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Ecosse, consomme une forte proportion de merlan, Merlangius merlangus (Santos et al., ...... In Marine Mammal Energetics (eds A.C. Huntley, D.P. Costa, G.A.J..
Université de La Rochelle Thèse de Doctorat d’Océanologie Biologique et Environnement Marin

Niches alimentaires et partage des ressources : les petits cétacés du golfe de Gascogne

G. Gautier

Présentée par : Claire Pusineri

Soutenue le 22 novembre 2005 Rapporteurs : Trites A., Professeur Associé, Université de Colombie Britannique, Vancouver Cherel Y., Directeur de Recherche CNRS, CEBC, Chizé Examinateurs : Antoine L., Directeur de Recherche, Ifremer, Nantes Ménard F., Chargé de Recherche, IRD, Centre de Recherche Halieutique Méditerranéenne et Tropicale, Sète Niquil N., Maître de Conférences, LBEM, Université de La Rochelle Directeur de thèse : Ridoux V., Professeur, LBEM, Université de La Rochelle

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Remerciements Je souhaiterais tout d’abord remercier Gérard Blanchard qui m’a accueilli au sein du Laboratoire de Biologie et Environnement Marin de l’Université de La Rochelle. Merci à Vincent Ridoux, en tant que président de ma seconde structure d’accueil : le Centre de Recherche sur les Mammifères Marins. Merci encore à lui, en tant cette fois que directeur de thèse, pour sa confiance, sa gentillesse, sa disponibilité et pour m’avoir poussé, parfois malgré moi, au-delà de ce que je croyais être mes dernières limites ! Merci infiniment aux membres de mon jury de thèse, Nathalie Niquil, Loïc Antoine, Frédéric ménard, Andrew Trites et Yves Cherel, d’avoir accepté de participer à la fin de cette aventure de quatre ans. Merci aux membres de mon comité de thèse, Alain Herbland, Yves Cherel, Frédéric Ménard, Sami Hassani, Nathalie Niquil pour leur suggestions très pertinentes, et pour leurs coups de pouces : l’indentification des becs de céphalopodes pour Yves, les suggestions concernant l’article sur la communauté océanique pour Frédéric, l’aide pour les données Gerdau pour Sami et les suggestions quant à l’organisation de ma thèse pour Nathalie. Merci à tous les enthousiastes participants du Réseau National d’Echouage, et en particulier aux membres du CRMM à qui je dois une grande partie de mon matériel d’étude. Merci à tous ceux qui m’ont apporté leur aide sur le plan scientifique de manières plus informelle : Begoña Santos, Jean-Paul Lagardère, Jean-Claude Quéro grâce à qui nous avons constitué une collection de références presque complète d’espèces proies, Mariano Koen Alonso, pour m’avoir aidé à m’y retrouver dans les indices de chevauchement, François Le Loc’h pour sa participation enthousiaste à l’article communauté néritique, Jacques Massé pour ses suggestions concernant ce même article, Grégoire Certain pour le boostrap et les calculs d’abondance, et enfin François-Xavier Bard, pour son aide précieuse concernant la biologie du thon germon. Merci à Gérard Gautier et au CRMM pour les superbes photographies qui illustrent ce manuscrit. Je voudrais aussi remercier tout particulièrement ceux qui n’ont pas eu peur de mettre les mains dans les contenus stomacaux fermentés et en plus, dans la bonne humeur ! J’ai nommé “l’équipe stomacaux”, avec : Laureline Meynier, stomacologue en chef, qui après deux ans d’estomacs de dauphin biscayens, est partie exporter son art en Nouvelle Zélande sur les lions de mer, et qui malgré les kilomètres qui nous séparent m’aura soutenu jusqu’au dépôt du manuscrit ; Jérôme Spitz, poissonnier en chef ; L’équipe des DES : Véronique Magnin, Yan Vasseur, Odile Chancollon et Julien Ringelstein, qui ont été, parfois à leur dépend, mes premiers stagiaires… ; Et enfin, les « petits stagiaires » : Elisa Richard, Gaël Thailandier, Nicolas Rémi et Jérémy Desmercier.

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Merci à toute l’équipe de l’Institut de la mer pour les coups de mains et les repas de midi dans la joie et la bonne humeur ! Merci en particulier à tous ceux que je n’ai cesser d’embêter pendant ces quatre années : Dis Cécile, tu peux me faire une carte du golfe de Gascogne ? Thierry, comment on fait une demande de travaux ? Olivier, t’aurais pas un rapport sur les échouages dans le golfe de Gascogne ? Willy, ils sont passé où les âges des individus Gerdau ? Jérôme, c’est quoi un Tricharus trachirus ? Isabelle, t’aurais pas une reliure pour rapports ? Et Gilles pour son rôle de tuteur modèle ! Je n’oublie pas tous ceux avec qui j’ai partagé les moments de détente essentiels à l’équilibre du doctorant (!) : les deux Olivier, les deux Cécile, Mike, Laureline, JC, Karine, Elise, Pierre-Yves, Jérémy, Yadga, Barbara, Virginie, Jeff, Aurélie, Gislain, Aldo, Mumu, Bobiche, Séverine, Nicho, Grand Thomas …

Merci enfin, à tous ceux qui, malgré la distance, par leur affection et leur soutient ont beaucoup fait pour cette thèse : Les amis rencontrés au grés de ces longues années estudiantines : les sarazins, les viennois, les lyonnais, les montréalais, les montpelliérains, les rochelais Mes parents, Et celui qui, avec patience et optimisme, n’a cessé de me soutenir et d’y croire ! Merci Charles. Et cette fois c’est promis, on y va….à la recherche de la Terre Sans mal !

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Avant-propos Mon travail de thèse a été financé par une bourse de la région Poitou-Charentes et le Programme National d’Environnement Côtier.

Cette étude du partage des ressources des petits cétacés avec les autres grands prédateurs du golfe de Gascogne, s’est déroulée en deux étapes : l’analyse du régime alimentaire de chaque prédateur supérieurs des communautés océanique et néritique du golfe de Gascogne puis l’intégration des ces données spécifiques à l’échelle des deux communautés.

La première étape a été réalisée en équipe avec : v Laureline Meynier, qui a réalisé son Master sur le régime alimentaire du dauphin commun dans le secteur néritique du golfe de Gascogne, sous la codirection de Vincent Ridoux et Graham Pierce (Université d’Aberdeen, Ecosse) v Jérôme Spitz, qui a réalisé son diplôme EPHE sur la variabilité temporelle du régime alimentaire des petits cétacés du golfe de Gascogne, sous la direction de Vincent Ridoux v Yan Vasseur, Véronique Magin, Odile Chancollon et Julien Ringlestein, qui ont réalisé leur Diplôme d’Etudes Supérieures, sur le thème, respectivement, du régime alimentaire du thon germon, du dauphin commun, de l’espadon et du dauphin bleu et blanc au large du golfe de Gascogne, sous la codirection de Vincent Ridoux et moi- même. v Gaël Thailandier, qui a réalisé son stage de maîtrise sur le régime alimentaire du requin peau bleue, sous ma direction.

Afin de valoriser le travail de chacun, un article a été rédigé à la suite de chaque stage : v Pusineri, C., Vasseur, Y., Hassani, S., Spitz, J., Meynier, L. et Ridoux, V. (2005) The food and feeding ecology of the North Atlantic immature albacore tuna, Thunnus lalunga, off the Bay of Biscay. ICES Journal of Marine Science, 62:116-122

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v Chancollon, O., Pusineri, C. et Ridoux, V. (Soumis) Food and feeding ecology of the Northeast Atlantic swordfish, Xiphias gladius, off the Bay of Biscay. Soumis à ICES Journal of Marine Science. v Pusineri, C., Magnin, V., Meynier, L., Spitz, J., Hassani, S., Ridoux, V. (Soumis) Food and feeding ecology of the common dolphin (Delphinus delphis) in the oceanic Northeast Atlantic and comparison with its diet in neritic areas. Soumis à Marine Mammal Science. v Ringelstein, J., Pusineri, C., Hassani, S., Meynier, L., Nicolas, R., and Ridoux, V. (Soumis). The food and feeding ecology of the striped dolphin, Stenella coeruleoalba, in the oceanic Northeast Atlantic. Soumis à Journal of Marine Biological Association of the UK. (Très récemment accepté avec modifications) v Meynier, L., Pusineri, C., Spitz, J., Santos, M.B., Pierce, G.J. et Ridoux, V. (En prep.). Diet and feeding ecology of the common dolphin, Delphinus delphis, in the Bay of Biscay and its intraspecific variations. Soumission prévue pour Journal of Applied Ecology. v Spitz, J., Richard, E., Meynier, L., Pusineri, C. et Ridoux, V. (Accepté) Dietary plasticity of the oceanic striped dolphin, Stenella coeruleaoalba, in the neritic Bay of Biscay. Journal of Sea Research. Le premier auteur de chacun de ces articles est celui qui a rédigé, les suivants sont ceux qui ont participé à l’analyse des contenus stomacaux et/ou au traitement des données, dans l’ordre de leur implication dans le travail, et le dernier, est l’encadrant principal : Vincent Ridoux.

La seconde étape a consisté en un travail plus personnel et a donné lieu à la rédaction de deux articles : v Pusineri, P., Chancollon, O., Ringelstein, J., Ridoux, V. (En prep.) Feeding niche segregation among the Northeast Atlantic community of oceanic top predators. v Pusineri, C., Meynier, L., Certain, G., Spitz, J., Le Loc’h, F., Desmercière, J., Ridoux, V. (En prep) Assessment of the trophic relationships between cetaceans and fisheries in the neritic waters of the Bay of Biscay.

Ces articles tant par leur fond (ils couvrent toutes les questions posées dans le cadre de l’étude) que par leur forme relativement homogène, répondent particulièrement bien aux critères nécessaires à une thèse sur publications, qui est la forme que nous avons cho isie. 4

Sommaire Partie 1 :

Introduction.......................................................................................................... 7

1.1 Contexte sociétal........................................................................................................... 8 1.1.1 D’une gestion monospécifique à une approche écosystémique de la pêche .......... 8 1.1.2 Les mammifères marins dans les milieux exploités par la pêche ........................ 11 1.1.3 Les petits delphinidés du golfe de gascogne ........................................................ 14 1.2 Contexte théorique ...................................................................................................... 15 1.2.1 Partage des ressources alimentaires ..................................................................... 15 1.2.2 L’échelle de l’espèce ............................................................................................ 15 1.2.3 L’échelle de la communauté ................................................................................ 17 1.2.4 L’échelle du réseau trophique .............................................................................. 20 1.3

Questions posées et plan de l’étude ............................................................................ 22

Partie 2 :

Site d’étude, matériel et méthode ...................................................................... 25

2.1 Le milieu pélagique du golfe de Gascogne ................................................................. 26 2.1.1 Caractéristiques abiotiques................................................................................... 26 2.1.2 Caractéristiques biotiques .................................................................................... 28 2.2

Matériel ....................................................................................................................... 36

2.3 Méthode : l’analyse de régimes alimentaires ............................................................. 36 2.3.1 Les méthodes couramment utilisées..................................................................... 36 2.3.2 L’analyse de contenus stomacaux........................................................................ 37 Partie 3 :

Niches alimentaires ............................................................................................ 45

3.1 Régime et écologie alimentaires du thon germon (Thunnus alalunga) immature au large du golfe de Gascogne .................................................................................................. 46 3.2 Régime et écologie alimentaires de l’espadon (Xiphias gladius) au large du golfe de Gascogne............................................................................................................................... 54 3.3 Régime et écologie alimentaires du dauphin commun (Delphinus delphis) au large du golfe de Gascogne................................................................................................................. 70 3.4 Régime et écologie alimentaires du dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba) dans le domaine océanique au large du golfe de Gascogne................................................. 84 3.5 Régime et écologie alimentaire du dauphin commun (Delphinus delphis) dans le domaine néritique du golfe de Gascogne et ses variabilités intraspécifiques ...................... 98 3.6 Régime et écologie alimentaires du dauphin bleu et blanc (Stenella coeruleoalba) dans le domaine neritique du golfe de Gascogne ............................................................... 116

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Partie 4 :

Partage des ressources alimentaires............................................................... 133

4.1 Bilan des relations trophiques reliant les petits cétacés et les pêcheries dans les eaux néritiques du golfe de Gascogne ......................................................................................... 134 4.2 Ségrégation des niches alimentaires au sein de la communauté de prédateurs supérieurs océaniques du Nord-est Atlantic ....................................................................... 151 Partie 5 :

Discussion générale .......................................................................................... 169

5.1 Synthèse des résultats................................................................................................ 170 5.1.1 Les niches alimentaires ...................................................................................... 170 5.1.2 Taille et variabilité des niches alimentaires ....................................................... 174 5.1.3 Chevauchement et compétition trophique .......................................................... 175 5.2 Discussion ................................................................................................................. 176 5.2.1 Les états de digestion ......................................................................................... 176 5.2.2 Les niches alimentaires ...................................................................................... 177 5.2.3 Chevauchement et compétition.......................................................................... 178 5.3

Conclusion ................................................................................................................ 190

Références............................................................................................................................. 193

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Partie 1 : Introduction

G. Gautier

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1.1 CONTEXTE SOCIETAL 1.1.1 D’une gestion monospécifique à une approche écosystémique de la pêche 1.1.1.1 Les biens et services fournis par les écosystèmes marins Les écosystèmes marins représentent pour l’homme une source majeure de biens et de services (Costanza et al., 1997). Ils participent à la régulation des perturbations (rapport CO2 /O2 , dégradation et stockage de polluants…) ainsi qu’au développement d’activités récréatives et ils ont bien entendu un rôle essentiel dans la production de nourriture (pêche et aquaculture). Au niveau mondial, la pêche employait en 2002, 38 millions de personnes. La consommation de poissons représente aujourd’hui, dans les pays industrialisés, environ 8% des ressources en protéines (FAO, 2004) et la pêche constitue, dans certains pays en voie de développement, un secteur majeur d’activité. 1.1.1.2 Le déclin des pêcheries et des écosystèmes marins La méthode classique de gestion des pêches, dite du rendement maximum soutenable, consiste pour chaque stock à déterminer à partir de la biomasse, de la mortalité et du recrutement estimés les années antérieures, la mortalité par pêche qui permettrait d’optimiser la production de biomasse (Figure 1). A partir de cette mortalité, on détermine le quota de pêche pour l’année suivante (Jennings et al., 2001 a).

Durant les années 90, plusieurs limites à cette approche monospécifique de la gestion des pêches ont été mises en évidence. La première est le déclin de certains stocks exploités. On entend d’abord par déclin la diminution de l’abondance des stocks et à l’extrême leur effondrement. Cependant, cette notion de déclin inclut également la perte de résilience des stocks (capacité à retourner à l’état stable après une perturbation ; Smith, 1996), qui peut être entraînée par exemple par la modification de la structure en âge et en taille (Blaber et al., 2000) ou par la perte de diversité génétique (Fonteneau et al., 2002). L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (Food and Agriculture Organisation, FAO, 2004) estime ainsi qu’en 2003, environ 52% des stocks exploités l’étaient pleinement et qu’environ 25% étaient surexploités.

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Biomasse de la population

Bmax

a

Taux de croissance de la population

0

Temps

TcMax

b 0

B

Bmax

Rendement

Biomasse de la population

RMS

c 0

B

Bmax

Biomasse de la population

Figure 1 : Rendement maximum soutenable : la population suit une croissance logistique (a). Le rendement maximum soutenable (RMS, c) est obtenu pour un taux de croissance maximum de la population (TcMax, b). Le rendement maximum soutenable et le taux de croissance maximum de la population correspondent à une même biomasse B de la population. 9

C’est en 2001 qu’a été observé pour la première fois une diminution des captures mondiales : 79MT ont été débarqués en 1998 et 87MT en 2000 contre 84MT en 2001 et 2002 (FAO, 2004). A la même période, a été également constatée une modification notable des espèces cibles vers des espèces de plus faibles niveaux trophiques et de valeurs marchandes moindres (FAO, 2004 ; Pauly et al., 1998 a). La deuxième limite de cette approche est la dégradation de certaines composantes des écosystèmes non ciblées par les pêcheries, sous l’influence, par exemple, du dragage des fonds, des captures accidentelles de populations protégées, ou encore des rejets (e.g. Bianchi et al., 2000 ; Blaber et al., 2000 ; Tasker et al., 2000). Du point de vue de la conservation, ces impacts mettent en péril certains habitats ou espèces non ciblés et, du point de vue de l’activité de pêche, ils diminueraient la résilience et la stabilité des écosystèmes et en conséquence celle des stocks exploités (Bostford et al., 1997 ; Garcia et al., 2003). Enfin, la pêche entre aussi en conflit avec d’autres activités humaines et en particulier avec les activités récréatives en zones côtières (Blaber et al., 2000).

1.1.1.3 L’approche écosystémique de la pêche Suite à ces échecs, est né le concept d’approche écosystémique des pêcheries. Celui-ci a pour but de « répondre aux exigences à la fois sociales et économiques des pêcheries en prenant en compte les connaissances et incertitudes liées à l’ensemble des composantes biotiques, abiotiques et anthropiques des écosystèmes, afin de ne pas hypothéquer la possibilité pour les générations futures de bénéficier de l’ensemble des biens et services que peuvent fournir les écosystèmes marins » (Garcia et al., 2003). Les principaux objectifs de cette approche écosystémique de la pêche sont de réduire les débarquements, la dégradation des habitats et des communautés exploités ou non exploités, les captures accidentelles ainsi que les conflits avec les autres activités humaines (Garcia et al., 2003). Pour y parvenir, différents moyens et outils ont été proposés dont nous citerons quelques exemples. Le plus fréquemment cité est le principe de précaution : le rendement maximum soutenable n’est plus considéré comme un but à atteindre mais comme une limite à ne pas dépasser. Ainsi, sont pris en compte les incertitudes liées à la variabilité de l’environnement et les besoins des composantes autres que les pêcheries (espèces non ciblées et autres activités humaines) qui exploitent les mêmes ressources que celles-ci (Constable et al., 2000 ; Witherell et al., 2000).

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D’autre part, les plans de gestion doivent devenir dynamiques et s’adapter aux variabilités naturelles et anthropiques. Des liens plus forts et directs doivent être mis en place entre les différents acteurs de la gestion des pêches : économistes, biologistes, sociologues, politiques régionales, nationales et internationales, pêcheurs et autres commerces ou industries dont les activités interagissent avec les pêcheries (Garcia et al., 2003 ; ICES, 2005 a). Il est aussi nécessaire de créer des Aires Marines Protégées (Witherell et al., 2000), de réduire la capacité de pêche à un niveau acceptable, d’améliorer la sélectivité des techniques de pêche et de développer des modèles permettant de tester différents scénarii de gestion (Pauly et al., 2000 ; Trites et al., 1999). Enfin, un dernier point important est l’amélioration de nos connaissances encore trop limitées des écosystèmes marins. Ces améliorations et des affinementspermettraient à la fois : de mieux mesurer et donc de limiter l’impact des pêcheries sur les écosystèmes et de réduire les incertitudes liées aux estimations des quotas de pêche. Les incertitudes de gestion ainsi diminuées apporteraient plus de poids aux estimations scientifiques dans la balance des décisions politiques (Bostford et al., 1997).

1.1.2 Les mammifères marins dans les milieux exploités par la pêche Les stocks de mammifères marins furent exploités commercialement à partir de la fin du XVIIème jusqu’aux années 1970 (Twiss et Reeves, 1999). Ces animaux, à stratégie de croissance K (faible taux de reproduction et maturation tardive), sont particulièrement sensibles à une exploitation intensive (Powels et al., 2000) et, rapidement, l’effondrement de nombreux stocks fut observé : les éléphants de mer, Mirounga leonina et M. angustirostris, plusieurs espèces d’otaries, Callorhinus ursinus, Arctocephalus spp., la baleine franche des Basques, Eubalaena glacialis, la baleine du Groenland, Balaena mysticetus, la baleine franche australe, Eubalaena australis, le cachalot, Physeter macrocephalus, le mégaptère, Megaptera novaeangliae, la baleine grise, Eschrichtius robustus (Gambell, 1999). Suite à ces déclins massifs et sous la pression politique, la plupart des pays ont soit renoncé à la pêche et donné un statut d’espèces protégées aux mammifères marins, soit en ont instauré une exploitation plus raisonnée (Twiss et Reeves, 1999).

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Ordre des Carnivores

Ordre des Cétacés

Ordre des Siréniens

Sous-ordre des Mysticètes

Sous-ordre des Odontocètes

Famille des :

Famille des :

Famille des :

Famille des :

Otariidés (otaries)

Baleinidés (baleines franches)

Physéteridés (cachalot)

Dugongidés (dugongs)

Odobénidés (morses)

Néobaleinidés (baleine pygmée)

Kogiidés (cachalots nain et pygmés)

Trichechidés (lamantins)

Phocidés (phoques)

Eschrichtiidés (baleine grise)

Ziphiidés (baleines à bec)

Sous-ordre des Caniformes

Balaenoptéridés (rorquals)

Sous-ordre des Siréniens

Platanistidés (dauphin du Gange) Iniidés (dauphin de l’Amazone) Lipotidés (dauphin de Chine) Pontoporiidés (dauphin de La Plata) Monodontidés (beluga et narval) Delphinidés (dauphins) Phocoenidés (marsouins)

Figure 2 : Zoologie des mammifères marins actuels. Des lignées marines sont apparues indépendamment dans trois ordres de Mammifères.

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Cependant, le statut d’espèces protégées est à l’origine d’autres tensions politiques. Celles-ci trouvent leur source dans les relations trophiques qui lient les mammifères marins et les pêcheries et entraînent des interactions opérationnelles et éventuellement une compétition trophique. Par exemple, les captures accidentelles de lions de mer, Otaria flavescens, en Patagonie et de dauphins communs, Delphinus delphis, dans les eaux de Galice engendreraient une mortalité de 1 à 2% de ces populations (Crespo et al., 1997 ; Lopez et al., 2003). Du point de vue des pêcheries, ces captures accidentelles dégradent les filets et ralentissent la pêche (Ross et al., 1984). S’il a été mis en évidence que la plupart des populations de mammifères marins vivent au large où elles consomment des proies des grands fonds ou impropres à la consommation humaine (Kaschner et Pauly, 2004 ; Trites et al., 1997), des chevauchements sont effectivement observés dans les secteurs néritiques, principalement dans le cas des pinnipèdes, des dauphins et des marsouins. Par exemple, le dauphin commun, Delphinus delphis, en Galice a pour proie dominante la sardine, Sardina pilchardus, et le merlan bleu, Micromesistius poutassou, qui sont aussi parmi les espèces les plus exploitées dans la région (Santos et al., 2004 b). De manière similaire, le marsouin commun, Phocoena phocoena, en Ecosse, consomme une forte proportion de merlan, Merlangius merlangus (Santos et al., 2004 a), et le phoque gris en Nouvelle-écosse, une forte proportion de hareng, Clupea harengus, de merlu, Merluccius bilinearis, et de morue, Gadus morhua (Bowen et al., 1993).

Ainsi, les mammifères marins sont considérés comme des compétiteurs par la plupart des pêcheries ; ce sentiment est exacerbé par le fait qu’après quelques dizaines d’années de protection, certaines espèces semblent de nouveau stables ou en phase de croissance (DeMaster et al., 2001). A l’inverse, les pêcheries sont tenues responsables du déclin de certaines populations comme celui des otaries de Steller, Eumetopias jubatus, de la mer de Béring (Merrick, 1997) ou des phoques du Groenland, Phoca groenlandica, en mer de Barents (Haug et al., 1991). Le statut d’espèce protégée de nombreux mammifères marins en font donc un groupe particulièrement intéressant à étudier dans le cadre d’une approche écosystémique des pêcheries.

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1.1.3 Les petits delphinidés du golfe de gascogne Comme dans la plupart des secteurs néritiques, la pêche est une activité économique majeure du golfe de Gascogne. En France, en 2003, environ 140000T ont été débarquées pour une valeur de 430 millions d’euros (IFEN, 2002). La pêche emploie 6400 marins qui travaillent sur 2200 bateaux, principalement des chalutiers, pélagiques ou de fond. En tonnage, tous pays confondus, se sont les captures de sardines, Sardina pilchardus, chinchards, Trachurus trachurus, anchois, Engraulis encrassicolus, merlans bleus et merlus sur le plateau et de thons germons, Thunnus alalunga, dans le secteur océanique qui dominent (données ICES).

Ces pêcheries souffrent de la surexploitation et leurs impacts sur l’écosystème semblent importants. En effet, 75% des débarquements proviennent de stocks en mauvais, voire très mauvais états ; les quantités débarquées ont baissé de 200000T en 1990 à 140000T en 2003 (IFEN, 2002) ; le stock d’anchois est dans un état critique et ceux de la sardine et du merlus ont fortement diminué (ICES, 2005 b et c). Les côtes et les estuaires constituent des zones privilégiées de ponte pour de nombreuses espèces marines ; les juvéniles sont particulièrement exposés à la capture sous la taille de commercialisation et donc au rejet qui peut atteindre des taux très importants dans certaines pêcheries (jusqu’à 33% de la biomasse capturée dans la pêcherie de langoustines). Bien que tous les mammifères marins en Espagne et en France soient protégés, le nombre de captures accidentelles est important : dans les eaux de Galice, les taux de captures dépasseraient largement les 2% considérés comme soutenables des populations de dauphin commun et de grand dauphin (Lopez et al., 2003). Des traces de captures accidentelles sont fréquemment observées sur les dauphins communs échoués le long des côtes atlantiques françaises, ainsi que sur certains grands dauphins, dauphins bleu-et-blanc et marsouins (CRMM, communication personnelle). Par ailleurs, ces quatre espèces, fréquemment observées lors de la pêche aux petits pélagiques ou au bar, Dicentrarchus labrax, sur le plateau continental et au thon germon, Thunnus alalunga, dans les eaux océaniques, sont soupçonnées d’être des compétiteurs trophiques de certaine s pêcheries.

Ainsi, nous retrouvons dans le cas des petits cétacés du golfe de Gascogne, l’enjeu majeur qui engendre au niveau international un intérêt croissant pour les mammifères marins : leur statut d’espèce protégée résidant dans un milieu fortement exploité par la pêche.

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Dans le golfe de Gascogne la problématique se concentre sur deux principaux phénomènes: les captures accidentelles et la compétition pour les ressources alimentaires qui pourrait exister entre les petits cétacés et les pêcheries. Dans la présente étude, nous nous focaliserons sur ce dernier point en étudiant le partage des ressources alimentaires des petits cétacés avec les autres grands prédateurs et les pêcheries des milieux océanique et néritique du golfe de Gascogne.

1.2 CONTEXTE THEORIQUE

1.2.1 Partage des ressources alimentaires Les mécanismes possible de partage des ressources alimentaires sont de trois types : temporel (e.g. période du nycthémère exploitée pour la chasse), spatial (e.g. aire de chasse) ou trophiques (taxons et tailles de proies). Traiter du partage des ressources au sein d’une communauté, c’est d’abord déterminer les ressources alimentaires exploitées par chaque espèce, puis déterminer les paires d’espèces qui partagent des ressources , la nature de ces ressources et enfin, déterminer si pour certaines paires le partage est susceptible d’engendrer une compétition. Ces problématiques sont abordées dans la littérature à trois échelles : l’espèce, la communauté et le réseau trophique.

1.2.2 L’échelle de l’espèce

1.2.2.1 Description C’est à cette échelle que se situent les analyses classiques de régimes alimentaires (e.g. Santos et al., 2004 a , b; Clarke et al., 1996). Ces études ont généralement pour but de déterminer le régime alimentaire d’une espèce, ses zones et périodes préférentielles de chasse, éventuellement ses tactiques de chasse ainsi que la variabilité de ses éléments.

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1.2.2.2 Niche écologique Etudier tous les éléments que nous venons de citer équivaut à définir la niche alimentaire de l’espèce. Avant de définir ce concept, nous abordons celui plus général de niche écologique. La définition du concept de niche écologique reste assez variable en fonction des auteurs. La plus classique désigne la niche écologique comme les conditions biotiques et abiotiques dans le squelles vit l’espèce (Hutchinson, 1957). On ajoute souvent à cet notion statique celle plus dynamique de ressources exploitées et de manière dont l’espèce les exploite (e.g. Pianka, 1978). Enfin, certains auteurs incluent dans le concept de niche écologiq ue les problématiques de partage des ressources (e.g. Smith, 1996 ; Elton, 1927). Dans notre étude, la niche écologique désignera les conditions dans lesquelles vit l’espèce étudiée, les ressources qu’elle exploite et la manière dont elle les exploite. On distingue parfois la niche fondamentale, définie en l’absence de compétiteur et la niche réalisée, plus réduite, que l’on observe en présence de compétiteurs (Smith, 1996). Plus la niche d’une espèce est grande, plus l’espèce est généraliste (à ne pas confondre avec opportuniste : qui exploite les ressources les plus abondantes ou facilement accessibles) ; plus elle est étroite, plus l’espèce est spécialisée (Smith, 1996). Enfin, la niche écologique varie avec la croissance des individus, les saisons, l’activité des animaux, ou encore la zone d’étude (Dajoz, 1996). 1.2.2.3 Niche alimentaire La niche alimentaire est un sous-ensemble de la niche écologique qui désigne les éléments ayant trait à l’alimentation. Les travaux menés sur ce concept ont mis en évidence quatre composantes majeures de la niche alimentaire : une composante trophique, elle- même constituée de la sous-composante taxonomique et de la sous-composante relative aux tailles des proies (e.g. Croxall et al., 1997 ; Bulman et al., 2002 ; Hopkins et al., 1996), une composante spatiale, qui concerne la profondeur et l’aire d’alimentation (e.g. Diamond, 1983 ; Potier et al., 2004) et une composante temporelle, qui désigne les périodes d’alimentation (e.g. Cabral et al., 2002 ; Harrison et al. 1983). Dans les études de niche alimentaire de prédateurs supérieurs, on ajoute souvent une composante comportementale (sélection des proies, tactique de chasse… ; e.g. Harrison et al. 1983, Ridoux 1994). Ces dimensions sont souvent liées et influent les unes sur les autres (Pianka, 1974) ; par exemple, la ségrégation trophique peut être l’expression des lieux ou tactiques de chasse.

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1.2.3 L’échelle de la communauté

1.2.3.1 Description Une communauté désigne un groupe de plantes et d’animaux vivant dans la même zone et interagissant entre eux (Smith, 1996). Cependant, la plupart des études de communautés se restreignent à des espèces de même niveau trophique ; par exemple : les communautés d’oiseaux de mer (e.g. Croxall et al., 1997 ; Franeker et al., 2001), les communautés de poissons de niveaux trophiques intermédiaires (e.g. Hopkins et al., 1996 ; Bulman et al., 2002), ou encore les communautés de prédateurs supérieurs aquatiques (e.g. Potier et al., 2004 ; Whitehead et al., 2003).

L’approche à l’échelle de la communauté est en général théorique et s’intéresse aux phénomènes de chevauchement ou de ségrégation des niches alimentaires des différentes espèces de la communauté : comment les niches se ségrégent (ou, au contraire, se chevauchent) et quels sont les facteurs responsable s de ces ségrégations. Le terme de chevauchement détermine dans quelle mesure deux espèces exploitent les ressources de manière similaire (Mohn et Bowen, 1996) et celui de ségrégation évalue dans quelle mesure la façon d’exploiter les ressources diffère entre deux espèces. Dans le cadre d’une étude des niches alimentaires, on cherchera à déterminer le chevauchement ou la ségrégation selon les quatre composantes majeures citées plus haut (trophique, spatiale, temporelle, comportementale). Les facteurs responsables de la ségrégation des niches alimentaires peuvent être internes (e.g. morphologie de la bouche, Platell et Potter, 2001 ; capacité de plongée, Potier et al., 2004), externes abiotiques (e.g. profondeur, température) ou externes biotiques (e.g. prédation, compétition, Diamond, 1983). 1.2.3.2 Compétition et chevauchement La compétition peut être définie de la manière suivante : « effets négatifs qu’un organisme exerce sur un autre en consommant ou en contrôlant l’accès à une ressource limitée » (Keddy, 1989). On distingue la compétition directe, ou par interférence, qui se manifeste lorsqu’un individu a un comportement agressif vis-à-vis de ses compétiteurs afin de les éloigner de la ressource commune, et la compétition indirecte, ou par exploitation, qui se produit lorsqu’un organisme accapare les ressources aux dépends de l’autre (Dajoz, 1996).

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Les liens entre les concepts de compétition et de chevauchement pour une ressource ont engendré de nombreux débats sur la possibilité de déterminer la compétition pour une ressource entre deux espèces à partir du chevauchement de leur niche alimentaire. Ces débats ont mis en évidence trois points: l’importance de l’état de la ressource partagée, le phénomène de « fantôme » de la compétition et l’importance de prendre en compte toutes les dimensions de la niche alimentaire. Lorsque les niches de deux espèces se chevauchent pour une ressource, il y aura coexistence dans le cas où la ressource n’est pas limitante ou exclusion compétitive dans le cas inverse. L’espèce la plus compétitive élimine alors la seconde de l’aire de chevauchement de leurs niches. En d’autres termes, les niches se ségrégent au détriment de l’espèce la moins compétitive (Smith, 1996). D’autre part, il ne faut pas confondre la compétition réelle, actuelle, avec ce qui a été appelée le fantôme de la compétition, qui est le résultat d’une compétition passée ayant abouti à la séparation écologique des espèces (Dajoz, 1996). Ainsi, lorsqu’un chevauchement pour une ressource est observé entre les niches alimentaires de deux espèces, il y a interaction compétitive en cas de ressource limitée, ou coexistence, si la ressource est abondante. Si, à l’inverse, aucun chevauchement n’est observé entre deux espèces, soit il s’agit d’une situation de ségrégation résultant d’un phénomène de « fantôme » de la compétition passée, soit les deux espèces ont des niches alimentaires très différentes et ne tendent pas à exploiter les mêmes ressources (Figure 3a).

On s’intéresse parfois à déterminer si il y a compétition ent re deux espèces pour une ressource particulière mais la plupart du temps, on souhaite savoir s’il existe une compétition générale (i.e. qui prend en compte toutes les ressources communes, MacArthur, 1972), significative (capable d’avoir un impact significativement négatif sur au moins une des deux populations). Dans le premier cas on cherchera à savoir si les deux espèces consomment la ressource en question et si celle-ci est disponible en quantité limitée. Dans le second cas, on calculera un indice de che vauchement pour l’ensemble des ressources (Figure 3b). Un indice de chevauchement varie entre 0, lorsque les deux espèces n’ont aucune ressource en commun, et 1, lorsque les deux espèces exploitent les mêmes ressources dans les mêmes proportions. On considère en général qu’il peut exister une compétition significative (ou substantielle) entre deux espèces lorsque cet indice est au moins égal à 0,6 (e.g. Ross, 1986) et que les ressources communes sont limitées (Figure 3d).

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Figure 3 : La complexité des liens entre chevauchement et compétition entre deux prédateurs P1 et P2

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1.2.4 L’échelle du réseau trophique 1.2.4.1 Description L’approche par le réseau trophique est plus appliquée que l’approche par la communauté. Elle est le plus souvent choisie pour traiter des problématiques de compétition trophiques potentielles entre les pêcheries et les mammifères marins (e.g. Harwood et Croxall, 1988 ; Bjorge et al., 2002 ; Sigurjonsson et Vikingsson, 1998). Dans cette approche l’unité étudiée est la communauté dans son sens large vrai : groupe de plantes et d’animaux vivant dans la même zone et interagissant entre eux. Cependant, la plupart du temps, une seule composante des niches alimentaires est étudiée : la composante trophique (taxons proie consommés et éventuellement tailles des proies). Ce types d’études s’attache donc à déterminer les relations et les chevauchements trophiques entre les espèces de la communauté étudiée, ainsi qu’à détecter les phénomènes éventuels de compétition.

1.2.4.2 Compétition Dans une approche à l’échelle du réseau trophique, la compétition est étudiée sous un angle différent de celui abordé dans l’approche communauté : Seule la dimension trophique de la niche alimentaire est étudiée, sans prendre en compte les composantes spatiale, temporelle et comportementale. La compétition est analysée au travers du réseau trophique (« food web competition », Trites et al., 1997 ; « Diffuse effects in food webs », Yodzis, 2000). Ainsi, on étudie la compétition entre deux espèces pour les ressources qu’elles partagent directement et indirectement. Une compétition pour une proie partagée directement est observée lorsque la consommation d’une proie Py par un prédateur P1 a un impact négatif sur le prédateur P2 en limitant sa consommation de Py (Figure 3c). Un exemple de compétition pour une proie partagée indirectement peut être la consommation d’une proie Pz par un prédateur P1 qui a un impact négatif sur un prédateur P2 par l’intermédiaire de Py, à la fois prédateur de Pz et proie de P2 (Figure 3c). Pour certains auteurs, cette compétition au travers du réseau trophique pourrait aller jusqu’à une compétition pour la production primaire (Trites et al., 1997).

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Figure 3 bis : La complexité des liens entre chevauchement et compétition entre deux prédateurs P1 et P2

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Pour simplifier, on désignera, comme cela est le cas dans la littérature sur les réseaux trophiques, la compétition liée à une proie partagée directement par le terme de « compétition trophique directe » et la compétition liée à une proie partagée indirectement par le terme de « compétition trophique indirecte ». La compétition générale observée entre deux prédateurs est donc, dans le cas d’une approche par le réseau trophique, la somme des phénomènes de compétition trophique directs et indirects (Figure 3c). Un dernier point remarquable dans ce type d’approche est la prise en compte, en plus de l’état des ressources, des quantités consommées qui déterminent si la compétition est uni- ou bilatérale (i.e. si elle est susceptible d’avoir un impact négatif significatif sur un seul ou sur les deux protagonistes). En effet, lorsque deux espèces exploitent la même ressource qui se trouve en quantité limitée, si la consommation d’une des deux espèces est très largement inférieure à l’autre, il n’y aura d’impact négatif significatif que sur l’espèce qui a une faible consommation. A l’inverse, si les deux protagonistes consomment des quantités similaires de la ressource commune, alors la compétition aura un impact négatif significatif sur les deux prédateurs (Figure 3d).

1.3 QUESTIONS POSEES ET PLAN DE L’ETUDE Nous analyserons le partage des ressources alimentaire du dauphin commun, du dauphin bleu et blanc, du marsouin et du grand dauphin avec les autres grands prédateurs (prédateurs de grande taille) et les pêcheries des milieux néritique et océanique du golfe de Gascogne selon deux étapes : Ø

Dans un premier temps, nous travaillerons à l’échelle de l’espèce afin de

définir la niche alimentaire de chacun des petits cétacés : − dimension trophique : détermination des taxons et des tailles des proies consommées ; − dimension temporelle : détermination des cycles nycthéméraux de chasse ; − dimension spatiale : détermination des zones bathymétriques de chasse et comparaison des régimes alimentaires avec les distributions horizontales observées pour chaque espèce ; − dimension comportementale : notre matériel d’étude ne nous permettra pas d’étudier en détail cet aspect de la niche alimentaire ;

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− taille des niches alimentaires : l’espèce est-elle plutôt spécialiste ou généraliste ; − variabilité des caractéristiques de la niche alimentaire avec le secteur d’étude, la période (saison, année), le stade de maturité, la taille, le sexe. Ø

Dans un deuxième temps, nous travaillerons aux échelles des communautés et

des réseaux trophiques afin de : − quantifier les chevauchements/ségrégations des niches alimentaires des petits cétacés avec les autres grands prédateurs et les pêcheries des milieux océanique et néritique ; − de déterminer dans quels cas une compétition est probable avec les pêcheries et les aut res espèces de grands prédateurs.

Dans le milieu océanique, le dauphin commun et le dauphin bleu et blanc font partie d’une communauté de prédateurs supérieurs (prédateurs en bout de chaîne trophique) qui comprend également le requin peau bleue (Prionace glauca), l’espadon (Xiphias gladius) et le thon germon (Thunnus alalunga). Or, le thon et l’espadon sont exploités dans ce secteur par les pêcheries et les dauphins pourraient être des compétiteurs trophiques de ces espèces . Ils constitueraient ainsi des compétiteurs trophiques indirects des pêcheries. Nous avons donc choisi pour ce milieu une approche de type communauté. A l’inverse, dans le milieu néritique, il n’existe pas de prédateurs supérieurs abondants autre que les dauphins et ceux-ci pourraient être des compétiteurs trophiques à la fois directs et indirects des pêcheries. Nous avons donc choisi pour ce milieu une approche de type réseau trophique.

Après cette introduction, la deuxième partie présentera le site d’étude, le matériel et la méthode d’analyse de contenus stomacaux. Une troisième partie intitulée « Niches alimentaires » est consacrée au premier axe de l’étude. Elle est constituée de 6 articles, chacun présentant la niche alimentaire d’une espèce étudiée dans un des deux secteurs : thon germon dans le secteur océanique, espadon dans le secteur océanique, dauphin commun dans le secteur océanique puis en secteur néritique, dauphin bleu et blanc dans le secteur océanique puis dans le secteur néritique. Trois articles manquent à cette liste : celui du requin peaubleue, qui sera rédigé par la suite et ceux du grand dauphin et du marsouin, pour lesquels je n’ai pas participé à l’étude du régime alimentaire. La quatrième partie, intitulée « Partage des

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ressources alimentaires » sera consacrée au second axe de l’étude. Elle sera composée de deux articles : l’un dédié à l’étude de la ségrégation alimentaire entre les prédateurs supérieurs de la communauté océanique et l’autre focalisé sur les relations trophiques des petits cétacés et des pêcheries dans le secteur néritique. Enfin, la dernière partie présentera une synthèse des résultats principaux, qui seront discutés puis des perspectives de recherches ou axes d’études seront proposés à partir de ces résultats.

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Partie 2 : Site d’étude, matériel et méthode

CRMM

CRMM

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2.1 LE MILIEU PELAGIQUE DU GOLFE DE GASCOGNE 2.1.1 Caractéristiques abiotiques Le golfe de Gascogne au sens strict est limité au nord par la pointe de la Bretagne, au sud par les côtes atlantiques espagnoles, à l’est par les côtes atlantiques françaises et à l’ouest par le méridien 9°O (Figure 4). Notre zone d’étude s’étend bien au delà du golfe de Gascogne, jusqu’à la longitude 21°O et aux latitudes 40 et 50°N (Figure 4), mais, par commodité, nous l’appellerons par la suite golfe de Gascogne. Cette zone est composée d’un plateau continental (secteur néritique), que l’on peut diviser en une zone côtière (0-50m) et une zone du large (50-200m), d’un talus (200-2000m) et de plaines abyssales (secteur océanique, >2000m). Le plateau, en pente douce, s’étend de la côte aux accores. Il dépasse les 300 km de large à la latitude de la Bretagne, alors qu’à partir du Pays Basque il ne s’avance à guère plus de 50 km. Le talus est une zone étroite d’environ 30 km de large, dont la pente abrupte plonge vers les plaines abyssales qui se trouvent à des profondeurs oscillant autour de 4000m. On distingue verticalement deux grandes zones (Figure 5) : la colonne d’eau, qui constitue le milieu pélagique et le fond, ou milieu benthique. Dans le domaine océanique, la colonne d’eau peut être elle même divisée en plusieurs zones : zone épipélagique (0-200m), zone

mésopélagique

(200-1000m),

zone

bathypélagique

(1000-4000m),

et

zone

abyssopélagique (4000-6000m). Nous ne nous intéresserons ici qu’au milieu pélagique et en particulier aux zones épipélagique et mésopélagique où évoluent les principales espèces étudiées.

Les eaux tempérées du golfe de Gascogne sont caractérisées par des températures de surface comprises entre 14-22°C en été et 8-12°C en hiver (données MétéoFrance). A l’automne et en hiver, des vents dominants de sud-ouest sont à l’origine d’un courant allant vers l’est au niveau de l’Espagne et remontant vers le nord en face des côtes françaises. Au printemps et à l’automne, les vents de nord-est dominent et le courant du golfe de Gascogne s’inverse (Jégou et al., 2000). La force de ces courants est maximale au talus et diminue progressivement en allant vers la côte. Il s’agit bien entendu de phénomènes moyens qui peuvent varier en cas de changement de régime des vents et sont influencés et déviés par d’autres forces comme celles des marées.

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Figure 4 : Le golfe de Gascogne : bathymétrie, principaux ports et embouchures de fleuves

SECTEUR NERITIQUE

SECTEUR OCEANIQUE

0m

Zone épipélagique

200 m

Zone mésopélagique 1000 m Pélagique

Zone bathypélagique Bent hiqu e

PLATEAU

TALUS

4000 m Zone abyssopélagique

PLAINE ABYSSALE

Figure 5: Réprésentation schématique de la délimitation horizontale et verticale des masses d’eau

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Deux masses d’eau principales se rencontrent dans le golfe de Gascogne. Une masse d’eau relativement froide et peu salée arrive par le nord et une masse d’eau plus chaude et salée provient du sud. A ces deux masses d’eaux océaniques, viennent s’ajouter les apports fluviaux, dessalés, froids et riches en nutriments. Ils sont très importants, notamment au niveau des embouchures des trois principaux fleuves, Loire, Gironde, et Adour (Castaing et al., 1999 ; Herbland, 2002 ; Figure 4). A l’automne et en hiver, la décharge des fleuves est maximale mais les vents de sudouest la maintiennent près de la côte et amènent du sud des eaux relativement salées et chaudes. On observe alors un gradient de température et de salinité est-ouest, du talus (caractérisé par les eaux les plus salées et les plus chaudes) vers la côte (avec les eaux les plus froides et les moins salées). En été, la décharge des fleuves est minimale, mais les vents de nord-est poussent ces eaux vers le large ; une stratification haline verticale apparaît alors. Vient s’y ajouter une stratification verticale thermique, mise en place par le réchauffement des eaux de surface (Castaing et al., 1999 ; Longhurst, 1998).

Dans le secteur océanique, la situation est plus simple avec des courants qui suivent le régime global de l’Atlantique central et sont dirigés du nord vers le sud toute l’année (Van Aken, 2002). Les eaux de surfaces sont stratifiées verticalement en été et homogénéisées en hiver sous l’effet de forts vents et de la diminution rapide de la température (Longhurst, 1998).

2.1.2 Caractéristiques biotiques 2.1.2.1 Le plancton On observe dans le golfe de Gascogne un schéma global de production primaire caractéristique des zones tempérées avec, en hiver, une colonne d’eau homogène et une production limitée par la quantité insuffisante de luminosité, un bloom printanier, un épuisement des eaux en nutriments qui freine la production primaire en été et un second bloom automnal consécutif au mélange vertical engendré par les premières tempêtes (Longhurst, 1998). La production primaire est beaucoup plus forte au niveau de la côte avec l’apport important de sels nutritifs par les fleuves et au niveau des accores où les ondes internes apportent en surface des eaux profondes (Herbland, 2002). Cette biomasse, plus importante au niveau de la bande côtière et du talus, observée pour les producteurs primaires se répercute à tous les échelons trophiques jusqu’aux prédateurs supérieurs (Herbland, 2002). 28

La biomasse de zooplancton suit, avec un petit décalage dans le temps, la production primaire. Elle est dominée dans le secteur océanique par les copépodes (environ 50% de la biomasse zooplanctonique) et les euphausiacés (environ 30%) et par les copépodes seuls dans le secteur néritique (environ 75% ; Longhurst, 1998). Une caractéristique originale d’une majorité de ces organismes est leur migration vers la surface à la tombée de la nuit (Roe et al., 1986).

2.1.2.2 Les niveaux trophiques intermédiaires La plupart des décapodes du plateau continental appartiennent au domaine benthique, ce n’est qu’à partir du talus que l’on rencontre fréquemment des espèces pélagiques comme Sergestes arcticus, Sergestes robustus, Systellapsis debilis, Acanthephyra pelagica, Pasiphaea sivado et Pasiphaea multidentata (Lagardère, 1973). Dans la faune épi- et mésopélagique du secteur océanique à 44°N 13°W (Roe et al., 1984), on retrouve certaines espèces du talus comme Sergestes arcticus, Systellapsis debilis, Acanthephyra pelagica et Pasiphaea multidentata. D’autres sont plus spécifiques du secteur océanique : Acanthephyra purpurea, Sergia spp et Genadas elegans. La majeure partie de ces espèces se trouve dans la zone mésopélagique le jour et migre dans les couches épipélagiques la nuit.

Sur le plateau, on distingue deux profils écologiques de poissons : pélagiques (qui vivent et se nourrissent dans la colonne d’eau) et démersaux (qui vivent sur ou près du fond) (Quéro et al., 1989). Nous avons pris en compte ce dernier groupe bien qu’il soit principalement inféodé au milieu benthique car de nombreuses espèces migrent dans la colonne d’eau la nuit. Les espèces pélagiques sont dominées par le chinchard, Trachurus trachurus, la sardine, Sardina pilchardus, le sprat, Sprattus sprattus, l’anchois, Engraulis encrasicolus, et le maquereau, Scomber scombrus. Le groupe des démersaux, qui est le plus important, est dominé par la famille des gadidés avec principalement le merlan, Merlangius merlangus, les deux tacauds, Trisopterus minutus et T. luscus, et le merlan bleu, Micromesistius poutassou. D’autres espèces sont également importantes dans ce groupe comme le sanglier, Capros aper, la petite argentine, Argentina sphyraena, le merlu, Merluccius merluccius, le rouget-barbet, Mullus surmuletus, la grande vive, Trachinus draco, le callionyme lyre, Callionymus lyra et le grondin rouge, Aspitrigla cuculus.

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PECHERIES

Grand dauphin

merlu

dauphin commun

goéland argenté dauphin bleu et blanc

marsouin

PREDATEURS SUPERIEURS

maquereau

loliginidé

chinchard sepiidé anchois

sardine

NIVEAUX TROPHIQUES INTERMEDIAIRES

ZOOPLANCTON copépode

PHYTOPLANCTON diatomée

Figure 6 : Réseau trophique néritique simplifié

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A partir du talus, le groupe des téléostéens est dominé par de petites espèces grégaires mésopélagiques qui migrent vers la surface la nuit. Dans la partie inférieure du talus, par des sondes de 900 à 2600m, Quéro et al. (2002) ont observé essentiellement les myctophidés Notoscopelus

kroeyeri,

Myctophum

punctatum,

Cerastoscopelus

maderensis

et

Nannobranchium atrum, mais aussi l’alépocephalidé Xenodermichthys copei, le plactytroctidé Normichthys operosa, le sternoptychidé Argyropelecus olfersii et le paralépididé Arctozenus risso. Comme pour les crustacés, la communauté du secteur océanique est proche de celle du talus. Elle est en effet composée principalement de myctophidés Benthosema glaciale, Diaphus spp, Lampanyctus spp, Notoscopelus kroeyeri, Symbolophorus veranyi, Electrona risso et Lobianchia gemellari, mais aussi du chauliodontidé Chauliodus sloani, du stomiidé Stomias boa ferox , des sternoptychidés Maurolicus muelleri et Argyropelecus spp. et de l’alepocephalidé Xenodermychthys copei (Fock et al., 2004 ; Roe et al., 1984). Les céphalopodes possèdent une grande capacité d’évitement des filets. Ainsi, bien que l’on sache par des contenus stomacaux de prédateurs marins qu’ils constituent un compartiment trophique important, on connaît peu de choses sur ce groupe. Dans la zone Sud du golfe de Gascogne, Velasco et al. (2001) ont pu étudier les céphalopodes en associant des observations de chalutages et de contenus stomacaux de poissons. Ils observent trois familles pélagiques dominantes, les calmars loliginidés (avec principalement Alloteuthis spp et Loligo spp), les sépioles (Sepiolidae indéterminés) et les calmars ommastréphidés comme Illex coindetii et Todaropsis eblenae, plutôt caractéristiques du talus supérieur. Les descriptions de régimes alimentaire de grands prédateurs se nourrissant dans la zone océanique donnent une idée approximative des espèces de céphalopodes les plus consommées et donc hypothétiquement dominantes comme les ommastrephidés, les histioteuthidés, les cranchiidés ou encore les gonatidés (Guerra, 1992).

2.1.2.3 Les prédateurs supérieurs Les oiseaux marins constituent un compartiment trophique important au niveau du plateau continental. Il est dominé par les espèces suivantes : dans la zone côtière le goéland argenté, Larus argentatus, la sterne caugek, Sterna sandvicensis, le pingouin torda, Alca torda, et le guillemot de Troïl, Uria aalge, et, plus au large, le goéland brun, Larus fucus, le fou de bassan, Sula bassana, et l’océanite tempête, Hydrobates pelagicus, (Bretagnolle et al., 2004 ; Van Canneyt et al., 2003). Ces espèces sont essentiellement piscivores, même si certaines, comme les goélands ont largement appris à tirer profit des décharges humaines

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(Bourgaut, 1995). Toutes se reproduisent en colonie au printemps le long des côtes du golfe de Gascogne et des Iles Britanniques. La sterne caugek, le fou de bassan et une partie des goélands bruns passent l’hiver en Afrique ou en Méditerranée, tandis que le goéland argenté, les océanites et les alcidés restent en Atlantique Nord toute l’année. Certains grands poissons démersaus comme les grands merlus, les bars (Dicentrarchus labrax), les raies (Rajiidae), les baudroies (Lophius spp)…peuvent être considérés comme des prédateurs supérieurs du secteur néritique.

Dans le secteur océanique, les trois espèces de prédateurs supérieurs les plus fréquemment observés sont : le requin peau-bleue, Prionace glauca, l’espadon, Xiphias gladius, et le thon germon, Thunnus alalunga (Goujon, 1996). Le requin peau-bleue et l’espadon sont de grands prédateurs solitaires des zones épipélagiques et mésopélagiques (Carey et Robinson, 1981 ; Carey et Scharold, 1990 ; Matsumoto, 2003 ; Whitehead, 1989). Ils consomment préférentiellement des grosses espèces de céphalopodes et de poissons (Clarke et al., 1995 ; Clarke et al., 1996 ; Henderson et al., 2001 ; Stillwell et Kohler, 1985). Seuls des juvéniles de thons germons sont présents dans le golfe de Gascogne, où ils migrent en été en provenance des zones tropicales (Bard, 1981). Principalement observés et pêchés dans la zone océanique, on les trouve aussi au niveau du talus. Contraint à rester dans la couche épipélagique, ils consomment essentiellement dans le secteur océanique les poissons Scomberesox saurus et Maurolicus muelleri, ainsi que l’euphausiacé Meganyctyphanes norvegica, et au niveau du plateau du chinchard et du merlan bleu (Aloncle et Delaporte, 1973 ; Ortiz de Zarate, 1987 ).

Les espèces de mammifères marins les plus rencontrées dans le golfe de Gascogne appartiennent au sous-ordre des Odontocètes (Figure 2). Il s’agit du dauphin commun, Delphinus delphis, du dauphin bleu et blanc, Stenella coeruleoalba, du grand dauphin, Tursiops truncatus, du marsouin, Phocoena phocoena, et du globicéphale noir, Globicephala melas. Le globicéphale, mesurant jusqu’à plus de 6m, est l’un des plus grands représentants de la famille des delphinidés (Evans, 1987). Il est réparti dans l’hémisphère Nord, uniquement dans les eaux tempérées froides de l’Atlantique. Dans le golfe de Gascogne, on l’observe essentiellement dans le secteur océanique et sur le talus, mais aussi ponctuellement en été près de la côte (Lahaye, 2001 ; Van Canneyt et al., 2003). Il chasse à de grandes profondeurs des céphalopodes océaniques (Desportes, 1985). 32

PECHERIES

requin peau bleue

espadon dauphin bleu et blanc

dauphin commun thon germon

PREDATEURS SUPERIEURS

paralepididé gonatidé

sternoptychidé chiroteuthidé pasiphaeidé

brachioteuthidé

oplophoridé

myctophidé

sergestidé

NIVEAUX TROPHIQUES INTERMEDIAIRES

ZOOPLANCTON euphausiiacé

copépode

PHYTOPLANCTON diatomée

Figure 7 : Réseau trophique océanique simplifié

33

Le dauphin commun est un delphinidé dont la taille adulte se situe entre 170 et 210cm en Atlantique Nord-Est (Evans, 1994). Il fréquente aussi bien les eaux tempérées, tropicales et subtropicales. Dans le golfe de Gascogne, où il serait l’espèce de mammifère marin la plus abondante, on l’observe partout de la bande côtière au talus et dans le secteur océanique (Goujon, 1996 ; Kiska et al., soumis ; Van Canneyt et al., 2003). Essentiellement épipélagique, ses capacités de plongées sont mal connues. Son régime alimentaire est surtout connu dans le secteur néritique où il est composé en majorité de petits poissons pélagiques grégaires (Santos et al., 2004 b; Young et Cockcroft, 1994 ; Desportes, 1986). Le dauphin bleu et blanc est très proche du dauphin commun, mais sa taille est légèrement plus grande : entre 210 et 240cm pour un adulte (Evans, 1987). Il se distribue dans toutes les eaux tropicales et tempérées (Rice, 1998). On l’observe ponctuellement sur le plateau, mais il réside essentiellement dans le secteur océanique, où il constitue l’espèce la plus abondante, et sur le talus (Goujon, 1996 ; Kiska et al., soumis ; Van Canneyt et al., 2003). Comme pour le dauphin commun, on sait que cette espèce est essentiellement épipélagique, mais on connaît mal ses capacités de plongées. Son régime alimentaire a été essentiellement étudié en secteur océanique, où il est constitué en majeure partie de petits céphalopodes et de poissons grégaires mésopélagiques qui migrent en surface la nuit (Miyazaki et al., 1973 ; Würtz et Marrale, 1993 ). Le grand dauphin appartient aussi à la famille des delphinidés. Il mesure entre 230 et 310cm à l’âge adulte et est réparti dans toutes les eaux tempérées et tropicales (Rice, 1998). Dans le golfe de Gascogne, il est présent du secteur océanique à la côte, mais on l’observe essentiellement à partir du talus jusqu’à l’isobathe des 100m (Goujon, 1996 ; Kiska et al., soumis ; Van Canneyt et al., 2003). Il semble consommer préférentiellement des poissons démersaux, mais aussi dans une moindre mesure, des petits céphalopodes et poissons pélagiques grégaires (Barros et Odell, 1990 ; Cockcroft et Ross, 1990 a). Le marsouin est l’unique représentant de la famille des phocaenidés en Atlantique Nord. C’est également le plus petit cétacé de la zone avec une taille adulte d’environ 140-190cm (Evans, 1987). Il est observé dans les secteurs néritiques de l’hémisphère Nord (Read, 1999). On le pensait peu abondant dans le golfe de Gascogne, jusqu’à ce que ces dernière années, le nombre d’échouages augmente de manière significative : en 2003 il représente en nombre la seconde espèce retrouvée échouée après le dauphin commun (Van Canneyt et al., 2004). Dans les eaux écossaises, son régime alimentaire est dominé par le merlu et le lançon, (Ammodytidae) (Santos et al., 2004 a).

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Communauté océanique Dauphin commun N=61 Dauphin bleu et blanc N=60 Espadon N=86 Thon germon N=49 Requin peau bleue N=24

Communauté néritique

Dauphin commun N=76 Grand dauphin N=25 Dauphin bleu et blanc N=31 Marsouin N=29

Figure 8 : Zones d’échantillonnages des communautés de prédateurs supérieurs néritique s et océaniques du golfe de Gascogne

35

2.2 MATERIEL Le Réseau National d’Echouages (RNE), créé en 1972, est coordonné par le Centre de Recherche sur les Mammifères Marins de La Rochelle (CRMM, Université de la Rochelle). Ses membres récoltent les données concernant les animaux morts échoués le long des côtes ainsi que certains organes (foie, reins, estomac…) dédiés entre autre à l’étude de la croissance, de l’écotoxicologie, de la structure démographique, et du régime alimentaire des mammifères marins que l’on observe dans les eaux françaises. Entre 1999 et 2004, 25 estomacs de grands daup hins, 76 de dauphins communs, 31 de dauphins bleu et blancs et 29 de marsouins échoués le long des côtes du golfe de Gascogne ont pu être ainsi récoltés (Figure 8). C’est à partir de ce matériel que le régime alimentaire des différentes espèces du plateau continental du golfe de Gascogne a été étudié. La campagne GERDAU (Germon-Dauphin) a été menée par l’IFREMER durant les saisons de pêche au thon germon au filet maillant dérivant des étés 1992 et 1993 dans le proche Atlantique (39°N-50°N et 10°O-21°O ; Figure 8). Cette campagne avait pour but de mesurer l’impact écologique de la pêche au filet maillant dérivant sur les populations de petits delphinidés au large du golfe de Gascogne (Goujon, 1996). Des observateurs embarqués ont donc collecté des informations concernant le lieu et le nombre de captures accidentelles. En parallèle, ont été échantillonnées des données morphologiques et des organes, non seulement sur les mammifères marins morts accidentellement, mais aussi sur l’espèce cible, le thon germon, et les captures accessoires telles que le requin peau bleue ou l’espadon. Nous avons ainsi pu analyser 61 estomacs de dauphin commun, 60 de dauphin bleu et blanc, 49 de thon germon, 86 d’espadon et 24 de requin peau bleue. Ce matériel a permis de déterminer le régime alimentaire du dauphin commun et du dauphin bleu et blanc et des autres grands prédateurs pélagiques majeurs des eaux océaniques adjacentes au golfe de Gascogne.

2.3 METHODE : L’ANALYSE DE REGIMES ALIMENTAIRES 2.3.1 Les méthodes couramment utilisées Trois méthodes sont couramment employées pour déterminer le régime alimentaire d’un prédateur : l’analyse de rapports isotopiques (Hobson et Welch, 1992 ; Hobson et al., 1994), l’analyse des acides gras (Iverson, 1993 ; Iverson et al., 1997) et l’analyse des contenus stomacaux (e.g. Croxall, 1993 ; Pierce et Boyle 1991 ; Ridoux, 1994).

36

La première méthode est basée sur le fait que les rapports isotopiques restent invariants ou se fractionnent de façon prévisible entre les niveaux trophiques. Les rapports isotopiques d’un organe porteront donc la signature de l’alimentation de l’organisme. Les rapports les plus étudiés sont 12 C/13 C et 14N/15 N. La proportion de l’isotope

13

C est caractéristique du

producteur primaire à l’origine de la chaîne alimentaire et permet donc de distinguer des animaux vivant dans des eaux dominées par différents types de producteurs primaires (phanérogames, phytoplancton… ) (Walker et Macko, 1999). La proportion de l’isotope

15

N

est caractéristique du niveau trophique : par exemple, le collagène des os des consommateurs terrestres et marins s’enrichit d’environ 3% de 15 N à chaque niveau trophique (Schoeninger et DeNiro, 1984). L’analyse des acides gras repose sur le fait qu’un organisme synthétise une part des lipides qui composent ses différents organes et intègre l’autre part directement à partir de son alimentation. Ainsi, les lipides composant un organe sont caractéristiques à la fois de l’organisme et de ses proies et leur analyse permet de retrouver celles qui dominent l’alimentation. Dans une analyse de contenus stomacaux, on détermine, à partir des restes (os, becs de céphalopodes…) de proies récoltés dans les estomacs le nombre, la taille moyenne et la masse de chaque espèce consommée par le prédateur. Ces trois méthodes produisent des résultats à différentes échelles : les analyses des rapports isotopiques et des acides gras donnent des informations très générales et moyennées sur des périodes correspondant au temps de renouvellement des tissus dans lesquels ils sont dosés (quelques jours à quelques mois). L’analyse de contenus stomacaux donne une image du régime alimentaire détaillée jusqu’à l’espèce et la gamme des tailles exploitées, mais cette image est restreint e dans le temps puisqu’elle correspond à celle qui prévalait au moment de la mort de l’animal. Dans la mesure où il était nécessaire d’accéder à des résultats détaillés sur les régimes alimentaires pour pouvoir répondre aux questions posées dans l’introduction, c’est la voie de l’analyse des contenus stomacaux que nous avons choisie.

2.3.2 L’analyse de contenus stomacaux La méthode utilisée pour déterminer le régime alimentaire de grands prédateurs par analyse de contenus stomacaux est aujourd’hui standardisée (e.g. Croxall, 1993 ; Pierce et Boyle 1991 ; Ridoux, 1994) et, à quelques originalités près, varie peu d’une étude à l’autre.

37

2.3.2.1 Etape 1 : Tri du contenu L’estomac est d’abord pesé plein, vidé, puis pesé à vide afin de déterminer la masse de son contenu. Les proies entières et relativement peu digérées sont retirées avant de pousser plus loin l’analyse. Les pièces dures sont ensuite séparées des restes de chairs digérées en rinçant le contenu au travers d’un tamis qui a en général une maille d’environ 0,25cm. On sélectionne ensuite parmi les restes alimentaires les pièces diagnostiques, c’est à dire les pièces qui permettront d’identifier les espèces proies consommées puis d’estimer leur taille et leur masse individuelle. Ces pièces diagnostiques sont classiquement : les otolithes et dentaires de poissons, les becs inférieurs et supérieurs de céphalopodes et les morceaux d’exosquelette et yeux de crustacés (Figure 9). Enfin, les pièces identiques sont regroupées. 2.3.2.2 Etape 2 : identification, dénombrement et mesures Une collection de référence de pièces diagnostiques a été constituée à partir de proies entières récoltées lors des campagnes de chalutages scientifiques EVOHE 2002 et 2003. Cette collection a été par la suite graduellement enrichie de pièces issues des contenus stomacaux. Chaque groupe de pièces diagnostiques est donc identifié à partir de cette collection puis les pièces de chaque groupe sont dénombrées. En parallèle de l’identification et du dénombrement, nous avons attribué à chaque proie un état de digestion en fonction de son aspect. Les états de digestion des poissons sont donnés en exemple (Tableau 1). Les proies entières et les pièces diagnostiques sont ensuite mesurées. Pour les individus entiers, il existe des mesures standards : la longueur standard pour les poissons, la longueur du manteau pour les céphalopodes et la longueur totale sans le rostre pour les crustacés (Figure 9). La plupart du temps, la masse n’est pas mesurable ; elle est estimée par la suite à l’aide de relations allométriques. Dans le cas où la proie n’existe plus qu’à l’état de pièces diagnostiques, on mesure celles-ci afin d’estimer ensuite la taille de l’individu d’origine. Là encore, les pièces utilisées et les mesures prises sont standardisées. Il s’agit des otolithes de poissons dont on mesure la longueur ou la largeur en fonction de l’espèce (Härkönen, 1986), des becs de céphalopodes dont on prend soit la mesure du rostre soit celle du capuchon en fonction de la famille (Clarke, 1986) et du céphalothorax des crustacés (Figure 9). Nous avons ajouté à cette liste les dentaires de poissons qui sont, pour certaines espèces aux otolithes très fragiles, les seules éléments mesurables dans les états les plus digérés. En général, dans un souci de gain de temps, lorsque plus de 30 pièces diagnostiques sont présentes pour un taxon dans un estomac, seul un sous-échantillonnage de 30 pièces, considéré statistiquement représentatif, est mesuré. 38

Largeur de l’otolithe

Longueur standard

Longueur de l’otolithe

Longueur du capuchon

Longueur du manteau

Longueur du rostre

Longueur du céphalothorax sans le rostre

Longueur totale sans le rostre

Figure 9 : Mesures standards prises sur les pièces diagnostiques et sur les proies entières retrouvées dans les contenus stomacaux

39

Etats De digestion

peau

chaires

colonne

otholites

os de la tête

1

intacte

intactes

intacte

intactes

intactes

2

plus ou moins érodée mais présente

intactes ou plus de la moitié restantes

intacte

intactes

intactes

3

érosion totale

plus de la moitié

non cassée ou cassée mais reconstituable

intactes

intacte à érodés

4

érosion totale

moins de la moitié

cassée mais reconstituable

intactes à trace d'érosion (relief légèrement lissé)

intactes à non identifiables

5

érosion totale

moins de la moitié

cassée et non reconstituable

intactes à trace d'érosion

érodé à totalement digéré

6

érosion totale

érosion totale

cassée et non reconstituable

trace d'érosion

érodé à totalement digéré

7

érosion totale

érosion totale

non reconstituable ou digestion totale

érodée (diminution de la taille en plus du relief)

érodé à totalement digéré

8

érosion totale

érosion totale

non reconstituable ou digestion totale

très érodée (perte totale du relief et taille très diminuée)

érodé à totalement digéré

au moins un de ces éléments identifiable 9 10

érosion totale

érosion totale

au moins un élément présent mais non identifiable et non mesurable érosion totale

Tableau 1 : Etats de digestion des poissons. En couleur sont mis en évidence les caractéristiques qui changent d’un état à l’autre

40

2.3.2.3 Etape 3 : reconstitution de la taille et de la masse des individus consommés Il s’agit d’estimer la taille et la masse des individus dont seule une mesure de pièce diagnostique a été prise ainsi que la masse des individus entiers. Nous avons pour cela utilisé des relations allométriques (relations qui relient la mesure standard de la pièce diagnostique à celle de la proie entière ainsi que la longueur à la masse corporelle) qui proviennent de la littérature ou ont été construites à partir de notre collection de référence.

2.3.2.4 Etape 4 : traitement des données Après leur récolte, les données sont traitées afin de représenter de manière synthétique la composition du régime alimentaire du prédateur étudié. Les indices les plus couramment utilisés sont la fréquence d’occurrence (nombre d’estomacs dans lesquels la proie a été observée divisé par le nombre total d’estomacs), la fréquence en nombre (nombre d’individus observés pour la proie considérée divisé par le nombre total d’individus), la fréquence en masse reconstituée (masse reconstituée de la proie considérée divisée par la masse reconstituée totale de toutes les proies), ainsi que la distribution de taille et de masse de chaque proie. Nous nous en sommes tenu à ces indices classiques dans un but comparatif (Figure 10).

Les principaux biais observés lors d’une analyse de contenus stomacaux sont causés par les phénomènes d’ingestion secondaire (Staniland, 2002), de digestion différentielle des proies (Bigg et Fawcett, 1985 ; Harvey, 1989) et d’échantillonnage. Une proie secondaire est une proie observée dans un estomac qui n’a pas été consommée directement par le prédateur étudié mais par une de ses proies directes. Ce biais ne peut généralement pas être identifié ni corrigé (Pierce et Boyle 1991). La vitesse de digestion d’une proie varie en fonction du groupe taxonomique considéré et de l’espèce au sein d’un même groupe. Par exemple, les becs de céphalopodes peuvent être observés au moins un jour de plus dans des estomacs d’otaries en comparaison des os de poissons (Bigg et Fawcett, 1985) et les grosses otolithes de gadidés sont beaucoup plus résistantes à l’érosion que celles de clupéidés (Harvey, 1989). Ainsi, les résultats bruts d’analyses de contenus stomacaux surestiment la présence des proies dont les pièces diagnostiques sont les plus résistantes à la digestion.

41

70 60 50 40 30

Sépiole

Loliginidés

Maquereau

Merlu

Gobies

Tacau

Merlan bleu

Merlan

Motelles

Gadicule

Anchois

Sprat

Sardine

Lançon

0

Chinchard

20 10 Argentine

Occurence (%)

80

Fréquence d’occurrence des proies

Sépiole 6%

Chinchard 16%

Maquereau 6%

Sardine 7%

Gobie 25%

Merlan bleu 7%

Sprat 5% Tacaud 10% Merlan bleu

Chinchard 18%

Anchois 12%

Anchois 17%

Sardine 36%

8%

Composition en nombre de l ’alimentation

Composition en masse de l ’alimentation

35% 30%

Fréquence en nombre

25%

Fréquence en masse

20% 15% 10%

38-40

36-38

34-36

32-34

30-32

28-30

26-28

24-26

22-24

20-22

18-20

16-18

14-16

12-14

10-12

6-8

8-10

4-6

0%

2-4

5% 0-2

Fréquence des proies (%)

40%

Classes de tailles en cm

Distribution de tailles des proies

Figure 10 : Exemple de résultats d’analyse de données : le régime alimentaire du dauphin commun dans le secteur néritique

42

Afin de minimiser le biais lié à la digestion différentielle, nous avons réalisé in vitro la digestion de quelques espèces de proies et calculé le temps relatif de dégradation de chacune d’elles par rapport à la plus fragile. A partir de ces temps nous avons proposé par type de proies un facteur correctif d’abondance, fonction des états de digestion (Figure 11 ; voir annexe 1 pour détails). Nous avons ainsi distingué dans nos résultats une composition brute dite « totale » du régime alimentaire et une composition à laquelle les facteurs de correction de digestion sont appliqués dite « fraîche ». Enfin, l’incertitude liée à l’échantillonnage ne peut être minimisée, mais peut être quantifiée par la méthode du bootstrap non-paramétrique (e.g. Santos et al., 2001 b) que nous avons utilisée. Des ré-échantillonnages aléatoires des contenus stomacaux étudiés, avec replacement des contenus tirés dans l’ensemble des contenus, permettent de calculer pour chaque nouvel échantillonnage une nouvelle estimation des indices souhaités (fréquence en nombre, en masse…) et donc un intervalle de confiance à 95 % pour chaque indice.

43

Distinction frais /accumulé : les proies les plus fragiles (poissons type A) sont à la limite de n’être plus identifiable (=état de digestion 8, voir Tableau 1)

Fraction fraîche EdP1 Poissons type A

Fraction accumulée

……

EdP1 Poissons type B

EdP8 … EdP10

……

EdP6 … EdP8 … EdP10

EdP1 Poissons type C

……

EdP5

EdC1 Céphalopodes type A

……

EdC6 … EdC8 … EdC10

EdC1 Céphalopodes type B

……

Fraction fraîche (non biaisée par le phénomène de digestion différentielle)

= Poissons type A : EdP1 à EdP8 Poissons type B : EdP1 à EdP6 Poissons type C : EdP1 à EdP5 Céphalopodes type A : EdC1 à EdC6 Céphalopodes type B : EdC1 à EdC4

EdC4

EdP8

….

… EdP10

EdC8

… EdC10

Fraction accumulée = Poissons type A : EdP9 Poissons type B : EdP7 à EdP9 Poissons type C : EdP6 à EdP9 Céphalopodes type A : EdC7 à EdC9 Céphalopodes type B : EdC5 à EdC9

Régime alimentaire total = Toutes les proies à tous les états de digestion

EdPx = Etat de Digestion x du groupe des poissons (Tableau 1) EdCx = Etat de digestion x du groupe des céphalopodes

Figure 11 : Méthode de distinction des états frais et accumulés et des biais liés à la digestion différentielle des proies

44

Partie 3 : Niches alimentaires

G. Gautier

CRMM

45

3.1 REGIME ET ECOLOGIE ALIMENTAIRES DU THON GERMON (THUNNUS ALALUNGA) IMMATURE AU LARGE DU GOLFE DE GASCOGNE

RESUME Bien que le thon germon soit une espèce commerciale importante dans le golfe de Gascogne, on connaît mal son régime et son écologie alimentaires. Dans cette étude, le régime alimentaire de 78 germons immatures, capturés dans la pêcherie française au filet maillant dérivant durant l’été 1993, est analysé. Les poissons dominent le régime alimentaire de ces individus tant par leur masse totale (86%M) que leur nombre (60%N). Les plus importants sont Maurolicus muelleri (79%N, 23%M), Scomberesox saurus (2%N, 30%M), et Arctozenus risso (4%N, 4%M). Les crustacés semblent aussi être des proies préférentielles (12%N, 2%M), mais il s’agit essentiellement d’hypériens et d’euphausiacés et la petite taille de ces espèces fait douter qu’il s’agisse bien de proies primaires et non secondaires. La capture de céphalopodes par le germon ne semble être qu’occasionnelle puisque ce groupe, qui représente 2% en nombre et 39% en masse du régime alimentaire total, est totalement absent de la fraction fraîche du bol alimentaire. La taille des proies varie de 6 à 228 mm. Ces germons immatures, physiologiquement confinés à la zone épipélagique, semblent consommer des proies épipélagiques le jour et des espèces mésopélagiques lors de leur migration à la surface la nuit

46

FOOD AND FEEDING ECOLOGY OF JUVENILE ALBACORE, THUNNUS ALALUNGA , OFF THE BAY OF B ISCAY: A CASE STUDY C. Pusineri1 , Y. Vasseur1 , S. Hassani2 , L. Meynier3 , J. Spitz3 and V. Ridoux1

1

Laboratoire de Biologie et Environnements Marins, FRE 2727, Université de La Rochelle (ULR), 17000 La Rochelle, France 2 Laboratoire d'Etude des Mammifère Marins, Océanopolis, 29200 Brest, France 3 Centre de Recherche sur les Mammifères Marins (CRMM), Université de La Rochelle, 17000 La Rochelle, France

ICES Journal of Marine Science, Volume 62, Issue 1, February 2005, Pages 116-122

ABSTRACT Although immature albacore tuna, Thunnus alalunga, are of economic and social importance in the Bay of Biscay, little is known about their diet and feeding ecology there. For this study, the diet of 78 albacore caught in the French driftnet fishery during summer 1993 is analysed. Fish dominated the diet in terms of relative abundance (86%N), and reconstituted mass (60%M), the most important being Maurolicus muelleri (79%N, 23%M), Scomberesox saurus (2%N, 30%M), and Arctozenus risso (4%N, 4%M). Crustaceans were also important in the diet (12%N, 2%M), but given their small size, it is questionable whether they were primary or secondary prey. Foraging on cephalopods seemingly took place only occasionally: they represented 2%N and 39%M of the total diet, but were absent from the fresh fraction of stomach contents. Prey sizes ranged from 6 to 228 mm. Juvenile albacore consume either epipelagic prey by day, or vertically migrating mesopelagic species that reach the surface layer by night.

Keywords : albacore; Bay of Biscay; diet; feeding ecology; Northeast Atlantic; Thunnus alalunga

47

INTRODUCTION

Albacore (Thunnus alalunga) are oceanic in tropical and subtropical waters, and limited in their distribution in a coastward direction by continental slopes. In the Atlantic, three stocks are commonly recognized by ICCAT (2003; the International Commission for the Conservation of Atlantic Tunas): the northern and southern stocks, separated by latitude 5°N, and the Mediterranean stock. In the North Atlantic, adults are found mainly in tropical waters, and reproduce in the Sargasso Sea (Bard, 1981). They are 90–130 cm long and live for about 10 years. They have been reported to forage from epi- to upper mesopelagic waters, down to depths of 500 m (Saito et al., 1970, Grandperrin and Legrand, 1971 and Bertrand et al., 2002). Immature fish 1–5 years old range from 40 to 90 cm long. They are supposed to be physiologically constrained to the upper 100 m of the water column and a temperature range of 15–20°C (Aloncle and Delaporte, 1973). Consequently, when sea surface temperature increases in summer, immature albacore migrate north to areas off the European coasts (Bard, 1981). There, from the beginning of June until the end of September, they are the target of major North Atlantic albacore fisheries (ICCAT, 2003 a): the Spanish and Portuguese trolling and live bait boat fisheries (10 905 t caught in 2002), and the French and Irish pelagic trawl fisheries (5390 t caught in 2002). Hence, the species is of particular economic and social importance in the area. However, quite surprisingly, few detailed and recent studies are currently available on the ecology of immature albacore off the coast of Europe. The purpose of the present study is both to analyse quantitatively the diet of these fish and to interpret the diet in terms of feeding ecology. M ATERIAL AND METHODS During summer 1993, the stomach contents of 78 albacore were sampled as part of a study on the impact of the albacore driftnet fishery on small cetaceans (Goujon et al., 1993). The fish were caught off the Bay of Biscay between 10 and 25°W and 40 and 50°N (Figure 1). Albacore were caught at night in driftnets 2.5 km long and 20 m high. They ranged in size from 53 to 93 cm, corresponding to two dominant age classes: 50% were 2 years old (58–67 cm) and 44% 3 years old (68–80 cm; Bard, 1981). Sample analysis was aimed at describing the diet in terms of prey occurrence, relative abundance, reconstituted mass, and size distribution. The defrosted stomach contents were washed through a sieve of 0.2- mm mesh size, the diagnostic parts and fresh prey recovered and identified to the lowest taxonomic level using published guides (Lagardère, 1971, Clarke, 1986 and Härkönen, 1986) and our own reference collection. To minimize overestimation of prey resistant to digestion (e.g. cephalopod beaks: Bigg and Fawcett, 1985), each prey item was scored on a scale specific to the main prey type (fish, cephalopods, crustaceans), according to their state of decomposition. This allowed us to determine, in addition to the classic total diet, a “fresh fraction” that better represents the composition of the ingested prey, irrespective of prey species-specific digestion rates (Pusineri et al., 2003). Diagnostic hard parts such as beaks, otoliths, and carapaces were measured with a digital vernier calliper (±0.02 mm), following standards (Clarke, 1986 and Härkönen, 1986). A random subsample of up to 30 diagnostic hard parts per prey species per stomach sample was measured. Individual prey body length and mass were then calculated using relationships either in the literature (Perez-Ganderas, 1983, Clarke, 1986 and Härkönen, 1986), or that were determined with measurements performed on specimens in our reference collection (CRMM, unpublished data).

48

Figure 1: Sampling locations off the Bay of Biscay.

The occurrence of a given prey taxon was the number of stomachs in which the taxon was observed, and relative abundance was denoted by the number of items of the same taxon found in the sample set. The reconstituted biomass of a taxon was the product of the number of individuals in each stomach and the subsample average reconstituted body mass, summed throughout the sample set. Each of these indices was calculated separately for the total content and the fresh fractions. Standard deviations for the compositions by number (%N) and mass (%M) were generated by bootstrapping (Reynolds and Aebischer, 1991). The bootstrapping routine was written using the R software (Ihaka and Gentleman, 1996). Random samples were drawn with replacement, and the procedure was repeated 300 times. RESULTS The analyses were based on the 51 non-empty stomachs. In all, 4571 prey items were identified (Table 1), among which were 3906 fish, belonging to six species and four families, 96 cephalopods, corresponding to four species and four families, and 569 crustaceans, which belonged to two species and two families. The stomach contents analysed weighed 34 ± 47 g on average, and the mean reconstituted prey biomass was 142 ± 155 g per tuna. Albacore diet was mainly fish, 86%N and 60%M of the total diet, but 76%N and 96%M of the fresh fraction (Table 1). Maurolicus muelleri, Scomberesox saurus, and Arcozenus risso were the most significant fish prey by number (79%, 2%, and 4%, respectively) and mass (23%, 30%, and 4%, respectively). Cephalopods, exclusively observed in digested states, accounted for 2% by number and 39% by mass of the total diet, but were totally absent from the fresh fraction. Gonatus steenstrupi was the most important in terms of occurrence (20%), abundance (2%), and reconstituted mass (35%). Crustaceans, some euphausiids and hyperiids, comprised 12%N and 2%M of the total diet, and as much as 25%N and 4%M of the fresh fraction. However, given their small size, it is questionable whether they were primary or secondary prey.

49

Table 1: Diet composition of albacore (lengths are standard length for fish, mantle length for cephalopods, and total length without rostrum for crustaceans).

Total Composition (N=4571, M=7783,7g) Length (mm) Mass (g)

Composition by number

Paralepididae Paralepididae sp. Arctozenus risso Macroparalepis affinis Scomberesocidae Scomberesox saurus Myctophidae Benthosema glaciale Sternoptychidae Maurolicus muelleri

% Occurrence

%N

95% CI

Mean ± s.d.

Range

n

Mean ± s.d.

10.0 52.0 4.0

0.8 4.0 0.0

0.2-1.9 2.3-7.2 0-0.1

109 ± 59 94 ± 36 136 ± 31

16-224 14-204 104-169

67 173 4

48.0

2.1

1.2-3.9

177 ± 23

119-221

2.0