LE VISAGE DE DIEU - Communion and Liberation

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2 déc. 2010 ... Sur le visage de Jésus Christ, nous voyons le visage de Dieu. Dans ses paroles, nous entendons Dieu. Lui-même nous parler. Benoît XVI.


TRACES

2010

R E V U E I N T E R N AT I O N A L E D E C O M M U N I O N E T L I B É R AT I O N

DÉCEMBRE

ANNÉE 11

4€

 LITTERAE COMMUNIONIS

Pour nous, Dieu n’est pas une hypothèse lointaine, il n’est pas un inconnu qui s’est retiré après le « big-bang ». Dieu s’est montré en Jésus Christ. Sur le visage de Jésus Christ, nous voyons le visage de Dieu. Dans ses paroles, nous entendons Dieu Lui-même nous parler. Benoît XVI Jean et André avaient la foi parce qu’ils avaient la certitude d’une Présence dont ils faisaient l’expérience : lorsqu’ils étaient assis dans cette maison, ce soir-là, et qu’ils le regardaient parler, ils avaient la certitude d’une Présence, l’expérience de quelque chose d’exceptionnel, du divin dans une présence dont on pouvait faire l’expérience. À la place de cet homme aux cheveux agités par le vent, au lieu de Le voir parler, de Le voir remuer les lèvres, Il vous arrive maintenant par nos présences qui sont de fragiles masques habités par quelque chose de puissant, habités par Lui. Luigi Giussani

LE VISAGE DE DIEU

TRACES  Revue internationale de Communion et Libération Litteræ Communionis - Année 11 -

 SOMMAIRE

Directeur de la publication : Lionel Michon [email protected] Comité de rédaction : P. Favre M. Iadarola - Père M. Pagani C. Pilet - S. Plaisir L. Sisto - M. Zappulli G. Zucchi Traduction : C. Bignamini N. Dumery - F. & M. Esquier P. Favre - J. Faure C. Foletti - M. Fontana - F. Gillet D. Jalade - C. Le Lay E. Migliore - I. Rey-Herme M. Rosada - F. Urbani - F. Zanenga Collaboration : Père Francesco A. Guerra - T. Martin - L. Michon C. Ramadour - L. Daudry J. Richard - L. Vanneste

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UNE RESPONSABILITÉ QUI GRANDIT AVEC LA FORCE DE L’ORIGINE Notes de l’intervention à l’assemblée générale de la Compagnie des Œuvres. Palasharp, Milan, 21 novembre 2010.

ÉDITORIAL

Une chance historique

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Une responsabilité qui grandit avec la force de l’origine par Julián Carrón

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LETTRES

Cameroun, Yaoundé, etc.

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PREMIER PLAN

Noël à Bagdad La mémoire est ici propos recueillis par Walid al-Iraqi

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Témoins de pardon par Fabrizio Rossi

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SOCIÉTÉ

L’effet Caire par Wael Farouq

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VIE DE CL

Russie La révolution de novembre par Giovanni Maspes

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CULTURE

Le big-bang et nous Un mystère pris au piège ? par Carlo Dignola

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Une lumière dans ce monde par Georges Cottier

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Un signe visible du Dieu invisible Homélie à Barcelone, 7 novembre 2010

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Maquette : C. de Guillebon Adresse de la rédaction et du siège social 15 av. Franco-Russe - 75007 Paris [email protected] Abonnements [email protected] Imprimeur Accent Tonic’ 20 - Paris Numéro de registre ISSN : 1632-4439 Numéro paritaire : 0111 G 81503

Contacts en France : LYON : E. Iadarola [email protected] 04 78 24 05 34 PARIS : [email protected] POITIERS : F. Musereau [email protected] 05 49 54 60 48 TOULON : F. Esquier [email protected] 04 94 23 75 72

Contacts à l’étranger : BELGIQUE : Mauro Zappulli communionetliberation@ skynet.be + 32 (0)2 64 94 319 CAMEROUN : M. Bezzi [email protected] BP 20409 Yaoundé

PAROLES DU PAPE

CANADA : [email protected] CÔTE D’IVOIRE : Père Santagostini [email protected] HAÏTI : M. Tambini [email protected] LIBAN : T. Francis [email protected] + (0)1 1 98 52 79 LUXEMBOURG : A. Cogliati [email protected] + (0)2 43 79 60 36 SUISSE : P. Favre [email protected]

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Noël à Bagdad

Comment les chrétiens irakiens vont-ils passer Noël cette année ? Peur et espérance pour ces martyrs. WALID AL-IRAQI

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Le big-bang

À Genève, de l’antimatière a été créée. Une réalité qui repose la question : de quoi est fait l’univers ? CARLO DIGNOLA

 ÉDITORIAL

UNE CHANCE HISTORIQUE L’éditorial de ce mois est un tract. Il a été rédigé par la communauté espagnole de CL après la visite de Benoît XVI à Saint-Jacques de Compostelle et à Barcelone. Il fait référence à l’Espagne et à Gaudí, mais il vaut pour tous. Car ce que le pape a dit face à la grandeur de la basilique de la Sagrada Família marque une étape dans le dialogue avec les raisons (et la raison) de l’Occident. Et la lecture qu’en ont fait nos amis espagnols montre à tous comment, en suivant le charisme, « l’intelligence de la foi » peut devenir toujours plus « intelligence de la réalité ». Comme nous le demande sans cesse le Saint-Père. Joyeux Noël !

«L

La beauté est la grande nécessité de l’homme ». Qui ne sentirait pas la justesse de cette affirmation ? Elle synthétise tout ce pour quoi nous nous engageons, nous travaillons ou nous aimons. Avec cette affirmation, Benoît XVI s’est présenté devant nous en montrant sa passion pour l’homme réel qui aime la raison et la liberté, qui désire le bonheur et aspire à la beauté. Et il l’a fait de manière concrète en indiquant un lieu de beauté : la Sagrada Família de Barcelone, une œuvre qui surprend et fascine des millions de personnes. Qui, en entrant dans ce temple, ne s’est pas senti blessé par sa beauté, ne serait-ce qu’un instant ? Gaudí, son génial architecte, « en ouvrant son esprit à Dieu, a été capable de créer dans cette ville un espace de beauté, de foi et d’espérance, qui conduit l’homme à la rencontre avec Celui qui est la Vérité et la Beauté même ». En outre, « La beauté est aussi révélatrice de Dieu parce que, comme Lui, l’œuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme ». Dans notre pays, malheureusement, Dieu a été souvent perçu comme un ennemi de la raison et de la liberté. En Espagne, le conflit entre la foi, réduite parfois à des normes morales et sociales, et la modernité, qui a dégénéré facilement en anticléricalisme, a été vécu de manière tragique. Pour cette raison, Benoît XVI a voulu nous présenter Gaudí »



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 ÉDITORIAL

» comme un exemple. Il a réalisé « une des tâches les plus importantes : dépasser le schisme entre conscience humaine et conscience chrétienne, entre existence dans ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu qui est la Beauté ». On peut comprendre ainsi la mission que le pape nous a confiée en affirmant que notre pays est le lieu exemplaire dans lequel se joue la possibilité que « foi et laïcité » se rencontrent à nouveau. Mais comment ? Gaudí n’a pas réalisé cette tâche « avec des paroles, mais avec des pierres, des lignes, des surfaces et des verticales ». Ici commence le véritable dialogue avec la modernité auquel le pape nous invite : devant des œuvres belles qui obligent l’homme à s’interroger, qui sont « le signe visible du Dieu invisible ». De façon contraire, une position idéologique laisse indifférent à tous sauf à ceux qui font partie de son propre camp. Elle ne met pas au défi, elle ne pose aucune interrogation à la raison, à la liberté de l’autre. Si les hommes qui nous rencontrent ne peuvent pas voir et toucher cette beauté dans notre humanité et dans nos œuvres, le dialogue sera impossible. Voilà la grande indication de méthode pour nous tous. Voilà le chemin qui permet de dépasser le drame de la séparation entre foi et raison qui est le mal de notre époque. Il en fut ainsi depuis le début. Jésus se présenta devant la société avec une capacité d’attirance qui fascina les hommes de son temps. La soif de beauté trouva en Lui son accomplissement. Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (Jn 1, 14). En d’autres termes, la raison (logos) qui a donné leur ordre à toutes les choses, la Beauté qui s’est manifestée dans toute beauté, la Bonté qui brille dans les gestes les plus humains s’est faite chair dans l’humanité de Jésus de Nazareth. Et elle vit aujourd’hui dans l’Église. C’est de cette humanité nouvelle, attirante, dont le monde a besoin. Pour cette raison, le pape a invité l’Église à « se faire transparence du Christ pour le monde ». Il nous appelle à participer « au désir profond de l’être humain », qui « est toujours en marche, à la recherche de la vérité », aspirant « à la plénitude de son être propre ». Ces exigences et désirs ne sont pas une étape dépassée ou à dépasser dans l’expérience chrétienne. Ne peut aller à la rencontre de l’homme qui cherche la vérité que celui qui l’a reconnue joyeusement dans le Christ, qui embrasse notre humanité souffrante. Une tâche passionnante pour laquelle sont nécessaires des personnes qui T désirent être les acteurs de l’histoire de notre pays.

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Une responsabilité qui grandit avec la force de l’origine par Julián Carrón Notes de l’intervention à l’assemblée générale de la Compagnie des Œuvres. Palasharp, Milan, 21 novembre 2010.

Antoine Serra, Déchargement des navires.



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UNE RESPONSABILITÉ QUI GRANDIT AVEC LA FORCE DE L’ORIGINE

Notes de l’intervention à l’assemblée générale de la Compagnie des Œuvres. Palasharp, Milan, 21 novembre 2010. PAR JULIÁN CARRÓN

«S

I LA VIE NOUS SATISFAISAIT, faire de la littérature n’aurait aucun sens ». Quand Bernhard Scholz m’a invité à parler du thème de cette assemblée, je me suis souvenu de cette phrase de l’écrivain Flannery O’Connor qui trônait à l’entrée de l’exposition qui lui était dédiée cet été au Meeting pour l’amitié entre les peuples. Faire de la littérature commence dans le désir d’être satisfait, dans le désir d’accomplissement. De manière analogue, chacun de nos actes part de cette exigence d’accomplissement que nous portons en nous. D’après Thomas d’Aquin, « tous désirent atteindre leur propre perfection » (Summa Theologiae, I-II, 1, 7, c) c’est-à-dire leur propre bonheur ultime, leur propre réalisation authentique. C’est ce désir qui est à l’origine de vos œuvres. Alors, pour conserver la force de l’origine, il ne faut pas perdre la puissance du désir qui a fait naître ces œuvres.

QUEL EST DONC LE PROBLÈME AUJOURD’HUI ? Le désir est très souvent réduit à un sentiment. Mais un désir réduit à un sentiment est vidé de son essence. Que serait un désir privé de la force de partir en quête de ce qu’on désire ? Une ombre de désir. Un désir réduit de cette façon n’a pas la force de soutenir un engagement réel, une responsabilité, comme l’explique don Giussani : « Au lieu du cœur, nous prenons le sentiment comme moteur, comme raison ultime de nos actions. Qu’est-ce que cela signifie ? Notre responsabilité est rendue vaine par le fait de céder à l’utilisation du sentiment avant le cœur, réduisant ainsi le concept du cœur à un sentiment. En revanche, le cœur représente et agit comme le facteur fondamental de la personnalité humaine. Ce qui n’est pas le cas du sentiment car, pris tout seul, il agit comme une réactivité, de manière animale en somme. Pavese dit : « Je n’ai pas encore compris quelle est la tragédie de l’existence […]. C’est pourtant clair : il faut vaincre l’abandon voluptueux et cesser de considérer les états d’âme comme fin à eux-mêmes ». L’état d’âme a un autre but qui lui confère une dignité : c’est une condition posée par Dieu, le 6



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Créateur, à travers laquelle on est purifié. Tandis que le cœur montre l’unité entre sentiment et raison. Ce qui implique un concept de raison qui n’est pas limité, une raison selon toute l’ampleur de ses possibilités : la raison ne peut pas agir sans l’affection. Le cœur – raison et affectivité – est la condition de la saine réalisation de la raison. La condition pour que la raison s’épanouisse pleinement est que l’affectivité l’investisse et ainsi mette en mouvement l’homme tout entier. Raison et sentiment, raison et affection : voilà le cœur de l’homme » (L. Giussani, L’uomo e il suo destino, Genova, 1999, pp. 116-117). Quand le désir se vide ainsi, l’action n’a pas d’autre voie que le moralisme. Une action devient moralisante quand elle perd le lien avec ce qui la fait naître : on continue à vivre en époux sans connexion avec l’attraction qui a fait naître le rapport amoureux ; on travaille sans désirer l’accomplissement personnel, même si on a un bon salaire. En somme, quand cela arrive il ne reste plus que des règles à respecter. Tout devient lourd, un effort titanesque pour faire quelque chose qui n’a plus rien à voir avec notre désir.

NOUS SAVONS TOUS COMBIEN IL EST ARDU de garder le désir éveillé. Alors la tentation la plus évidente est de passer comme chat sur braise et de clore la partie. Combien parmi vous ont perçu cette tentation quand le désir diminue face aux énormes difficultés que vous devez affronter en ces temps de crise ! La question est simple : est-il possible de garder le désir éveillé face aux défis du présent ? Chez le petit enfant, nous retrouvons l’ouverture totale du désir. Nous la surprenons dans ce phénomène tellement humain de la curiosité qui ouvre le cœur de l’enfant à tout : « Le cœur d’un enfant est fait pour découvrir, pour goûter pleinement, pour voyager sans trêve à travers tout l’univers, jamais fatigué et toujours gai, en paix, curieux et satisfait » (L. Giussani, Realtà e giovinezza. La sfida, SEI, Torino, 1995, pp. 78-79). Mais nous voyons qu’en route cette ouverture pleine de curiosité peut diminuer jusqu’à disparaître, comme en témoigne le scepticisme de tant

d’adultes. En fait, tout l’élan avec lequel un enfant sort du sein de sa mère ne peut éviter sa déchéance jusqu’à la mort. Nous pouvons voir la même parabole dans la vie adulte, dans le travail, dans les œuvres. Tout l’élan avec lequel on commence à travailler ne peut pas empêcher sa diminution

progressive ni que l’on puisse se lasser.

Fernand Léger, Les constructeurs.

VOICI DONC LE VRAI DÉFI : Est-il possible de conserver la force propulsive de l’origine ? L’exemple de l’enfant nous montre que toute son énergie n’est pas suffisante pour entretenir le désir dans toute »



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» son ampleur. Tout seul, l’homme est incapable de garder la fraîcheur et la vivacité de l’origine, comme le dit encore don Giussani : « Maintenir, dans la vie, la sympathie originelle (avec laquelle nous sommes nés) pour l’être ou la réalité, être vraiment comme des enfants (ou pauvres d’esprit, comme dit l’Évangile) ; cette positivité face à la réalité ne perdure que si l’on est comme des enfants, dans l’attitude des enfants. Nous reconnaissons que nous sommes incapables d’être ainsi dans la vie ; par conséquent il nous faut quelque chose d’autre » (L. Giussani, L’autocoscienza del cosmo, Bur, Milano, 2000, p. 306). On comprend donc comment la présomption moderne prend le visage du moralisme : « La dissociation du sens de la vie et de l’expérience implique aussi une dissociation entre moralité et action de l’homme : la moralité conçue ainsi n’a pas la même racine que l’action. Comment ? Dans la mesure où la morale a quelque chose à voir avec l’action de l’homme, elle a également quelque chose à voir avec l’expérience, mais sans avoir la même racine que l’action ; elle ne répond pas à la physionomie, au visage que nous donne l’expérience. Ainsi on comprend, entre autres, l’émergence du moralisme : c’est la morale qui, paradoxalement, n’a rien à voir avec l’action dans la mesure où elle n’est pas simultanée. Le moralisme est un ensemble de principes qui précède et investit l’action de l’homme, la jugeant de manière théorique, abstraite, sans motiver pourquoi elle est juste ou non, sans motiver pourquoi accomplir une action ou y renoncer. En définissant a priori l’action que l’homme est en train d’accomplir, on juge ce qu’il fait sans qu’il en ait pris conscience ou sans qu’il ait conçu son action dans le monde ni son chemin sur les voies du temps et de l’espace comme une démarche praticable. La moralité n’a donc pas la même racine que l’action. C’est pourquoi elle finit par souligner des valeurs communes, perçues de manière générale ; ses principes sont donc dérivés de la mentalité commune ou imposés par l’État » (L. Giussani, L’uomo e il suo destino, op. cit., p. 106). C’est le triomphe du volontarisme le plus stérile : « Face à l’impossibilité de réaliser une image humaine, face à une nature comprise de manière matérialiste qui renverse et élimine tout, la force de la volonté humaine se prépare un projet de manière rigide et, avec toute son énergie, elle essaie de le réaliser. À titre d’exemple je cite ce passage de Russel : “… J’éprouvai quelque chose comme ce que 8



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le peuple chrétien appelle conversion. De manière imprévisible et vive, je pris conscience de la solitude dans laquelle vivent la plupart des gens et je désirai trouver des voies pour diminuer ce tragique isolement. La vie de l’homme est une longue marche à travers la nuit, entouré par des ennemis invisibles, torturé par l’usure et la peine ; comme dans un livre,



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« UN JOUR, IL SE DEMANDA QUI C’ÉTAIT... »

Edouard Munch, Ouvriers rentrant chez eux.

nos compagnons de voyage disparaissent un à un de notre champ visuel ; la période pendant laquelle nous pouvons les aider est très brève. Que notre temps verse une lumière solaire sur leur chemin pour renouveler le courage qui manque, pour instiller la foi dans leurs heures de désespoir”. Du courage : pourquoi ? De la foi : laquelle ? Le volontarisme montre

son aveuglement et son irrationalité. Avec le volontarisme, l’homme essaie d’étendre ses capacités à un horizon que sa conscience plus réfléchie sait ne pas pouvoir atteindre, comme la grenouille de la fable qui s’est gonflée jusqu’à l’explosion » (L. Giussani, Il senso di Dio e l’uomo moderno, Bur, Milano, 1994, pp. 111-112). »



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UNE RESPONSABILITÉ QUI GRANDIT AVEC LA FORCE DE L’ORIGINE

» Si nous ne sommes pas en mesure de garder le désir en vie, le moralisme nous oblige à faire les choses même quand finit ce désir. Nous pouvons tous imaginer ce qu’est la vie ou le travail quand ils sont réduits à un pur devoir. L’usure de la personne, la fatigue chronique, l’absence d’une motivation adéquate pour agir sont les plus grandes menaces auxquelles est exposée la responsabilité. Les conséquences sont à l’affût. La seule inconnue est combien de temps il nous faudra pour fuir.

EST-IL POSSIBLE DE CONTINUER SON ACTIVITÉ dans la vie adulte sans être condamnés à fuir tôt ou tard? Oui, mais seulement si le désir est constamment réveillé. Et cela nous ne pouvons pas le faire tout seuls, nous le savons d’expérience. C’est ce que le Christ est venu faire. La rencontre avec le Christ produit cette surprise du réveil du désir en nous : une rencontre est l’unique et grande ressource pour une reprise de notre moi. Mais quelle est la portée de cet événement dans la vie d’une personne ? « C’est une rencontre qui sollicite la personnalité, la conscience de sa propre personne. La rencontre n’engendre pas la personne (elle est engendrée par Dieu qui nous donne la vie à travers nos parents) ; mais c’est dans une rencontre que je prends conscience de moi-même, et que les mots “moi” et “personne” se réveillent. […] Le moi se libère de son enveloppe originelle, il se lève de sa tombe, de son sépulcre, de la situation fermée de son origine ; il “ressuscite” pour ainsi dire, il prend conscience de soi justement dans une rencontre. Le résultat d’une rencontre est la sollicitation du sens de la personne. C’est comme si la personne naissait : elle ne naît pas là, mais, dans la rencontre, elle prend conscience de soi et par conséquent elle naît comme personnalité ». Cette rencontre qui réveille la personne représente le début de l’aventure (nous voyons ici tout le génie éducatif de don Giussani), elle n’est ni la fin d’un parcours ni le but du chemin, mais le début d’une histoire destinée à investir toute la réalité. Don Giussani nous fait également prendre conscience des conséquences négatives lorsque l’on traite la rencontre comme un point d’arrivée : « Le problème commence ici, quand la personne s’est réveillée : toute l’aventure commence ici, elle ne finit pas ici. Pourquoi tant de personnes sont déçues de CL ? Parce qu’une fois qu’elles sont entrées, c’est comme si elles avaient fermé la porte, comme si elles étaient arrivées ». Au contraire, la rencontre constitue le début de tout : « L’aventure commence quand la personne est réveillée par la rencontre 10



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[…]. L’aventure, c’est le développement dramatique du rapport entre une personnalité réveillée et toute la réalité qui l’entoure et dans laquelle elle vit » (L. Giussani, L’io rinasce in un incontro (1986-1987), Bur, Milano, 2010, pp. 206-207). Le vrai problème est donc que ce commencement demeure contemporain. Le Christ est notre contemporain dans le charisme. Notre moi a été réveillé par la rencontre avec le charisme de don Giussani. Nombre de nos œuvres sont le fruit de ce moi



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UNE RESPONSABILITÉ QUI GRANDIT AVEC LA FORCE DE L’ORIGINE

réveillé par le charisme. Nous pouvons conserver la force de l’origine si nous gardons le contact avec le charisme, comme vous le disait don Giussani lors de votre assemblée nationale en 1995 : « Plus on aime la perfection dans la réalité des choses, plus on aime les personnes pour lesquelles on agit, plus on aime la société pour laquelle on crée une entreprise, quelle qu’elle soit, et plus on désire être corrigé pour se perfectionner. Cette pauvreté dans la possession des choses, dans chaque

travail, chaque entreprise, fait de l’homme un acteur, un artisan, un protagoniste. Mais liberté signifie aussi élan créatif en plus de la conscience de ses propres limites. Si elle est rapport avec l’Infini, elle lui emprunte cette inépuisable volonté de créer. Il en est ainsi non seulement pour ceux qui sont tellement vieux qu’ils sont déjà morts – et cela peut arriver à l’âge de 20 ans ! Combien de personnes, à 20 ans, n’ont plus ni désir, ni imagination, ni envie de tenter quelque chose, ni prise »



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Jean Rixens, Les fondeurs.

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UNE RESPONSABILITÉ QUI GRANDIT AVEC LA FORCE DE L’ORIGINE

À l’attention de Rédaction de Traces. E-mail : [email protected]

Giacomo Balla, La journée des ouvriers.

» de risque dans leur vie ! Tout peut être corrigé et il doit être possible de tout créer. Cet instinct créateur est la caractéristique la plus positive et la plus fascinante de la liberté » (L. Giussani, L’io, il potere, le opere, Marietti, Genova, 2000, p. 117).

VOICI POURQUOI LA COMPAGNIE DES ŒUVRES est différente de n’importe quelle association, avec son originalité propre : elle réveille et soutient les énergies de l’individu. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut répondre aux défis d’aujourd’hui. Je cite ce très beau passage du discours de don Giussani lors de votre assemblée nationale de 1993 : « Votre compagnie tend à créer une maison plus habitable pour l’homme. Et elle y réussit, peu importe la taille du succès, mais elle réussit. Chacun de vous en a fait l’expérience. Pourquoi votre compagnie essaiet-elle de créer une maison plus habitable pour l’homme ? Parce que votre passion c’est l’homme dans sa réalité concrète. C’est-à-dire l’homme qui a besoin. De fait, c’est dans le besoin que l’homme se retrouve vraiment lui-même. Et le besoin c’est aujourd’hui. Penser répondre à un besoin demain ou dans une année est hautement équivoque si on ne place pas immédiatement les facteurs de la manière 12



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la plus propice pour répondre à la faim et à la soif, à la nécessité que l’homme vit maintenant. Demandons-nous pourquoi Jésus suscitait tant de curiosité et d’étonnement chez ceux qu’il rencontrait. Parce que quiconque voyait agir ou entendait parler Jésus percevait quelque chose, surtout une chose : pas la Trinité, ni l’Enfer ou le Paradis, mais une passion pour l’homme, avant tout une passion pour le besoin de l’homme. Une pitié pour l’homme : “Il se tourna et vit toute cette foule et il eut pitié d’eux car ils étaient comme des brebis sans berger”. C’est pour cela que les gens Le suivaient » (Idem, p. 131). Ce regard d’un autre monde engendre ici-bas une nouvelle responsabilité parmi nous (non pas cette vieille responsabilité selon les schémas du monde, qui cherche le profit et l’accomplissement personnel dans les œuvres une fois que le désir a disparu). Ce regard nous donne un nouveau visage pour nous présenter à nos frères les hommes et c’est la seule chose qui pourra apporter une contribution réelle à la société contemporaine. Ce regard que l’on porte sur les autres parce qu’avant tout on reconnaît en avoir été gratifié, c’est ce que je désire et que je vous souhaite. T Merci.



LETTRES

SAISI PAR LE CHRIST JÉSUS e m’appelle Kamkuimo Gaspard Jean-Benoît. Chez nous, on accorde beaucoup d’importance aux noms, et ils sont en général minutieusement choisis à la naissance. En langue bandjou, Kamkuimo signifie « notable ». Je suis Semi-Bantou, originaire de la province de l’ouest du Cameroun, de la tribu Bamiléké. Né à Douala, la capitale économique du Cameroun, j’y ai vécu pas mal d’années ; mais mes parents m’ont transmis, comme par osmose, les coutumes et les façons de faire de mon village. Mon baptême et l’instruction religieuse reçue à l’école m’ont préparé à la foi sans que j’y participe concrètement. L’aventure avec Communion et Libération a commencé à Yaoundé au début des années 1990, et 1 001 questions défilaient dans ma tête malgré l’école de communauté. Je ne me sentais édifié qu’en lisant le livret intitulé Communion et Libération, un mouvement dans l’Église et je m’en tenais à ce que la fraternité demandait de faire. Le rapport avec mes amis, avec la réalité et le mystère a commencé à s’éclaircir. La prière, l’eucharistie, la confession n’étaient plus ces gestes simplement mécaniques tels que je les vivais avant, parce que les livres de don Giussani que nous lisons pendant les écoles de communauté (Le Sens religieux, Pourquoi l’Église ?, Le Risque éducatif) donnaient une logique et une démonstration assez concrète de ce que je vivais et où j’allais. J’ai été particulièrement édifié par les exercices de la Fraternité de 2007, quand Carrón a dit dans la leçon du samedi matin : « L’expression

J

Écrire à : Rédaction de Traces - 15 avenue Franco-Russe - 75007 Paris - France

de la religiosité en tant que conscience de dépendre de Dieu s’appelle prière ». Au fur et à mesure que j’évolue dans le rapport quotidien avec le Christ, force est de constater, comme le dit Bernhard Scholz dans Traces de janvier 2010, que « le travail en soi ne répond pas toujours au désir de bonheur de l’homme. C’est une condition qui permet à l’homme de se connaître et de prendre toujours plus conscience de son propre désir de bonheur, au point de comprendre que le succès ou l’échec ne peuvent plus être ce qui définit la personne ». Et ce que dit saint Paul est d’ores et déjà clair pour moi : « Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir ; ayant été saisi moi-même par le Christ Jésus. Non, frère, je ne me flatte point d’avoir déjà saisi ; je dis seulement ceci oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là haut dans le Christ Jésus ». Un merci incommensurable à la revue Traces, à Maurizio Bezzi, Marco Pagani, Carrón et don Gius, à tous les amis du mouvement. Que le Seigneur touche le cœur de tous. Kamkuimo, Cameroun YAOUNDÉ - NOËL 2010 est beau d’être ici avec vous ; je me sens bien en regardant la manière dont vous êtes ensemble ». C’est ce que me disait un garçon du Centre Edimar en se référant aux éducateurs, pendant une pause à l’école de l’après-

«C’

midi. En effet, à 20 ans, il suit les cours de CM1. Il a une histoire difficile et douloureuse, apparemment sans issue en raison d’un rapport avec sa mère particulièrement inhumain pour un fils qui se sent repoussé depuis sa conception. Il est probable qu’une de ses tantes l’accueille dans les prochains jours et cela serait vraiment un beau cadeau de Noël. Il est évident que le Mystère se révèle comme Il veut et à travers qui Il veut. On y assiste souvent étonnés, en raison de la manière dont le Christ se rend présent parmi ces jeunes de la rue qui viennent au Centre. Il y a quelques mois, avant le jour de Pâques, j’ai raconté aux jeunes la parabole de l’enfant prodigue : il s’identifient facilement avec cette histoire car il s’agit de leur propre histoire. Dans le dialogue qui suivit, en citant plusieurs faits de la vie, un jeune non chrétien dit que l’enfant prodigue eut le courage de retourner chez son père parce qu’il n’avait pas laissé mourir son cœur. Là est la question. Toutes nos tentatives, l’expérience chrétienne que le Centre propose à ces jeunes sur lesquels personne ne parierait un centime, nous les misons sur ce point précis, car les exigences de beauté et de bonheur dont le cœur de l’homme est fait sont vraiment les mêmes pour tous. Plus on approfondit la demande sur le sens de la vie, plus on voit le cœur sauter de joie, comme pour Jo, qui en cette période, après des années dans la rue, est content parce qu’il a retrouvé sa famille, il apprend le métier de mécanicien spécialisé dans les motos et, en lisant Le Sens religieux, il commence à porter un nouveau regard sur soi.



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À l’attention de Rédaction de Traces. E-mail : [email protected]

C’est l’histoire de tant de jeunes qui, après avoir vécu souvent des expériences familiales douloureuses, marqués par la violence de la rue et de la prison, en rencontrant une amitié comme la nôtre, entrevoient quelque chose de bon pour eux-mêmes, une nouvelle possibilité pour que la vie puisse repartir avec un regard sur soi plus positif, chargé de dignité. C’est ce qui est arrivé à Pagi au mois de juin dernier. À 25 ans, après des années de vie tumultueuse, il a obtenu son diplôme de CM2 au Centre Edimar et, après avoir suivi quelques cours de cuisine, il travaille dans un restaurant. Il est lui-même surpris par le changement intervenu dans sa vie, un changement dont nous témoigne aussi son père, qui nous remercie émerveillé. Ne parlons pas de Max, victime des préjugés culturels, que sa famille a chassé de la maison il y a 15 ans parce qu’on le croyait sorcier. Il apprend en ce moment le métier de forgeron et, depuis un an, il compose des poésies qu’il récite en public. Dans une société où se développe toujours plus fortement une mentalité préoccupée seulement par ses intérêts immédiats et par le pouvoir à tous les niveaux, l’expérience éducative du Centre Edimar devient toujours plus un signe incomparable. C’est l’unité simple et quotidienne entre des personnes conscientes du fait que leur besoin d’amour est le même que celui de chacun des jeunes que nous accueillons. « Le verbe s’est fait chair »… Quelqu’un s’est penché sur nous et continue à nous accueillir. Le Mystère de Noël nous surprend toujours. Au revoir à tous, affectueusement. Merci. Mes meilleurs vœux. P. Maurizio

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DÉBUT D’ANNÉE hers amis, j’ai encore passé un de ces moments percutants en votre compagnie. Il y a quelques semaines j’ai été informée que pour cette année il y avait une nouveauté (« j’adore » la nouveauté) : on allait nous présenter le message du père Julián de ce début d’année. L’heure ne m’arrangeait pas. Puis en semaine il y a eu comme un « tilt », j’ai pensé à toutes ces personnes avec qui j’avais passé l’année et qui m’ont souvent fait penser : « C’est pas croyable de mettre sa vie en l’air à ce point, si seulement il pouvait rencontrer CL ». Alors je me suis mise à faire des SMS et à appeler. Le jour arrivé j’ai eu une course de dernière minute à faire. J’étais un peu énervée parce que je me disais : « C’est dingue, je vais être en retard et je serai crevée pour suivre ». Puis on est entré dans la salle, j’avais tellement le souci que chacun rentre chez lui avec quelque chose que de les voir s’asseoir autour de moi me rassurait : j’allais pouvoir veiller à ce qu’ils ne s’endorment pas ou qu’ils n’aient pas trop de mal à suivre. Dès que le père Julián est apparu sur l’écran le deuxième « choc » est intervenu. J’ai comme lu sur son visage : « Tu n’es pas là pour soutenir les autres, tu es là pour toi-même ». Alors j’ai arrêté de les regarder sans arrêt, de leur demander si tout allait bien. Père Julián s’est mis à commenter le chant d’entrée (l’homme méchant) et là… C’est à ce moment que j’ai fait attention au chant. Le fait que j’étais enfin exaucée. Amèrement, mais exaucée. En fait au fond je suis une personne profondément triste. Mille fois au

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moins je me suis profondément demandée ce qui me rendait aussi pleine d’affliction. Plusieurs fois j’ai eu conscience de la contradiction que cela pouvait représenter que je sois une personne à ce point « en manque ». Et naturellement, jamais une seule raison n’expliquait cette douleur fictive, non identifiable, qui me consumait. Et cet après-midi quelqu’un me disait : « Tu es une femme méchante voilà pourquoi ! ». C’était cru, amer comme réponse mais c’était vrai. Le père continuait de parler et je cherchais désespérément le moyen de sortir de cette salle à défaut de pouvoir lui dire : « Laisse tomber, j’ai gâché trop de choses déjà pour continuer ». Et là, dans cette salle, en l’espace de quelques minutes, je suis passée de la méchante à la bien-aimée ! Le même père a dit : « Dieu le regarda, Il fut ému et Il le combla de plus de grâces », et moi j’ai compris : « Calme-toi, jeune fille, il fallait juste que tu remarques ce qui t’empêche de marcher. Maintenant le chemin peut commencer ou, si tu veux, recommencer, parce que tout recommence en Jésus Christ ». Géraldine Marlène Foalem

UN BAISER POUR QUE MAMAN SOIT HEUREUSE her père Carrón, tandis que j’écoutais l’école de communauté de mercredi, j’ai pensé à la phrase de l’Évangile : « Si votre foi était grande comme un grain de sénevé, elle déplacerait les montagnes ». Cette phrase m’avait toujours semblé exagérée. Mais tandis que je t’écoutais... Quelle est la chose la plus

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RES importante et la plus difficile pour moi ? Être sûre que je suis aimée pour toujours, qu’il y a un Tu face à moi qui me porte, moi et le monde entier. Quand je vis avec cette certitude, quand la réalité me porte à cette certitude, je suis contente. Et ça, c’est comme déplacer une montagne. Si je me rappelle que Jésus a pris la personne que j’ai aimée, qu’il l’a prise avec lui pour toujours, en la rendant heureuse, alors je tombe amoureuse de Jésus. Et cela me rend heureuse d’être amoureuse de Celui qui seul peut combler mon cœur. Quelle belle chose que de découvrir qu’Il me répond, que je suis aimée telle que je suis (par exemple quand j’affronte la douleur d’être seule avec trois enfants,

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ou cette solitude qui me pèse), à travers mon humanité (qui ne me semble plus si insupportable que ça), si je me mets à genoux (dans mon cœur je me sens souvent à genoux). Un jour, par exemple, alors que je pleurais en silence et que je demandais à Dieu si je serais de nouveau heureuse un jour, ma petite fille, qui avait trois ans et commençait tout juste à parler, s’est approchée et m’a donné un baiser en disant : « C’est pour que tu sois heureuse, maman ». Une autre expérience forte a été mon rapport avec un prêtre qui m’a aidée à repartir toujours de la miséricorde de Dieu. Ou bien cette rencontre avec un ami avec qui j’avais fait le CLU, alors que cela faisait cinq ans que je ne l’avais pas vu. Et ceci parce qu’il y

a cinq ans j’ai commencé à avoir comme une répulsion pour le mouvement. Je pensais que ces gens se contentaient d’écouter un discours et j’ai cru devenir folle, parce que je voulais vivre ! J’ai passé cinq années douloureuses, à me sentir coupable, à essayer de faire taire mes doutes, à implorer Dieu de m’aider à me défaire de cette rébellion et à suivre le mouvement, que je considère comme étant mon chemin vers la sainteté. J’ai été soudainement émue par ce rapport, et je me suis souvenue qu’à vingt ans j’étais totalement attirée par la beauté de notre amitié, tellement je désirais le reconnaitre. Et voici qu’à 42 ans je retrouve ma jeunesse, encore plus belle et plus pleine d’affection. Agnese

TOUT SEMBLAIT HOSTILE, TANDIS QUE...

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ier, Sara et moi avions décidé de nous voir, et je comptais me rendre chez elle en mobylette un peu plus tard dans l’après-midi. J’ai bâclé mes devoirs que je n’avais pas envie de faire et je me suis préparée. Mais au moment de partir, il a commencé à pleuvoir des cordes. J’étais furieuse ! J’avais tout organisé en fonction de notre rencontre, mais rien ne se passait comme je l’avais prévu. Je l’ai donc appelée pour la prévenir, et on a commencé à parler au téléphone. J’étais tellement fâchée et déçue, que j’ai soudainement fondu en larmes. Pas seulement à cause de notre rendez-vous manqué, mais aussi parce que je n’étais pas heureuse. Depuis quelques jours j’en avais vraiment marre de tout, tout en refusant de me l’avouer : je n’avais aucune envie d’étudier, j’étais mal à l’aise avec ma mère, l’école me rendait nerveuse... J’avais besoin de trouver le sens des choses que je faisais, sans toutefois y arriver. Tout m’écrasait et je n’avais envie de rien faire. Peut-être devais-je attendre que cela passe tout seul tellement cela semblait difficile à gérer. Je me rends compte que j’essaie toujours de ne pas regarder tout cela en face, que j’essaie de nier les problèmes parce qu’ils sont trop difficiles à résoudre. Mais je sais surtout que lorsque je me rends compte de l’immensité de mon besoin, plus que jamais je me sens moi-même. Sara a eu envers moi une attention plus grande que celle que j’avais envers moi-même. Elle a insisté, elle m’a réprimandée, elle voulait que je vive vraiment, que je n’attende pas que ça passe tout seul. Elle voulait que je fasse quelque chose. C’était surprenant, parce qu’elle prenait soin de moi plus que je ne le faisais moi-même. Ensemble nous avons relu le paragraphe qu’il fallait lire pour aujourd’hui pour l’école de communauté : « Femme, ne pleure pas ». Ce texte me parlait directement, moi qui étais au téléphone en train de pleurer éperdument. Chaque mot m’était adressé. Et à la fin, le passage dit : « Jésus ne te dit pas qu’Il va résoudre tes problèmes ! Il ne te dit pas que ça ira mieux demain. Il t’approche, avec toute sa tendresse ». Bea



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MESSAGE DU PÈRE JULIÁN CARRÓN SUITE À LA MORT DE MANUELA CAMAGNI, MEMORES DOMINI DE LA FAMILLE PONTIFICALE

A

près avoir appris la nouvelle de la mort soudaine de Manuela Camagni, Memores Domini qui travaillait dans l’appartement du pape, le père Julián Carrón, président de la Fraternité de Communion et Libération, a envoyé le message suivant à tout le mouvement : « Chers amis, la mort soudaine de notre amie Manuela Camagni est la modalité mystérieuse par laquelle le Seigneur nous oblige à penser à Lui, tout en renouvelant la certitude que “pas un cheveu de votre tête ne sera perdu”, comme l’a dit la liturgie d’aujourd’hui. Serrons-nous et embrassons encore plus intensément le SaintPère, tels des fils qui veulent partager toute son humanité blessée. “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis”. Sa façon de donner sa vie s’est manifestée de manière évidente et surprenante aussi bien à travers la disponibilité de Manuela envers la mission, lors de l’expérience à Tunis, que dans son service au Saint-Père. Que son sacrifice puisse renouveler en chacun de nous la vérité de notre “oui”, pour que la victoire du Christ puisse s’affirmer toujours plus dans nos cœurs. Que don Giussani obtienne de la Vierge Marie le don du bonheur éternel pour notre amie et celui de la consolation pour le pape ». Le bureau de presse de CL, Milan, le 24 novembre 2010. Retrouvez sur le site http : www.clonline.org/fr/ les textes du message et de l’homélie du pape Benoît XVI pour la mort de Manuela, ainsi que l’homélie prononcée par le père Julián Carrón aux funérailles.

L’AFFICHE DE NOËL

L

William Congdon, Nativité, 1960.

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a peinture a été faite à Assise, peut-être même précisément le jour de Noël de l’année 1960. Un an plus tôt, Congdon avait été baptisé dans l’Église catholique. C’est donc une liturgie intensément vécue comme une continuelle découverte qui inspire sa peinture à cette époque-là. L’image traditionnelle et populaire de la crèche apparaît de façon évidente dans les figurines stylisées, presque enfantines, de la Vierge et de l’Enfant. Mais la scène est insérée dans une sorte de “drame cosmique” : un immense gouffre aux parois couleur rouille est envahi, jusqu’au fond, par une lumière éblouissante. En bas, l’entrecroisement des lignes gravées renvoie aux planimétries monotones et désolées des villes modernes, plusieurs fois représentées dans ses œuvres précédentes. À l’inverse, par un griffonnage nerveux dans la partie supérieure de la peinture, l’artiste évoque l’exultation des anges sous la forme d’un vol de colombes. Par ailleurs, la figure de la Vierge est assise sur un support qui fait penser à la pierre d’un autel, d’autant plus qu’audessus se trouve comme suspendu une sorte de léger baldaquin. C’est l’événement de l’Incarnation qui est exprimé dans sa triple dimension : historique, liturgique et cosmique. Rodolfo Balzarotti

Lire et écouter Le livre du mois : Simon appelé Pierre, du père abbé Mauro Giuseppe Lepori* Écrirecheminement à : Rédaction de Traces - 15 avenue Franco-Russe - 75007 Paris -j’ai France « À chaque étape de mon d’homme, de chrétien, de moine, d’abbé, retrouvé saint Pierre comme un compagnon qui me précédait, tout en étant humain, pauvre et plein de contradictions comme moi. Pierre est le saint de l’Évangile qui nous ressemble plus que les autres, qui est le plus proche de notre humanité et pourtant si proche du Christ. Pierre, nous pouvons toujours le suivre, toujours il nous conduit à Jésus, nous unit à Jésus, car il n’a jamais permis à sa propre fragilité de séparer son cœur du Christ, pas même lorsqu’il le reniait ».

Extrait de l’introduction. Mauro Giuseppe LEPORI, Simon appelé Pierre, préface du cardinal Angelo Scola, éd. Parole et Silence, 2007, 133 pages, 14 euros. *Dom Lepori vient d’être élu abbé général de l’Ordre cistercien de la commune observance.

Le CD du mois : Collection Spirto Gentil n° 52 Voi ch’amate lo criatore (Vous qui aimez le créateur)

Laudes médievales Chœur de Communion et Libération dirigé par Pippo Molino

Vous pouvez vous procurer ce CD en consultant le site : www.itacalibri.it

Tout subsiste en Lui - Luigi Giussani Pour le monde médiéval la permanence du Christ dans l’histoire était un fait : le Christ était réellement une présence. Ces Laudes sont le fruit de cette vertu de simplicité qui adhérait à l’évidence de la stupeur que cet homme éveillait. La stupeur qu’il suscitait était comme une promesse : la promesse de quelque chose de meilleur, de plus fort, de plus vrai, de plus amoureux, de plus compatissant, de plus profondément vie… C’était une promesse. La vie humaine manque de dignité si elle ne naît pas du rapport conscient avec son propre destin, et donc avec le Christ puisque le Christ est le destin de toute chose. Et c’est de cette conscience émue que naissent les Laudes. L’indignité (c’est-à-dire le manque de noblesse, de dignité) est définie comme « ria », coupable parce qu’il nous a été donné de connaître le sens de notre destin. Et c’est en abolissant la « ria indignanza » que notre vie devient possible, que son amour, l’amour de l’Être, la signification dont tout est constitué nous devient familière ; et alors le goût de vivre devient possible, la certitude, l’espérance, l’affection envers soi et autrui, envers les choses, le présent, l’avenir. Extrait de l’introduction de Luigi Giussani, tiré du livret inclus dans le CD.

R E V U E

I N T E R N A T I O N A L E

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C O M M U N I O N

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L I B É R AT I O N

ABONNEMENTS 2010 Nous vous proposons un abonnement annuel valable pour la parution de 11 numéros de Traces. POUR LA FRANCE

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 PREMIER PLAN SOCIÉTÉ

LE MEETING DU CAIRE

NOËL À BAGDAD

Noël 2009. Musulmans et chrétiens ensemble pour prier, dans une église de Bagdad.

La mémoire est ici Ils sont menacés au marché. Les enfants ont cessé d’aller à l’école. D’autres sont en fuite. Mais eux, ils restent. Et ils attendent avec anxiété que Jésus naisse. POUR FÊTER CETTE NAISSANCE dans leurs maisons. Après la reprise des violences en Irak, histoires d’hommes et de femmes pour lesquels la vie tout entière est un sacrifice. Parce qu’elle est pour le Christ. PROPOS RECUEILLIS PAR WALID AL-IRAQI

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E M’APPELLE SENAH, j’ai 69 ans, je suis enseignante à la retraite et mère d’un enfant souffrant d’une lésion cérébrale. Il s’appelle Brahim. Je vis dans le quartier de Karrada à Bagdad. Je peine pour trouver de l’argent afin d’acheter les médicaments capables de tranquilliser mon Brahim. Quelques personnes nous aident. Parmi elles, il y a même des musulmans, et en particulier deux amies. Notre vie de chrétiens

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irakiens aujourd’hui se résume en deux mots : peur et espérance. J’ai peur de vivre dans mon pays, dans la ville où je suis née. J’aime l’Irak plus que ma propre vie. Je préfèrerais mourir, plutôt que de voir une de mes filles ou un de mes fils mourir dans les mains des terroristes. C’est dur d’être chrétien en ce pays à cause d’Al-Qaïda et des milices qui nous persécutent. Nous, personnellement, chaque jour nous savons que nous sommes en point

de mire car nous faisons partie d’une communauté. Malgré tout cela, je veux rester : c’est ici que sont conservés les souvenirs de notre enfance, la mémoire de notre histoire au nom du Christ est inscrite dans ces rues poussiéreuses et maintenant aussi dans le sang versé par nos frères. C’est aussi pour eux, pour célébrer leur sacrifice que je ne veux pas m’en aller. Ce Noël sera un peu différent du précédent. Ce sera une grande épreuve pour les chrétiens



PREMIER PLAN

LA MÉMOIRE EST ICI

restés en Irak. L’an passé, nous sommes allés à l’église. Cette foisci, probablement, nous célèbrerons Noël dans la maison de l’un d’entre nous. À nos frères à l’étranger, je dis : « Ne nous oubliez pas. » Nous avons besoin de ne pas nous sentir seuls. CADEAU MUSULMAN Je m’appelle Shimoun, et j’ai 25 ans. En ces jours, nous les chrétiens, nous nous sentons braqués. Un ami m’a fait savoir que certaines personnes sont à ma recherche et demandent : « Où est Shimoun ? Si vous le voyez, dites-lui qu’il n’est pas à sa place en Irak, c’est mieux s’il disparaît ». Je ne peux pas aller à la police car c’est justement là que les bandes qui me poursuivent pourraient avoir des contacts. Après le massacre à la cathédrale, je fais continuellement des cauchemars. Les relations avec les musulmans sont bonnes, mais je connais des personnes dont je me méfie. Alors je me suis donné un surnom musulman, Abbas, pour cacher ma véritable identité que mon nom révèle. J’ai arrêté de travailler et de fréquenter la communauté. Noël approche, une occasion pour se sentir unis : nous célèbrerons le sacrifice de nos frères et sœurs qui ont été tués. Pour Noël, nous avons reçu un cadeau de l’enseignante musulmane de ma sœur et cela nous a donné un peu de joie : c’est une carte de l’Irak avec trois cœurs, un pour chacune des confessions religieuses. « VOUS MOURREZ TOUS » Je m’appelle Hisham, j’ai 29 ans, je suis ouvrier et je vis dans le quartier de Karrada, près du Tigre. J’ai reçu deux menaces de mort ; la première date de trois ans, parce que je travaillais avec les Américains. Ils m’ont laissé un billet sous la porte :

« Abandonne immédiatement ce travail ou ta famille recevra tes restes dans un sac ». La seconde m’est arrivée il y a un mois, parce que je suis chrétien : j’étais allé sur une place où se rassemblent chaque matin tous les chômeurs. Je cherchais des maçons pour aider un ami pour construire sa maison. Un de ces ouvriers m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais encore en Irak ? Vous les chrétiens, vous mourrez tous, si vous restez. Va-t-en ou ta maison sera ta tombe ». Trois jours après, les attaques ont commencé et ont culminé dans le massacre du « Dimanche de Sang ». Quand je pense qu’on vivait en paix avec les musulmans… On aidait ceux qui étaient dans le besoin, et si on ne pouvait pas le faire nousmêmes, nous demandions l’intervention de l’Église. Et cette aide était réciproque. J’ai un ami musulman qui a donné un rein à mon père qui devait subir une transplantation et risquait de mourir. Les choses ont changé. C’est la raison pour laquelle, nous attendons Noël avec impatience, c’est le moment qui nous donne toujours l’énergie spirituelle pour aller de l’avant, pour regarder avec confiance l’année à venir. Mais le Noël qui vient sera particulièrement difficile : ceux qui le peuvent chercheront à le célébrer à l’étranger. Avec la famille, nous espérons pouvoir aller au Liban et commencer une nouvelle vie. On s’était fait l’illusion que le pire était derrière nous : l’an passé, à Noël, après la messe, nous avions passé toute la nuit dehors à faire la fête. Maintenant, nous avons de nouveau peur. Mon père vient d’aller chez le recteur de l’université où ma sœur étudie la biologie pour lui demander deux mois de vacances : nous craignons qu’elle ne soit enlevée.

Nous continuons, mais ce pays est déchiré. Les seuls qui en tirent profit sont les shiites et les kurdes. Les sunnites et les chrétiens n’en retirent rien. Et pour nous, c’est encore pire, parce qu’aucun pays voisin ne nous soutient. UN PEUPLE JOYEUX J’étais au bazar d’Al Jadida, il y a quelques jours, pour acheter des légumes. Un inconnu m’a demandé à brûle-pourpoint : « Tu es chrétien ? ». J’ai répondu affirmativement. Il a alors continué : « Tu ferais mieux de t’en aller ; l’armée de Mahdi (les milices shiites de Moqtada Al Sadr, ndr) n’aiment pas les infidèles comme toi ». Je n’ai rien dit à ma famille, pour ne pas plonger tout le monde dans la panique. Mais j’ai appelé mon fils qui vit en Syrie depuis 2007 et je lui ai demandé de nous aider à trouver un moyen pour le rejoindre. Je m’appelle Wasim, j’ai 67 ans, je suis employé à la retraite. Pour les chrétiens, c’est dangereux de se déplacer, certaines zones de Bagdad sont off-limits… Nous attendons ce Noël avec patience et confiance. Mais nous espérons pouvoir le passer en Syrie, en sécurité… Après les violences récentes, nous n’envoyons plus nos enfants à l’école de peur qu’ils ne soient enlevés. L’Église nous soutient. Après le massacre, des prêtres et des collaborateurs ont fait le tour des maisons pour nous tranquilliser. La vie est une grande école et ces souffrances nous ont enseigné à partager la douleur que nos frères musulmans, eux aussi, ont dû supporter durant toutes ces années. Nous devons être optimistes, mais je ne crois pas que la réconciliation entre les sunnites et les shiites sera de longue durée, car la paix n’est pas dans l’intérêt des pays voisins. T



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PREMIER PLAN

NOËL À BAGDAD

Témoins de pardon PAR

FABRIZIO ROSSI

Qu’arrive-t-il aux chrétiens du monde arabe ? Comment peut-on les aider ? Et pourquoi est-il important qu’ils restent là où ils sont ? L’expert du Moyen-Orient RENÉ GUITTON explique ce que l’on peut (et ce que l’on doit) faire face au « massacre silencieux » en acte en Irak et aux alentours. En commençant par la manière dont nous vivons Noël.

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PREMIER PLAN

TÉMOINS DU PARDON

Bagdad, 7 novembre : la messe dans l’église Notre-Dame du Secours, pour les victimes de la prise d’otages qui avait eu lieu le dimanche précédent.

«C’

EST UN MAS S AC R E .

Et il doit être stoppé ». René Guitton, auteur de Ces chrétiens qu’on assassine… (Flammarion), connaît de près les événements qui se produisent en Irak. Membre du

Comité d’experts de l’Alliance des une conscience plus profonde. civilisations des Nations Unies, Car « la valeur de leur martyre lauréat de multiples prix pour est dans le témoignage qu’ils ses nombreux combats en faveur nous offrent et qu’ils offrent au des droits de l’homme, il a ren- monde ». contré au cours de ses voyages Que se passe-t-il des émirs, des padans cette région triarches et des du monde ? chefs d’État du Une véritable reMoyen-Orient. crudescence d’acIl a été pentions contre les dant des années le chrétiens. Déjà l’atcorrespondant de taque des Tours juFrance 2 au Mamelles avait ouvert roc, et il dirige aula voie aux puljourd’hui à Paris sions instinctuelles les prestigieuses des extrémistes. éditions CalmannRené Guitton L’Occident, qui Lévy. Cependant, pour eux a touau-delà d’un pur intérêt professionnel, c’est un ré- jours coïncidé avec le christianisme, seau d’amitiés qui lie René Guitton est enfin apparu faible. Le début de au Moyen-Orient. Amitiés avec des la guerre en Irak en 2003 a ensuite musulmans, des juifs et des chré- exaspéré l’opposition entre Orient tiens. Des évêques et des simples et Occident : pour le monde arabe, Saddam Hussein était un leader fidèles. Il a perdu certains de ses amis charismatique, et donc la guerre dans les attentats qui ont frappé contre son régime a été vue comme la communauté de Bagdad il y a une agression envers la commuquelques semaines : « Dès que nauté musulmane mondiale. j’ai reçu la nouvelle, je suis resté À ces événements, il faut ajouter collé au téléphone. Puis-je réa- d’autres faits comme la menace gir ? Comment intervenir ? Je du pasteur Terry Jones de brûme suis senti tellement impuis- ler le Coran à l’occasion du 11 sant… ». C’est pour cela que, tout septembre. en sachant que c’était comme une goutte d’eau dans l’océan, il a organisé le 14 novembre un Une provocation retirée ensuite… défilé en soutien des chrétiens Ça ne suffit pas. Monseigneur irakiens. Ils étaient trois milles à Louis Sako, évêque de Kirkuk, défiler jusqu’au pied de la Tour m’a téléphoné indigné : « Mais Eiffel pour demander « justice et vous rendez-vous compte de ce qui se passe ? ». protection ». Et aujourd’hui, René Guitton La provocation à elle seule a pernous invite à vivre Noël, « la pé- mis le déchaînement dans tout le riode pendant laquelle les persé- Moyen-Orient d’une vague d’atcutés sont les plus visés », avec tentats contre les églises. Dans ce »



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PREMIER PLAN

NOËL À BAGDAD

» climat, la moindre chose est C’est pourquoi je préfèrerais parutilisée pour attaquer les chrétiens. ler de pardon, un concept proche de celui de sacrifice. Leur témoignage est un témoignage de parQue nous dit à nous occiden- don envers les assassins. Pensez, taux, le sacrifice vécu par ces par exemple, à Noël qui approche, où la fête coïncide avec la période communautés persécutées ? Ces chrétiens sont tués par haine où les chrétiens sont le plus visés. de la foi. C’est pour cela que ce Comme pour les empêcher d’exsont des martyrs. Ils offrent un primer leur foi dans l’événement témoignage à nous et au monde. qu’ils fêtent. Mais voir ce qu’ils Mais que ce soit clair : ils ne veu- vivent nous fait approfondir la lent pas la mort. S’ils le pouvaient, vraie valeur de Noël : en mettant ils partiraient. Mais ils sont dans la prière à la première place, nous l’impossibilité de le faire. Et donc sommes à leurs côtés. ce sont des victimes. Peut-être que ce n’est pas correct de parler de « sacrifice » : il ne me semble pas Concrètement, de quelle manière pouvons-nous aider les chrétiens qu’ils le cherchent… persécutés ? Nous ne pouvons faire que bien En ce sens, personne ne le cher- peu : chaque action risque de procherait, en commençant par Jésus voquer des représailles. Pensez que Christ. Et pourtant il est monté par peur pour les proches vivant au pays, les diverses associations sur la croix, et il a pardonné.

Fidèles chrétiens à la sortie de l’église de Nar Eleya, à Bagdad.

d’immigrés n’ont pas adhéré à la manifestation du 14 novembre. Et nous sommes à Paris… Certes, il faut intervenir. Peutêtre par des pressions économiques : « Ou on affronte cette urgence, ou l’Europe vous refusera subventions et aides ». C’est un exemple. Alors qu’ici on parle, là-bas on tue. Divers pays ont déjà pris des initiatives comme, par exemple, offrir des visas et l’hospitalité aux survivants. C’est sûrement un beau geste humanitaire, mais de cette façon on contribue à vider le Moyen-Orient de ses chrétiens. C’est un drame. Comme me l’ont dit plusieurs évêques orientaux : « C’est magnifique que vous vouliez nous soutenir. Mais vous devez nous aider à rester et non pas à partir ». Sinon, on fait le jeu de leurs ennemis. Pensez qu’il y a un siècle, en Turquie, il y avait un chrétien pour cinq habitants. Aujourd’hui, il y en a un pour cinquante. Au Liban, un chrétien sur deux a fui en Occident. En Égypte où la population chrétienne tourne autour de sept à huit millions, il y a eu l’exode d’un million et demi de coptes vers les États-Unis et le Canada. C’est un chiffre énorme et c’est un flux continu. Pourquoi est-il si important d’aider ces chrétiens à rester ?

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PREMIER PLAN

TÉMOINS DU PARDON

Une voiture piégée explosée devant une église.

tiens sont massacrés en tant que chrétiens. Derrière ces situations il y a, consciemment ou non, une haine de l’autre, de celui qui n’est pas comme moi. Heureusement, dans certains endroits, les autorités ont compris qu’il fallait faire quelque chose : comme au Qatar ou dans les Émirats où des églises sont construites pour accueillir la population chrétienne immigrée provenant de pays comme les Philippines et l’Inde. Ces lieux d’espérance sont le Pourtant, les persécutions ne se paradoxe de l’immigration. limitent pas à ces régions… Malheureusement, il y a tant d’« Irak » de par le monde : de À quelle responsabilité sommesl’Inde au Nigeria, de l’Indonésie au nous appelés face à cette situaSud Soudan. Partout où les chré- tion ? Parce qu’ils sont chez eux sur cette terre. Et c’est là que tout a commencé. C’est pour cela que les fondamentalistes voudraient les chasser. Mais en fait, les chrétiens vivent là depuis le début du christianisme. Ce sont des citoyens syriens, irakiens, égyptiens, arabes comme tous les autres : seule la religion fait la différence, car avec l’arrivée de l’islam, ces populations ont préféré rester chrétiennes.

À ne pas rester silencieux. On ne peut pas rester les bras croisés, sans rien faire. Dès que je peux, je participe à la liturgie dans une des nombreuses églises chaldéennes de Paris : là l’usage de l’araméen, la langue que parlait Jésus, est un beau signe de fidélité aux origines. Mais il ne faut pas mobiliser seulement la communauté chrétienne : j’ai rencontré des musulmans, des juifs et des athées qui se lèvent contre le massacre. Car c’est quelque chose qui nous concerne tous, en tant qu’hommes. Le point important est de faire savoir à ces chrétiens qu’ils ne sont pas abandonnés : nous sommes T avec eux.



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SOCIÉTÉ

ÉGYPTE - L'APRÈS-MEETING

L'effet Caire Nous avons vu ce qui est arrivé à l’occasion du Meeting du Nil. L’un des protagonistes nous raconte L’EFFET DE CES DEUX JOURS sur les médias égyptiens et le monde arabe. Là où tout est normalement suspicion, beaucoup de questions ont surgi. Avec une certitude : « Les valeurs ont besoin d’être incarnées ». PAR WAEL

L

FAROUQ

croient souvent faire preuve d’omniscience, en particulier en ce qui concerne les manœuvres secrètes et l’agenda caché de l’Occident. D’après eux, en effet, les occidentaux ne feraient rien par amour de Dieu ou de l’humanité. La défense des droits de l’homme, de la liberté d’expression, de la liberté de culte,

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ES MÉDIAS ARABES

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ainsi que la démocratie, ne seraient rien d’autre qu’une couverture pour cacher des visées économiques et politiques. Cette longue liste de valeurs occidentales ne serait qu’un cheval de Troie pour pénétrer dans les sociétés arabo-islamiques, afin d’en détruire valeurs et traditions, et en défigurer l’identité. Au point que la question « pourquoi ? » n’est jamais utilisée pour interroger, mais souvent pour mettre en doute les buts et les motivations.

Par contre, cette même question « pourquoi ? » adressée aux organisateurs et intervenants du Meeting du Caire a été d’un tout autre tenant. C’était plutôt une expression sincère de surprise et de curiosité : non pas un moyen pour enquêter sur les causes et les buts, mais un instrument de connaissance et de compréhension des personnes. Pourquoi Marco Bersanelli est-il Marco Bersanelli ? Pourquoi Emilia Guarnieri est-elle Emilia Guarnieri ? Pourquoi



SOCIÉTÉ

L'EFFET CAIRE

ont-ils affronté la fatigue et le coût pour présenter le Meeting du Caire, de ce voyage, rien que pour nous en expliquant l’expérience qui nous a poussés à cette initiative, je passais dire qu’ils nous aiment ? la plupart du temps à répondre à un nombre infini de questions, car chaD'OÙ VIENNENT CET AMOUR cune de mes réponses en éveillait ET CET ENTHOUSIASME ? Ayman Salah le pharmacien, Mo- d’autres. C’est pour cela que, quand hammed Qasim le comptable, Mary on me demandait ce qu’il fallait Metias l’ingénieur en communi- faire pour participer au Meeting, cations, aussi bien que les dizaines je répondais : « Tout ce dont vous d’autres bénévoles de tout âge et avez besoin, c’est justement de la profession, qui sont-ils ? Comment curiosité dont vous êtes remplis ! ». Après le Meeting, quelques bécela se fait-il que nous ne les ayons jamais vus auparavant ? Comment névoles, en répondant à des interavons-nous pu ne pas nous aper- views, ont déclaré : « Pour la precevoir de leur existence ? Est-ce mière fois, je me sens une personne vraiment eux qui ont organisé ce importante qui peut influencer la grand événement ? D’où viennent réalité ». « Je ne sais pas ce que je cet amour et cet enthousiasme pour vais faire maintenant, je ne peux la rencontre avec l’autre, dans une pas revenir à ma vie précédente, je société qui souffre de fanatisme ne veux pas revenir en marge de la vie ». Après le Meeting, beaucoup confessionnel ? Comment ces jeunes sont-ils de jeunes ont compris qu’ils avaient passés du statut de spectateurs à ce- participé non pas pour dialoguer lui de protagonistes ? Comment des et pour « montrer la civilisation chrétiens de différentes confessions des Égyptiens », mais bien plutôt (catholiques, orthodoxes, protes- en réponse à une exigence persontants), et des musulmans de diffé- nelle, dont les symptômes les plus rentes orientations (du Mouvement importants étaient la curiosité et le pour la paix de Suzanne Mouba- questionnement. Lorsque, pendant rak aux Frères Musulmans, jusqu’à le Meeting, j’ai annoncé l’hommage al-Azhar) ont-ils pu travailler en- au père Christian van Nispen (un jésemble, en parfaite harmonie ? Voilà suite hollandais qui a consacré sa vie quelques-unes des questions récur- à l’étude du Coran et des relations rentes, dans les médias égyptiens qui ont couvert l’événement par trentesept pages dans différents journaux, et plus de quatre heures d’émissions sur les chaînes télévisées publiques et privées.

avec l’islam, ndr), dans la salle s’est subitement déclenché un tonnerre d’applaudissements. Après le Meeting, sont arrivés sans discontinuer des coups de fil pour demander des renseignements à son sujet et sur ses livres. J’en ai été très surpris, parce que, autant l’Église que al-Azhar avaient organisé souvent de tels événements, mais sans susciter autant d’intérêt. Comment se fait-il que le père Christian ait attiré sur lui toute cette attention ? UN CORPS, UNE PERSONNE Encore une fois, j’ai compris que les valeurs abstraites proclamées par la diplomatie, du dialogue entre al-Azhar et l’Église, avaient besoin d’un corps, qu’elles avaient besoin d’une personne. J’ai beaucoup appris, en travaillant pour le Meeting du Caire. Mais la chose la plus importante je l’ai apprise sur moimême, et c’est que tout ce en quoi je crois, je l’ai vécu dans le rapport avec quelqu’un. Il n’existe pas de valeurs humaines abstraites, parce que si elles sont humaines, elles ne sont pas abstraites. La vérité n’est vérité qu’à condition d’être incarnée, car chaque vérité est une personne, et chaque personne est une vérité. T

«JE SENS QUE JE SUIS IMPORTANT» En ce qui me concerne, ces questions constituent le plus grand succès du Meeting du Caire, car elles expriment un moment de découverte de soi-même et de la réalité. Quelques mois avant le Meeting, lorsque j’ai commencé à organiser des rencontres et à faire des conférences



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 VIE DE CL VIE DE CL

RUSSIE - L'ASSEMBLÉE DE MOSCOU

RUSSIE - L'ASSEMBLÉE DE MOSCOU

La révolution de novem PAR

GIOVANNI MASPES

Plus de 100 personnes venues de Russie, de Lituanie, du Kazakhstan, de Biélorussie et d’Ukraine se sont réunies pour la Diaconie des pays de l’ex-URSS. L’agenda de ces deux jours nous fait dire : « Il ne nous manque plus aucun don de la grâce ». Voici le récit de LA RENCONTRE DE JULIÁN CARRÓN AVEC LE MONDE ORTHODOXE, où son approche a frappé en plein cœur « parce qu’elle mise tout sur le vrai ».

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malgré les difficultés que tu vis », lance le père Carrón. « Bien sûr ». « Voilà, le travail de la mémoire, c’est de Le reconnaitre quand il se rend présent. Et la gratitude c’est de reconnaitre que l’on n’est pas seul face à ce travail ». La gratitude ne va pas de soi, il en est de même pour le lien indissociable entre ce jugement et la compagnie. Surtout, pour ce qui est de cette Assemblée des responsables des territoires de l’ex-Union Soviétique, alors que la compagnie est dispersée sur deux continents : de Kiev à Novossibirsk, de Saint-Pétersbourg à Astana. Suite à la détérioration des liens traditionnels issus de l’impérialisme tsariste et ensuite de la folie léniniste et stalinienne, ces nations se retrouvent avec bien peu de choses en commun du point de vue culturel comme religieux. Si, à Moscou, la communauté s’interroge sur l’opportunité de proposer aux amis orthodoxes la participation à la messe de la Journée de début d’année, la Lituanie catholique ou le Kazakhstan musulman doivent affronter de tout autres questions. Chacun veut parler des problèmes qu’il rencontre.

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: je n’ai pas peur d’attendre ce qu’il adviendra ». C’est par ces mots que Natasha, invalide, avec de graves problèmes aux yeux, conclut son intervention. « Dans cela entre en compte la présence des visages qui t’entourent E SUIS RECONNAISSANTE

UNE GRANDE MOBILISATION C’est pourquoi, quand nous avons appris, au mois de juin, que grâce à l’intérêt du théologien Alexandre Filonenko (cf. Tracce, n°10 / 2010) le père Carrón allait participer à la VIe Conférence théologique internationale du patriarcat de Moscou et qu’il en profiterait pour rencontrer les communautés de ces pays, nous nous sommes mobilisés pour cette espèce de grand exode des quatre coins de l’empire. Et c’est ainsi que les 13 et 14 novembre, 130 personnes venues de Russie, de Lituanie, de Biélorussie, d’Ukraine et du Kazakhstan se sont retrouvées

à Rodnichok, dans une maison de l’œuvre du père Calabria, à une cinquante de kilomètres de Moscou. Il y a eu une préparation méticuleuse où chacun a essayé de penser à sa réalité actuelle pour se confronter avec le père Julián. Et l’agenda fut très dense. Deux longues assemblées, des témoignages, des questions, des rencontres à tous les niveaux : avec les Memores Domini, avec les orthodoxes de Moscou et de Saint-Pétersbourg, avec les étudiants italiens, les enseignants de Moscou et de Kharkov, avec les missionnaires de la Fraternité San Carlo… Si nous avons quitté Rodnichok heureux ce n’est pas parce que chacun a reçu une réponse théorique à ‘‘sa’’ demande, mais parce que Lui, Il s’est présenté sous ses traits incomparables : en la personne du père Carrón, dans ses mots, dans son obéissance face à nos tentatives ironiques, dans notre obéissance face à une présence surprenante qui a désormais 20 ans (les premières personnes du mouvement s’installèrent en Russie à l’automne 1991). C’est pourquoi les mots de conclusion de Carrón n’ont pas été une synthèse, fruit d’une analyse, mais la description d’un événement qui est arrivé, qui était en train d’arriver. Sans avoir besoin d’inventer quoi que ce soit : la fascination d’une aventure longue et enthousiasmante était déjà là. C’est justement sur cette histoire que Carrón nous a lancé un défi quand il a dit au cours de sa synthèse : « Je suis vraiment frappé par le changement survenu ces dernières années. J’aurais envie de dire, avec saint Paul : aucun don de la grâce ne vous manque pour faire ce chemin. La simplicité suffit à illustrer la grandeur de ce qui est arrivé. C’est avec cela dans le cœur que nous pouvons regarder toutes les questions que vous avez posées ». »



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« Nous sommes appelés non pas à nous lamenter parce que le monde ne croit pas, mais à réveiller chez les autres la fascination pour le christianisme. Nous devons faire l’expérience de la rencontre avec le Christ, au point que ceux qui nous rencontrent disent : ‘‘Je n’ai jamais rien vu de tel‘‘ ».

» Que s’est-il passé ? Un évé- Il a répondu la même chose à Katja nement, un amour, un déplace- et aux autres orthodoxes de Mosment. Irréfutable et, pour cela, cou et de Saint-Pétersbourg, face non réductible. Voilà, si j’ai pu à leurs préoccupations sur le fait emporter avec moi un mot qui ré- d’inviter ou non les amis orthosume ces deux jours c’est bien la doxes aux gestes du mouvement non réductibilité de l’expérience ; qui souvent incluent la messe : dans l’objectivité d’une compa- « Si nous ne respectons pas l’origine du charisme, gnie, qui, justement nous changeons parce qu’elle n’est « Le travail de la mémoire la méthode ». pas réductible, elle c’est de Le reconnaître Là où c’est inest l’instrument quand Il se rend présent. téressant pourtant auquel on ne peut Et la gratitude c’est que les faits renoncer pour perracontés par eux, mettre que sa préc’est se rendre compte avant même cette sence se manifeste que l’on n’est pas seul préoccupation, à nouveau dans face à ce travail ». mettaient en évil’instant : « Tu dois dence le fait que me remercier pour l'épreuve que je te fais vivre » a l’expérience du mouvement ne s’oprépondu Carrón à l’intervention pose pas à l’orthodoxie. Au contraire, de Vika, juriste de Moscou. « Sans elle permet d’en prendre conscience : cet effort, il serait inévitable de ré- « Si vous n’aviez pas rencontré le chaduire le Christ à ce que tu penses, risme, vous ne vous intéresseriez pas à ce que tu veux, à ce que tu sens ». à votre tradition », a observé Carrón.

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C’est cela la méthode, en dépit de la compagnie elle-même : « Si nous nous sentons mal à l’aise parce que le regard de la compagnie sur nous ne répète pas le regard ému des débuts, alors on revient à la compagnie dans toute sa vérité. Parce que sans cette compagnie, nous n’aurions même pas connu ce regard, et toute l’histoire du bien qui a suivi. NOTRE DEVOIR C’est la loi de tout nouveau départ pour Luca, sur les rives de la mer Caspienne, face à un problème sur le travail, ou bien pour Andrius, à Vilnius, qui constate : « Même si tous mes amis étaient parfaits, je ne voudrais rien changer à ma vie », et raconte : « Avec leurs défauts, ils m’ont obligé à être heureux » ; parce que « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant ».



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Les travaux de la Conférence théologique du patriarcat de Moscou. À droite, le dîner avec le recteur de l’université orthodoxe de Saint-Tikhon. À gauche, quelques moments de la Diaconie.

Ce fut ensuite le thème de l’intervention de Carrón, le 15 novembre, à la VIe Conférence théologique internationale de Moscou, l’événement culturel par excellence, du patriarcat. Seul catholique au milieu de dizaines de théologiens, hauts prélats et chercheurs de toutes les Églises orthodoxes, il a affronté le thème de « La vie dans le Christ », en partant de la provocante citation de Dostoïevski : « Un homme cultivé, un européen d’aujourd’hui peutil croire en la divinité du Christ Jésus ? De la réponse à ce défi dépend la possibilité de succès de la foi aujourd’hui ». Le fait que le patriarche Kyril, qui a inauguré la session de travail, ait invité Carrón à intervenir, dès la première journée de travail, est significatif. Et son approche a touché les participants, comme l’a observé une agence de presse

par la curiosité de la proposition du mouvement faite aux jeunes : qu’est-ce pour vous la présence chrétienne à l’université ? Comment affronter les études ? Une soirée de questions « parce que éduquer les étudiants ne signifie pas seulement transmettre des notions ». Puis, à la fin, le recteur a résumé ce qu’il avait découvert : « Je crois comprendre que don Giussani mise tout sur le vrai et sur l’amour ». Lors du dialogue public sur ‘‘le laïc dans l’Église ou le chrétien dans le monde’’ avec Alexandre Filonenko et Tatiana Kasatkina, Carrón a déclaré que le cœur du christianisme c’est « la rencontre avec le Christ » : « Aujourd’hui comme il y a 2 000 ans nous nous mettons en mouvement, justement parce que Jean et André s'étaient eux aussi mis en mouvement en leur temps ». À la Bibliothèque de l’Esprit, proche du patriarcat: « Quelques devant plus de 150 personnes, il interventions ont abordé la ques- a expliqué l’origine et le sens du tion éthique. Le père Carrón, lui, nom du mouvement : « Toutes l’a fait de manière complètement les révolutions ont tenté d’unir différente en critiquant la réduc- l’humanité, mais aucune n’y est par venue. D ieu tion du christianous donne la nisme à une série « Toutes les révolutions communion dans de valeurs. Un tel ont tenté d’unir le Christ, et de christianisme, a-tl’humanité, mais là vient notre liil dit, n’a plus aucune importance aucune n’y est parvenue. bération ». C’est pour cela que nous pour le monde Dieu nous donne sommes appelés d’aujourd’hui. Le la communion « non pas à nous devoir de chaque dans le Christ, lamenter parce que chrétien est donc et de là vient le monde ne croit de témoigner par notre libération ». pas, mais à réveiller sa vie toute son chez les autres la ampleur ». fascination pour le christianisme. COMME IL Y A 2 000 ANS Nous devons faire l’expérience C’est justement la vie qui a été au centre des conversations au de la rencontre avec le Christ, au cours du repas avec le recteur et point que ceux qui nous renconquelques professeurs de l’univer- trent disent : ‘‘Je n’ai jamais rien sité orthodoxe Saint-Tikhon, mus vu de tel ». T



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 CULTURE CULTURE

LE BIG-BANG ET NOUS

LE BIG-BANG ET NOUS

Un mystère pris au piège ?

PAR

CARLO DIGNOLA

Son nom est déjà tout un programme : l’antimatière. À Genève, des atomes présentant des caractéristiques opposées à la matière ont été créés. Une idée qui depuis toujours déchaîne l’imagination des auteurs de science-fiction. Mais aujourd’hui, elle pourrait aider à comprendre DE QUOI EST FAIT L’UNIVERS et pourquoi, il y a des milliards d’années, quelque chose a pu échapper à l’emprise du néant.

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CULTURE

UN MYSTÈRE PRIS AU PIÈGE ?

L'accélérateur de particules au CERN de Genève.

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«

MYSTÈRE du monde, disait Albert Einstein, est son intelligibilité ». Cette phrase revient à l’esprit lorsque l’on sait que, pour la première fois, de l’antimatière a été « capturée » par le CERN de Genève. L’édition en ligne de la célèbre revue Nature datée du 17 novembre publiait une information au titre digne d’un polar : « L’antimatière arrêtée et soumise à un interrogatoire ». Ce ÉTERNEL

n’est donc plus un rêve à la Star Trek. Non seulement l’antimatière existe réellement, mais les scientifiques ont désormais appris à la produire artificiellement et à la faire persister quelques instants ; et pas de simples antiparticules, mais de véritables antiatomes. Le CERN a créé de l’antihydrogène grâce à un appareil qui, curieusement, est le miroir du LHC (l’accélérateur de particules vers lequel les yeux du monde entier se tournent depuis quelques mois), il s’agit d’une machine qui, contrairement au LHC, ralentit les processus physiques, un décélérateur d’antiprotons qui porte les particules subatomiques à des températures très basses, à peine supérieures au zéro absolu, pour en rendre les mouvements visqueux et pouvoir les observer. En 2002 déjà, à Genève, des atomes d’antihydrogène avaient été synthétisés, mais ils disparaissaient trop vite. En effet, si la matière et l’antimatière entrent en contact, elles s’éliminent l’une l’autre. Mais désormais, deux nuages de millions d’anti-électrons se sont rencontrés dans le vide et ont formé des milliers d’atomes d’antihydrogène. Un piège magnétique spécial préparé dans le cadre de l’expérience Alpha est ensuite parvenu à les maintenir quelques instants loin des parois de matière de la machine : ainsi, 38 d’entre eux sont restés « en vie » pendant 17 centièmes de seconde, un temps remarquable en physique subatomique : « Suffisamment de temps pour les étudier », dit-on au CERN. Imaginée par Paul Dirac dès la fin des années 20 sur la base de raisonnements purement mathématico-physiques, l’antimatière a

été observée pour la première fois immédiatement après, en 1932, par un autre prix Nobel, Carl David Anderson. Tout ce qui nous entoure se compose de particules subatomiques (protons, électrons, neutrons, eux-mêmes composés de quarks). Pour chacune d’entre elles existerait une antiparticule correspondante, avec la même masse, mais une charge de signe opposé ; par exemple, l’antiparticule de l’électron (qui a une charge négative) est positive : on l’appelle le positon (ou positron). COMME DANS UN MIROIR L’antimatière et la matière ordinaire sont ainsi deux éléments identiques et spéculaires, divisés par une frontière pratiquement infranchissable : une « anti-assiette de spaghetti » aura le même aspect et sans doute la même saveur que le plat que nous mangeons habituellement, mais nous ne pourrons jamais y goûter : seul un anti-homme d’une anti-terre le pourrait, car si les deux mondes se touchent, ils explosent et disparaissent en émettant une quantité d’énergie énorme, en général sous la forme de radiations électromagnétiques. En réalité, l’antimatière n’est plus aujourd’hui quelque chose de tellement étrange. Elle est utilisée chaque jour en médecine dans la technique appelée Tomographie par Émission de Positons (TEP), une méthode d’analyse inventée il y a soixante ans qui permet de mesurer le métabolisme de notre corps et les réactions biochimiques in vivo, et qui trouve d’amples applications en cancérologie, cardiologie, et dans les neurosciences. Certains (et Dirac lui-même l’a fait lors de la cérémonie de remise du prix Nobel) ont même »



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LE BIG-BANG ET NOUS

» imaginé qu’il pourrait exister un anti-univers entier symétrique au nôtre. L’idée n’a pas manqué de déchaîner l’imagination des auteurs de science-fiction, ouvrant la voie aux spéculations sur les multivers dont on parle tant aujourd’hui. Derrière l’expérience de Genève se profilent donc des perspectives importantes pour comprendre de quoi est fait l’univers dans lequel nous vivons, mais aussi pour tenter d’imaginer autre chose. L’antimatière est rare aussi dans notre monde parce qu’étant donné la prédominance de la matière ordinaire, toute antiparticule finit inévitablement par entrer en collision avec la particule correspondante et se désintégrer. La matière semble donc avoir eu le dessus au cours de l’évolution de l’univers, dans la compétition pour l’existence, qui précède celle de la biologie : en 14 milliards d’années, l’antimatière a pratiquement entièrement disparu, et nous ignorons pourquoi. C’est sur ce point que le CERN « interrogera » ces 38 atomes, ainsi que les prochains qu’il parviendra à synthétiser. Une autre expérience, appelée AEGIS, commence à comparer les effets de la gravité sur l’antihydrogène par rapport à ceux bien connus sur l’hydrogène. La question est fondamentale : les physiciens veulent comprendre si l’antimatière est soumise aux mêmes lois que la matière ; si les symétries fondamentales indiquées dans le modèle standard de la physique des particules sont vraies ou, au contraire, s’il existe des variations qui, comme l’a écrit Eugenie Samuel Reich, deviendraient immédiatement des « suggestions pour une nouvelle physique à venir ».

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Le plasma primordial est la matière tout de suite parue après le big-bang et qui pourrait avoir été observée par le LHC (le Large Hadron Collider) du CERN de Genève.

SOUS LA LOUPE Mettre l’antimatière sous la loupe de la science signifie donc commencer à affronter le problème de savoir pourquoi, après le bigbang, la nature a « préféré » la matière à l’antimatière. Si ce sont deux formes de réalité « en miroir » qui s’annulent en se touchant, l’univers à peine né aurait dû immédiatement s’auto-dévorer ; cela aurait été une simple explosion instantanée et terrible, un grand flash. Mais cela ne s’est pas produit : une certaine quantité de matière a mystérieusement réussi à échapper à l’anéantissement qui menaçait sa destinée ; elle a commencé à prévaloir et à chasser l’antimatière dans les anfractuosités du cosmos, ou dans un autre « lieu » obscur à nos yeux, que nous ne comprenons pas. Les assonances entre ces discours de la science contempo-

raine sur la « violation de la symétrie » et les images des cosmogonies ancestrales des cultures humaines font une certaine impression. Ainsi, le premier chapitre de la Genèse raconte : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or, la terre était vide et vague » (au moment du bigbang, l’univers ressemblait précisément à cela) « les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux. Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres ». Il semblerait qu’une trace non seulement du geste inaugural, mais aussi d’une différence primitive née immédiatement, d’un subtil clinamen, comme aurait dit Lucrèce, qui se trouve au cœur de la réalité, était gravée dans la conscience T de l’homme.



CULTURE

UNE LUMIÈRE DANS LA MONDE

Une lumière dans ce monde Le cardinal GEORGES COTTIER, théologien émérite de la Maison pon- missionnaire qui animent l’Église tificale, évoque le récent livre du pape Benoît XVI aux éditions Bayard. d’aujourd’hui, à l’échelle universelle. On ne saurait en effet ramener les problèmes à ceux qui se posent à E LIVRE D’ENTRETIENS que que la joie est au cœur du message la vieille Europe tentée d’oublier ses Benoît XVI vient de nous chrétien : cette certitude ne cesse de racines ou aux scandales de la pédooffrir me paraît remar- l’accompagner. Grand travailleur, philie causés par certains ministres, quable à plus d’un titre. discipliné, il trouve le secret de son et transformés par des médias en Lumière du monde, le pape, équilibre dans la parole de Jésus : pièces d’accusation contre l’Église et l’Église et les signes des temps, est « Ne vous inquiétez donc pas pour le christianisme. Le pape se montre bien informé une conversation avec le journaliste le lendemain : le lendemain s’inPeter Seewald. quiètera de lui-même. À chaque de la vie de l’Église. Sa première source d’information, il le répète, ce Le lecteur est frappé par la sim- jour suffit sa peine » (Mt 6, 34). sont les évêques qu’il rencontre tout plicité et la liberté avec lesquelles le pape parle de lui-même, de son ATTENTIF AUX SIGNES DES TEMPS au long de l’année lors des visites attitude spirituelle. Il mesure l’im- Le pape, qui entend résolument, ad limina. Pour lui l’écoute de ces mensité d’une tâche qui le dépasse, après Jean-Paul II, continuer à hommes du terrain est essentielle, mais n’est nulmettre en œuvre ainsi que les grands moments qui lement écrasé le dessein de Va- manifestent particulièrement la colpar elle, car il vit tican II, est at- légialité des évêques avec l’évêque dans l’abandon tentif aux signes de Rome, que sont les synodes. Il n’est pas possible dans cette à la volonté de des temps, qui Dieu qui la lui a doivent être lus brève présentation de souligner confiée. Puisque à la lumière de la chacun des thèmes abordés dans la conduite de foi, afin de dis- le livre. L’analyse est claire, le souci l’Ég lise, à lacerner les appels catéchétique évident. Certains de quelle le succesles plus pres- ces thèmes, comme celui de la reseur de Pierre sants que Dieu lation de l’Église avec le peuple juif est associé d’une nous adresse ou celui du dialogue avec l’islam ou encore l’œcuménisme sont prémanière unique, aujourd’hui. est d’abord due Là encore, le sentés en lien avec des expériences à la grâce divine, lecteur est frap- pastorales du pape. Un thème central concerne la il s’en remet fipé par l’équilialement à son libre. Drames, nécessité, pour résoudre les graves Seigneur. p e r s é c u t i o n s , problèmes qui se présentent auDe là le clidérives vers la jourd’hui, de redécouvrir Dieu. mat de paix qui sécularisation, C’est seulement si elle opère cette émane de ces pages qui pourtant problèmes d’une jeunesse sans re- conversion que l’humanité sera carévèlent une conscience aigüe des pères ; le diagnostic est d’un grand pable d’apporter des réponses vraies défis énormes auxquels l’Église doit réalisme. Mais tout autant, le pape et durables à des questions qui, à faire face, au-dehors et au-dedans. reconnaît les nombreux signes première vue, semblent dépasser les T Très jeune, Joseph Ratzinger a perçu de renouveau et de dynamisme forces humaines.

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BENOÎT XVI

Un signe visible du Dieu invisible

Frères et Sœurs bien-aimés dans le posante masse de matière, fruit de Seigneur. « Ce jour est consacré au la nature et d’un incalculable efSeigneur, votre Dieu ! Ne soyez pas fort de l’intelligence humaine qui a tristes, ne pleurez pas !… La joie du construit cette œuvre d’art. Elle est Seigneur est votre rempart ! » (Ne 8, un signe visible du Dieu invisible, à 9-11). (…) Ce jour est un moment la gloire duquel s’élancent ces tours, significatif dans une longue histoire flèches qui indiquent l’absolu de la d’aspirations, de travail et de géné- lumière et de celui qui est la Lumière, rosité, qui dure depuis plus d’un la Grandeur et la Beauté mêmes. siècle. Je voudrais maintenant faire mémoire de chacune des personnes DANS CE CADRE, Gaudí a voulu unir qui ont permis la joie qui domine l’inspiration qui lui venait des trois aujourd’hui en nous tous. (…) Cet grands livres dont il se nourrissait événement est aussi, en quelque fa- comme homme, comme croyant çon, le point culminant et l’aboutis- et comme architecte : le livre de la sement d’une histoire de cette terre nature, le livre de la Sainte Écriture catalane qui, surtout à partir de la et le livre de la liturgie. Ainsi il a uni fin du XIXe siècle, donna une mul- la réalité du monde et l’histoire du titude de saints et de fondateurs, de salut, comme elle nous est racontée dans la Bible et rendue présente martyrs et de poètes chrétiens. La joie que j’éprouve de pouvoir dans la liturgie. Il a introduit dans présider cette célébration a encore l’édifice sacré des pierres, des arbres grandi quand j’ai su que cet édifice et la vie humaine, afin que toute la sacré, depuis ses origines, est étroi- création converge dans la louange tement lié à la figure de saint Joseph. divine, mais, en même temps, il a Ce qui m’a particulièrement ému, placé à l’extérieur les retablos, pour mettre devant les c’est l’assurance avec La beauté est la racine hommes le mystère laquelle Gaudí (…) s’exclama plein de de laquelle surgissent de Dieu révélé dans confiance en la di- le tronc de notre paix la naissance, la passion, la mort et la vine Providence : et les fruits « Saint Joseph achède notre espérance. résurrection de Jésus Christ. Il collabora vera l’église ». Par conséquent, il n’est pas sans signi- ainsi de manière géniale à l’édificafication maintenant que ce soit un tion d’une conscience humaine anpape dont le nom de baptême est crée dans le monde, ouverte à Dieu, illuminée et sanctifiée par le Christ. Joseph qui en fasse la dédicace. Que signifie faire la dédicace de Et il réalisa ce qui est aujourd’hui cette église ? Au cœur du monde, une des tâches les plus imporsous le regard de Dieu et devant les tantes : dépasser la scission entre hommes, dans un acte de foi humble conscience humaine et conscience et joyeux, nous avons élevé une im- chrétienne, entre existence dans 34



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ce monde temporel et ouverture à la vie éternelle, entre la beauté des choses et Dieu qui est la Beauté. Antoni Gaudí n’a pas réalisé tout cela uniquement avec des paroles, mais avec des pierres, des lignes, des superficies et des sommets. En réalité, la beauté est la grande nécessité de l’homme ; elle est la racine de laquelle surgissent le tronc de notre paix et les fruits de notre espérance. La beauté est aussi révélatrice de Dieu, parce que, comme Lui, l’œuvre belle est pure gratuité, elle invite à la liberté et arrache à l’égoïsme. Nous avons dédié cet espace sacré à Dieu, qui s’est révélé et donné à nous dans le Christ pour être définitivement Dieu parmi les hommes. La Parole révélée, l’humanité du Christ et son Église sont les trois expressions les plus grandes de sa manifestation et de son don aux hommes. « Que chacun prenne garde à la façon dont il construit. Les fondations, personne ne peut en poser d’autres que celles qui existent déjà : ces fondations, c’est Jésus Christ » (1 Co 3, 10-11), dit saint Paul dans la deuxième lecture. Le Seigneur Jésus est la pierre qui soutient le poids du monde, qui maintient la cohésion de l’Église et qui recueille dans une ultime unité toutes les conquêtes de l’humanité. En lui nous avons la Parole et la Présence de Dieu, et de Lui l’Église reçoit sa vie, sa doctrine et sa mission. L’Église ne tire pas sa consistance d’elle-même ; elle est appelée à être signe et instrument du Christ, dans

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MESSE ET DÉDICACE DE L’ÉGLISE DE LA SAGRADA FAMILIA ET DE SON AUTEL Homélie du pape Benoît XVI Barcelone, 7 novembre 2010

une pure docilité à son autorité et entièrement au service de son mandat. L’unique Christ fonde l’unique Église ; Il est le rocher sur lequel se fonde notre foi. Fondés sur cette foi, nous cherchons ensemble à montrer au monde le visage de Dieu, qui est amour et qui est le seul qui peut répondre à l’ardent désir de plénitude de l’homme. Telle est la grande tâche, montrer à tous que Dieu est un Dieu de paix et non de violence, de liberté et non de contrainte, de concorde et non de discorde. (…) PAR SON ŒUVRE, GAUDÍ nous montre que Dieu est la vraie mesure de l’homme, que le secret de la véritable originalité consiste, comme il le disait, à revenir à l’origine qui est Dieu. Lui-même, ouvrant ainsi son esprit à Dieu, a été capable de créer dans cette ville un espace de beauté, de foi et d’espérance, qui conduit l’homme à la rencontre de Celui qui est la vérité et la beauté même. (…) Cette affirmation de Dieu porte en soi la suprême affirmation et sauvegarde de la dignité de tout homme et de tous les hommes : « N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu… Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous » (1 Co 3, 1617). Ici sont unies la vérité et la dignité de Dieu à la vérité et la dignité de l’homme. Par la consécration de l’autel de cette église, gardant présent à l’esprit que le Christ est son fondement, nous présentons au monde Dieu qui est l’ami des hommes, et nous invitons les hommes à être amis de Dieu. Comme l’enseigne l’épisode de Zachée, dont parle l’évangile d’aujourd’hui (cf. Lc 19, 1-10), si l’homme laisse entrer Dieu dans

sa vie et dans son monde, s’il laisse Contemplant avec admiration le Christ vivre dans son cœur, il ne ce saint espace d’une beauté fasle regrettera pas, mais au contraire il cinante, avec tant d’histoire de fera l’expérience de la joie de parta- foi, je demande à Dieu qu’en cette ger sa vie même, étant destinataire terre catalane se multiplient et se de son amour infini. fortifient de nouveaux témoins (…) Depuis toujours, le foyer de sainteté, qui offrent au monde formé par Jésus, Marie et Joseph le grand service que l’Église peut a été considéré comme une école et doit rendre à l’humanité : être d’amour, de prière et de travail. Les une image de la beauté divine, une promoteurs de cette église vou- flamme ardente de charité, un calaient montrer au monde l’amour, nal pour que le monde croie en le travail et le service Celui que Dieu a L’unique Christ fonde réalisés devant Dieu, envoyé (cf. Jn 6, 29). l’unique Église ; comme les vécut la Sainte Famille de Il est le rocher sur lequel C H E R S F R È R ES , en Nazareth. (…) consa cr ant ce tte se fonde notre foi. L’amour génésplendide église, je reux et indissoluble d’un homme supplie en même temps le Seigneur et d’une femme est le cadre efficace de nos vies qu’à partir de cet autel, et le fondement de la vie humaine qui va maintenant être oint avec dans sa gestation, dans sa nais- l’huile sainte et sur lequel se consusance et dans sa croissance jusqu’à mera le sacrifice d’amour du Christ, son terme naturel. C’est seulement jaillisse un fleuve incessant de grâce là où existent l’amour et la fidé- et de charité sur cette ville de Barcelité, que naît et perdure la vraie li- lone et sur ses habitants, ainsi que berté. L’Église demande donc des sur le monde entier. (…) mesures économiques et sociales Je désire enfin confier à la proappropriées afin que la femme tection aimante de la Mère de puisse trouver sa pleine réalisation Dieu, Marie la Très Sainte, « Rose à la maison et au travail, afin que d’avril », « Mer de la Merci », vous l’homme et la femme qui s’unissent tous qui êtes ici présents et toutes dans le mariage et forment une fa- les personnes qui en paroles et en mille soient résolument soutenus actes, dans le silence ou la prière, par l’État, afin que soit défendue ont rendu possible ce miracle arcomme sacrée et inviolable la vie chitectural. Qu’elle présente aussi des enfants depuis le moment de à son divin Fils les joies et les soufleur conception, afin que la natalité frances de ceux qui viendront à soit stimulée, valorisée et soutenue l’avenir dans ce lieu sacré, pour que, sur le plan juridique, social et lé- selon la liturgie de la dédicace des gislatif. Pour cela, l’Église s’oppose églises, les pauvres puissent trouver à toute forme de négation de la vie miséricorde, les opprimés obtenir humaine et soutient ce qui pro- la vraie liberté et tous les hommes meut l’ordre naturel dans le cadre se revêtir de la dignité d’enfants de de l’institution familiale. Dieu. Amen. T



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