lettre,
— Je dis
demanda
I
monsieur
le président,
le
que
général?
y a bien peu de temps,
qu'il
qu'on a prêté serment au
répondit-il
Louis XVIII, pour le violer déjà au bénéfice de l'ex-empereur. «
roi
Cette fois la réponse était trop claire pour
que
l'on
pût se tromper à ses sentiments. «
— Général,
nous de
roi
dit le président,
Louis
XVUI qu'il n'y
a que Sa Majesté l'empereur
mois de
la
il
n'y a pas plus pour
a d'ex-empereur.
et roi, éloigné
Il
n'y
depuis dix
France, son État, par la violence
et la tra-
hison. «
— Pardon, Messieurs,
n'y ait pas pour
un pour moi de camp,
et
:
vous de
dit le
roi
attendu qu'il m'a
que
«
— Monsieur,
fait
dit le
se peut qu'il
il
baron
je n'oublierai jamais
heureux retour en France que et
général;
Louis XVIII, mais
que
je dois ces
il
y en a
maréchal
et
c'est à
deux
son
titres.
président du ton le plus sérieux
en se levant, prenez garde à ce que vous
dites
;
vos
paroles nous démontrent clairement que l'on s'est trompé
sur votre compte à
l'ile
d'Elbe et qu'on nous a trompés.
La communication qui vous a qu'on avait en vous,
et
été faite tient à la confiance
par conséquent à
un sentiment
qui vous honore. Maintenant nous étions dans l'erreur
:
nouveau gouverrenverser. INouî. ne vous contraindrons pas à nous prêter votre concours nous n'en-
un titre et un grade vous nement que nous voulons
ont rallié au
;
rôlerons personne contre sa conscience et sa volonté; ûiais
nous vous contraindrons à
agir
comme un
galant
LE COMTE DE MONTE-CRISTO.
?56
homme, même au cas où vous n'y seriez point disposé. « Vous appelez être un galant homme connaître
—
votre conspiration et ne oas la révéler être votre complice,
J'appelle cela
!
moi.\>us voyez que je
suis encore
plus franc que vous...
— Ah
mon
!
père, dit Franz
prends maintenant pourquoi
,
ils
t'ont assassiné.
Valentine ne put s'empêcher de jeter
Franz;
homme
jeune
le
enthousiasme Villefort se
était
com-
s'inlerrompant, je
un regard sur
vraiment beau dans son
filial.
promenait de long en large derrière
Noirtier suivait des
lui.
yeux l'expression de chacun,
et
conservait son attitude digne et sévère.
Franz revint au manuscrit «
— Monsieur,
dit le
et
continua
président,
:
on vous a
prié de
vous
rendre au sein de l'assemblée, on ne vous y a point traîné
de force; on vous a proposé de vous bander les yeux, vous avez accepté. Quand vous avez accédé à cette double demande, vous saviez parfaitement que nous no
nous occupions pas d'assuier
le trône
de Louis XVlll,
sans quoi nous n'eussions pas pris tant de soin de nous
Maintenant, vous
cacher à
la police.
rait trop
commode de
on surprend
mettre
le secret
le
comprenez,
un masque à
l'aide
il
se-
duquel
des gens, et de n'avoir ensuite
qu'à ôter ce masque pour perdre ceux qui se sont
fiés
vous. Non, non, vous allez d'abord dire franchement
vous
êtes
ou pour «
pour
S.
— Je
le roi
de hasard qui régne en ce moment,
M. l'empereur. suis
royaliste
,
répondit le général
serment à Louis XVIIl, je tiendrai «
à si
mon
;
j'ai fait
serment.
Ces mots furent suivis d'un murmure général, eK î'on
put voir, par les regards d'un graod nombre des
membres
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. du
club,
257
qu'ils agitaient la question de faire
repentir
M. fl'Épinay de ces imprudentes paroles. «
Le président se leva de nouveau
«
—
grave
Monsieur,
et trop
quences de
vous
lui dit-il,
;\nposa silence.
et
êtes
un homme
trop
sensé pour ne pas comprendre les consé-
où nous nous trouvons
la situation
en face des autres,
et
les conditions qu'il
nous reste à vous
votre franchise
les
uns
même
nous
dicte
faire
vous
allez
:
donc jurer sur l'honneur de ne rien révéler de ce que
vous avez entendu.
main à son épée
"
Le général porta
«
— Si vous parlez d'honneur, commencez par ne pas
anéconnaitre ses «
— Et
vous
un calme plus ral,
la
lois, et ,
et s'écria
:
n'imposez rien par la violence.
Monsieur, continua le président avec
terrible peut-être
que
la colère
ne touchez pas à votre épée, c'est
un
du géné-
conseil
que
je
vous donne. «
Le général tourna autour de
celaient fléchit «
«
un commencement
lui
des regards qui dé-
d'inquiétude. Cependant
il
ne
pas encore; au contraire, rappelant toute sa force-
— Je ne jurerai pas, — Alors, Monsieur, vous
dit-il.
mourrez, répondit tran-
quillement le président. «
M. d'Épinay devint
fort pâle
:
il
regarda une seconde
autour de lui; plusieurs membres du club chuchotaient et cherchaient des armes sous leurs mantout
fois
teaux. «
— Général,
dit le
président, soyez tranquille
;
vous
tous les ïies parmi des gens d'honneur qui essayeront do contre porter se avant de convaincre moyens de vous
mais aussi, vous l'avez dit, vous tenez notre seconspirateurs, des parmi vous êtes
vous à cret,
il
la dernière extrémité;
faut
nous
le rendre.
LE COMTE DE MONTE-CMSTO.
258
Un silence plein de comme le général ne
«
et
signification suivit ces paroles
répondait rien
«
— Fermez les portes,
«
Le
«
Abr»» îe général s'avança,
même
—
J'ai
aux huissiers
président
silence de mort succéda à ses paroles.
sur lui-même «
dit le
;
:
un
et faisant
un
violent effort
:
fils
dit-il,
,
et je dois
me
scnger à lui en
trouvant parmi des assassins. «
— Général,
avec noblesse
dit
chef de rassemblée,
le
un seul homme a toujours
le
quante
la faiblesse.
c'est le privilège
:
tort d'user
de
droit d'en insulter cin-
Seulement
de ce droit. Croyez-moi, général jurez
il
et
,
a
ne
nous insultez pas. «
Le général, encore une
dompté par
fois
du chef de l'assemblée,
riorité
hésita
un
bureau du président
enfin, s'avançant jusqu'au
supé-
cette
instant; mais :
«
— Quelle
«
La
«
Je jure sur l'honneur de ne jamais révéler à qui que
voici
est la
formule? demanda-t-il.
:
monde
vu
«
ce soit au
«
vrier 1815, entre neuf et dix heures clare mériter la «
ce que
mort
si
j'ai
je viole
et
mon
entendu
du
le 5 fé-
,
dé-
soir, et je
serment.
»
Le général parut éprouver un frémissement nerveux
qui l'empêcha de répondre pendant quelques secondes
surmontant une répugnance manifeste,
enfin,
nonça
le
serment exigé, mais d'une voix
peine on l'entendit ils qu'il le
qui fut •
:
aussi plusieurs
si
membres
il
;
pro-
basse qu'à exigèrent-
répétât à voix plus haute et plus distincte, ce
fait.
— Maintenant, je désire
me
iJîtirer, dit le
général
;
suis-je enfin libre? «
Le
prt^-sident se leva,
désigna trois membres de
semblée pour l'accompagner,
et
l'as-
monta en voiture avec
LE COMTE DE MONTE-CRISTO. le général, après lui avoir
de ces
trois
membres
bandé
était le
les
yeux.
259
Au nombre
cocher qui les avait amenés
«
Les autres membres du club se séparèrent en silence
«
— Où voulez-vous
demanda
que nous vous reconduisions*
le président.
— Partout où
je pourrai être délivré
de votre pré«
sence, répondit M. d'Épinay. "
— Monsieur, reprit alors
vous n'êtes plus qu'à des
affaire
ici
le président,
prenez garde,
dans l'assemblée, vous n'avez plus
hommes
isolés
;
ne
les insultez
pas
si
vous ne voulez pas être rendu responsable de l'insulte. « Mais au lieu de comprendre ce langage, M. d'Épinay répondit «
:
— Vous êtes toujours aussi brave dans votre voilure
que dans votre
hommes
club, par la raison. Monsieur,
«
Le président
«
On
fi*
était juste
arrêter la voiture.
à l'endroit
du quai des Ormes où
trouve l'escalier qui descend à «
que quatre
sont toujours plus forts qu'un seul.
se
la rivière.
— Pourquoi faites- vous arrêter ici? demanda M. d'É-
pinay. «
— Parce que, Monsieur,
insulté
un h