16 déc. 2011 ... le professionnel précisé. La Revue Lamy Droit des Affaires actualise, dans sa
première partie « Actualités », les quatre ouvrages suivants :.
LAMY
affaires
REVUE
N O V E M B R E
2 0 1 1
Contribution aux pertes sociales et recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire Par Dominique DEMEYERE
Déplafonnement : vers la généralisation de la prise en compte des seules modifications favorables au preneur ? Par Hugues KENFACK
Une couverture ne peut être constituée au moyen du nantissement d’un contrat d’assurance-vie Par David ROBINE
Non-respect d’engagements : l’Autorité de la concurrence sévit et retire l’autorisation de rachat de TPS par Groupe Canal Plus Par Matthieu ADAM
Exemptabilité de l’interdiction des ventes sur Internet : l’étau se resserre Par Jean-Louis LESQUINS et Lila FERCHICHE
La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente : un pas décisif vers l’élaboration d’un droit européen des contrats ? Par Delphine PORCHERON
ENTRETIEN
Une alternative au Doing Business pour évaluer les climats des affaires Avec Patrick PATELIN ÉTUDES
Nouveau coup de sifflet contre le whistleblowing : quel avenir en France pour les alertes éthiques ? Recherche sur l’apport de l’alerte professionnelle au regard de la coopération en matière pénale Par Christophe AYELA et Kevin BIHANNIC
La nouvelle responsabilité civile des agences de notation Par Florian DENIS
65
L’inconstitutionnalité des actions attitrées au mandataire judiciaire : le cas de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif Par Michel ATTAL
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sommaire Actualités
10
Droit des sociétés commerciales ÉCLAIRAGE
10 > Contribution aux pertes sociales et recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire
26
Droit du financement 26 > Une couverture ne peut être constituée au moyen du nantissement d’un contrat d’assurance-vie Par David ROBINE
Par Dominique DEMEYERE
ACTUALITÉS DU DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
12 > Réunion des droits sociaux en une seule main : l’importante mention de la dissolution au RCS 12 > Actes passés dans le cadre d’une société en formation 13 > SARL : fixation de la rémunération et droit de vote du gérant 14 > Étendue du cautionnement donné au profit d’une société absorbée
16
Droit commercial ÉCLAIRAGE
ÉCLAIRAGE
ACTUALITÉS DU DROIT DU FINANCEMENT
30 > Proposition de révision de la directive MIF 30 > Précisions sur les recours contre les décisions de l’AMF 31 > Deux propositions européennes en matière d’abus de marché 31 > Délit d’initié et prévisibilité de la loi 33 > Chèque litigieux et secret bancaire
35
Droit économique ÉCLAIRAGES
35 > Non-respect d’engagements : l’Autorité de la concurrence sévit et retire l’autorisation de rachat de TPS par Groupe Canal Plus Par Matthieu ADAM
16 > Déplafonnement : vers la généralisation de la prise en compte des seules modifications favorables au preneur ? Par Hugues KENFACK
ACTUALITÉS DU DROIT COMMERCIAL
21 > De nouvelles précisions sur le régime de l’autoentrepreneur 21 > Procédure sur mémoire après une décision d’incompétence 22 > Embryon humain, cellule souche et brevetabilité : la dignité humaine selon la CJUE 22 > Quelle date faut-il retenir pour rémunérer l’invention de salarié ? 25 > Le tribunal arbitral ne peut prononcer une sentence allant à l’encontre de l’ordre public
38 > Exemptabilité de l’interdiction des ventes sur Internet : l’étau se resserre Par Jean-Louis LESQUINS et Lila FERCHICHE
ACTUALITÉS DU DROIT ÉCONOMIQUE
42 > Le paquet « procédure » publié 43 > Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire : accès des nouveaux entrants aux gares de voyageurs 43 > Licéité des relevés de prix effectués par les salariés d’un concurrent 44 > Rupture brutale des relations commerciales dans le domaine des transports 44 > Action directe du vendeur d’espaces publicitaires contre l’annonceur 46 > Vente d’ordinateurs pré-installés : le contour de l’obligation d’information pesant sur le professionnel précisé
La Revue Lamy Droit des Affaires actualise, dans sa première partie « Actualités », les quatre ouvrages suivants : le Lamy Sociétés commerciales, le Lamy Droit commercial, le Lamy Droit du financement et le Lamy Droit économique
4
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • N O V E M B R E 2 0 11 • N ° 6 5
Repères
49
Droit du travail 49 > Principe d’égalité de traitement : le respect du pouvoir normatif des partenaires sociaux par le contrôle du juge
CONSEIL SCIENTIFIQUE
> Paul-Henri ANTONMATTÉI
66 68
ENTRETIEN
66 > Une alternative au Doing Business pour évaluer les climats des affaires Avec Patrick PATELIN
Directeur Juridique du Groupe l’Oréal
> Jean-Marie CRÉVOULIN Directeur juridique - Société Ricard
> Jack DEMAISON Avocat associé - Spécialiste en droit des sociétés - SIMON Associés
> Philippe DURAND Notaire - Groupe Monassier
Professeur des Universités à Sciences Po
> Paul-Albert IWEINS Ancien Président du Conseil national des Barreaux
54
> Jacques AZÉMA
COMITÉ RÉDACTIONNEL
Perspectives
> Yannick CHALMÉ
> Marie-Anne FRISON-ROCHE
Droit international et européen des contrats d’affaires
58 > Régime européen de la garantie de conformité : dans la pesée d’intérêts antagonistes, le juge de l’Union compose, mais déçoit. 62 > Compétence juridictionnelle en matière de distribution internationale 63 > Les Incoterms au secours du règlement « Bruxelles I »
Membre du Conseil constitutionnel
Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
52 > Salariés mis à disposition : exercice de l’option 52 > Le refus par un salarié inapte d’une proposition de reclassement n’impose pas, dans l’hypothèse d’une seconde offre, une nouvelle consultation des délégués du personnel
Par Delphine PORCHERON
> Guy CANIVET
> Bertrand FAGES
Par Fleur LARONZE
54 > La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente : un pas décisif vers l’élaboration d’un droit européen des contrats ?
Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier - Doyen honoraire Directeur du Laboratoire de droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I) - Avocat associé, J. Barthélémy et associés
Agrégé des Facultés de droit Directeur honoraire du Centre Paul Roubier
> Roger BOUT Agrégé des Facultés de droit Professeur émérite de l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III
> Marc BRUSCHI Agrégé des Facultés de droit - Professeur à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III
> Alain COURET Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne - Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
> Jean DEVÈZE Professeur à l’Université des Sciences sociales, Toulouse I
> Pierre GARBIT Magistrat honoraire - Ancien Président du Tribunal de grande instance de Lyon
> Gérard HIRIGOYEN Professeur des Universités, Directeur de l’Equipe Entreprise Familiale
> Michel MENJUCQ Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne Cabinet Lexia, société d’avocats
> Cyril NOURISSAT Professeur agrégé des Facultés de droit
> Alain PIÉTRANCOSTA Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Directeur du Master Droit financier - Centre de Recherches en droit financier
> Nicolas RONTCHEVSKY Agrégé des Facultés de droit - Professeur à l’Université de Strasbourg
> Georges TERRIER Avocat associé, Davis Polk & Wardwell
> Daniel TRICOT Agrégé des Facultés de droit - Président honoraire de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation
> Geneviève VINEY Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
> Thierry WICKERS Président du Conseil national des Barreaux
et Financière, Directeur du Pôle Universitaire de Sciences de gestion de Bordeaux, Président Honoraire de l’Université Montesquieu Bordeaux IV
> Aristide LÉVI Directeur du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris
> Monique LUBY Professeur à l’Université de Pau
> Jacques MESTRE Professeur Agrégé des Facultés de droit Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille
> Sylvaine POILLOT-PERUZZETTO Agrégée des Facultés de droit Professeur à l’Université des Sciences sociales de Toulouse I
> Jean-Luc VALLENS Docteur en droit - Magistrat - Professeur associé à l’Université de Strasbourg
> Dominique VELARDOCCHIO Agrégée des Facultés de droit - Professeur à la Faculté de droit d’Aix-Marseille
ÉTUDES
68 > Nouveau coup de sifflet contre le whistleblowing : quel avenir en France pour les alertes éthiques ? Recherche sur l’apport de l’alerte professionnelle au regard de la coopération en matière pénale Par Christophe AYELA et Kevin BIHANNIC
73 > La nouvelle responsabilité civile des agences de notation Par Florian DENIS
79 > L’inconstitutionnalité des actions attitrées au mandataire judiciaire : le cas de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif Par Michel ATTAL
Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE SAS au capital de 300 000 000 euros Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot 92856 Rueil-Malmaison cedex RCS Nanterre 480 081 306 Associé unique : Holding Wolters Kluwer France Président directeur général de Wolters Kluwer France, Directeur de la publication : Michael Koch Directrice de la rédaction : Héléna Alves Rédactrice en chef : Julie Vasa (01 76 73 42 53) Rédacteurs en chef adjoints : Delphine Chemin-Bomben, Actualités du droit du financement (01 76 73 32 36), Marina Filiol de Raimond, Actualités du droit commercial (01 76 73 33 88) ,
Valérie Hazout, Perspectives (01 76 73 31 79), Chloé Mathonnière, Actualités du droit économique (01 76 73 31 75), Ildo D. Mpindi, Actualités du droit des sociétés commerciales (01 76 73 34 69) À participé à ce numéro : Victoria Mauries Responsable PAO : Nord Compo Imprimerie : Comelli Avenue des Deux-Lacs – BP 389 91959 Courtaboeuf cedex Nº Commission paritaire : 0115 T 87146 Dépôt légal : à parution N° ISSN : 1279-840 Abonnement annuel : 390,02 € TTC (TVA 2,10 %) Prix au numéro : 36,76 € TTC (TVA 2,10 %). Information et commande : Tél. : 0 825 08 08 00 Fax : 01 76 73 48 09 Internet : http://www.wkf.fr Cette revue peut être référencée de la manière suivante : RLDA 2011/65, n° 3688 (année/n° de la revue, n° du commentaire)
Ce numéro est accompagné d’un encart.
N °N°X X65• • MNOVE O I S M2 BR 0 0 E9 2011 • R E V• UREVUE E L A MLAMY Y D R DROIT O I T D EDES S A AFFAIRES FFAIRES
5
Index thématique des sources commentées DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
BAUX COMMERCIAUX RLDA
INDICE DU COÛT DE LA CONSTRUCTION – ICC – INDICE DES LOYERS COMMERCIAUX – ILC – LOYER
Éclairage
Informations rapides de l’INSEE nos 245 et 246, 7 oct. 2011
CONTRIBUTION AUX PERTES SOCIALES – ACTION DU LIQUIDATEUR JUDICIAIRE – RECEVABILITÉ
PROCÉDURE SUR MÉMOIRE – ORDRE PUBLIC
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888, P+B
Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-10.032, P+B
MARQUES, BREVETS, DESSINS ET MODÈLES BREVETABILITÉ – EMBRYON HUMAIN – CELLULE SOUCHE
CJUE, 18 oct. 2011, aff. C-34/10, Oliver Brüstle c/ Greenpeace eV
CONTRIBUTION AUX PERTES SOCIALES – ACTION DU LIQUIDATEUR JUDICIAIRE – RECEVABILITÉ
BREVET – INVENTION DE SALARIÉ – RÉMUNÉRATION SUPPLÉMENTAIRE – APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS 3690
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-20.997, P+B
3691
MARQUE – FONCTION D’INDICATION D’ORIGINE – FONCTION DE PUBLICITÉ – FONCTION D’INVESTISSEMENT
SOCIÉTÉ EN FORMATION – NULLITÉ DES ACTES – RÉGIME
Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 09-70.571 et 09-72.855, D ASSOCIÉ OU GÉRANT EN LIQUIDATION JUDICIAIRE – RÈGLE DU DESSAISISSEMENT – LIMITES
Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-19.647, P+B
3692
ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE
3694
3695
3704
PROCÉDURES COLLECTIVES – ORDRE PUBLIC – SENTENCE ARBITRALE
Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 10-18.320, P+B+I
SOCIÉTÉ ABSORBÉE – CAUTIONNEMENT – ÉTENDUE
3703
DÉCLARATION DES CRÉANCES – COMPENSATION LÉGALE
Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-24.793, P+B
RESTRUCTURATION ET GROUPES DE SOCIÉTÉS Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-21.370, D
3702
ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Rép. min. à QE n° 104859, JOAN Q 5 juill. 2011, p. 7332
3693
FAUTE DE GESTION – DÉCLARATION TARDIVE DE CESSATION DES PAIEMENTS – CONDITION
Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-20.423, D
CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora c/ Marks & Spencer
3701
SAUVEGARDE FINANCIÈRE ACCÉLÉRÉE – REPORT EN ARRIÈRE DES DÉFICITS – CRÉANCES DE CARRY-BACK
GÉRANT – SARL – RÉMUNÉRATION ET DROIT DE VOTE
Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23.398, P+B
3700
3689
DISSOLUTION – RÉUNION DES DROITS SOCIAUX EN UNE SEULE MAIN – MENTION AU RCS
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-15.068, P+B
3699
3688
SOCIÉTÉS ET AUTRES GROUPEMENTS Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888, P+B
3698
DROIT DU FINANCEMENT
3705
RLDA
Éclairage
DROIT COMMERCIAL
RLDA
Éclairage
Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-16.873, P+B
DÉPLAFONNEMENT – MODIFICATION NOTABLE DES FACTEURS LOCAUX – INCIDENCE FAVORABLE
MARCHÉS FINANCIERS
e
Cass. 3 civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I
3696
FONDS DE COMMERCE
Communiqué Comm. UE n° IP/11/1219, 20 oct. 2011
3707
AMF – DÉCISIONS DE SANCTION – RECOURS – PRÉCISIONS
Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-27.310, P+B
Rép. min. à QE n° 95807, JOAN Q. 13 sept. 2011, p. 9779 ; Rép. min. à QE n° 107215, JOAN Q. 20 sept. 2011, p. 10061
ABUS DE MARCHÉ – PROPOSITIONS EUROPÉENNES
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • NOVE M BR E 2 011 • N ° 6 5
3706
DIRECTIVE MIF – RÉVISION – PROPOSITION
AUTO-ENTREPRENEUR – CUMUL – SALARIÉ – TRAVAILLEUR INDÉPENDANT – INTERDICTION DE GÉRER
3697
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
6
ORDRES DE BOURSE – COUVERTURE – CONTRAT D’ASSURANCE-VIE – NANTISSEMENT – IMPOSSIBILITÉ
Communiqué Comm. UE n° IP/11/1217, 20 oct. 2011 ; Communiqué Comm. UE n° IP/11/1218, 20 oct. 2011
3708
3709
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
ACTUALITÉS INDEX
DÉLIT D’INITIÉ – PRÉVISIBILITÉ DE LA LOI
CEDH, 5e sect., 6 oct. 2011, aff. 50425/06, Soros c/ France
3710
OFFRE PUBLIQUE OBLIGATOIRE – DISPENSE – AMF – RECLASSEMENT INTRA-GROUPE – CONFIRMATION
CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 15 sept. 2011, n° RG : 11/00690, ADAM c/ Dumas
Trib. UE, 12 oct. 2011, aff. T-224/10, Association belge des consommateurs test-achats ASBL c/ Commission 3711
RÈGLEMENT GÉNÉRAL AMF – MODIFICATIONS – HOMOLOGATION – DIRECTIVE OPCVM IV – TRANSPOSITION
Arr. min. 3 oct. 2011, NOR : EFIT1123311A, JO 20 oct.
3712
INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET DE CRÉDIT BILLET À ORDRE – SOUSCRIPTEUR – BÉNÉFICIAIRE – IDENTITÉ DE NOM
Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.963, P+B
3713
TRANSPORT FERROVIAIRE – OUVERTURE À LA CONCURRENCE – AVIS – AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Aut. conc., avis n° 11-A-15, 29 sept. 2011, sur un projet de décret relatif aux gares de voyageurs et autres infrastructures de services du réseau ferroviaire Aut. conc., avis n° 11-A-16, 29 sept. 2011, relatif au projet de séparation des comptes de l’activité gares de voyageurs au sein de la SNCF Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-21.862, P+B+I
3714
Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-20.240, P+B 3715
RLDA
CONCENTRATIONS – ENGAGEMENTS – NON-RESPECT – SANCTION – RETRAIT DE LA DÉCISION D’AUTORISATION
RÉSEAU DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE – INTERNET – INTERDICTION IMPOSÉE PAR LE FOURNISSEUR AUX DISTRIBUTEURS AGRÉÉS – ARTICLE 101, PARAGRAPHES 1 ET 3, TFUE – RÈGLEMENT (CE) N° 2790/1999
RÉSEAU DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE – INTERNET – INTERDICTION IMPOSÉE PAR LE FOURNISSEUR AUX DISTRIBUTEURS AGRÉÉS – ARTICLE 101, PARAGRAPHES 1 ET 3, TFUE – RÈGLEMENT (CE) N° 2790/1999
CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence
3723
ACHATS D’ESPACES PUBLICITAIRES – DÉLIVRANCE DE LA FACTURE – LOI N° 93-122 DU 29 JANVIER 1993 – NON-RESPECT – SANCTION
Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-24.810, P+B
3716
3722
DÉBAUCHAGE – ACTION EN CONCURRENCE DÉLOYALE – NATURE DU CONTRÔLE DU JUGE
Éclairages Aut. conc., déc. n° 11-D-12, 20 sept. 2011, relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus
3721
CONTRAT-TYPE D’ORIGINE LÉGALE – ARTICLE L. 442-6, I, 5° DU CODE DE COMMERCE – APPLICATION – NON
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-19.443, P+B
DROIT ÉCONOMIQUE
3720
DISTRIBUTION
CHÈQUE LITIGIEUX – SECRET BANCAIRE
Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-10.490, P+B
3719
RELEVÉS DE PRIX ENTRE CONCURRENTS – LICÉITÉ
CHÈQUE IMPAYÉ – RECOURS CAMBIAIRE – PORTEUR – OPPOSITION IRRÉGULIÈRE – TIREUR
Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-21.812, P+B
CONCENTRATIONS – TIERS INTÉRESSÉS – ASSOCIATION DE CONSOMMATEURS – RECOURS EN ANNULATION – INTÉRÊT À AGIR – DROITS PROCÉDURAUX – IRRECEVABILITÉ
CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence
3724
3725
CONSOMMATION VENTE D’ORDINATEURS PRÉ-ÉQUIPÉS DE LOGICIELS – VENTE SUBORDONNÉE – NON – PRATIQUE COMMERCIALE DÉLOYALE – OUI 3717
Cass. 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-10.800, P+B+I
3726
SURENDETTEMENT – SAISIE-IMMOBILIÈRE – SUSPENSION – JUGEMENT – RECOURS – NON
CONCURRENCE
Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-27.658, P+B
COMMISSION EUROPÉENNE – BONNES PRATIQUES – PROCÉDURES D’ENTENTE ET D’ABUS DE POSITION DOMINANTE – CONSEILLER-AUDITEUR – DONNÉES ÉCONOMIQUES
Communiqué Comm. UE, IP/11/1201, 17 oct. 2011
3727
OBLIGATION GÉNÉRALE DE VÉRIFICATION DE CONFORMITÉ – INOBSERVATION – TROMPERIE – ÉLÉMENT INTENTIONNEL 3718
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
Cass. crim., 20 sept. 2011, n° 11-81.326, P+B
3728
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
NOMENCLATURE DES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION D : arrêt diffusé ; P : arrêt publié au Bulletin mensuel de la Cour de cassation ; P+B : arrêt publié au Bulletin d’information de la Cour de cassation ; R : arrêt mentionné dans le Rapport annuel de la Cour de cassation ; I : arrêt publié sur le site Internet de la Cour de cassation
N ° 6 5 • NOVE M BR E 2 011 • R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S
7
Tables des sources commentées Table alphabétique RLDA ABUS DE MARCHÉ
3709
ACHAT D’ESPACES PUBLICITAIRES Facturation
3724
AUTO-ENTREPRENEUR Cumul de statuts Interdiction de gérer
3697 3697
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS (AMF) Recours contre les décisions de sanction Règlement général
3708 3712
BAIL COMMERCIAL Déplafonnement du loyer ICC ILC Procédure sur mémoire Billet à ordre
3696 3698 3698 3699 3713
BREVET Cellule souche Invention de salarié
3700 3701
CHÈQUE Recours cambiaire du tireur Secret bancaire Compensation des créances
3714 3715 3704
CONCENTRATIONS Droits procéduraux (garantie) Engagements (non-respect) Recours en annulation (recevabilité) Retrait de la décision d’autorisation Sanction Tiers intéressés (intérêt à agir)
3719 3716 3719 3716 3716 3719
CONCURRENCE DÉLOYALE Débauchage de salariés d’un concurrent Contrôle du juge (nature)
3723 3723
CONSOMMATION Pratiques commerciales déloyales Saisie-immobilière (demande de suspension) Tromperie Ventes subordonnées
3726 3727 3728 3726
INTERDICTION DE GÉRER
3697
MARCHÉS D’INSTRUMENTS FINANCIERS
3707
MARQUE Fonctions de la marque
3702
MONOPOLE D’ÉTAT Ouverture à la concurrence Transport ferroviaire
3720 3720
OBLIGATION GÉNÉRALE DE CONFORMITÉ Tromperie Élément intentionnel (caractérisation)
3728 3728
OFFRE PUBLIQUE OBLIGATOIRE Dispense
3711
ORDRES DE BOURSE Couverture
3706
PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Conseiller-auditeur Exemption individuelle/par catégorie Internet (interdiction) Procédure PRATIQUES COMMERCIALES DÉLOYALES Obligation d’information à l’égard du consommateur Vente subordonnée PROCÉDURE Arbitrage Ordre public Pratiques anticoncurrentielles Procédure sur mémoire
3718 3717, 3725 3717, 3725 3718 3726 3726 3705 3699, 3705 3718 3699
RCS (REGISTRE DU COMMERCE ET DES SOCIÉTÉS) Mention de la dissolution d’une société
3690
RELEVÉS DE PRIX Licéité
3721
RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE Rupture brutale de relations commerciales établies
3722
RUPTURE BRUTALE DE RELATIONS COMMERCIALES ÉTABLIES Contrat-type d’origine légale 3722
CONTRIBUTION AUX PERTES SOCIALES Recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire Créances de carry-back Délit d’initié
3688, 3689 3703 3710
DISTRIBUTION SÉLECTIVE Exemption individuelle/par catégorie Internet (interdiction)
SAISIE-IMMOBILIÈRE Recours (non) Surendettement Suspension (rejet)
3727 3727 3727
3717, 3725 3717, 3725
SARL Rémunération et droit de vote du gérant
3693
SAUVEGARDE FINANCIÈRE ACCÉLÉRÉE Report en arrière des déficits
3703
SOCIÉTÉ ABSORBÉE Cautionnement
3695
SOCIÉTÉ EN FORMATION Régime de nullité des actes passés
3691
SURENDETTEMENT DES PARTICULIERS Recours (non) Saisie-immobilière Suspension (rejet)
3727 3727 3727
ENGAGEMENTS Contrôle des concentrations Non-respect (sanction) FACTEURS LOCAUX DE COMMERCIALITÉ Modification favorable au preneur
3716 3716 3696
FACTURATION Achat d’espaces publicitaires Conditions de remise de la facture Non-respect (sanction)
3724 3724 3724
FAUTE DE GESTION Déclaration tardive de cessation des paiements
3694
GÉRANT OU ASSOCIÉ EN LIQUIDATION JUDICIAIRE Limites du dessaisissement du débiteur
3692
INDICES Indice du coût de la construction (ICC) Indice des loyers commerciaux (ILC)
TROMPERIE Délit intentionnel Obligation générale de vérification de conformité
3728 3728
3698 3698
VENTES SUBORDONNÉES Pratiques commerciales déloyales
3726
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
8
RLDA
R E V U E L A M Y D R O I T D E S A F F A I R E S • NOVE M BR E 2 011 • N ° 6 5
Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
ACTUALITÉS TABLES
Tables chronologiques Table chronologique des textes
RLDA
Textes officiels Arr. min. 3 oct. 2011, NOR : EFIT1123311A, JO 20 oct.
3712
Autres textes Rép. min. à QE n° 104859, JOAN Q 5 juill. 2011, p. 7332 Rép. min. à QE n° 95807, JOAN Q 13 sept. 2011, p. 9779 Rép. min. à QE n° 107215, JOAN Q 20 sept. 2011, p. 10061 Informations rapides de l’INSEE nos 245 et 246, 7 oct. 2011 Communiqué Comm. UE, IP/11/1201, 17 oct. 2011 Communiqué Comm. UE n° IP/11/1217, 20 oct. 2011 Communiqué Comm. UE n° IP/11/1218, 20 oct. 2011 Communiqué Comm. UE n° IP/11/1219, 20 oct. 2011
Table chronologique de jurisprudence Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-16.873, P+B Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.963, P+B Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-21.370, D Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-10.032, P+B Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 15 sept. 2011, n° RG : 11/00690, ADAM c/ Dumas Aut. conc., déc. n° 11-D-12, 20 sept. 2011, relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-20.997, P+B Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-19.443, P+B
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Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
Cass. crim., 20 sept. 2011, n° 11-81.326, P+B Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888, P+B Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-15.068, P+B CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora c/ Marks & Spencer Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-21.812, P+B Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-24.793, P+B Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 10-18.320, P+B+I Aut. conc., avis n° 11-A-15, 29 sept. 2011, sur un projet de décret relatif aux gares de voyageurs et autres infrastructures de services du réseau ferroviaire Aut. conc., avis n° 11-A-16, 29 sept. 2011, relatif au projet de séparation des comptes de l’activité gares de voyageurs au sein de la SNCF Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-27.658, P+B Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-20.240, P+B Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-21.862, P+B+I Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-24.810, P+B Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-27.310, P+B Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23.398, P+B Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 09-70.571 et 09-72.855, D CEDH, 5e sect., 6 oct. 2011, aff. 50425/06, Soros c/ France Cass. 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-10.800, P+B+I Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-10.490, P+B Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-20.423, D Trib. UE, 12 oct. 2011, aff. T-224/10, Association belge des consommateurs test-achats ASBL c/ Commission CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-19.647, P+B CJUE, 18 oct. 2011, aff. C-34/10, Oliver Brüstle c/ Greenpeace eV
3728 3688, 3689 3690 3702 3714 3704 3705
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Les numéros renvoient aux articles de la Revue Lamy Droit des affaires
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DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES Sous la direction scientifique de Jacques MESTRE, Professeur agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre de droit économique d’Aix-Marseille, et Dominique VELARDOCCHIO, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille.
Par Dominique i i DEMEYERE
RLDA
Docteur en droit Avocat au Barreau de Paris
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Contribution aux pertes sociales et recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire Par un arrêt du 20 septembre 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le liquidateur judiciaire est recevable à agir sur le fondement de l’article 1832 du Code civil à l’encontre des associés d’une société civile de moyens pour voir fixer leur contribution aux pertes sociales. Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888, P+B
L
es faits de l’espèce à l’origine de cet arrêt sont plutôt banals dans les procédures collectives : à la suite de la liquidation judiciaire d’une société civile de moyens (SCM) concernant l’exercice d’un cabinet médical, le liquidateur judiciaire a assigné les neuf associés de la société (dont on peut présumer leur qualité de médecin) en paiement « d’une certaine somme au titre de leurs participations aux charges résultant de l’exploitation de la SCM sur le fondement de l’article 1832 du Code civil ». La Cour d’appel de Paris devait juger, par un arrêt du 29 juin 2010, que l’action du liquidateur judiciaire contre les associés était irrecevable, estimant que le liquidateur judiciaire avait en réalité sollicité le paiement par les associés du passif définitivement admis de la liquidation judiciaire, et donc avait en réalité exercé l’action fondée sur l’obligation aux dettes sociales contre les associés. Or, selon les juges du fond, ni le représentant des créanciers, ni le liquidateur judiciaire n’aurait qualité et intérêt à agir au titre de cette action… C’est sans surprise que le raisonnement retenu par les juges du fond a été censuré par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Les deux branches du moyen du pourvoi en cassation du liquidateur judiciaire ont en effet été accueillies par la Haute Juridiction. C’est d’abord au visa de l’article 4 du Code de procédure civile que la cassation de l’arrêt intervient : la chambre commerciale a en effet relevé « que dans ses conclusions le liquidateur judiciaire demandait à la cour d’appel de constater le montant du passif définitivement admis et celui des actifs réalisés en vue de la fixation de la contribution aux pertes des associés », de sorte que la cour d’appel en affirmant que le liquidateur judiciaire était irrecevable en son action, avait méconnu l’objet du litige. Ce moyen procédural de cassation ne retiendra pas notre attention, si ce n’est pour souligner l’amalgame opéré par les juges du fond entre l’obligation aux dettes sociales et la contribution aux pertes. Cette confusion opérée par les juges du fond se retrouve dans la deuxième branche du moyen de cassation également accueillie par la Cour de cassation. C’est cette fois-ci au visa de l’article 1832 du Code civil que la chambre commerciale censure l’arrêt des juges du fond, pour avoir d’une part, jugé que la contribution aux pertes ne pourrait jouer que dans les rapports internes à la société et serait étrangère à l’obligation des associés de la société civile de payer les dettes sociales et pour d’autre part, avoir conclu que les associés d’une société civile
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demeuraient personnellement tenus à l’égard des créanciers sociaux, de sorte qu’en cas de procédure collective, ni le représentant des créanciers, ni le liquidateur judiciaire n’aurait qualité à agir contre les associés en paiement des dettes sociales. La chambre commerciale, par un attendu plutôt sec énonce que « le liquidateur judiciaire était recevable à agir à l’encontre des associés de la SCM pour voir fixer leurs contributions aux pertes sociales par la prise en compte, outre du montant de leurs apports, de celui du passif social et du produit de la réalisation des actifs ». L’opposition entre l’obligation aux dettes sociales et la contribution des associés aux pertes fonde la solution de l’arrêt (I). La précision selon laquelle, dans le contexte de la liquidation judiciaire, le liquidateur judiciaire est recevable à agir contre les associés d’une société civile de moyens en contribution aux pertes de la société est nouvelle et parfaitement justifiée (II).
I. — DISTINCTION DES PERTES SOCIALES ET DES DETTES SOCIALES L’obligation des associés aux dettes sociales dans les sociétés à risque illimité, comme dans la société civile ou dans la société en nom collectif, ne doit pas être confondue avec l’obligation pour tout associé de contribuer aux pertes de la société (C. civ., art. 1832). L’obligation aux dettes des associés concerne les rapports entre les créanciers de la société et les associés : les créanciers sociaux disposent d’un droit de poursuite contre les associés tenus des dettes sociales en cas de défaillance de la société, susceptible d’être mis en œuvre à tout moment de la vie sociale. La contribution des associés aux pertes de la société (Kendérian F., La contribution aux pertes sociales, Rev. sociétés 2002, p. 617) intervient en principe au moment de la dissolution de la société (contra : CA Versailles, 1re ch. A, 7 sept. 2000, n° RG : 5389-97, Barthes c/ de Maublanc, Bull. Joly Sociétés 2000, p. 1175, note Lucas F.-X.) : chaque associé supporte une
partie des pertes définitives du groupement dans les conditions prévues par les statuts ou à hauteur de la proportion de la participation qu’il détient dans le capital social (C. civ., art. 1844-1, al. 1). La contribution aux pertes sociales en cours de vie sociale est exceptionnelle et doit être prévue par les statuts (Cass. com., 31 mars 2004, n° 00-17.423, Dr. sociétés 2004, n° 149, obs. Monnet J.) : en pratique les pertes annuelles constatée à la clôture de l’exercice (résultat déficitaire) sont provisoires et font donc l’objet d’un simple traitement comptable (report à nouveau…).
Dans l’arrêt du 20 septembre 2011, le devoir des associés de contribuer aux pertes concernait une société civile de moyens (L. n° 66-879, 29 nov. 1966, art. 36). Or, la société civile de moyens a précisément pour objet de réaliser la prestation de services au bénéfice de ses associés afin de leur faciliter l’exercice de leur activité professionnelle, par la mise en commun de moyens (locaux, secrétariat…) et le partage des frais de structure. Les statuts déterminent les modalités de répartition des frais de la société, le plus souvent par la formalisation d’appels de charges mensuelles ou trimestrielles, en fonction notamment de la périodicité de ces charges et notamment des loyers des locaux utilisés. La vocation des associés à contribuer aux pertes de la société civile de moyens en cours de vie sociale est donc inhérente à cette forme sociale. Dans l’arrêt rapporté de la Cour de cassation, il semble que la cour d’appel a opéré une seconde confusion en estimant qu’en fait de pertes, le liquidateur judiciaire aurait en réalité sollicité en justice le paiement du passif de la société, c’est-à-dire le paiement du passif admis dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société. Les juges du fond semblent avoir considéré que l’action du liquidateur judiciaire constituait en réalité une action en recouvrement des dettes sociales, qu'ils assimilent au passif de la liquidation judiciaire, de sorte qu’ils en ont tiré la conséquence du défaut de qualité et d’intérêt à agir du mandataire judiciaire à l’encontre des associés. Or, le montant du passif admis dans la procédure collective de la société ne correspond pas nécessairement au montant comptable des dettes de la société à l’égard des tiers et encore moins aux pertes sociales définitives : la cristallisation du montant du passif du débiteur dans la liquidation judiciaire est le résultat d’un processus spécifique de la procédure collective qui débute pour les créanciers, par la déclaration de leur créance dans les délais réglementaires (ou le cas échéant par le relevé de leur forclusion), se poursuit par la vérification du passif déclaré avec le jeu des contestations des créances avant d’aboutir au montant du passif définitivement admis dans la procédure collective… Le montant du passif de la liquidation judiciaire est bien souvent inférieur au montant réel des dettes de la société. L’obligation pour les associés de supporter les pertes sociales ne conduit pas davantage à mettre à leur charge le règlement du passif de la liquidation judiciaire : ainsi que le précise l’arrêt, la fixation de la contribution aux pertes sociales des associés doit tenir compte du montant de leurs apports (qui doit être déduit), du montant du passif social et du produit de la réalisation des actifs de la société dans le cadre de la liquidation judiciaire. Enfin, il convient de souligner qu’une société civile de moyens ne peut en principe générer de « passif propre », dans la mesure où la totalité des frais de la structure sont à la charge des associés. La liquidation judiciaire de la société civile de moyens peut révéler à ce titre une créance de la société sur les associés au titre des charges de la structure dont les associés auront profité. Dès lors, la recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire à l’encontre des associés afin de voir fixer le montant de leurs contributions aux pertes sociales apparaît fondée.
II. — RECEVABILITÉ DU LIQUIDATEUR JUDICIAIRE À AGIR EN CONTRIBUTION AUX PERTES SOCIALES Le fondement de la solution de la chambre commerciale de la Cour de cassation sur la recevabilité du liquidateur judiciaire à agir en contribution aux pertes de la société contre les associés en regard de la nature de l’action, n’est pas explicite dans l’arrêt. On remarquera que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris semble avoir justifié le défaut de qualité d’intérêt à agir du liquidateur judiciaire en considérant que la « contribution aux pertes, laquelle joue
exclusivement dans les rapports internes à la société est étrangère à l’obligation de payer les dettes ». En creux, les conseillers parisiens opposent les rapports internes à la société qui ne concerneraient que les associés entre eux et les rapports externes qui ne viseraient que les rapports de la société avec les tiers et en particulier avec les créanciers sociaux (dans ce sens, considérant que « la contribution aux pertes se manifeste dans les relations entre associés, contrairement à l’obligation aux dettes qui se caractérise par l’engagement des associés à l’égard des créanciers » : Cass. 3e civ., 6 juill. 1994, n° 92-12.839, Bull. civ. III, n° 140, Bull. Joly Sociétés 1994, p. 1105, note Dereu Y.). Le
moyen de cassation annexé à l’arrêt permet de mieux cerner le fondement de l’attendu décisoire : il est notamment rappelé que la contribution aux pertes ne concerne pas les seuls rapports entre associés, mais aussi les rapports entre les associés et la société, cette dernière disposant d’une créance contre les associés. La mise en œuvre de l’obligation de contribution aux pertes se manifeste donc par une action en paiement de la société contre les associés et ne peut donc être à ce titre confondue avec l’action en paiement engagée par un créancier d’une société à risque illimité contre un ou plusieurs associés. Dans le cas particulier de la société civile de moyens, la contribution des associés aux pertes est, comme nous l’avons déjà indiqué, inhérente à l’objet même de cette forme sociale : la société, même déclarée par la suite en liquidation judiciaire, doit pouvoir recouvrir le montant des frais qu’elle a assumé au seul profit des associés pour leur permettre d’exercer leur activité professionnelle. C’est sur ce point d’ailleurs que l’attendu de l’arrêt est le plus précis puisqu’il indique que l’action engagée par le liquidateur judiciaire contre les associés a pour objet de fixer leurs contributions aux pertes sociales en tenant compte du montant de leurs apports, du montant du passif admis dans la liquidation judiciaire et du produit de la réalisation des actifs sociaux. Les principes des procédures collectives justifient par ailleurs la qualité et l’intérêt à agir du mandataire judiciaire pour mettre en œuvre cette action contre les associés. Le dessaisissement des dirigeants de la société en liquidation judiciaire à la suite du prononcé de celle-ci, fondé sur les dispositions de l’article L. 641-9 du Code de commerce, a pour conséquence que le liquidateur judiciaire a seul qualité et intérêt à agir pour engager de nouvelles actions judiciaires au nom et pour le compte du débiteur et pour poursuivre les actions judiciaires engagées avant l’ouverture par les représentants légaux de la société. Enfin, la recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire apparaît de surcroît justifiée par le fait que cette action doit permettre d’apurer le passif de la liquidation judiciaire. C’est donc en sa qualité de représentant de l’intérêt collectif des créanciers de la procédure collective (C. com., art. L. 622-20) que le mandataire judiciaire est légitime pour engager cette action judiciaire contre les associés sur le fondement de l’article 1832 du Code civil. On peut par ailleurs imaginer que le liquidateur judiciaire pourra, de manière concomitante et dans une seule et même procédure, demander la condamnation des associés à payer, le cas échéant, le solde du non versé de leurs souscriptions dans le capital social de la société (Cass. com., 9 mai 1995, n° 92-14.195, Bull. civ. IV, n° 137). Néanmoins, avant de s’engager dans cette voie, il est permis de penser que le mandataire judiciaire prendra en compte les éventuels « apports en compte courant d’associés » qui auront été effectués par les associés concernés en faveur de la société. En effet, si la créance d’un associé poursuivi au titre d’un prêt effectué à la société a été effectivement admise au passif de la liquidation judiciaire, cet associé ne devrait pas manquer de s’opposer à l’action du mandataire judiciaire en demandant de manière reconventionnelle, la compensation judiciaire de sa créance « d’apport en compte courant » avec sa dette fondée sur sa contribution aux pertes de la société… ◆
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
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• OBSERVATION • Pour une analyse plus approfondie de cet arrêt, voir, dans cette Revue, l’éclairage de Demeyere D., Contribution aux pertes sociales et recevabilité de l’action du liquidateur judiciaire, supra no 3688. RLDA
DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
Réunion des droits sociaux en une seule main : l’importante mention de la dissolution au RCS
Par Ildo D. MPINDI Secrétaire général de la Rédaction Lamy sociétés commerciales
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Parce qu’il représente la société mise en liquidation judiciaire, le liquidateur est recevable à agir à l’encontre des associés pour voir fixer leur contribution aux pertes sociales. Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-24.888, P+B
Aux termes d’une jurisprudence bien établie, la contribution aux pertes visée à l’article 1832 du Code civil ne se manifeste que dans les relations entre associés. Elle se distingue ainsi nettement de l’obligation aux dettes qui concerne les rapports des associés avec les tiers, plus exactement les créanciers (Cass. 3e civ., 6 juill. 1994, n° 92-12.839, Bull. civ. III, n° 140). Dans l’arrêt ci-commenté, la Cour de cassation, d’une manière certes elliptique mais non équivoque, indique que lorsque le liquidateur agit contre les associés en paiement au titre de l’article 1832, il n’intervient pas « comme organe de la procédure » mais comme « représentant [de la débitrice] en liquidation judiciaire » (selon les termes de la Haute Juridiction dans l’arrêt Cass. com., 14 nov. 2000, 98-11.456, Bull. civ. IV, n° 176). Partant, la Cour balaie l’argument d’irrecevabilité opposé au liquidateur par une cour d’appel qui lui avait dénié le droit d’agir contre les associés d’une société civile de moyens. De fait, les juges du fond avaient enserré l’action du liquidateur dans les limites de l’action en paiement des dettes sociales. Ils refusaient de lui reconnaître la possibilité d’invoquer l’article 1832 en ce qu’il « joue exclusivement dans les rapports internes à la société ». Dès lors, cette disposition ne pouvait selon eux « servir de fondement à l’action en recouvrement du passif social par le liquidateur judiciaire à l’encontre des associés ». L’argumentation est clairement rejetée par la Cour de cassation. Elle estime que le liquidateur judiciaire est « recevable à agir à l’encontre des associés » sur le fondement de l’article 1832 du Code civil, « pour voir fixer leur contribution aux pertes sociales par la prise en compte, outre du montant de leurs apports, de celui du passif social et du produit de la réalisation des actifs ». Étant investi des pouvoirs de représentation de la débitrice dessaisie (Lamy droit commercial 2011, n° 4304), le liquidateur a qualité pour agir en vue d’obtenir au profit de la société une créance ayant son origine dans l’engagement des associés de contribuer aux pertes. ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 316
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La disparition de la personnalité morale de la société dissoute est inopposable aux tiers, dès lors que cette formalité de publicité n’a pas été accomplie.
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Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-15.068, P+B
Le défaut de publication de la dissolution au RCS rend la perte de la personnalité juridique inopposable aux tiers, quand bien même cette dissolution aurait fait l’objet d’une autre publicité légale aisément consultable. L’arrêt de la chambre commerciale réaffirme l’importance de cette formalité, sans laquelle l’assignation par un tiers de la société dissoute demeure recevable. Même s’il ressort de l’article 1844-5, alinéa 3, du Code civil que la dissolution entraîne disparition de la personnalité morale à l’issue d’un délai de trente jours à compter de la publication de la dissolution dans un journal d’annonces légales, l’associé unique a donc tout intérêt à la faire mentionner au RCS. Il appert de cet arrêt que pour les faits et actes sujets à mention au registre, les tiers n’ont pas à consulter les organes de publicité légale autres que le RCS (cf. C. com., art. L. 123-9, R. 210-14, R. 123-66). C’est dire l’importance pratique de la décision rendue par la Cour. Au demeurant, la mention de la dissolution au registre ne doit pas nécessairement se traduire par la radiation de l’immatriculation de la société dissoute. Une inscription modificative semble devoir suffire (cf. Cass. com., 24 sept. 2002, n° 00-13.663, inédit, jugeant suffisante la publication de l’indication d’une dissolution anticipée). Cela étant, il nous semble opportun que cette radiation soit effectuée. C’est là répondre à l’exigence de l’article R. 123-75 du Code de commerce, selon lequel la radiation doit être requise par l’associé unique dans le mois de la réalisation du transfert du patrimoine. De fait, si la personnalité morale s’acquiert au moyen de l’immatriculation au RCS, sa disparition implique de façon corrélative une telle radiation du registre. ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 1558 et s. RLDA
RLDA
SOCIÉTÉS ET AUTRES GROUPEMENTS Contribution aux pertes : recevabilité de l’action en paiement du liquidateur judiciaire
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Actes passés dans le cadre d’une société en formation Un engagement n’ayant pas été conclu au nom de la société en formation mais par la société elle-même est frappé d’une nullité absolue. Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, nos 09-70.571 et 09-72.855, D
La Cour de cassation reprend ici une solution déjà formulée en 2005, conférant à la nullité des actes conclus par une société n’ayant pas acquis la personnalité morale par son immatriculation au RCS « un caractère de nullité absolue » (Cass. com.,
13 déc. 2005, n° 03-19.429, inédit). Cette nullité qui vient sanctionner
l’absence d’un élément essentiel à un acte, en l’occurrence le défaut de capacité juridique de la société (cf. Cass. com., 28 oct. 1992, n° 90-16.388, inédit), emporte des conséquences lourdes pour les contractants. Comme le rappelle l’arrêt rapporté les contrats frappés de nullité absolue « n[e sont] pas susceptibles de confirmation ou de ratification par un acte unilatéral, exprès ou tacite, de la part de la société après son immatriculation ». La régularisation ultérieure de l’acte nul est donc exclue. De fait, en l’absence « de démarches des parties exprimant leur intention commune de procéder à la réfection des actes nuls en leur substituant de nouveaux accords (ou en les réitérant), l’irrégularité ne p[eut] être couverte après [l’immatriculation] ni par les actes d’exécution de ces contrats ni par l’attitude ou le comportement des associés à l’égard des tiers » (souligné par nos soins). Il est donc préférable que les actes devant êtres passés avant l’immatriculation de la société, à l’instar comme en l’espèce d’une vente immobilière, le soient par une personne agissant en son nom (étant précisé que cette mention [« pour le compte de la société »] doit figurer dans le contrat en cause : Cass. com., 23 janv. 2007, n° 05-17.715, inédit). Dans une telle hypothèse, le régime de nullité est plus favorable puisque l’acte peut être régularisé par une confirmation expresse ou tacite pouvant résulter d’une exécution spontanée par la partie qui aurait pu se prévaloir de la nullité (C. civ. art. 1338). Pour la personne ayant agi pour le compte de la société, il peut être utile d’insérer dans les actes qu’elles passent avec les tiers, une clause prévoyant une résolution de plein droit du contrat au cas où la société ne serait pas immatriculée. À défaut et si cette hypothèse venait à se réaliser, ces actes resteraient à sa charge.
civile immobilière] prévoyaient que les retraits de sommes figurant en comptes courants d’associés interviendraient en accord avec le gérant et qu’à défaut d’accord, ils ne seraient possibles que moyennant un préavis d’au moins dix huit mois).
La cour d’appel avait estimé à tort que le débiteur, à la fois associé et gérant de la SCI, ne pouvait exercer ces droits pour la demande de remboursement de son compte courant d’associé, dans la mesure où elle faisait naitre un conflit d’intérêts entre la personne morale et ce dernier justifiant la désignation d’un mandataire ad hoc. Le débiteur « ne pouvait valablement consentir un accord avec lui-même », comme le précisaient les juges du fond (CA Riom, ch. com., 14 avr. 2010, n° RG : 08/02352, SCI L7 et M. X c/ M. Y, ès qualités de liquidateur judiciaire). En demandant la désignation d’un mandataire ad hoc, le liquidateur judicaire s’était attaché à engager les procédures utiles pour obtenir, avec la célérité qu’impose la gestion des procédures collectives, la libération de ces fonds au profit de la liquidation judiciaire du débiteur. Mais en agissant ainsi il a entravé l’exercice des droits personnels de ce dernier liés à la gestion de la société. Au reste, si l’arrêt de la chambre commerciale se prononce en faveur du caractère personnel de ces droits, il ne fait évidemment pas disparaître les effets du dessaisissement sur les sommes provenant du compte courant d’associé une fois qu’elles seront entrées dans le patrimoine du débiteur. ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, n° 2539
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Situation de l’associé ou du gérant en liquidation judiciaire : des limites du dessaisissement du débiteur Les droits et actions liés à la qualité d’associé ou de gérant de la personne physique mise en liquidation judiciaire et concernant le patrimoine de la société échappent au dessaisissement. Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-19.647, P+B
Il est constant que le dessaisissement frappant le débiteur en liquidation judiciaire ne le prive pas de la possibilité d’exercer un droit propre, tel que l’action en reconnaissance d’un contrat de travail ou l’exercice d’une option successorale (cf. Cass. soc., 13 juill. 2004, n° 02-43.444, Bull. civ. V, n° 217 ; Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-10.115, Bull. civ. IV, n° 109). S’agissant du droit des sociétés, la chambre commerciale
a déjà jugé que le dessaisissement n’affectait pas les fonctions que le débiteur pouvait exercer et spécialement celle de représentation de la société (cf. Cass. com., 21 nov. 2001, n° 97-22.086, Bull. civ. IV, n° 189). L’arrêt ici commenté vient préciser que « les actions liées à [la] qualité d’associé ou de gérant [du débiteur] et concernant le patrimoine de la personne morale [ainsi que] son droit de participer aux décisions collectives » entrent dans la catégorie des droits attachés à sa personne (souligné par nos soins). Il en résulte que le liquidateur judiciaire n’est pas recevable à demander la désignation d’un mandataire ad hoc ayant
ACTEURS DE LA VIE SOCIÉTAIRE RLDA
RLDA
➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 464 et s.
pour mission d’exercer ces droits dès lors qu’ils portent sur la gestion du patrimoine de la société. Partant, il y a lieu a cassation d’un arrêt ayant refusé au débiteur d’exercer seul les droits attachés à sa personne concernant les demandes de remboursement de compte courant d’associé, lesquelles exigeaient l’accord du gérant (plus précisément les statuts de la SCI [société
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DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
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SARL : fixation de la rémunération et droit de vote du gérant Ne se trouve pas légalement justifié l’arrêt qui, pour retenir un abus de majorité dans la fixation de la rémunération du gérant majoritaire, ne démontre ni l’intérêt personnel de ce dernier, ni l’atteinte à l’intérêt social. Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-23.398, P+B
Ne constituant pas une convention entre la société et son gérant soumise aux dispositions de l’article L. 223-19 du Code de commerce, la rémunération du gérant, dès lors qu’elle est déterminée par l’assemblée des associés, est une décision à laquelle le gérant associé, « fut-il majoritaire », peut participer. Cet arrêt de cassation rendu par la chambre commerciale vient rappeler que le gérant majoritaire peut, en prenant part au vote, fixer sa propre rémunération (cf. C. com., 30 mai 1989, n° 8718.083, Bull. civ. IV, n° 174 ; Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-13.205, Bull. civ. IV, n° 84). Par conséquent, une résolution prévoyant une rémunération proportionnelle à hauteur de 50 % de l’excédent brut d’exploitation de la société peut être votée, comme en l’espèce, par le seul porteur de parts majoritaire. >
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Toutefois, cette décision peut être annulée si elle est constitutive d’un abus de majorité. Encore faut-il le démontrer, ce que n’est pas parvenue à faire la cour d’appel qui avait accueilli favorablement une demande d’annulation en ce sens. En l’occurrence, les Hauts Magistrats reprochent aux juges du fond d’avoir retenu la qualification d’abus, sans avoir expliqué « en quoi la délibération ayant arrêté la rémunération litigieuse, considérée en elle-même, avait été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ». L’arrêt est donc censuré pour ne pas avoir fait ressortir le caractère abusif du vote. Rappelons à cet égard que la nécessité de prouver l’intérêt personnel du majoritaire et la contrariété à l’intérêt social est particulièrement patente dans la jurisprudence de la Cour (cf. not. : Cass. 3e civ., 18 juin 1997, n° 95-17.122, Bull. civ. III, n° 147 ; cf. égal. Lamy sociétés commerciales 2011, nos 2701 et s.).
nécessaire pour retenir à l’encontre du dirigeant la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements » (nous soulignons). Pour sanctionner l’inobservation du délai prescrit, les juges, « en l’absence de précisions sur l’actif disponible », devaient s’assurer qu’en octobre 1997 la société débitrice était effectivement dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible. Cette condition remplie, la condamnation au paiement des dettes sociales était parfaitement envisageable, même si la faute du dirigeant n’était que l’une des causes de l’insuffisance d’actif (en ce sens la jurisprudence constante de la Cour et notamment Cass. com., 30 nov. 1993, n° 91-20.554, Bull. civ. IV, n° 440). La cour d’appel pouvait donc souverainement décider que si la présence de termites et les différentes péripéties en résultant étaient à même de perturber la viabilité de l’entreprise, celles-ci « n’étaient pas de nature à exonérer le gérant ». ➤ Lamy sociétés commerciales 2011, nos 2590 et s.
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RESTRUCTURATION ET GROUPES DE SOCIÉTÉS
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• OBSERVATION • Pour de plus amples développements sur cet arrêt, cf. l'éclairage de Gibirila D., La participation du gérant majoritaire d'une SARL au vote de la décision fixant sa rémunération, dans le prochain numéro de la RLDA 2011/66.
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Faute de gestion : condition pour retenir la déclaration tardive de cessation des paiements Pour le prononcé de la condamnation au paiement de l’insuffisance d’actif, le juge, en l’absence de précisions sur l’actif disponible, est tenu de caractériser l’état de cessation des paiements à la date prise en compte. Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-20.423, D
Étendue du cautionnement donné au profit d’une société absorbée En cas de fusion par absorption de la société bénéficiaire du cautionnement, l’obligation de la caution qui s’était engagée envers cette dernière n’est maintenue pour la garantie des dettes postérieures à la fusion que s’il existe une manifestation expresse de la caution de s’engager envers la nouvelle personne morale ou la société absorbante. Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-21.370, D
Dans cet arrêt non destiné à publication au Bulletin, la chambre commerciale réaffirme une solution de bon sens eu égard à la détermination de la responsabilité patrimoniale des dirigeants de sociétés en difficulté. Elle rappelle en effet que la qualification de faute de gestion pour déclaration tardive de cessation des paiements implique, pour le juge, de donner état de la consistance de l’actif et du passif social à la date prise en compte, aux fins d’établir l’omission de cette formalité dans le délai légal (cf. en ce sens : Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-21.906, Bull. civ. IV, n° 166, visant, à l’instar de l’arrêt commenté, le principe de proportionnalité et les articles L. 621-1 et L. 624-3 du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Pour rappel, la déclaration doit être déposée au Greffe du tribunal de commerce ou du TGI du siège de l’entreprise dans un délai de 45 jours à compter de l’état de cessation des paiements).
En l’espèce, une cour d’appel avait condamné le dirigeant d’une société mise en liquidation judiciaire à supporter l’insuffisance d’actif à concurrence de 167 600 euros. Aux yeux des juges, les documents comptables versés aux débats suffisaient à démontrer que le dirigeant « qui connaissait parfaitement la situation difficile de la société, n’[avait] pas déclaré l’état de cessation des paiements dans les délais légaux alors que [ladite société] était déjà en état de cessation de paiements, à tout le moins depuis le 1er octobre 1997, date d’exigibilité des premières cotisations CAFAT demeurées impayées » (souligné par nos soins). L’arrêt d’appel est censuré sur ce point, en ce qu’il n’a pas établi l’absence de disponibilités à la date choisie, « condition
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Cette jurisprudence fixée de longue date est ici rappelée par la Cour de cassation alors qu’un arrêt du 8 novembre 2005 avait jeté un doute sur l’étendue de l’engagement à l’égard d’une société absorbée. Statuant sur la question de la transmission du cautionnement garantissant le paiement des loyers, la chambre commerciale avait jugé que ledit cautionnement se trouvait transmis de plein droit par l’opération de fusion-absorption, sauf stipulation contraire. Aussi, la Cour avait-elle censuré l’arrêt d’appel qui avait jugé que le changement de créancier libérait la caution de son obligation si elle n’avait pas manifesté sa volonté de s’engager envers le nouvelle personne morale (Cass. com., 8 nov. 2005, n° 01-12.896, Bull. civ. IV, n° 234). D’aucuns ont vu dans cet arrêt un revirement de jurisprudence, dans la mesure où la réitération de l’engagement de la caution au profit de l’absorbante n’était pas exigée, alors que les créances de loyer en cause étaient afférentes à une période postérieure à la fusion (cf. not. Lienhard A., D. 2005, AJ n° 2875). Bien plus, l’arrêt était rendu au seul visa de l’article L. 236-3 du Code de commerce qui pose le principe de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante, dans l’état où il se trouve à la date de l’opération. Toutefois, l’arrêt commenté semble confirmer que la décision de 2005 ne marquait pas une évolution de la jurisprudence (cf. en sens : Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-10.719, inédit). Il convient en effet de distinguer la date de naissance et d’exigibilité de la dette.
Or, la créance de loyer, bien qu’elle résulte d’une convention à exécution successive, prend naissance en son intégralité dès la conclusion du contrat, et non à mesure de l’exécution de ce dernier (cf. not. Cass. 1re civ., 16 juill. 1986, n° 84-16.631, Bull. civ. I, n° 212 ; Cass. 1re civ., 12 déc. 1986, n° 85-11.644, Bull. civ. I, n° 299). Partant, l’engagement persiste sans que la caution n’ait à manifester sa volonté de s’engager envers la nouvelle personne morale. L’obligation survit pour garantir une dette née antérieurement à la fusion (cf. égal. : Cass. com., 8 nov. 2005, n° 02-18.449, Bull. civ. IV, n° 219). La chambre commerciale applique ici le même principe et casse l’arrêt d’une cour d’appel qui avait condamné
En bref… EIRL : modalités d’actualisation de la déclaration d’affectation du patrimoine L’arrêté paru au Journal officiel du 12 octobre 2011 propose un modèle du relevé d’actualisation de la
la caution au paiement d’une somme, « sans rechercher (…) si la dette garantie n’était pas née postérieurement à l’absorption du créancier bénéficiaire du cautionnement ». Par là, elle réaffirme la règle de la déchéance de la garantie pour les dettes postérieures à la réalisation de l’opération, sauf manifestation expresse d’une volonté contraire de la part de la caution. On ne saurait donc trop recommander aux sociétés absorbantes d’exiger de cette dernière qu’elle réitère ses engagements pris envers la société absorbée.
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DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES
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déclaration d’affectation du patrimoine prévu à l’article R. 526-10-1, 2° du Code de commerce. Ce relevé correspond aux obligations comptables annuelles des entrepreneurs relevant de la microentreprise et ayant opté pour le régime de l’EIRL par l’affectation d’un patrimoine à leur activité professionnelle. Outre des renseignements généraux sur la dénomination de l’EIRL ou le n° SIREN, le modèle type prévoit trois tableaux distinguant les éléments d’actif
et de passif ainsi que leur évolution d’un exercice à un autre de façon à rendre compte de l’évolution du patrimoine affectée. Ce relevé doit être établi au 31 décembre de chaque année et faire l’objet d’un dépôt au même registre que celui où est déposée la déclaration d’affectation du patrimoine (cf. C. com. art. R. 526-10-1, 2° et L. 526-7). Le texte est entré en vigueur le 13 octobre 2011. Arr. min. 28 sept. 2011, NOR : JUSC1124518A, JO 12 oct.
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DROIT COMMERCIAL Sous la direction scientifique d’Aristide LÉVI, Directeur du Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, Pierre GARBIT, Magistrat honoraire, ancien président du Tribunal de grande instance de Lyon, Jacques AZÉMA, Agrégé des Facultés de droit, Directeur honoraire du Centre Paul Roubier et Jean-Luc VALLENS, Docteur en droit, Magistrat, Professeur associé à l’Université de Strasbourg.
Déplafonnement : vers la généralisation de la prise en compte des seules modifications favorables au preneur ? PPar H Hugues KENFACK
RLDA
Professeur à l’université de Toulouse Faculté de droit et science politique
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Les conditions du déplafonnement du loyer du bail renouvelé soulèvent des difficultés. Un important arrêt de la Cour de cassation en date du 14 septembre 2011, devant figurer dans son Rapport annuel, décide que ce déplafonnement ne peut intervenir pour cause de modification notable des facteurs locaux de commercialité que si cette modification a une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur. Hugues Kenfack apporte un éclairage sur cette décision et ses éventuelles conséquences. Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I
1. Les spécialistes de baux commerciaux ont souvent critiqué les décisions de jurisprudence se prononçant sur le seul fondement du droit, sans tenir compte des incidences économiques. L’arrêt du 14 septembre 2011 (Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-30.825, P+B+R+I), va sans doute conforter en partie ceux qui sont favorables à une prise en compte des aspects économiques. La Cour décide en effet « qu’une modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’elle est de nature à avoir une incidence favorable sur l’activité commerciale exercée par le preneur ». Il n’y a plus aujourd’hui de doute sur cette prise en compte de l’intérêt du preneur dans le déplafonnement en cas de modification notable des facteurs locaux de commercialité. Le déplafonnement du loyer du bail renouvelé, lorsque ce loyer relève de l’article L. 145-34 du Code de commerce, peut, d’une part, être conventionnel. L’accord des parties permettra d’écarter la règle du plafonnement et même de fixer le loyer sans tenir compte des critères légaux. D’autre part, il sera le plus souvent « judiciaire » soit en raison de la durée contractuelle ou effective du bail échu, soit en cas de modification notable des éléments de la valeur locative prévus par les paragraphes 1° à 4° de l’article L. 145-33 du Code de commerce : caractéristiques du local considéré, destination des lieux, obligations respectives des parties et facteurs locaux de commercialité. Pour obtenir le déplafonnement du loyer à l’occasion d’un bail renouvelé, il appartient au bailleur, conformément à l’article L. 145-34 du Code de commerce, de prouver une modification « notable », au cours du bail expiré, d’un des éléments de la valeur locative ci-dessus évoqués. Il appartient aux juges du fond d’apprécier ce caractère notable. Tout cela est indiscuté et ne mérite pas plus de commentaire. Une question se pose : cette modification notable ne doit-elle être prise en compte que si elle a une incidence favorable sur l’activité du preneur ? Cette question a d’importants intérêts. En théorie, la lettre des textes ne le prévoit pas exactement en ces termes, même si elle évoque, dans certains cas, l’intérêt pour le commerce considéré. En pratique, les enjeux financiers sont considérables.
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C’est sans doute pour cela que ce nouvel arrêt va susciter le débat. La Cour de cassation affirme sans ambiguïté la nécessité de ne prendre en compte, pour le déplafonnement, que les modifications notables de facteurs locaux de commercialité qui ont une « incidence favorable sur l’activité commerciale exercée par le preneur ». A priori, l’arrêt ne concerne que le déplafonnement relatif aux facteurs locaux de commercialité. Ne va-t-il cependant pas plus loin, surtout dans la méthode ? Va-t-on assister à une généralisation sur cette question de la nécessité de prendre en compte l’intérêt du preneur, la Cour supposant sans doute que celui du bailleur est préservé par l’augmentation du loyer ? Quelle que soit l’analyse retenue, il ressort clairement de cet arrêt l’affirmation d’un principe. Le déplafonnement n’est possible, sur le fondement d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité, que si elle est favorable au preneur (I). Ce principe va soulever des difficultés d’application (II). L’interrogation demeure sur les autres hypothèses visées par l’article L. 145-34 du Code de commerce (III).
I. – AFFIRMATION D’UN PRINCIPE : PAS DE DÉPLAFONNEMENT SANS MODIFICATION DES FACTEURS LOCAUX DE COMMERCIALITÉ FAVORABLE POUR L’ACTIVITÉ DU PRENEUR. 2. Dans l’arrêt du 14 septembre 2011 appelé à une très large diffusion, le principe est désormais affirmé de manière indiscutable. Le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ne doit intervenir, dans le cadre de l’article L. 145-34 du Code de commerce, que si la modification notable des facteurs locaux de commercialité a une incidence favorable sur l’activité commerciale exercée par le preneur. En l’espèce, c’est une nouvelle ligne de tramway qui est à l’origine des difficultés. Il ressort du pourvoi qu’elle passe par le fonds de commerce du preneur, n’est pas accompagnée d’une rénovation des trottoirs et équipements urbains les plus proches. En outre, elle a pour effet la suppression des places de stationnement devant le fonds de commerce, modifie le sens de circulation dans sa rue, oblige les piétons à traverser
avant le fonds en même temps qu’elle entraîne l’abandon des lieux par plusieurs enseignes en permettant à la clientèle de s’évader aisément vers le centre ville. En résumé, la nouvelle ligne de tramway a bouleversé non seulement les conditions générales d’exercice du commerce dans la rue où est installé le fonds de commerce du preneur mais aussi les conditions particulières d’exercice de l’activité du fonds. Cette ligne a une incidence négative sur l’activité du preneur. En même temps, elle entraîne une modification des facteurs locaux de commercialité, tels qu’ils sont aujourd’hui définis par la jurisprudence. En s’en tenant à une lecture littérale des textes, cette modification devrait, si elle est jugée notable, entraîner un déplafonnement, sans tenir compte de l’incidence favorable ou non, même si l’article R. 145-6 du Code de commerce prévoit expressément que la modification alléguée doit avoir un intérêt pour le commerce « considéré », sans exiger qu’il soit « positif » pour le preneur. D’ailleurs, dans un précédent arrêt de 1999, la Cour de cassation avait estimé qu’une modification défavorable de la commercialité pouvait quand même entraîner un déplafonnement du loyer (Cass. 3e civ., 13 juill. 1999, n° 97-18.295, Bull. civ. III, n° 172, JCP G 2000, II, 10277, note Auque F., Gaz. Pal. 1999, 2, jur., p. 26, note Barbier J.-D., LPA 2000, n° 160, p. 16, note Keita M., Rev. Lamy dr. aff. 1999, n° 21, n° 1314, obs. Montégudet G.).
Cet arrêt s’inscrivait dans un courant favorable à l’élargissement des hypothèses de déplafonnement (cf. encourageant l’alignement du loyer sur la valeur locative l’étude du Conseiller Agnès Fossaert-Sabatier, Le prix du bail renouvelé : encadrement ou liberté ? Rapp. C. cass. 1999). Il s’appuyait sur la
lettre des textes qui n’évoque qu’une modification notable, sans distinguer si elle est favorable ou non, l’article R. 145-6 du Code de commerce ne précisant pas que « l’intérêt » pour le commerce considéré doit être « positif ». Cet arrêt n’est plus aujourd’hui d’actualité. La tendance est en faveur d’un rétrécissement des hypothèses de déplafonnement. Certes le contexte prévalant en 1999 n’est plus celui d’aujourd’hui. Déjà dans un arrêt de 2008 relatif aux travaux effectués par le bailleur, la Cour de cassation avait décidé qu’ils ne peuvent constituer un motif de déplafonnement que s’ils ont pour effet une modification ayant une « incidence favorable pour l’activité exercée par le preneur ». Au cas particulier, le bailleur avait installé un ascenseur alors que les lieux loués, servant à un établissement d’enseignement, étaient au huitième étage d’un immeuble. Le bailleur arguait que le « loyer doit être déplafonné quand bien même la modification des locaux serait sans incidence sur l’activité qui y est exercée » alors que le preneur estimait au contraire que cette modification avait eu une incidence négative sur son activité. Pour répondre à cette argumentation, le bailleur précisait que ce fait était indifférent. La Cour de cassation avait décidé le contraire en précisant que « les travaux réalisés par le bailleur au cours du bail expiré ne peuvent constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu’autant qu’ils ont une incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur… » (Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, n° 07-16.605, Bull. civ. III, n° 123, RLDA 2008/30, n° 1788, obs. Filiol de Raimond M., AJDI 2008, p. 849, obs. Blatter J.-P., Administrer nov. 2008, p. 40, obs. Barbier J.-D., Ann. loyers 2008, p. 1895, note Cerati-Gauthier A., RJDA 2008, n° 991). Cet arrêt ne concernait que les
travaux réalisés par le bailleur mais l’esprit devait certainement souffler au-delà comme le prédisait le professeur Blatter (note sous Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, préc.). La tendance actuelle moins favorable au déplafonnement est confirmée par l’arrêt du 14 septembre 2011 ayant une plus large portée car concernant les facteurs locaux de commercialité (voir III.). En effet, cet arrêt de cassation de 2011 ne laisse place à aucun doute en ce qui concerne l’effet de la
modification notable des facteurs locaux de commercialité. Il faut remercier la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, ch. 7, 28 avr. 2010, n° RG : 08/05638, Mme Duprey c/ Société Des Hauts Pavés) qui avait courageusement pris une position qui ne pouvait qu’entraîner soit une approbation soit une cassation nette. Elle avait décidé que « la jurisprudence n’est pas fixée en ce sens que la modification notable des facteurs locaux de commercialité n’est prise en considération qu’autant qu’elle est favorable à l’activité du commerce considéré, qu’une telle modification doit être appréciée en elle-même, par référence seulement à l’impact qu’elle peut avoir sur l’activité commerciale développée, peu important, si cet impact est constaté, qu’il soit favorable ou défavorable et qu’il ne peut pas, en l’espèce, ne pas être tenu compte d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité affectant l’activité développée par la société [preneuse], que cette dernière admet et tient notablement pour défavorable, à contresens de la jurisprudence en vigueur ». La réponse de la Cour de cassation est sans ambiguïté tout comme le message adressé aux acteurs des baux commerciaux : pas de déplafonnement sans modification notable des facteurs locaux de commercialité… favorable à l’activité du preneur.
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3. Cette décision doit être approuvée sous réserve de certaines précisions (contra Monéger J., Loyers et copr. 2011, Repère n° 9). Sans se fonder sur la lettre exacte des textes, elle n’en est pas vraiment éloignée. Si l’article L. 145-34 du Code de commerce n’évoque qu’une modification notable, sans distinguer selon qu’elle est favorable ou non au locataire, l’intérêt pour le commerce considéré exigé par l’article R. 145-6 du Code de commerce – non expressément visé par l’arrêt du 14 septembre 2011 – n’est-il pas implicitement et nécessairement positif pour le preneur, même si ce texte n’utilise par ce mot ? En outre, l’esprit des textes peut la justifier. Le droit des baux commerciaux fait partie du droit commercial ou des affaires. C’est certes le droit, mais aussi les affaires (sur l’ensemble de la question lire Pédamon M. et Kenfack H., Droit Commercial, 3e éd., Dalloz, Précis, 2011). Il est juste regrettable que les acteurs des baux commerciaux, parfois les juges, oublient cet esprit. En déplafonnant le loyer, le bailleur en profite pour l’augmenter. N’est-il pas logique que, dans un souci d’équilibre et de justice (cf. Barbier J.-D., note sous Cass. 3e civ., 9 juill. 2008, préc.), la jurisprudence penche vers une solution qui partage le « bénéfice » de la modification notable des facteurs locaux de commercialité en décidant qu’il n’y a pas de déplafonnement en cas de modification défavorable au preneur ? C’est une façon de partager les profits de la modification des facteurs locaux de commercialité… sauf à considérer que le déplafonnement n’est qu’un juste retour des choses. Le professeur Monéger (op. cit.) évoque ainsi « le bouleversement de l’équilibre qui avait été long à s’établir entre la rigueur du plafonnement, qui, souvent, conduit à un transfert de valeur vers le preneur, et un retour à la valeur locative… ». Certes, mais est-ce vraiment au moment où, par l’effet d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité dont la cause est étrangère aux deux parties, le preneur a par exemple perdu une partie importante de sa clientèle, qu’il faut « rééquilibrer » le contrat de bail ? Il semble donc y avoir une opposition entre les auteurs favorables à l’analyse économique du bail commercial. Pour les uns, prenant en compte le fait que le bail commercial est un contrat de longue durée, la fixation du loyer à la valeur locative n’est qu’un simple rééquilibrage contrebalançant la rigueur du plafonnement. Ainsi, comme le précise Joël Monéger, dans le cas d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité ou dans celui de travaux effectués par le bailleur « les dérogations déjà fort limitées au >
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D É P L A F O N N E M E N T : V E R S L A G É N É R A L I S AT I O N D E L A P R I S E E N C O M P T E D E S S E U L E S M O D I F I C AT I O N S FA V O R A B L E S A U P R E N E U R ?
jeu du plafonnement conduisaient les juges à fixer le loyer à la valeur locative, ramenant le prix du bail vers l’équilibre dans l’exécution d’une convention de très longue durée ». C’est l’équilibre du bail commercial dans sa durée qui est pris en compte. Pour les autres, il convient d’avoir en l’esprit le moment où doit intervenir ce rééquilibrage. En effet, le loyer initial du bail commercial est librement fixé, conformément à la loi de l’offre et de la demande, par les parties, surtout le bailleur. La liberté est totale (cf. Kenfack H., L’entrée dans les lieux : le difficile équilibre entre l’économique et le juridique, in Pour un bail commercial adapté aux réalités économiques, sous la direction de Joël Monéger, CREDA, LexisNexis, 2010). Cette fixation tient
sans doute compte des prévisions des évolutions ultérieures. Par la suite, lors du renouvellement, le principe du plafonnement s’applique pour maintenir le loyer à un certain niveau et il est possible que ce loyer soit très loin de la valeur locative. C’est pour cela que dans certaines hypothèses, un déplafonnement est possible, pour rééquilibrer le contrat. Personne ne conteste cet objectif de rééquilibrage. Reste le moment où il doit intervenir. Ce que semble dire la Cour de cassation, à juste titre, dans les arrêts de 1998 et 2011, c’est que ce rééquilibrage ne peut intervenir au moment même où, en raison de la modification des facteurs locaux de commercialité, le preneur est le plus en difficulté, ces éléments ayant une incidence défavorable sur l’activité qu’il exerce dans les lieux loués. Peu importe ici que les facteurs locaux de commercialité ne dépendent pas des parties au contrat. Il ne s’agit donc pas d’une opposition sur le rééquilibrage ou non du bail commercial, dans un sens ou dans l’autre, mais sur le moment et les éléments de ce rééquilibrage. Convient-il de rééquilibrer en privilégiant la durée du bail ou la situation présente ? Convient-il de ne privilégier que le loyer stricto sensu en laissant de côté d’autres éléments comme les charges par exemple ? La Cour de cassation procède ainsi à une analyse économique du problème posé, plutôt qu’une approche simplement juridique ou immobilière (cf. déjà la même analyse dans Cass. 3e civ., 9 juill. 2008 ; adde Pour un bail commercial adapté aux réalités économiques, préc.). Pour justifier le déplafonnement, les travaux réalisés et les modifications notables doivent avoir une incidence favorable sur l’activité exercée par le locataire. Si cette incidence est défavorable ou neutre, pas de déplafonnement. L’arrêt du 14 septembre 2011 n’occulte pas les réalités économiques : il en tire simplement les conséquences sur la situation présente des parties. La position adoptée dans cet arrêt vise précisément à… équilibrer les rapports entre les parties au bail. Comment d’ailleurs imaginer par exemple une augmentation de loyer – certes limitée à la valeur locative – alors même qu’en raison de la modification des facteurs locaux de commercialité le locataire est en grande difficulté financière, ce qui le pénalise doublement et peut le conduire à ne plus pouvoir payer ce loyer ? On aurait peut-être pu imaginer qu’en cas de modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence « neutre » sur l’activité exercée par le preneur, un déplafonnement était possible, au nom du rééquilibrage sur la longue durée ci-dessus évoqué. Ce n’est pas ce que décide la Cour de cassation. Reste posée la question de ce qu’est une incidence favorable pour l’activité du preneur.
II. – DIFFICULTÉS D’APPLICATION DU PRINCIPE : CASUISTIQUE DANS LA CARACTÉRISATION DE L’INCIDENCE FAVORABLE. 4. La question va inévitablement se poser : qu’est ce qu’une « incidence favorable sur l’activité exercée par le preneur » ?
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Il n’est pas discuté que les juges du fond apprécient souverainement le caractère notable des modifications (Cass. 3e civ., 5 mai 2004, n° 03-10.477, Bull. civ. III, n° 90, Gaz. Pal. 2004, jur., p. 34, note Barbier J.-D.), le contrôle de la Cour de cassation ne concernant que la motivation retenue qui doit être suffisante. C’est également aux juges du fond qu’il reviendra d’apprécier librement le caractère favorable de l’incidence ci-dessus exigée. Il s’agit d’un élément purement factuel et tous les spécialistes des baux commerciaux vont scruter la jurisprudence des juges du fond pour savoir quels sont les indices d’appréciation de cette « incidence favorable ». L’affirmation du principe est logiquement complétée par l’appréciation souveraine des juges du fond. C’est la règle dans ce type de question. Toujours est-il que la difficulté demeure, les juges du fond devant procéder à une telle recherche, au besoin d’office, c’est-à-dire en l’absence même de demande du locataire (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-17.946, Bull. civ. III, n° 71, Loyers et copr. 2004, comm. n° 130, RJDA 2004, n° 796). 5. Les interrogations relatives à l’appréciation des modifications notables vont être transposées à celle de leur incidence favorable. Il convient de bien avoir en l’esprit que, s’agissant d’une appréciation in concreto, aucune modification notable ne peut, par elle-même être abstraitement considérée comme favorable. Sous l’empire de la jurisprudence antérieure relative aux facteurs locaux de commercialité, rendue sous le fondement des articles L. 145-33, L. 145-34, et R. 145-6 du Code de commerce, certains critères n’ont pas été pris en compte, notamment la gestion de l’exploitant, le chiffre d’affaires du fonds ou le prix de vente dans le secteur considéré. D’autres l’ont été, en fonction du commerce considéré. C’est le cas par exemple d’une augmentation de la population du quartier qui peut ne pas être prise en compte pour absence d’incidence favorable sur un commerce d’import-export (CA Paris, 16e ch., sect. A, 8 oct. 1991, n° RG : 90/013533, Mr Mahier c/ Société Netter, D. 1991, I.R., p. 290) alors même qu’elle l’est pour des commerces alimentaires (Cass. 3e civ., 23 nov. 1993, n° 92-11.177, Rev. loyers 1994, p. 151), des activités de restauration (CA Paris, 16e ch., sect. A, 26 nov. 1990, Loyers et copr. 1991, comm. n° 127) ou des cafés-bars-tabacs-brasseries (CA Paris, 16e ch., sect. B, 29 mai 1992, Administrer 1993, n° 245, p. 53). Comme déjà indiqué, aucune règle de principe ne peut être fixée car les juges du fond, pour appliquer le déplafonnement sur ce motif, doivent clairement vérifier l’incidence des modifications pour le fonds de commerce concerné. La jurisprudence est constante dans ce sens. Dans un arrêt de 2004, alors même qu’il n’y avait aucun doute sur l’amélioration des facteurs locaux de commercialité, la Cour de cassation a censuré les juges du fond pour avoir déplafonné au motif que les modifications profitaient aux restaurants en général, sans vérifier si elles profitaient concrètement au restaurant du locataire concerné (Cass. 3e civ., 30 juin 2004, n° 03-10.754, Bull. civ. III, n° 138, Loyers et copr. 2004, comm. n° 147 ; dans le même sens Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-17.946, Bull. civ. III, n° 71, Gaz. Pal. 2004, som., p. 38). Plus récemment,
elle a décidé, alors même qu’était indiscuté un afflux de clientèle à proximité géographique du lieu d’implantation du commerce exploité, qu’il n’était pas établi que cet afflux touche la clientèle du fonds de commerce concerné (Cass. 3e civ., 29 sept. 2010, n° 09-67.584, Gaz. Pal. 19 nov. 2010, p. 31). On peut également citer un arrêt dans lequel elle censure une cour d’appel pour n’avoir pas recherché si la modification des facteurs locaux de commercialité présentait un intérêt pour le commerce exploité par le locataire concerné par le déplafonnement, même si le terme « favorable » n’est pas utilisé (Cass. 3e civ., 13 juill. 2011, n° 10-30.870, Loyers et copr. 2011, comm. n° 272, obs. Chavance E.).
L’arrêt du 14 septembre 2011 confirme cette tendance. La même ligne de tramway, de bus, peut avoir une incidence favorable pour un commerce et défavorable pour un autre, alors même que ces deux commerces sont situés dans la même rue et pas très éloignés l’un de l’autre. L’exemple de l’ouverture d’une ligne de métro est assez illustratif. Si elle bénéficie d’un a priori favorable, ce n’est pas toujours le cas. S’il semble que dans le sens de la marche, cela peut être le cas, pour certains commerces, elle sera neutre ou même défavorable pour d’autres, par exemple un commerce de voitures d’occasions (Cass. 3e civ., 24 juin 1992, n° 90-21.197, Rev. loyers 1992, p. 417) ou un salon de coiffure éloigné de la station (CA Paris, 16e ch., sect. A, 21 sept. 1993, Administrer 1994, n° 254, p. 56). La casuistique va donc demeurer dans cette appréciation si importante pour le déplafonnement et cela est sans doute inévitable (cf. récemment dans l’appréciation de la modification notable des fac-
destination des lieux devrait continuer à entraîner un déplafonnement comme par le passé. Toutefois, suivant l’analyse économique des baux commerciaux, il est difficile de concevoir par exemple que la suppression de la clause permettant au locataire de céder son bail pour un autre commerce entraîne le déplafonnement du loyer alors même qu’il y a dans ce cas une modification contractuelle de la destination des lieux. Cette hypothèse doit être relativisée car en pratique, le déplafonnement sera demandé pour adjonction de nouvelles activités, l’extension d’un commerce de vêtements à tous produits manufacturés… Toujours est-il que dans un arrêt de 1978, il a été jugé que pour justifier un déplafonnement, une modification de la destination des lieux devait apparaître plus rentable que l’ancienne destination pour le preneur (CA Paris, 16e ch., 5 juill. 1978, Gaz. Pal. 1978, 2, jur., p. 570, note de Belot Ph.). L’arrêt du 14 septembre 2011 ouvre-t-il une telle voie ? (comp. Barbier J.-D., obs. teurs locaux de commercialité CA Paris, pôle 5, ch. 3, 5 janv. 2011, n° RG : 09/12955, sous Cass. 3e civ., 9 juill. 2008 préc. ; cf. l’analyse du même arrêt par Cerati-Gauthier A. préc.). Elle concerne, d’autre part, la modification des obligations Sté Monoprix Exploitation c/ SCI Gambetta Pelleport, BPIM Lefebvre 2011, n° 4, n° 338). respectives des parties (C. com., art. R. 145-8). Reste à savoir si la solution de l’arrêt du 14 septembre 2011 sera étendue à La jurisprudence décide qu’elle peut L’esprit que semble d’autres hypothèses. permettre un déplafonnement sans exiger une quelconque incidence favorable souffler l’arrêt du pour le preneur. Cette jurisprudence 14 septembre 2011 en III. – EXTENSION DU PRINCIPE devrait-elle évoluer à la suite de l’arrêt faveur du plafonnement AUX AUTRES CRITÈRES du 14 septembre 2011 ? La faveur pour DE DÉPLAFONNEMENT n’est-il pas d’éviter une le preneur a dans certains cas déjà été DE L’ARTICLE L. 145-34 augmentation de loyer prise en compte, et il n’est point besoin DU CODE DE COMMERCE ? de rééquilibrer le contrat, comme l’ilalors que le preneur n’a lustre par exemple la modification des 6. L’arrêt du 14 septembre 2011 soulève pas bénéficié de la cause circonstances ayant entraîné la fixation inévitablement cette question d’autant de déplafonnement ? du loyer du bail initial à renouveler plus qu’il vient à la suite de celui du 9 juillet 2008, a également pour visa (Cass. 3e civ., 13 sept. 2011, n° 10-19.804, admettant le les articles L. 145-34 et L. 145-33 du Code de commerce déplafonnement pour ce motif alors même qu’il est défavorable au preneur). Dans et concerne un autre élément permettant de fixer le loyer d’autres cas – augmentation notable des charges légales pesant à la valeur locative, la modification des facteurs locaux de sur le bailleur – la jurisprudence va-t-elle désormais exiger commercialité alors que celui de 2008 concernait les caracla prise en compte de l’intérêt du preneur ? Dans le cas de téristiques du local considéré. Sur deux éléments relatifs à la l’impôt foncier, il s’agit d’une modification « neutre » pour valeur locative permettant de déplafonner le loyer, la troisième le preneur et jusqu’à présent, elle a été prise en compte (Cass. chambre civile de la Cour de cassation exige la nécessité de 3e civ., 25 juin 2008, n° 07-14.682, Bull. civ. III., n° 112, D. 2008, AJ, 1897, obs. Rouquet Y., prendre en compte « une incidence favorable pour l’activité RJDA 2008, n° 994). Est-ce que désormais la faveur pour le preneur exercée par le preneur ». sera une condition supplémentaire ? Certes, il s’agit des deux seuls éléments à propos desquels des textes réglementaires font allusion à l’activité effectivement 7. En définitive, s’il ressort des articles R. 145-2 et suivants exercée dans les lieux loués par le preneur. L’articulation complétant les articles L. 145-33 et L. 145-34 du Code de des arrêts de 2008 et 2011 montre que la nouvelle solution commerce que le déplafonnement peut résulter de plusieurs concerne donc indiscutablement les hypothèses visées par les hypothèses de modification notable d’un élément de la valeur articles R. 145-3 et R. 145-6 du Code de commerce éclairant locative ci-dessus évoqué, ce serait une erreur de croire, au les paragraphes 1° et 4° de l’article L. 145-33 du même Code regard de la jurisprudence actuelle, qu’elle ne doit être prise en compte dans tous les cas que si elle est favorable à l’activité (cf. aussi Cass. 3e civ., 13 juill. 2011, n° 10-30.870 préc.). Est-elle limitée à ces exercée par le preneur. Aujourd’hui, la jurisprudence n’exige deux seuls cas ? Les 2° et 3° de cet article tels que définis expressément cette condition que dans certains cas et elle n’est par les articles R. 145-2 et suivants du Code de commerce y pas si éloignée de la lettre des textes concernés. Toutefois, ne échappent-ils ? Autrement dit, une modification notable de la pose-t-elle pas des jalons, au regard de l’esprit de ces textes, destination des lieux ou des obligations respectives des parties d’une évolution en faveur de la généralisation de la prise en ne doit-elle être prise en compte que si elle est favorable au compte de l’intérêt du preneur dans les cas de déplafonnement ? preneur ? Ce n’est pas ce que décide expressément la Cour En effet, l’esprit que semble souffler l’arrêt du 14 septembre mais la question a un grand intérêt. 2011 en faveur du plafonnement (cf. déjà celui du 9 juillet 2008 préc.) n’est-il Elle intéresse, d’une part, la modification de la destination des lieux loués (C. com., art. R. 145-5). Une modification contractuelle pas d’éviter une augmentation de loyer alors que le preneur n’a pas bénéficié de la cause de déplafonnement ? Dans un tel cas, ou judiciaire des activités autorisées par le bail est susceptible même si l’incidence est neutre, le plafonnement serait maintenu. d’entraîner le déplafonnement à condition d’être notable. La question du rééquilibrage du bail commercial est fondaLa jurisprudence est constante dans ce sens. L’évolution mentale. Personne ne le conteste et la Cour de cassation en ci-dessus évoquée doit-elle être étendue à ce critère ? Les est consciente. Ce rééquilibrage passe notamment par le loyer textes n’exigent pas une telle prise en compte même si cela et concerne plusieurs points : les indices, le plafonnement > semble aller de soi en pratique. A priori, la modification de la
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT COMMERCIAL
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D É P L A F O N N E M E N T : V E R S L A G É N É R A L I S AT I O N D E L A P R I S E E N C O M P T E D E S S E U L E S M O D I F I C AT I O N S FA V O R A B L E S A U P R E N E U R ?
ou le déplafonnement. Reste à la jurisprudence, aidée par le législateur si cela est nécessaire, à donner une direction constante. Au détour d’une question qui lui était posée par un député s’inquiétant des conséquences du déplafonnement, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, chargé notamment du commerce et de l’artisanat a récemment indiqué qu’un groupe de travail a été mis en place pour mener une réflexion sur l’évolution éventuelle du statut des baux commerciaux (Rép. min. à QE n° 104635, JOAN Q. 13 sept. 2011, p. 9781)
Il convient d’ajouter que la Cour de cassation s’est prononcée sur la constitutionnalité de la règle du plafonnement du loyer du bail renouvelé (Cass. 3e civ., 13 juill. 2011, n° 11-11.072 QPC, P+B). Enfin, en attendant la décision de la Cour de renvoi, comment ne pas remercier le tramway de l’arrêt du 14 septembre 2011, certainement pas nommé… désir pour certains commerces, mais qui permet à la Cour de cassation de préciser sa pensée sur le déplafonnement, au plus grand… « Intérêt notable » des acteurs des baux commerciaux. ◆
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Par Marina FILIOL DE RAIMOND Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit commercial
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FONDS DE COMMERCE 3697
De nouvelles précisions sur le régime de l’auto-entrepreneur Par deux récentes réponses ministérielles, le Gouvernement précise encore les contours de ce dispositif très prisé. Rép. min. à QE n° 95807, JOAN Q. 13 sept. 2011, p. 9779 ; Rép. min. à QE n° 107215, JOAN Q. 20 sept. 2011, p. 10061
tionné par une interdiction de gérer, qu’il n’y avait pas lieu de lui interdire d’exercer la profession d’auto-entrepreneur (CA Paris, pôle 5, ch. 8, 7 sept. 2010, n° RG : 10/00299, Dict. perm. diff. entr. 2010, Bull. 321, p. 12). La réponse apportée ici par le secrétaire d’État aux petites et moyennes entreprises va à l’encontre de l’énoncé des juges d’appel puisqu’il rappelle le principe selon lequel les droits et obligations qui s’imposent aux commerçants et artisans s’appliquent également à ceux d’entre eux qui adoptent le régime de l’auto-entrepreneur. Par conséquent, « l’auto-entrepreneur ne peut exercer son activité s’il se trouve sous le coup d’une interdiction de gérer une entreprise commerciale ou artisanale ». La dispense d’immatriculation dont bénéficie l’auto-entrepreneur commerçant ou artisan ne l’exonère pas de respecter l’article L. 654-15 du Code de commerce, « qui punit d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 375 000 euros le fait pour toute personne d’exercer une activité professionnelle en violation notamment de l’article L. 653-8 du même Code prévoyant l’interdiction de gérer une entreprise ».
ACTUALITÉS
DROIT COMMERCIAL
• OBSERVATIONS • Sur l’entreprise individuelle, cf. Lebel C., L’entreprise individuelle, Collection Lamy Axe Droit, 2011. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 266, 2878 et 4621
Est-il possible de devenir auto-entrepreneur malgré une interdiction de gérer ? Cette autre question fait écho à une décision récente d’une cour d’appel ayant décidé, en présence d’un dirigeant social sanc-
RLDA
BAUX COMMERCIAUX 3698
ICC et ILC : second trimestre 2011 Les indices de révision des loyers des baux commerciaux livrent leurs dernières valeurs au deuxième trimestre 2011. Tous deux sont en forte hausse. Informations rapides de l’INSEE nos 245 et 246, 7 oct. 2011
Au deuxième trimestre 2011, l’indice du coût de la construction (ICC) s’établit à 1 593, après 1 554 au trimestre précédent. En glissement annuel, l’ICC augmente de 5,01 %, après une hausse de 3,05 % au premier trimestre 2011. Il s’agit de sa plus forte progression depuis le troisième trimestre 2008, elle s’explique par l’augmentation de l’indice BT01. Quant à l’indice des loyers commerciaux (ILC), celui-ci s’établit à 104,44. Soit, sur un an, une hausse de 2,56 %. ➤ Lamy droit commercial 2011, no 1514 RLDA
Quelles sont les conditions dans lesquelles le statut d’autoentrepreneur peut se cumuler avec une autre activité salariée, ou de travailleur indépendant ? La réponse à cette question, apportée par le secrétaire d’État aux petites et moyennes entreprises, indique que ce cumul est limité. S’agissant des salariés, le cumul d’activités est possible sous condition. En effet, « le salarié qui crée une activité sous le régime de l’auto-entrepreneur ne peut toutefois pas exercer, en complément, une activité identique à celle de son employeur et auprès de la même clientèle, sans avoir obtenu l’accord de son employeur ». Il est rappelé que ce régime ne doit pas être utilisé à des fins de couverture d’une « externalisation abusive de salariés ou le recrutement de faux indépendants ». Les services de l’État sont « mobilisés pour lutter contre la dissimulation d’une relation salariale de subordination sous la forme d’une relation commerciale de sous-traitance et des contrôles sont mis en œuvre » rappelle le membre du Gouvernement. La situation est différente pour les travailleurs indépendants et le cumul est impossible. Au regard de l’article D. 612-2 du Code de la sécurité sociale, un seul régime est applicable à un travailleur indépendant : « il convient de “faire masse” des revenus afférents à ses différentes activités afin de les soumettre à un seul et même régime, pour calculer globalement les cotisations dues selon un mode de calcul unique. Il ne peut y avoir qu’un seul assuré, une seule personne physique et un seul mode de calcul ». Ainsi, le travailleur indépendant qui exerce déjà une activité, affilié au régime social des indépendants (RSI) et soumis au régime de droit commun de cotisations et contributions sociales, ne peut vraisemblablement pas bénéficier du régime social de l’autoentrepreneur pour la nouvelle activité indépendante. Il est néanmoins précisé qu’un travailleur indépendant peut exercer plusieurs activités au sein de la même auto-entreprise, du moment que le chiffre d’affaires cumulé de ces activités ne dépasse pas les plafonds applicables pour le régime du micro fiscal (CGI, art. 50-0 et 102 ter : 81 500 euros pour les activités commerciales, 32 600 euros pour les activités artisanales ou de services).
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Procédure sur mémoire après une décision d’incompétence La procédure des articles R. 145-23 et suivants du Code de commerce s’impose aux justiciables comme ayant été édictée dans le cadre de l’organisation judiciaire et dans l’intérêt d’une meilleure administration de la justice. Cass. 3e civ., 14 sept. 2011, n° 10-10.032, P+B
Dans cette affaire, un bailleur avait notifié un congé avec offre de renouvellement avec un loyer déplafonné puis avait assigné >
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le preneur devant le juge des référés pour voir ordonner une expertise sur la valeur locative. Le juge des référés s’étant déclaré incompétent, l’affaire a été renvoyée devant le juge des loyers commerciaux. Par la suite, il a été procédé par voie de conclusions, sans notification préalable de mémoires, ce qui a valu à la procédure d’être déclarée irrégulière par la cour d’appel. Le bailleur forme un pourvoi contre cette décision estimant que la procédure sur échange de mémoires préalable à l’assignation, édictée par les articles R. 145-23 et R. 145-27 du Code de commerce, est sans application lorsque le juge des loyers a été saisi par l’effet d’un renvoi d’une autre juridiction. Selon lui, postérieurement à un jugement d’incompétence l’instance se poursuit devant le juge désigné sans qu’il y ait lieu à une nouvelle assignation et qu’ainsi les parties sont simplement invitées à poursuivre l’instance sans avoir à accomplir une quelconque formalité. La Haute Juridiction confirme la décision des juges du fond ayant déclaré la procédure irrégulière. La troisième chambre de la Cour de cassation retient en effet que les parties ayant été renvoyées devant le juge des loyers commerciaux, il leur incombait de procéder conformément aux dispositions des articles R. 145-23 et suivants du Code de commerce régissant la procédure sur mémoire. L’attendu précise que la procédure relative au dépôt des mémoires et à leur notification s’impose aux justiciables « comme ayant été édictée dans le cadre de l’organisation judiciaire et dans l’intérêt d’une meilleure administration de la justice et non dans l’intérêt de l’une ou l’autre des parties ». Il est ainsi rappelé que ces articles ont un caractère d’ordre public, confirmant de précédents arrêts ayant indiqué que les formes de procédure et le fonctionnement des juridictions échappent à la volonté des parties (cf. Cass. 1re civ., 30 mai 1967, n° 66-12.982, Bull. civ. I, n° 188 ; Cass. 3e civ., 10 juin 1971, n° 70-12.678, Bull. civ. III, n° 374, D. 1971, somm., p. 187).
À la première question lui demandant son interprétation de la notion d’« embryon humain », la CJUE indique que même si le texte de la directive ne donne aucune définition de cette notion, le législateur de l’Union « a entendu exclure toute possibilité de brevetabilité, dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté » (CJUE, 18 oct. 2011, aff. C-34/10, pt. 34). Qu’ainsi, tout ovule humain, dès le stade de la fécondation, doit être considéré comme un embryon humain au sens de l’article 6, paragraphe 2, c) de la directive. Par assimilation, un ovule humain non fécondé est aussi considéré comme un embryon humain dès lors qu’est utilisée une technique permettant de déclencher le processus de développement d’un être humain. La deuxième question posée à la CJUE l’amène à préciser que l’exclusion de la brevetabilité portant sur l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales énoncée à l’article 6, paragraphe 2, c), de la directive « porte également sur l’utilisation à des fins de recherche scientifique, seule l’utilisation à des fins thérapeutiques ou de diagnostic applicable à l’embryon humain et utile à celui-ci pouvant faire l’objet d’un brevet ». En effet, pour la CJUE, leur emploi à des fins de recherche scientifique n’est pas brevetable car une telle utilisation est indissociable de l’exploitation industrielle et commerciale. Enfin, en réponse à la troisième question préjudicielle, les Hauts Magistrats européens énoncent que l’on doit exclure de la brevetabilité un procédé qui, en utilisant le prélèvement de cellules souches obtenues à partir d’un embryon humain au stade du blastocyste (NDLR : un stade du développement embryonnaire précoce : 5 à 7 jours), entraîne la destruction de l’embryon. La CJUE laisse à présent aux juridictions nationales, à la lumière de ce qu’elle énonce et des derniers développements de la science, le soin de résoudre les affaires relevant de ces épineuses questions biotechnologiques. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1703, 1704 et 1706
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➤ Lamy droit commercial 2011, nos 1560, 1575 et 1583
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MARQUES, BREVETS, DESSINS ET MODÈLES 3700
Embryon humain, cellule souche et brevetabilité : la dignité humaine selon la CJUE La Cour de justice de l’Union européenne se penche sur la notion d’embryon humain et analyse les limites d’une possible brevetabilité de ses utilisations dérivées. CJUE, 18 oct. 2011, aff. C-34/10, Oliver Brüstle c/ Greenpeace eV
La contestation d’un brevet portant sur des cellules produites à partir de cellules souches embryonnaires humaines et utilisées pour traiter les maladies neurologiques, a conduit la Cour fédérale de justice allemande à interroger la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la notion d’embryon humain. Les trois questions posées à la Haute Cour européenne l’ont amenée à interpréter la directive du Parlement européen et du Conseil n° 98/44/CE du 6 juillet 1998 (JOCE, 30 juill. 1998, n° L 213/13) relative à la protection des inventions biotechnologiques.
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Quelle date faut-il retenir pour rémunérer l’invention de salarié ? Le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d’une mission inventive, prend naissance à la date de réalisation de l’invention brevetable et c’est la loi en vigueur à cette date qui doit s’appliquer pour déterminer la mise en œuvre de ce droit. Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-20.997, P+B
Ce qui est en jeu dans l’affaire du 20 septembre 2011, c’est la perception d’une rémunération supplémentaire par un salarié en cas de réalisation d’une invention de mission, le recouvrement d’une telle somme dépendant des règles d’application de la loi dans le temps. En effet, antérieurement à la loi du 26 novembre 1990 relative à la propriété industrielle (L. n° 90-1052, 26 nov. 1990, art. 20) le Code de la propriété intellectuelle laissait à la convention collective toute liberté pour prévoir une rémunération supplémentaire pour le salarié inventeur et, le cas échéant, en déterminer les conditions d’attribution. La loi de 1990 a modifié la formulation de l’article L. 611-7 du Code en employant l’expression « bénéficie d’une rémunération supplémentaire » et non plus « peut bénéficier »,
En bref… EIRL : modèle de relevé d’actualisation de la déclaration d’affectation Un entrepreneur individuel exerçant sous le régime fiscal de la micro-entreprise peut limiter l’étendue de sa responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation dédié à son activité professionnelle. Il relève alors du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Dans ce cas, il doit établir un relevé, correspondant à ses obligations comptables annuelles, actualisant sa déclaration d’affectation au 31 décembre de chaque année et le déposer dans un délai de 6 mois, au registre auprès duquel celle-ci a été déposée. Un arrêté propose un modèle de relevé d’actualisation de la déclaration d’affectation du patrimoine. Arr. min. 28 sept. 2011, NOR : JUSC1124518A, JO 12 oct.
Auto-entrepreneurs : plafond de chiffre d’affaires pour 2012 Au 1er janvier 2012, de nouveaux seuils légaux de chiffre d’affaires du régime fiscal de la micro-entreprise seront
En revanche, la question que la jurisprudence n’avait pas distinctement tranchée était celle de la date à prendre en compte pour la rémunération, celle du dépôt de la demande de brevet ou celle de l’invention ? Le présent arrêt a opté pour cette deuxième date. ➤ Lamy droit commercial 2011, no 1869
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le législateur a ainsi rendu obligatoire la prévision de cette rémunération dans les conventions collectives. Aussi, dans l’arrêt commenté, toute la question était de savoir si la loi du 26 novembre 1990 s’appliquait au cas d’espèce. Dans les faits, un salarié exerçant une activité de chercheur dans l’industrie pharmaceutique avait estimé que son employeur exploitait plusieurs de ses inventions et l’avait assigné aux fins de se voir payer un complément de rémunération pour ces inventions de mission. Sa demande a été accueillie puisque, selon les juges du fond, la loi du 26 novembre devait s’appliquer, les brevets revendiqués ayant été délivrés après son entrée en vigueur. Il s’ensuit un pourvoi de la société employeuse et une cassation de l’arrêt d’appel. Et par un attendu de principe très clair, la chambre commerciale énonce ceci : « le droit à rémunération supplémentaire, pour un salarié investi d’une mission inventive, prenant naissance à la date de réalisation de l’invention brevetable et non à celle du dépôt ou de la délivrance d’un brevet, c’est la loi en vigueur à la première de ces dates qui doit seule s’appliquer pour déterminer la mise en œuvre de ce droit ». La fixation du point de départ du droit à rémunération supplémentaire se situait donc, en l’espèce, antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 1990, ce qui rend la rémunération du salarié possible... mais pas obligatoire. Par conséquent, la cour de renvoi aura à la déterminer sous certaines conditions, à savoir les dispositions de la convention collective de l’industrie pharmaceutique et notamment la subordonner à l’exigence du caractère exceptionnel de l’invention pour l’entreprise. La jurisprudence l’avait déjà admis : « aux termes de l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d’une invention réalisée dans l’exécution de son contrat de travail comportant une mission inventive, bénéficie d’une rémunération supplémentaire, sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail » (cf. Cass. com., 22 févr. 2005, n° 02-18.790, Bull. civ. IV, n° 29).
ACTUALITÉS
DROIT COMMERCIAL
3702
La marque s’enrichit de nouvelles fonctions La fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre des atteintes par des tiers. Il convient aussi d’analyser l’effet de l’usage de la marque sur ses fonctions de publicité et d’investissement. CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora c/ Marks & Spencer
L’outil AdWords de GOOGLE n’en finit plus de faire des vagues (cf. RLDA 2010/50, n° 2899 ; Tardieu-Guigues E., La concurrence entre les opérateurs économiques favorisée aux dépens du droit des marques AdWords, toujours…, RLDI 2011/71, n° 2238)… L’affaire du 22 septembre 2011 est une nouvelle
illustration des litiges qui peuvent survenir lorsqu’une société utilise ce service payant. Pour rappel, AdWords permet de réserver des mots-clés et de faire apparaître de manière privilégiée, sous la rubrique liens commerciaux, les coordonnées d’un site en marge des résultats d’une recherche sur Internet, lorsqu’il y a une concordance entre les mots-clés et ceux de la requête adressée au moteur de recherche. Ainsi, il arrive fréquemment que des titulaires de marques s’aperçoivent que leurs concurrents utilisent leurs marques comme mots-clés afin de générer un lien commercial vers des sites proposant des produits ou services identiques ou similaires aux leurs. >
fixés. Alors que pour l’année en cours, ces seuils sont établis à 81 500 euros pour la vente de marchandises et à 32 600 euros pour les prestations de services, le projet de loi de finances pour 2012 prévoit pour l'année prochaine les seuils suivants : 83 200 euros pour la vente de marchandises et 33 300 euros pour les prestations de services. Projet de loi de finances pour 2012 AN, n° 3775
La CCIP soutient le secteur des métiers d’art, du luxe et du patrimoine La Chambre de commerce et d’industrie de Paris met en place, à compter d’octobre 2011, un dispositif destiné à maintenir/préserver le savoir-faire des entreprises de Paris et de la petite couronne relevant des métiers d’art, du luxe et du patrimoine. Ce programme, d’une durée de deux ans, se traduit par une offre d’accompagnement à la transmission auprès de cinquante entreprises exerçant des activités liées aux métiers d’art, du luxe et du patrimoine. « Avec ce nouveau dispositif, la CCIP confirme son engagement en faveur de la filière création mode design » a souligné Nelly Rodi, Vice présidente de la CCIP Délégation de Paris et en charge de la filière. Communiqué CCIP, 6 oct. 2011
Plafonds d’exonération temporaire de CFE dans les ZUS et les ZFU Les entreprises qui créent ou étendent un établisse> ment dans une zone urbaine sensible (ZUS) ou dans une zone franche urbaine (ZFU) peuvent bénéficier d’une exonération temporaire de cotisation foncière des entreprises (CFE), sous réserve de respecter certaines conditions, et dans la limite d’un plafond actualisé chaque année en fonction de la variation des prix constatés par l’INSEE. Une instruction fiscale fixe, pour 2012, ce plafond à 27 413 euros dans les ZUS et à 73 945 euros dans les ZFU. Instr., 7 oct. 2011, BOI 6 E-8-11
Le statut des baux commerciaux à l’étude Une réponse ministérielle en date du 13 septembre 2011 indique qu’« un groupe de travail réunissant les services du ministère (de l’économie) et les organismes professionnels concernés a été mis en place ». Celui-ci se réunit afin de « mener une réflexion sur l’évolution éventuelle du statut des baux commerciaux ». Rép. min. à QE n° 104635, JOAN Q. 13 sept. 2011, p. 9781
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Il appartient ainsi à la juridiction nationale de vérifier si l’usage, par M & S, du signe identique à la marque Interflora met en péril le maintien, par INTERFLORA, de sa réputation. ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 2077, 2233, 2256 et 2265
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ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ 3703
Créances de carry-back et sauvegarde financière accélérée Les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure de sauvegarde financière accélérée peuvent demander le remboursement anticipé de leur créance sur le Trésor née du report en arrière des déficits. Rép. min. à QE n° 104859, JOAN Q. 5 juill. 2011, p. 7332
Selon l’article 220 quinquies, I, du Code général des impôts, les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure de sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire peuvent demander le remboursement de leur créance sur le Trésor née du report en arrière des déficits et non utilisée à compter de la date du jugement qui a ouvert ces procédures (le report en arrière des déficits, appelé aussi carry-back, est une méthode consistant à imputer le déficit fiscal sur les bénéfices fiscaux antérieurs ayant supporté l’impôt au taux normal. L’excédent d’impôt sur les sociétés résultant de cette imputation fait naître au profit de l’entreprise une créance sur le Trésor, cf. Lamy Fiscal 2011, nos 1521 et s.).
À la question de savoir si les entreprises faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde financière accélérée (SFA) peuvent, tout comme celles subissant une procédure de sauvegarde, bénéficier du remboursement anticipé des créances nées du report en arrière des déficits, le Gouvernement répond ceci : la procédure de SFA est soumise aux règles applicables à la procédure de sauvegarde en application du premier alinéa de l’article L. 628-1 du Code de commerce, sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 628-1 à L. 628-7 du même Code. « Dès lors, les entreprises ayant fait l’objet d’une procédure de sauvegarde financière accélérée peuvent demander le remboursement anticipé de leur créance sur le Trésor née du report en arrière des déficits dans les conditions prévues à l’article 220 quinquies du CGI ». ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 2928, 3263, 3376 et 4153
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Par un arrêt du 23 mars 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08, C-237/08 et C-238/08, Google France SARL c/ Louis Vuitton Malletier SA) avait indiqué que, dans pareille situation, la contrefaçon ne peut être constituée que s’il est porté atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine de la marque. Ce principe est réaffirmé dans l’arrêt ici commenté dans lequel la Haute Cour européenne en profite pour préciser la portée de la protection des marques dans l’Union européenne. En l’espèce, pour promouvoir son activité de livraison de fleurs, la société MARKS & SPENCER (M & S) avait, dans le cadre du service AdWords, sélectionné le terme Interflora et quelques variantes comme mots-clés pour que les internautes, en lançant une requête dans le moteur de recherche GOOGLE avec lesdits mots, voient apparaître une annonce de M & S en marge des résultats. INTERFLORA a introduit un recours devant la Haute Cour britannique pour violation de ses droits de marque, et cette même Cour s’est retournée vers la CJUE pour poser dix questions préjudicielles que nous pouvons réunir de la manière suivante : est-il possible pour un concurrent de faire un usage non consenti dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de mots-clés identiques à une marque existante ? La réponse de la CJUE indique que « la fonction d’indication d’origine de la marque n’est pas la seule fonction de celle-ci digne de protection contre des atteintes par des tiers » (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, pt. 39). Une marque constitue aussi un instrument de stratégie commerciale employé, en particulier, à des fins publicitaires ou pour acquérir une réputation afin de fidéliser le consommateur. La Cour met ainsi en perspective deux autres fonctions de la marque, celles de publicité et d’investissement, et analyse l’effet de l’usage de la marque par le concurrent sur celles-ci. La Haute Cour européenne, par un rappel de sa décision du 23 mars 2010, énonce qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’annonce affichée à partir du mot clé correspondant à la marque ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers. La juridiction de renvoi aura donc à apprécier si l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif est censé savoir que le service de livraison de fleurs de M & S ne relève pas du réseau d’INTERFLORA. En revanche, l’usage d’un signe identique à une marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement, tel qu’AdWords, ne porte pas atteinte à la fonction de publicité de la marque. En effet, « le seul fait que l’usage, par un tiers, d’un signe identique à une marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquelles cette marque est enregistrée contraigne le titulaire de cette marque à intensifier ses efforts publicitaires pour maintenir ou augmenter sa visibilité auprès des consommateurs, ne suffit pas, dans tous les cas, pour conclure qu’il y a atteinte à la fonction de publicité de ladite marque ». La marque n’a pas pour objet de protéger son titulaire contre des pratiques inhérentes au jeu de la concurrence (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, pt. 57). Reste la fonction d’investissement, celle « employée par son titulaire pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs » (CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, pt. 60). La CJUE indique que dans une situation où la marque bénéficie déjà d’une réputation, il est porté atteinte à la fonction d’investissement lorsque cet usage affecte cette réputation et met ainsi en péril le maintien de celle-ci.
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Rejet d’une créance déjà éteinte par compensation La Cour de cassation rappelle les conditions de la compensation des créances avant ouverture de la procédure collective. Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-24.793, P+B
En l’espèce, une convention de services et de financement par voie de cession de créances professionnelles avait été conclue entre une société d’affacturage (X) et une entreprise (Y). Il y était stipulé la constitution d’une retenue de garantie affectée à la couverture des créances et recours prévoyant la compensation de plein droit avec le solde débiteur du compte courant au moment de sa clôture et liquidation.
La société Y ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la société X a déclaré sa créance à la procédure à concurrence d’un certain montant, laquelle a été rejetée par le juge-commissaire. Le liquidateur a alors assigné la société d’affacturage en restitution de la retenue de garantie. Cette demande est rejetée en appel au motif que la créance avait été conventionnellement compensée avec le solde débiteur du compte courant de la société Y au cours des opérations de clôture et de liquidation de ce compte, avant la demande d’admission de la créance de la société X. Cette dernière reproche à l’arrêt d’avoir violé les articles L. 621-24 et L. 621-104 du Code de commerce (rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005) et d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de rejet en autorisant la compensation. La Haute Juridiction rejette le pourvoi de la société d’affacturage et rappelle en premier lieu que « la compensation s’opère de plein droit, même en l’absence de lien de connexité, entre les dettes réciproques des parties, dès lors qu’elles sont certaines liquides et exigibles avant le prononcé du jugement d’ouverture de la procédure collective de l’une ou l’autre des parties, peu important le moment où elle est invoquée ». De ceci découle le reste de la solution, à savoir que la compensation s’étant opérée de plein droit en vertu des articles 1290 et 1291 du Code civil, le créancier pouvait l’invoquer à tout moment. Qu’il importait peu que le créancier ait déclaré cette créance à l’ouverture de la procédure et que le juge l’ait rejetée puisque l’autorité de la chose jugée n’avait aucune prise sur cette créance déjà éteinte.
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➤ Lamy droit commercial 2011, no 3163
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Le tribunal arbitral ne peut prononcer une sentence allant à l’encontre de l’ordre public Un tribunal arbitral, statuant comme amiable compositeur, est tenu de respecter les règles d’ordre public en matière de procédures collectives. Il ne peut, notamment, se soustraire à la règle de l’extinction des créances non déclarées. Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 10-18.320, P+B+I
Un contrat de franchise assorti d’une clause compromissoire avait été conclu entre deux sociétés. L’une d’elle – la
et aussi... La propriété industrielle 2010 en chiffres L’Observatoire de la propriété intellectuelle publie les chiffres clés de l’année 2010. Marques : 91 928 marques ont été déposées à l’INPI en 2010, soit une augmentation de 13,3 % par rapport à l’année précédente. Les trois principaux déposants de marques françaises sont les mêmes que l’an passé : Sanofi Aventis, SFR et L’Oréal.
franchisée – a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire et, dans ce cadre, un plan de cession de l’entreprise a été arrêté et la résolution du contrat de franchise prononcée. La société cocontractante – franchiseur – a alors déclaré sa créance à la procédure, une créance fondée sur la rupture fautive du contrat, en revanche, elle a négligé d’en déclarer une autre visant à réparer le préjudice causé par la mauvaise foi du franchisé à son égard. En vertu de la clause compromissoire prévue au contrat de franchise, un tribunal arbitral statuant comme amiable compositeur a fixé à 200 000 euros le montant des dommages et intérêts constituant la créance du franchiseur en tenant compte de toutes causes de préjudice confondues (rupture fautive et mauvaise foi). En appel, les juges annulent la disposition de la sentence arbitrale concernant la créance et ceci pour violation d’une règle d’ordre public. En effet, en retenant l’existence d’un préjudice fondé sur l’insuffisance de bonne foi du franchisé, alors que la créance déclarée avait pour cause la rupture fautive du contrat de franchise, le tribunal avait violé la règle d’ordre public de l’extinction des créances non déclarées. L’arbitre s’est donc prononcé sur une créance éteinte (ici,
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c’est évidemment le droit antérieur à la loi de sauvegarde des entreprises qui s’applique, la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 ayant remplacé l’extinction de la créance par une inopposabilité à la procédure).
Le franchiseur forme un pourvoi soutenant que le principe d’extinction des créances non déclarées ne constitue pas une règle d’ordre public dont la méconnaissance pourrait fonder l’annulation d’une sentence arbitrale. Faux, répond la Cour de cassation en rejetant fermement cette allégation et en approuvant les juges du fond. Une telle condamnation pécuniaire « devait être annulée, dès lors que la règle de l’extinction des créances non déclarées est d’ordre public ». Cet arrêt est l’occasion de réaffirmer le caractère d’ordre public des règles que contient le droit des procédures collectives. L’extinction des créances non déclarées en est une dans le droit antérieur à la loi de 2005, comme l’avait déjà indiqué un autre arrêt (la sanction des créances non déclarées s’applique à tous les créanciers tenus de déclarer leur créance au passif, cette obligation étant d’ordre public interne et international, Cass. 1re civ., 29 sept. 2004, n° 02-16.754, Bull. civ. I, n° 215, RTD com. 2005, p. 172, obs. Vallens J.-L.).
Cette décision n’est pas sans rappeler celle qui avait précisé que le sort de l’instance arbitrale était aligné sur celui d’une instance pendante devant une juridiction étatique et que les arbitres ne pouvaient, sans violer l’ordre public, prononcer une condamnation contre le débiteur (Cass. 1re civ., 6 mai 2009, n° 08-10.281, Bull. civ. I, n° 86, D. 2009, p. 1422, note Delpech X., RTD com. 2009). ➤ Lamy droit commercial 2011, nos 3277, 3332, 3445, 4781 et 4789
98 217 dépôts de marques communautaires, soit une progression de 11,4 %, ce qui situe la France au 6e rang des utilisateurs de la marque communautaire. Dessins et modèles : 80 189 dessins et modèles ont été déposés par la voie nationale, dont 63 460 dans le cadre de dépôts simplifiés. Près de 98 % des déposants de dessins et modèles sont d’origine française et les trois déposants majeurs sont des créateurs vêtements : Création Nelson, The Kooples Production et Coline Diffusion. 73 228 dessins et modèles communautaires ont été enregistrés et publiés, soit une augmentation de 2,5 %. La France occupe le 3e rang des principaux déposants de dessins et modèles communautaires.
Brevets : 16 580 brevets ont été déposés par la voie nationale en 2010, en hausse de 2,9 % par rapport à l’année 2009, les trois principaux déposants sont PSA Peugeot Citroën, Groupe Renault et L’Oréal. Il y a eu 150 961 demandes européennes déposées en 2010, contre 134 542 en 2009, ce qui correspond à une augmentation importante de 12,2 %. Les dépôts de brevets par la voie internationale en provenance de la France s’élèvent au nombre 7 288. La France est 4e pour le nombre de dépôts de brevets européens, 6e pour les demandes par la voie internationale PCT.
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DROIT DU FINANCEMENT Sous la direction scientifique de Jean DEVÈZE, Professeur à l’Université des Sciences sociales Toulouse I, Alain COURET, Professeur à l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine et Gérard HIRIGOYEN, Professeur des Universités, Directeur de l'Equipe Entreprise Familiale et Financière, Directeur du Pôle Universitaire de Sciences de gestion de Bordeaux, Président Honoraire de l'Université Montesquieu Bordeaux IV.
PPar D David id ROBINE
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Maître de conférences à l’Université de Rouen (CRIJE)
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Une couverture ne peut être constituée au moyen du nantissement d’un contrat d’assurance-vie Par un arrêt du 12 juillet 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a affirmé qu’un prestataire de services d’investissement peut légitimement refuser que l’un de ses clients constitue la couverture de ses ordres avec service de règlement et de livraison différés au moyen d’un nantissement de contrat d’assurance-vie. La justification de ce refus réside d’abord dans l’assiette de la sûreté proposée. Mais, la nature de cette sûreté a également joué un rôle dans la solution retenue par la Cour de cassation. Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-16.873, P+B
1. Depuis le 25 septembre 2000, le marché à règlement mensuel, qui était un marché à terme, a disparu. Toutefois, les investisseurs peuvent toujours différer leur règlement ou leur livraison en choisissant de libeller leur ordre avec service de règlement et de livraison différés. Dans ce cas, les opérations entre les intermédiaires financiers interviennent au comptant mais l’investisseur ne règle et n’est livré, ou inversement, qu’à une date ultérieure fixée par les règles de marché. Ce mécanisme repose donc sur la fourniture d’un service par le prestataire de services d’investissement. Il demeure que, avant comme après la réforme, l’intermédiaire financier est exposé au risque de défaillance de son client. Or, il n’est pas un créancier comme les autres. Sa défaillance est en effet susceptible de faire courir un risque à l’ensemble du secteur financier. On retrouve ici le désormais célèbre risque systémique (cf. récemment, Catillon V., Le droit dans les crises bancaires et financières systémiques, LGDJ, 2011). C’est la raison pour laquelle des garanties spécifiques, particulièrement efficaces, ont été créées dès le 19e siècle. Elles présentent depuis de nombreuses années la particularité d’être immunisées contre les procédures collectives qui mettent parfois à mal les sûretés réelles (cf. notamment, Robine D., La sécurité des marchés financiers face aux procédures collectives, LGDJ, 2003 ; Lamy Droit du financement 2011, spéc. n° 1160). Derrière cette unité apparente des garanties que l’on peut qualifier de « financières » se cache une diversité plus subtile. Certaines de ces garanties sont prévues aux articles L. 211-38 et suivants du Code monétaire et financier (sur ces garanties, cf. notamment, Praicheux S. et Robine D., Les garanties financières, Joly Bourse, 2011). D’autres interviennent plus spécifiquement dans les relations entre un donneur d’ordre et son prestataire de services d’investissement ou dans le cadre des opérations de compensation. Elles sont prévues à l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier dont le champ d’application comporte des incertitudes (cf. Praicheux S., La transposition en droit français de la directive européenne sur les contrats de garantie financière, RD bancaire et fin. 2005, n° 3, p. 56, spéc. n° 11) mais dont on peut dire qu’il concerne
les marchés dotés d’une chambre de compensation. On les dénomme « couvertures ». Elles consistent en des dépôts de garantie initiaux éventuellement réajustés par des appels de marge (sur ce point, voir infra n° 6). L’existence de couvertures suffisantes est une condition du maintien des positions des donneurs
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d’ordre qui, à défaut, doivent être totalement ou partiellement liquidées d’office (Règl. gén. AMF, art. 516-5). 2. Mais le droit financier ne fait pas que permettre à l’intermédiaire financier de se protéger. Au-delà, il l’y contraint. Il ne s’agit pas ici de faire référence à la possibilité pour les clients de se prévaloir du défaut d’appel de couverture par le prestataire qui résulte d’une jurisprudence initiée par un arrêt de la chambre commerciale du 26 février 2008 (Cass. com., 26 févr. 2008, n° 07-10.761, Bull. civ. IV, n° 42, Bull. Joly Bourse 2008, p. 164, note Goutay Ph. et Saudo C., D. 2008, p. 776, obs. Delpech X., D. 2008, p. 1231, obs. Bélaval M.-L., Orsini I. et Salomon R., RTD com. 2008, p. 371, obs. Storck M., RD bancaire et fin. 2008, n° 3, p. 51, note Muller, JCP E 2009, 1125, obs. Robine D., LPA 2008, n° 142, p. 16, note Bussière F. et Merville A.-D. ; cf. Lamy Droit du financement 2011, spéc. n° 1224). Cette jurisprudence n’a pas
en effet pour objectif d’obliger le prestataire à se soucier de sa sécurité mais de le contraindre à protéger son client en l’empêchant, par l’appel de couvertures, de prendre des positions inconsidérées. La contrainte à laquelle on pense est celle qui a pour objet de préserver le marché. En se protégeant contre la défaillance de son client, le prestataire réduit le risque de sa propre défaillance et assure ainsi la sécurité du marché sur lequel il intervient. Depuis un décret du 14 octobre 1960, l’intermédiaire financier a ainsi l’obligation d’exiger une couverture pour certaines opérations. Bien plus, les règles relatives à ces garanties visent à s’assurer que cette protection sera efficace et interviendra selon des modalités adaptées. Seuls certains actifs et des sûretés déterminées peuvent être utilisés à cette fin. Ce sont ces modalités qui étaient au cœur d’un litige sur lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée le 12 juillet 2011 (Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-16.873, à paraître au Bulletin, D. 2011, p. 2109, obs. Delpech X., Essentiel Dr. assur. 2011, n° 8, p. 5, obs. Leroy M.). 3. En l’espèce, un donneur d’ordre avait effectué des opérations avec service de règlement et de livraison différés. Son négociateur-teneur de compte avait procédé à un appel de marges avant de liquider d’office, partiellement, ses positions faute pour le client d’avoir satisfait à cette demande. Le donneur d’ordre avait pourtant souhaité reconstituer la couverture. Mais il avait proposé pour cela de nantir un contrat d’assurance-vie, ce que
son intermédiaire financier avait refusé. S’estimant lésé par ce refus qui lui semblait injustifié et par la liquidation d’office de ses positions qui s’en est suivie, le donneur d’ordre a assigné son négociateur-teneur de compte en responsabilité. Après avoir été débouté par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 février 2010, il s’est pourvu en cassation en axant son argumentation sur l’inclusion du contrat d’assurance-vie dans la liste des actifs susceptibles d’être remis en couverture. Plus précisément, le pourvoi soutenait que ce contrat « composé de parts ou d’actions d’OPCVM nanti par le donneur d’ordre au profit du courtier en bourse ou du prestataire tenant le compte » est « un instrument financier susceptible de constituer des ordres de bourse avec service de règlement et de livraison différés ». Le pourvoi a cependant été rejeté au motif « qu’après avoir relevé, par motifs adoptés, que le créancier nanti d’un contrat d’assurance-vie n’est que détenteur, avec seul pouvoir de garde et de conservation, sans acquérir le droit d’user ni d’administrer la chose, et a une obligation de restitution lors du paiement de sa créance, que la gestion des valeurs mobilières, supports du contrat, est effectuée par l’assureur et que les prestataires habilités ne peuvent pas effectuer la valorisation quotidienne de ces titres pour le calcul de la couverture des ordres passés, l’arrêt retient que le nantissement d’un contrat d’assurance-vie n’est pas compatible avec les règles de la couverture et que le refus, légitime, de la société Bourse direct de l’accepter comme instrument de couverture n’était pas fautif » (cf. déjà en ce sens, Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-17.380, Dr. sociétés nov. 2009, comm. 208, note Bonneau Th.). 4. La Cour de cassation identifie, de façon allusive, dans les motifs retenus par les juges du fond deux raisons de considérer le refus de l’intermédiaire comme justifié. La Haute Juridiction ne se contente pas, comme elle aurait pu le faire, de relever que le contrat d’assurance-vie ne fait pas partie des actifs susceptibles d’être utilisés à titre de couverture (I). Elle souligne également que la sûreté constituée à cette fin ne peut être un nantissement (II).
I. – L’EXCLUSION DU CONTRAT D’ASSURANCE-VIE DE LA CATÉGORIE DES ACTIFS SUSCEPTIBLES DE COMPOSER UNE COUVERTURE 5. L’efficacité d’une sûreté réelle dépend de plusieurs éléments parmi lesquels figure bien entendu la composition de son assiette. Cet élément devait être pris en compte par les règles relatives à la couverture. Il convient en effet de rappeler la logique suivie : le prestataire a l’obligation de se protéger pour assurer la sécurité du marché financier sur lequel il intervient. Imposer certains actifs permet de s’assurer que cette protection sera efficiente. C’est l’une des raisons (voir infra n° 6) pour lesquelles la décision n° 2000-04 du CMF (et non n° 2004-04 comme l’indique de façon erronée le pourvoi) relative à la couverture des ordres avec service de règlement et de livraison différés, applicable à l’espèce soumise à la Cour de cassation, détermine les actifs susceptibles d’être remis en couverture. Cette liste est aujourd’hui fixée par l’instruction AMF n° 2007-04 du 15 mai 2007 qui vient compléter l’article 516-4 du règlement général de l’AMF. 6. L’incidence de la nature des actifs sur l’efficacité de la couverture se vérifie sur plusieurs points. Il s’agit bien entendu de s’assurer qu’il n’y aura pas de difficulté lors de la réalisation. Mais l’objectif est aussi de permettre un appel de marges efficace. En effet, on l’a dit, postérieurement à la remise initiale du dépôt de garantie, l’intermédiaire va procéder à des appels
de marges auprès de son client en fonction de l’évolution de ses positions et de la valeur des actifs qu’il a remis en garantie (Règl. gén. AMF, art. 516-10). Il s’agit pour lui, comme l’a affirmé la Cour de cassation, d’une obligation quelle que soit l’origine de l’insuffisance de la couverture (Cass. com., 5 avr. 2011, nos 10-14.916 et 10-14.917). L’appel de marges consiste à liquider fictivement les positions du donneur d’ordre et à calculer un solde global net créditeur ou débiteur (cf. Praicheux S., Les sûretés financières, Rép. soc. Dalloz, spéc. n° 177). Ces positions sont ainsi toujours suffisamment couvertes. Or, pour permettre cet ajustement continu, il faut pouvoir procéder aisément à l’évaluation de l’assiette de la sûreté. Il s’agit là de l’une des raisons pour lesquelles la liste des actifs pouvant être remis en couverture est fixée limitativement.
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7. Il convenait également de restreindre la liste des actifs susceptibles de constituer la couverture à des biens dont la valeur était assurée. Toutefois, afin d’introduire une certaine souplesse, cette liste n’est pas limitée aux actifs les plus sécurisants. L’instruction AMF n° 2007-04 et hier la décision du CMF n° 2000-04 prennent cependant en compte la différence de qualité des actifs. Le pourcentage de couverture des positions du client en dépend. À titre d’exemple, lorsque cette couverture est constituée par des « espèces », elle doit représenter au moins (Règl. gén. AMF, art. 516-4) 20 % de ces positions alors que lorsqu’elle repose sur des « parts ou actions d’OPCVM “actions françaises” », le niveau minimum est porté à 40 %. 8. Dans l’espèce à l’origine de l’arrêt commenté, il ne s’agissait pas de déterminer si la position du donneur d’ordre était suffisamment couverte au regard de ces pourcentages mais plus radicalement si l’actif que celui-ci proposait de remettre en garantie entrait dans la liste fixée par la décision du CMF n° 2000-04. On notera à ce titre une ambiguïté dans l’arrêt attaqué. La Cour d’appel de Paris avait en effet rejeté les prétentions du client au motif que « le nantissement est une sûreté qui ne peut pas entrer dans la composition de la couverture ». Or, au sein de cette motivation, les juges du fond ont mêlé deux motifs d’écarter les prétentions du donneur d’ordre. En effet, ce n’est pas le nantissement qui aurait été remis en guise de couverture mais le contrat d’assurance-vie. Il s’agissait donc de savoir si ce contrat entrait dans l’une des catégories d’actifs mentionnées dans la décision du CMF n° 2000-04. Le succès du client supposait une réponse affirmative à cette première question. Certes, il était également nécessaire pour cela que la couverture puisse être constituée au moyen d’un nantissement. Mais c’est une question différente (sur ce point, voir infra nos 10 et s.). 9. Afin de lever l’obstacle tenant à la composition de la couverture, le pourvoi affirmait « qu’est un instrument financier susceptible de constituer la couverture des ordres de bourse avec service de règlement et de livraison différés, le contrat d’assurance-vie composé de parts ou d’actions d’OPCVM » (cependant, guidé par la solution retenue par la Cour d’appel, le pourvoi ne distinguait pas clairement cette question de celle de la nature de la sûreté à utiliser puisqu’il poursuivait par « nanti par le donneur d’ordre au profit du courtier en bourse ou du prestataire tenant le compte »). La Cour de cassation n’aborde pas frontalement cette question et semble plutôt se concentrer sur la seconde, c’est-à-dire l’utilisation du nantissement. Doit-on en déduire que la Haute Juridiction admet implicitement l’assimilation du contrat d’assurance-vie composé de parts ou actions d’OPCVM à un instrument financier ? Tel n’est en réalité pas le cas. En effet, la Cour de cassation identifie bien l’inconvénient que représente l’interposition de l’assureur en relevant que « la >
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gestion quotidienne des valeurs mobilières, supports du contrat, est effectuée par (cet) assureur et que les prestataires habilités ne peuvent pas effectuer la valorisation quotidienne de ces titres pour le calcul de la couverture des ordres passés ». Les Hauts Magistrats ont ainsi souligné la différence qu’il y avait entre disposer d’une sûreté portant directement sur des instruments financiers et être couvert par une garantie ayant pour assiette un contrat d’assurance-vie ayant pour sous-jacent des instruments financiers. Il avait d’ailleurs déjà été justement relevé à ce sujet que « l’intervention d’un assureur ajoute un intermédiaire dont la défaillance éventuelle nuirait au marché. Il en va donc de la sécurité du marché de ne pas admettre des actifs non expressément autorisés : cet impératif prévaut sur l’intérêt du client » (Bonneau Th., note sous Cass. com., 9 juin 2009, préc.). En conséquence, pour ce motif déjà, le refus du prestataire d’accepter un nantissement de contrat d’assurance-vie en couverture des positions prises par son client ne pouvait être considéré comme fautif. Mais cette raison n’était pas la seule. La nature de la sûreté proposée justifiait également la décision de l’intermédiaire financier.
II. – L’EXCLUSION DE LA CONSTITUTION D’UNE COUVERTURE AU MOYEN D’UN NANTISSEMENT 10. La décision du CMF n° 2000-04 ne contient aucune exigence quant à la nature de la sûreté qui doit être utilisée pour constituer la couverture. Pourtant, cette question est bien au cœur de la décision rendue par la Cour de cassation. La Haute Juridiction souligne en effet que « le nantissement d’un contrat d’assurance-vie n’est pas compatible avec les règles de la couverture ». La référence au nantissement et non simplement à son assiette montre que le choix de cette sûreté a joué un rôle dans la décision de la Cour de cassation (voir également infra n° 13). 11. Ceci s’explique par l’existence d’un autre texte relatif aux couvertures qui n’est mentionné ni dans l’arrêt commenté ni dans l’arrêt attaqué. Il s’agit de l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier qui dispose que « quelle que soit leur nature, les dépôts effectués par les donneurs d’ordre auprès des prestataires de service d’investissement, des adhérents d’une chambre de compensation, ou effectués par ces adhérents auprès d’une telle chambre en couverture ou garantie des positions prises sur un marché d’instruments financiers, sont transférés en pleine propriété soit au prestataire ou à l’adhérent, soit à la chambre concernée dès leur constitution aux fins de règlement, d’une part, du solde débiteur constaté lors de la liquidation d’office des positions et, d’autre part, de toute autre somme due soit au prestataire ou à l’adhérent, soit à cette chambre ». Dans sa rédaction initiale, ce texte (qui a d’abord été l’article 49 de la loi de modernisation des activités financières puis l’ancien article L. 442-6 du Code monétaire et financier) n’avait pas le même champ d’application (cf. notamment, Robine D., ouvrage préc., spéc. n° 589). Il n’avait vocation à intervenir que dans le cadre des opérations de compensation. Il y avait là une lacune qu’il fallait combler dès lors qu’un arrêté du 26 août 1998 avait créé un article 4-2-33-1 au sein du règlement général du CMF étendant l’obligation d’appeler des couvertures à l’ensemble des prestataires chargés par un donneur d’ordre dont ils tiennent le compte d’une opération à terme sur un marché réglementé. Un auteur relevait ainsi que « l’extension des règles relatives à la couverture des prestataires habilités autres que les membres d’une chambre de compensation reste limitée dans la mesure où ces prestataires ne bénéficient pas, à ce jour, des dispositions dérogatoires des articles 49 et 52 de la loi du 2 juillet 1996 » (Essombé Moussio J.-J., La liquidation d’office des positions insuffisamment couvertes, in Mélanges AEDBF, II, Banque,
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1999, p. 191, n° 10). Une réforme opérée par une loi du 25 juin 1999 a eu notamment pour rôle de combler en partie cette lacune.
12. On l’a dit, le champ d’application de ce texte est entouré d’incertitudes. On peut néanmoins considérer, en raison notamment de sa place au sein du Code monétaire et financier, que les couvertures constituées auprès des prestataires de services d’investissement dans le cadre d’opérations réalisées sur des marchés dotés d’une chambre de compensation sont soumises à l’article L. 440-7. Cela doit donc concerner les couvertures appelées en application de l’article 516-2 du règlement général de l’AMF en présence d’un ordre avec service de règlement et de livraison différés (voir cependant infra n° 18). Il convient d’ailleurs d’ajouter que l’on trouve des références expresses à l’article L. 440-7 dans des conditions générales d’intermédiaires financiers s’agissant de la couverture des ordres avec service de règlement et de livraison différés. Or, ce texte ne laisse pas de choix quant à la sûreté à utiliser pour constituer une telle couverture. Il doit s’agir d’un transfert de propriété à titre de garantie. Cela permet donc d’expliquer l’affirmation par la Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, que le nantissement d’un contrat d’assurance-vie ne peut être employé à cette fin. Cette sûreté n’opère pas transfert de propriété. L’obstacle ne tient donc pas uniquement à la composition de l’assiette mais aussi à la sûreté utilisée. Peu importe que les biens remis en garantie appartiennent à l’une des catégories visées aujourd’hui au sein de l’instruction AMF n° 2007-04. 13. Certes, dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation ne fait pas, on l’a dit, expressément référence à l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier. Il apparaît néanmoins clairement dans la solution retenue que l’absence de transfert de propriété justifie l’exclusion de la faute du prestataire qui refuse un nantissement de contrat d’assurance-vie à titre de couverture. On peut en voir le signe dans la référence par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté aux motifs adoptés par l’arrêt attaqué selon lesquels « le créancier nanti d’un contrat d’assurance-vie n’est que détenteur ». Autrement dit, il n’est pas, comme cela est exigé par l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier, propriétaire. La suite de cet attendu suscite cependant plusieurs interrogations. 14. On peut d’abord se demander si le prestataire de services d’investissement dispose réellement, comme l’affirme la Cour de cassation, d’un droit « d’user » et « d’administrer la chose » reçue en guise de couverture. Certes, en vertu de l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier, il devient propriétaire des biens remis en garantie et n’est pas, comme le souligne la Cour de cassation, un simple « détenteur ». Cependant, les prestataires de services d’investissement sont soumis à l’interdiction du « tirage sur la masse » qui « consiste pour un intermédiaire teneur de compte, à prélever dans les comptes de ses clients – sans les en avertir – des titres dont il a provisoirement besoin pour son compte propre ou pour le compte des opérations initiées par sa clientèle avant que le client ou lui-même aient reçu livraison des titres concernés » (Vauplane (de) H., La pratique du tirage sur la masse : essai d’analyse, LPA 1994, n° 72, p. 9). L’article L. 533-10, 6°, du Code monétaire et financier dispose ainsi que ces prestataires doivent « sauvegarder les droits des clients sur les instruments financiers leur appartenant et empêcher leur utilisation pour compte propre, sauf consentement exprès des clients ». Le 7° leur impose, quant à lui, de « sauvegarder les droits de leurs clients sur les fonds leur appartenant » avant de préciser que « les entreprises d’investissement ne peuvent en aucun cas utiliser pour leur propre compte les fonds déposés auprès
d’elles par leurs clients » (sur la référence aux seules entreprises d’investissement, cf. Robine D., ouvrage préc., spéc. n° 738). On pourrait écarter toute difficulté tenant au tirage sur la masse en avançant que justement, du fait du transfert de propriété, ces biens remis en garantie n’appartiennent plus au client et que les restrictions qui viennent d’être évoquées ne leur sont pas applicables. L’article L. 533-10, 7°, du Code monétaire et financier est d’ailleurs expressément en ce sens puisqu’il réserve les « dispositions des articles L. 440-7 à L. 440-10 ». Cependant, le 6° ne fait pas de même. On pourrait ainsi se demander si la réserve expresse du 7° n’indique pas que les biens remis en couverture ont vocation à être soumis à l’interdiction posée par l’article L. 533-10 qui ne serait écartée qu’en ce qui concerne les fonds tout en demeurant applicable aux instruments financiers sauf acceptation du client. La question est délicate et les enjeux sont importants. Une intervention législative y apportant une réponse claire est donc souhaitable dans ce domaine où l’incertitude est à proscrire.
publicité foncière, Defrénois, 4e éd., 2009, n° 505). Mais dans cette hypothèse le créancier devient, selon ce texte, propriétaire des choses gagées.
17. On peut alors se demander si la possibilité de substituer une sûreté au transfert de propriété exigé peut se présenter dans le champ d’application des garanties financières de l’article L. 211-38 du Code monétaire et financier. Le III de ce texte dispose en effet que « l’acte prévoyant la constitution des sûretés mentionnées au I peut définir les conditions dans lesquelles le bénéficiaire de ces sûretés peut utiliser ou aliéner les biens ou droits en cause, à charge pour lui de restituer au constituant des biens ou droits équivalents ». Le texte ajoute que « les sûretés concernées portent alors sur les biens ou droits équivalents ainsi restitués comme si elles avaient été constituées dès l’origine sur ces biens ou droits équivalents » (sur ce
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texte cf. notamment, Parolai R., Stoffel-Munck Ph. et Armand F., Les sûretés en matière financière projetées dans une ère nouvelle par la directive Collateral. L’introduction du droit d’utilisation : le re-use à la française, une « quasi-propriété » ?, Banque et droit 2005, n° 104, p. 3 ; Gelpi B., Le droit de réutilisation, in Dossier : Les garanties financières, RD bancaire et fin. 2007, n° 1, p. 81).
15. Il convient ensuite de s’interroger sur l’obstacle identifié dans le fait que Il faut donc se résoudre le créancier nanti d’un contrat d’assuCependant, il a été souligné que l’on est à ce que la solution retenue rance-vie « a une obligation de restitution proche dans cette hypothèse d’un gage par la Cour de cassation lors du paiement de sa créance ». L’afavec dépossession sur choses fongibles revient à affirmer que firmation laisse dubitatif. Une telle oblinon isolées (cf. notamment, Couret A. et Le Nabasque gation de restitution s’impose en effet H. (dir.), Droit financier, Dalloz, 2e éd., n° 1273 [à paraître]) le transfert de propriété également au bénéficiaire d’un transfert dont on vient de dire qu’il entraîne un à titre de garantie est, de propriété à titre de garantie dont la transfert de propriété. quel que soit le moyen d’y créance a été payée. L’explication tient parvenir, incontournable. certainement à une imprécision de la for18. Il faut donc se résoudre à ce que la mule employée. Le créancier nanti doit, solution retenue par la Cour de cassation en principe (voir toutefois infra n° 16) restituer les biens qui lui ont été revient à affirmer que le transfert de propriété à titre de garantie est, quel que soit le moyen d’y parvenir, incontournable. Cela remis alors que le bénéficiaire d’un transfert de propriété à titre n’a a priori rien d’étonnant et de contestable puisque « le légisde garantie peut, sauf à ce qu’il y ait création d’un patrimoine lateur qualifie impérativement la couverture de propriété-sûreté » d’affectation (cf. sur ce point en ce qui concerne l’art. L. 440-7 du Code monétaire et financier : Robine D., ouvrage préc., spéc. n° 763) et interdiction d’utilisation (Praicheux S., Les sûretés financières, préc., spéc. n° 179). On peut toutefois se de l’assiette, restituer une même quantité de biens équivalents demander si cette rigueur se justifie s’agissant de la couverture lorsque ceux-ci sont fongibles. Les juges du fond, approuvés des positions des ordres avec service de règlement et de livraipar la Cour de cassation, ont ainsi certainement voulu souligner son différés. Il convient en effet de rappeler qu’initialement que le créancier nanti doit restituer les biens remis en garantie les textes imposant le transfert de propriété de la couverture eux-mêmes et non une même quantité de biens équivalents. ne concernaient que les mécanismes de compensation (voir supra n° 11) et en raison de leurs particularités (le texte figure d’ailleurs 16. Finalement, nos deux premières interrogations mènent à dans un chapitre intitulé « Les chambres de compensation »). une troisième. En précisant les raisons conduisant à écarter Il a ainsi été relevé que « le choix de la sûreté – propriété-sûle nantissement de contrat d’assurance-vie pour la constitureté – permet d’achever la finalité que poursuit la couverture : tion de la couverture, la Cour de cassation a-t-elle voulu offrir sa transmission en cascade, au long d’une chaîne qui s’étend l’opportunité d’utiliser d’autres garanties qui respecteraient les du donneur d’ordre, acheteur ou vendeur, à la chambre de critères identifiés (cf. Delpech X., note préc. qui considère qu’« en conséquence, cet compensation, en principe destinataire final des couvertures que lui auront transmis entre-temps ses adhérents » (Praicheux S., Les arrêt, à première vue rigoriste, serait en réalité beaucoup plus libéral qu’il n’y paraît ») ? La réponse est délicate et suppose avant tout de déterminer si sûretés financières, préc., spéc. n° 181). Or, le prestataire auquel son client de telles garanties existent. Nous ne pensons pas qu’un nantistransmet un ordre avec service de règlement et de livraison sement de compte-titres puisse répondre aux exigences posées différés ne procède pas à une telle transmission en cascade. Ne par la Cour de cassation (contra Delpech X., note préc.). Le créancier nanti pourrait-on pas dès lors se contenter d’un simple nantissement et ce d’autant plus que la couverture est immunisée contre les peut, certes, si cela est convenu avec le constituant, gérer le effets de l’ouverture d’une procédure collective ? La solution compte titres. Il demeure qu’il y aura subrogation réelle et que ce pourrait, on le voit, trouver des justifications. Il demeure que créancier ne peut donc librement utiliser des titres. De même, la l’article L. 440-7 du Code monétaire et financier n’opère pas création d’un patrimoine d’affectation pourrait être un obstacle de distinction en fonction de l’opération entraînant la remise à l’utilisation de la fiducie-sûreté des articles 2011 et suivants de la couverture. En conséquence, c’est à juste titre que la du Code civil. En réalité, la seule sûreté de droit commun qui chambre commerciale de la Cour de cassation a, en se fondant pourrait répondre aux exigences posées par la Cour de cassation également sur la nature de la sûreté requise, considéré que est le gage de choses fongibles avec dépossession lorsque les le prestataire de services d’investissement qui refuse que la parties conviennent, en application de l’article 2341, alinéa 2, du couverture d’un ordre avec service de règlement et de livraison Code civil, que le créancier est dispensé de conserver les choses différés soit constituée au moyen d’un nantissement de contrat séparées des siennes propres (sur la distinction potentielle avec le gage-espèces d’assurance-vie ne commet pas de faute. ◆ prenant la forme d’une cession fiduciaire, cf. Aynès L. et Crocq P., Droit civil, Les sûretés, La
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Par Delphine CHEMIN-BOMBEN Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit du financement
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Proposition de révision de la directive MIF La Commission européenne a proposé le 20 octobre 2011 de nouvelles règles pour rendre les marchés financiers européens plus efficients, plus résilients et plus transparents tout en renforçant la protection des investisseurs.
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Précisions sur les recours contre les décisions de l’AMF Les règles de compétence juridictionnelle énoncées par les articles L. 621-30 et R. 621-45 du Code monétaire et financier pour les recours contre les décisions de sanction de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ne sont déterminées que par la qualité de la personne sanctionnée et non par la sanction, de nature professionnelle ou non. Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-27.310, P+B
Ces propositions, formulées afin de répondre aux engagements pris par le G20 lors du sommet de Pittsburgh de 2009 face à la crise financière de 2008, ont pour objet la révision de la directive n° 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les Marchés d’instruments financiers (dite « MIF 1 », entrée en vigueur fin 2007) et consistent en une directive et un règlement (dits « MIF 2 »). Depuis l’entrée en vigueur de la directive MIF 1, les marchés financiers ont beaucoup évolué (de nouvelles plates-formes, de nouveaux produits, des innovations liées aux évolutions technologiques…) et une révision de cette directive est donc apparue nécessaire. Parmi les dispositions principales, il est tout d’abord prévu de rendre les structures de marché plus solides et plus efficientes et de faire notamment entrer un nouveau type de plate-forme de négociation dans le cadre réglementaire : les systèmes organisés de négociation. Actuellement, ces platesformes organisées ne sont pas régulées mais jouent un rôle de plus en plus important (par exemple, les contrats dérivés standardisés sont de plus en plus souvent négociés sur ces plates-formes). Il est ensuite prévu de prendre en compte l’innovation technologique avec notamment l’introduction de nouvelles règles pour encadrer les activités de trading algorithmique et à haute fréquence qui ont accru la vitesse des transactions et qui sont susceptibles de représenter un risque systémique. Il est aussi proposé d’accroître encore la transparence des marchés financiers, de renforcer le rôle et les pouvoirs des autorités de régulation et la surveillance des marchés de dérivés sur matières premières. Enfin, il est envisagé de mieux protéger les investisseurs. Des règles plus strictes sont ainsi posées pour la gestion de portefeuille, le conseil en investissement et les offres de produits financiers complexes, tels que les produits structurés. Ces propositions ont été transmises au Parlement européen et au Conseil pour négociation et adoption. Victoria MAURIES Lamy droit du financement
L’article L. 621-30, alinéa premier, et l’article R. 621-45 du Code monétaire et financier distinguent d’un coté, les recours contre les décisions individuelles prises par l’AMF qui sont de la compétence du juge judiciaire et, de l’autre, les recours contre les décisions relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9, y compris les sanctions prononcées à leur encontre, qui sont de la compétence du Conseil d’État. Parmi les personnes et entités mentionnées à l’article L. 621-9, II, du Code monétaire et financier figurent notamment « les personnes produisant et diffusant des analyses financières ». En l’espèce, il était question d’une personne physique, salariée en qualité d’analyste financier d’un prestataire de services d’investissement, qui avait été condamnée à une sanction pécuniaire par la Commission des sanctions de l’AMF pour avoir commis un manquement d’initié. Après le recours de l’analyste financier devant la Cour d’appel de Paris, l’AMF avait soulevé l’incompétence de cette juridiction. La Cour d’appel a accueilli cette exception d’incompétence et l’analyste financier a alors formé un pourvoi en cassation. Il faisait notamment valoir dans son pourvoi que « le conseil d’État n’est compétent pour connaître des recours formés contre les décisions de l’AMF que si la personne concernée a été sanctionnée en qualité de professionnelle des marchés financiers, pour manquement à ses obligations professionnelles » et ajoutait qu’« il n’avait pas été sanctionné en sa qualité de professionnel mais pour le délit non spécifiquement professionnel de manquement d’initié et sur le fondement des textes applicables aux non professionnels ». La Cour de cassation, pour rejeter son pourvoi, explique très clairement que, peu importe que la sanction soit de nature professionnelle ou non, « les règles de compétence [juridictionnelle] énoncées par les articles L. 621-30 et R. 621-45 du Code monétaire et financier ne sont déterminées que par rapport à la qualité de la personne sanctionnée ». En l’espèce, la personne sanctionnée était un analyste financier figurant parmi les personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9 du Code monétaire et financier (comme expliqué plus haut) et, ainsi, seul le Conseil d’État était compétent pour connaître de son recours contre la décision de sanction prononcée par l’AMF. V.M.
➤ Lamy droit du financement 2011, n° 920
➤ Lamy droit du financement 2011, n° 1076
Communiqué Comm. UE n° IP/11/1219, 20 oct. 2011
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Deux propositions européennes en matière d'abus de marché La Commission européenne a proposé le 20 octobre 2011 de nouvelles règles concernant la prévention et la sanction des opérations d’initiés et des manipulations de marché au sein de l’Union européenne. Communiqué Comm. UE n° IP/11/1217, 20 oct. 2011 ; Communiqué Comm. UE n° IP/11/1218, 20 oct. 2011
La Commission européenne a d’abord présenté une proposition de règlement sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché afin d’actualiser et de renforcer le cadre établi par la directive n° 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 (dite « Abus de marché »). La réforme présentée a trois objectifs précis : – Tout d’abord, il s’agit de permettre à la réglementation de suivre l’évolution des marchés financiers. Depuis l’entrée en vigueur de la directive, les marchés financiers ont beaucoup évolué et il est donc apparu nécessaire d’adapter la réglementation afin qu’elle porte sur les transactions effectuées sur toutes les plates-formes et pour tous les instruments financiers. Le champ d’application de la législation européenne doit ainsi être élargi aux instruments financiers négociés uniquement sur des systèmes multilatéraux et sur d’autres systèmes de négociation organisée, ainsi qu’aux instruments financiers négociés de gré à gré. – Ensuite, il s’agit de renforcer les pouvoirs d’investigation et de sanction des autorités de régulation. La proposition étend par exemple la notification des transactions suspectes aux ordres non exécutés et aux transactions de gré à gré suspects. Lorsqu’il existe des raisons de penser qu’une opération d’initié ou de manipulation de marché a été commise, la proposition prévoit que les autorités de régulation puissent obtenir auprès des opérateurs de télécommunications les enregistrements des échanges téléphoniques et de données ou accéder à des documents ou des locaux privés (sous réserve de l’obtention d’un mandat judiciaire). – Enfin, il s’agit de réduire les contraintes administratives pour les émetteurs qui sont des petites et moyennes entreprises. Il est proposé de les dispenser de l’obligation de dresser des listes d’initiés sauf demande contraire de l’autorité de surveillance et de relever le seuil relatif à la notification des opérations par les dirigeants. Le même jour, la Commission a présenté en complément une proposition de directive qui impose aux États membres de l’Union européenne de prendre les mesures nécessaires pour que les infractions pénales d’opération d’initié et de manipulation de marché soient passibles de sanctions pénales. La proposition impose aussi aux États membres de prévoir des sanctions pénales en cas d’incitation à commettre des opérations d’initié et des manipulations de marché et en cas de complicité ou de tentative. Actuellement, il y a de grandes différences entre les législations des États membres concernant la sanction des
abus de marché. Pour la première fois, la Commission a donc décidé d’appliquer l’article 83, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (dit traité de Lisbonne) qui prévoit l’adoption de règles minimales communes de droit pénal lorsque cela s’avère essentiel pour assurer la mise en œuvre efficace d’une politique de l’Union européenne ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation. Ces deux propositions de textes ont été transmises au Parlement européen et au Conseil pour négociation et adoption. V.M. ➤ Lamy droit du financement 2011, n° 1094
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ACTUALITÉS
DROIT DU FINANCEMENT
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Délit d’initié et prévisibilité de la loi Par quatre voix contre trois, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont estimé qu’il n’y avait pas eu violation par la France de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (« pas de peine sans loi ») en raison de la prétendue insuffisante prévisibilité de la loi applicable au délit d’initié. CEDH, 5e sect., 6 oct. 2011, aff. 50425/06, Soros c/ France
Le requérant, fondateur d’un important fonds d’investissement sur les marchés boursiers, avait, après une longue procédure, été déclaré coupable de délit d’initié et condamné à payer une amende d’environ un million d’euros par les juridictions françaises pour avoir acheté en 1988 des titres d’une grande banque française alors qu’il détenait, de par ses fonctions, une information privilégiée sur leur évolution. Dans sa requête, introduite fin 2006 devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), il se plaignait notamment d’une imprécision au moment de sa condamnation, des éléments constitutifs du « délit d’initié ». Selon la définition donnée par l’article 10-1 de l’ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 applicable à l’époque des faits, un délit d’initié ne peut être commis que par un professionnel ayant un lien avec la société cible. Le requérant invoquait l’insuffisante prévisibilité de la loi française et la violation de l’article 7 (« pas de peine sans loi ») de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH ne partage pas cet avis et explique pourquoi il n’y a pas eu violation par la France de cet article en raison de la prétendue insuffisante prévisibilité de la loi applicable au délit d’initié. La Cour déclare tout d’abord qu’en raison du principe de généralité des lois, leur libellé ne peut présenter une précision absolue. La Cour reconnaît que la définition du terme « initié » est assez générale mais relève que chacune des juridictions françaises ayant jugé le requérant a estimé que la loi était assez précise pour qu’il sache qu’il ne devait pas investir dans des titres de cette banque tout en détenant une information privilégiée. La Cour nous informe ensuite que le requérant est le premier justiciable a être poursuivi en France pour ce type de délit sans être lié professionnellement ou contractuellement à la société dont il a acquis les titres >
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➤ Lamy droit du financement 2011, nos 1099 et 1101
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mais estime qu’on ne peut pas pour autant reprocher un manque de prévisibilité de la loi. Enfin, la Cour rappelle aussi qu’à l’époque des faits, le requérant, de par son statut et son expérience (investisseur institutionnel bien connu, familier du monde des affaires et participant à des projets financiers de grande envergure), ne pouvait ignorer que son investissement dans les titres de la banque comportait le risque de le faire tomber sous le coup du délit d’initié prévu par la loi. V.M.
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Modifications du règlement général de l’AMF suite à la transposition de la directive OPCVM IV Afin de compléter la transposition de la directive n° 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009, dite « OPCVM IV », dans le Code monétaire et financier, l’AMF a procédé à des modifications des Livres III et IV de son règlement général, lesquelles ont été homologuées par arrêté du 3 octobre 2011. Arr. min. 3 oct. 2011, NOR : EFIT1123311A, JO 20 oct.
Confirmation de la dispense d’OPA accordée pour reclassement intra-groupe
Afin de stopper la montée du groupe LVMH dans le capital de la société en commandite par actions Hermès International (LVMH avait pris par surprise 17 % du capital d’Hermès fin octobre 2010 et a, depuis, porté cette participation à environ 21,4 %), les actionnaires familiaux d’Hermès ont annoncé fin décembre 2010 leur décision de créer une holding regroupant 50,2 % du capital et au moins autant en droits de vote. Cette holding qui franchirait ainsi le seuil de 30 % du capital et des droits de vote d’Hermès serait dans l’obligation de déposer un projet d’offre publique d’achat visant les actions restantes en application de l’article 234-2 du règlement général de l’AMF. Afin d’éviter d’avoir à lancer une offre publique d’achat, les actionnaires majoritaires d’Hermès ont demandé à l’AMF une dérogation à cette obligation sur le fondement de l’article 234-9, 7°, du règlement général de l’AMF qui prévoit la possibilité d’octroyer une telle dérogation en cas d’« opération de reclassement, ou s’analysant comme un reclassement, entre sociétés ou personnes appartenant à un même groupe » (reclassement intra-groupe). Le Collège de l’Autorité de régulation a accordé cette dérogation au cours de sa séance du 6 janvier 2011 (AMF, déc. n° 211C0008, 6 janv. 2011 ; AMF, déc. n° 211C0024, 7 janv. 2011) et l’Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM) a alors formé un recours devant la Cour d’appel de Paris afin de demander l’annulation de cette décision. La Cour d’appel rejette cette demande et confirme la dispense d’OPA octroyée par l’AMF. Pour la Cour comme pour l’Autorité de régulation, la dérogation est accordée car il s’agit bien d’une opération de reclassement intra-groupe (groupe « familial »), sans incidence sur le contrôle de la société Hermès. V.M.
Rappelons que la transposition de la directive OPCVM IV attendue pour le 1er juillet 2011 a finalement eu lieu un mois plus tard avec la publication de l’ordonnance de transposition n° 2011-915 du 1er août 2011 et de ses trois décrets d’application (cf. RLDA 2011/63, n° 3589 et RLDA 2011/64, n° 3656). En application de cette ordonnance, l’AMF a modifié les Livres III et IV de son règlement général. Dans un communiqué de presse du 21 octobre 2011, l’Autorité de régulation précise que les principales modifications du Livre III « prestataires » portent sur : – les conditions dans lesquelles les sociétés de gestion de portefeuille peuvent placer leurs fonds propres (Règl. gén. AMF, art. 312-3 et 312-4) ; – l’application de la procédure de traitement des réclamations prévue par la directive OPCVM IV aux réclamations émanant des clients (Règl. gén. AMF, art. 313-8) ; – l’application du dispositif de gestion des risques prévu par la directive OPCVM IV à la gestion d’OPCVM ainsi qu’à la gestion individuelle et à la gestion d’OPCI (Règl. gén. AMF, art. 313-53-2 à 313-53-7) ; – l’adaptation du contenu de la convention-type conclue entre la société de gestion de portefeuille et le dépositaire à la directive OPCVM IV (Règl. gén. AMF, art. 323-11). Dans ce même communiqué, l’AMF présente les principales modifications du Livre IV « produits d’épargne collective » qui portent sur : – l’application de la procédure de notification transfrontière pour les OPCVM français qui souhaitent commercialiser leurs parts ou actions à l’étranger (Règl. gén. AMF, art. 411-136 à 411-138) ; – l’application des régimes d’autorisation des fusions transfrontalières des OPCVM coordonnés et des structures « maîtrenourricier » (Règl. gén. AMF, art. 411-44 et s. et art. 411-85 et s.) ; – le remplacement du prospectus simplifié par un document clair et synthétique contenant des « informations clé pour l’investisseur » (Règl. gén. AMF, art. 411-106 à 411-112). Rappelons ici que l’AMF avait anticipé le passage du prospectus simplifié au document d’information clé pour l’investisseur (DICI) en publiant dès le 17 novembre 2010 un guide, à destination des sociétés de gestion de portefeuille, précisant le champ d’application, le calendrier et les modalités techniques de passage au DICI (Communiqué AMF, 17 nov. 2010). De plus, début 2011, l’AMF avait déjà modifié certaines dispositions de son règlement général afin de permettre un passage anticipé au DICI pour les OPCVM non coordonnés et les OPCI grand public. Ces modifications avaient été homologuées par un arrêté du 22 février 2011 (Arr. min. 22 févr. 2011, NOR : EFIT1103072A, JO 2 mars, RLDA 2011/59, n° 3381). V.M.
➤ Lamy droit du financement 2011, n° 1679
➤ Lamy droit du financement 2011, nos 1856 et s.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 15 septembre 2011, confirme la dispense d’offre publique d’achat accordée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) début janvier 2011 aux actionnaires majoritaires d’Hermès. CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 15 sept. 2011, n° RG : 11/00690, ADAM c/ Dumas et a.
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Identité de nom entre le souscripteur et le bénéficiaire d’un billet à ordre Dans un arrêt du 13 septembre 2011, la Cour de cassation se prononce sur la validité d’un billet à ordre dont le souscripteur et le bénéficiaire sont identiques. Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-19.963, P+B
En application de l’article L. 512-1 du Code de commerce, un billet à ordre doit obligatoirement contenir le nom de celui auquel ou à l’ordre duquel le paiement doit être fait (le bénéficiaire du paiement). En l’absence d’une telle indication, le billet ne vaut pas comme billet à ordre. Il doit aussi, en application de ce même article, contenir obligatoirement la signature du souscripteur qui ne peut pas se désigner lui-même comme bénéficiaire. Or, en l’espèce, un billet à ordre indiquait la même personne en tant que souscripteur et en tant que bénéficiaire (une banque). Condamné en paiement par la Cour d’appel, l’avaliste du billet à ordre a formé un pourvoi en cassation dans lequel il soutenait notamment que ce billet devait être déclaré nul du fait de l’identité de nom entre souscripteur et bénéficiaire. La Cour de cassation rejette ce pourvoi et confirme le raisonnement des juges du fond qui après avoir retenu que « l’endossement au profit de la banque lui confère la qualité de bénéficiaire du titre » en ont déduit à bon droit que le billet à ordre n’était pas nul car il « respectait par suite de l’endossement à un tiers les exigences légales ». V.M.
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➤ Lamy droit du financement 2011, n° 2664
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Recours cambiaire du porteur d’un chèque impayé et opposition irrégulière du tireur Le porteur d’un chèque a un recours fondé sur le droit cambiaire qui subsiste en cas de déchéance ou de prescription contre le tireur qui a fait opposition en dehors des cas prévus par la loi. Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-21.812, P+B
L’article L. 131-59, alinéa premier, du Code monétaire et financier dispose que « les actions en recours du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés se prescrivent par six mois à partir de l’expiration du délai de présentation ». Le troisième alinéa de cet article prévoit néanmoins « qu’en cas de déchéance ou de prescription, il subsiste une action contre le tireur qui n’a pas fait provision ou les autres obligés qui se seraient enrichis injustement ». La Cour de cassation vient
préciser dans un arrêt du 27 septembre 2011 que l’action cambiaire du porteur d’un chèque impayé subsiste aussi malgré la prescription lorsque le tireur a fait une opposition irrégulière. La Haute Juridiction assimile ainsi cette opposition irrégulière du tireur au cas où ce dernier n’a pas fait provision. En l’espèce, trois chèques présentés à l’encaissement par leur porteur ont été retournés impayés en raison de l’opposition pour perte du tireur. Après avoir déposé plainte pour escroquerie, le porteur du chèque a assigné en paiement le tireur qui lui a opposé la prescription et contesté la dette. La demande du porteur a été rejetée par la cour d’appel aux motifs que son action cambiaire était prescrite en application de l’alinéa premier de l’article L. 131-59 du Code monétaire et financier et qu’il n’était pas contestable que l’opposition formée par le tireur était irrégulière. La Cour de cassation censure le raisonnement des juges du fond et décide que lorsque le tireur a fait une opposition en dehors des cas prévus par la loi, donc irrégulière, le recours cambiaire du porteur du chèque impayé contre ce tireur subsiste en cas de déchéance ou de prescription. • OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur cet arrêt, cf. l’éclairage de Jamel Djoudi à paraître dans le prochain numéro de la Revue Lamy Droit des affaires (RLDA 2011/66).
V.M. ➤ Lamy droit du financement 2011, nos 2846, 2878 et s.
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INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET DE CRÉDIT
ACTUALITÉS
DROIT DU FINANCEMENT
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Chèque litigieux et secret bancaire La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 octobre 2011, vient préciser les règles d’application du secret bancaire pour la production de chèques en copie recto-verso à la demande d’un tireur. Cass. com., 11 oct. 2011, n° 10-10.490, P+B
Depuis un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 juin 1995 (confirmé à plusieurs reprises), le tireur d’un chèque ne peut obtenir la communication du verso de celui-ci car les informations qu’il contient (coordonnées bancaires du bénéficiaire) sont couvertes par le secret bancaire (Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-16.317, cf. Lamy droit du financement 2011, n° 3146). Il existe néanmoins des exceptions dans lesquelles les règles du secret bancaire ne peuvent pas être invoquées pour la communication du verso d’un chèque. En l’espèce, une banque a réglé divers chèques tirés sur les comptes de deux sociétés (les tireurs) tenus en ses livres et présentés au paiement par une autre banque. Les tireurs ont recherché la responsabilité des deux banquiers (tiré et présentateur) pour fautes commises lors de l’encaissement et du paiement de ces chèques. Selon les tireurs, les banquiers n’avaient pas procédé à la vérification des endossements frauduleux commis par leur comptable. Les juges du fond ont ordonné la production en copie recto-verso des chèques litigieux à la demande des tireurs afin de pouvoir évaluer si l’encaissement et le paiement de ces chèques étaient fautifs ou non. Le banquier tiré a alors formé un pourvoi immédiat soutenant que les juges avaient commis un excès de pouvoir en ordonnant la production du verso de ces chèques litigieux et >
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en conséquence, la divulgation d’informations couvertes par le secret bancaire. La Cour de cassation qui n’est pas de cet avis explique que les juges du fond ont pu ordonner la production de ces chèques car ils ont « relevé que la communication de ces pièces intervenait dans un litige opposant les banquiers respectivement présentateur et tiré des chèques litigieux aux [tireurs de ceux-ci] qui leur reprochaient un comportement fautif en l’absence de vérification des endossements frauduleux opérés par leur
En bref… Vers une taxe sur les transactions financières La Commission européenne a présenté le 28 septembre 2011 une proposition de taxe sur les transactions financières dans les 27 États membres de l’Union européenne (UE). L’objectif principal de cette taxe est de mettre à contribution le secteur financier, afin qu’il participe aux coûts de reconstruction des économies européennes. Cette taxe serait prélevée sur toutes les transactions sur instruments financiers entre institutions financières lorsqu’au moins une des parties à la transaction est située dans l’UE. L’échange d’actions et d’obligations serait taxé à un taux de 0,1 % et les contrats dérivés à un taux de 0,01 %. Les recettes ainsi perçues s’élèveraient à environ 57 milliards d’euros par an et seraient partagées entre l’UE et
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comptable » et en ont déduit que « les règles du secret bancaire ne pouvaient être invoquées ». La Haute Juridiction déclare irrecevable le pourvoi car les juges n’ont pas commis d‘excès de pouvoir. Ainsi, le secret bancaire ne peut pas être invoqué lorsque le but de la production du verso d’un chèque est, comme en l’espèce, de rechercher et prouver la responsabilité de la banque. V.M. ➤ Lamy droit du financement 2011, nos 3145 et s.
les États membres. Ces derniers pourraient de surcroît décider d’augmenter la part de recettes générées en taxant les transactions financières à un taux plus élevé. Cette proposition a ensuite été présentée lors du sommet du G 20 à Paris milieu octobre mais les ministres des Finances ont rejeté massivement l’idée d’instaurer une telle taxe au niveau international. La proposition de la Commission doit maintenant être examinée par les États membres au Conseil des ministres de l’UE. Elle devrait prendre effet à compter du 1er janvier 2014. Communiqué Comm. UE n° IP/11/1085, 28 sept. 2011
Nyse Euronext : lancement d’un nouvel indice boursier Le 11 octobre 2011, NYSE Euronext a annoncé le lancement d’un nouvel indice, l’indice CAC® International 25, qui suit les performances des 25 plus grandes sociétés multinationales cotées sur NYSE Euronext à Paris et se base sur la capitalisation boursière totale et le montant des volumes échangés localement. Ce
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nouvel indice a pour but d’accroître la visibilité des entreprises internationales cotées à Paris. Il est précisé qu’il est calculé et publié une fois par jour après clôture du marché et qu’il sera révisé chaque année en septembre et rééquilibré quatre fois par an en mars, juin, septembre et décembre. Communiqué NYSE Euronext, 11 oct. 2011
Publication par l’AMF de nouveaux guides pratiques L’AMF propose une nouvelle collection de guides pratiques répartis en cinq thèmes principaux : l’AMF, les clés de votre investissement, les marchés financiers et leurs acteurs, les produits d’épargne et les sociétés cotées. Elle précise que l’ensemble des fiches a été revu et que les sujets sont abordés de manière plus simple, plus claire et plus synthétique. Une liste de treize titres déjà disponibles est donnée ainsi qu’une liste des cinq titres publiés en novembre. D’autres titres seront publiés en 2012. Communiqué AMF, 14 oct. 2011
Sous la direction scientifique de Roger BOUT, Agrégé des Facultés de droit, Professeur émérite de l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Marc BRUSCHI, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, Monique LUBY, Professeur à l’Université de Pau et Sylvaine POILLOT-PÉRUZZETTO, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à l’Université des Sciences sociales de Toulouse I.
Non-respect d’engagements : l’Autorité de la concurrence sévit et retire l’autorisation de rachat de TPS par Groupe Canal Plus PPar M Matthieu tthi ADAM
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Avocat au Barreau de Paris Associé, Fasken Martineau
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
En remettant en cause une concentration autorisée plus de cinq ans après et en infligeant une amende conséquente à Groupe Canal Plus, la décision Canal Plus est un véritable coup de tonnerre. L’Autorité de la concurrence assoit ainsi sa position et envoie un message fort aux entreprises en leur rappelant la nécessité de se conformer de façon diligente et complète aux engagements qu’elles souscrivent en échange de l’autorisation de réaliser une concentration. Aut. conc., déc n° 11-D-12, 20 sept. 2011 (publiée le 21 septembre 2011), relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus
e 20 septembre 2011, l’Autorité de la concurrence française a rendu une décision remarquée concernant le secteur de la télévision payante en ordonnant pour la première fois depuis qu’un régime de contrôle des concentration existe en
France (le 13 novembre 2006, le ministre de l’Économie avait déjà retiré une décision d’autorisation de concentration qu’il avait accordée le 4 octobre 2006 [lettre min. éco. n° C2006-96, 13 nov. 2006, relative à l’acquisition de Lorenz Bahlsen Snack-World SAS France par Vico SA) mais cela résultait des informations inexactes qui avaient été fournies au ministre dans la notification de l’opération de concentration. Il avait également infligé une amende de 10 000 d’euros à la société Vico SA.), outre le prononcé d’une amende de 30 millions
d’euros, la déconcentration d’une fusion notifiée et autorisée au motif d’une violation des engagements souscrits par l’acquéreur au moment de l’autorisation de l’opération en 2006 (cf. le communiqué de presse de l’Autorité de la concurrence en anglais : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/ user/standard.php?id_rub = 389 & id_article = 1697 ou en français : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub = 388 & id_article = 1696, et la décision de l’Autorité de la concurrence (en français) : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/11d12.pdf).
L’Autorité de la concurrence a considéré que Groupe Canal Plus (opérateur français de télévision payante, filiale de la société de communication Vivendi Universal) n’a pas respecté 10 des 59 engagements qui avaient été imposés par le ministre de l’Économie (le ministre de l’Économie était à cette époque l’autorité disposant du pouvoir décisionnel en matière de contrôle des concentrations) lors du rachat de son concurrent dans la télévision payante, TPS.
I. — RAPPEL DES FAITS
Compte tenu des nombreux risques identifiés au moment de l’examen de la concentration en 2006, le Conseil de la concurrence, qui avait été saisi pour avis par le ministre de l’Économie sous l’empire des dispositions du Code de commerce alors applicables – réformées depuis par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (dite « loi LME ») –, avait recommandé dans son avis n° 06-D-13 (Cons. conc., avis n° 06-D-13, 13 juill. 2006, relatif à l’acquisition des sociétés TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus) d’assujettir l’opération à un nombre important d’engagements. Suivant en grande partie les recommandations du Conseil de la concurrence, le ministre de l’Économie, dans sa décision n° C2006-02 (lettre min. éco., 30 août 2006, aux conseils de la société Vivendi Universal, relative à une concentration dans le secteur de la télévision payante), avait subordonné la fusion à la mise en œuvre de différents engagements pendant une durée de cinq ou six ans destinés à apporter des solutions aux problèmes de concurrence identifiés. La finalité des engagements contenus dans la décision d’autorisation de 2006 était de permettre aux distributeurs de télévision payante subsistants (pour l’essentiel les fournisseurs d’accès à Internet) d’accéder à des contenus suffisamment attractifs pour constituer des bouquets de chaînes payants compétitifs préservant la concurrence sur le marché aval de la distribution de télévision payante. En vertu des anciennes dispositions du Code de commerce jusqu’au 2 mars 2009, date d’entrée en vigueur des dispositions de la loi LME, le ministre de l’Économie avait compétence pour suivre l’exécution de ses décisions (en cas d’inexécution par une
des films en première exclusivité et des manifestations sportives de première qualité. À ce titre, elles sont considérées comme un élément indispensable de l’offre des distributeurs afin de susciter de façon attractive de nouveaux abonnements) et avait renforcé
entreprise de ses engagements, le ministre de l’Économie pouvait saisir pour avis le Conseil de la concurrence. Si ce dernier constatait l’inexécution, le ministre de l’Économie pouvait alors retirer sa décision ayant autorisé la réalisation de l’opération, enjoindre sous astreinte à l’entreprise d’exécuter ses engagements et prononcer une sanction pécuniaire. Par deux fois [Arr. min. éco., 21 août 2007, relatif à l’inexécution par le groupe Carrefour de ses engagements déposés au titre du contrôle des concentrations ; Arr. min. éco., 17 nov. 2008, relatif à l’inexécution par les sociétés TF1 et AB Groupe de leurs engagements déposés au titre du contrôle des concentrations], le ministre de l’Économie avait prononcé des injonctions et sanctionné des entreprises à payer des amendes sur le fondement de ces dispositions). Il
la position dominante de Groupe Canal Plus sur le marché aval de la distribution de télévision payante. Les opérateurs télécoms (notamment Orange) avaient contesté la fusion et s’étaient opposés vigoureusement à Groupe Canal Plus.
avait saisi le Conseil de la concurrence le 4 juillet 2008 pour vérifier l’exécution des engagements souscrits par Groupe Canal Plus. La loi du 4 août 2008 ayant modifié le régime applicable avant que le Conseil de la concurrence ait pu se prononcer sur >
La fusion notifiée en 2006 au ministre de l’Économie concernait les deux principaux acteurs du marché de la télévision payante, CanalSatellite, d’une part, et TPS, d’autre part. Elle avait abouti à la création d’un monopole sur l’édition et la commercialisation de chaînes premium (les chaînes premium diffusent
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N O N - R E S P E C T D ’ E N G A G E M E N T S : L’ A U T O R I T É D E L A C O N C U R R E N C E S É V I T E T R E T I R E L’ A U T O R I S AT I O N D E R A C H AT D E T P S PA R G R O U P E C A N A L P L U S
cette saisine, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de ce dossier, a constaté l’inexécution des engagements et a fait pour la première fois usage de son pouvoir autonome de sanction en la matière dans la décision commentée.
engager « les recours qui s’imposent ». Groupe Canal Plus a depuis saisi le Conseil d'État d'un recours qui est en cours d'examen à la date de publication de cet article. Les conséquences immédiates de la décision de l'Autorité de la concurrence étaient considérables, puisque Groupe Canal Plus était placé dans l’obligation de revenir en l’état antérieur II. — LES MANQUEMENTS AUX ENGAGEMENTS (avant la fusion de 2006) ou de notifier à nouveau l’opération CONSTATÉS à l’Autorité dans le délai d’un mois. Il va sans dire qu’un retour à la situation antérieure poserait des difficultés pratiques L’Autorité de la concurrence a estimé que des manquements immenses. Logiquement et confirmant ses propos rapportés graves aux engagements traduisant des négligences, un par le journal La Tribune peu après la décision d'annulation manque de diligence et une mauvaise volonté répétés de (Groupe Canal Plus aurait déclaré : « Il n’est naturellement pas envisageable de remettre Groupe Canal Plus, ainsi que l’existence d’une atteinte à la concurrence, étaient constitués. en cause une fusion intervenue voilà près de cinq ans »), Groupe Canal Plus a L’Autorité de la concurrence a considéré que Groupe Canal déposé une nouvelle notification de l'opération de concenPlus : tration auprès de l'Autorité de la concurrence le 24 octobre – a tardé à mettre à disposition des distributeurs tiers les sept 2011 en faisant toutes réserves sur le principe même de cette chaînes qu’il devait dégrouper, ce qui a notification compte tenu du recours indonné un avantage à sa nouvelle offre troduit devant le Conseil d'État. Les conséquences « Le Nouveau CanalSat », Tout nouvel examen de la concentraimmédiates de la – a dégradé la qualité des chaînes qu’il tion par l’Autorité de la concurrence devait dégrouper, et devra prendre en compte l’ensemble des décision de l'Autorité de – n’a pas respecté certains engagements données de fait existant à la date de la la concurrence étaient concernant les relations avec les chaînes nouvelle décision, c’est-à-dire en tenant considérables, puisque de télévision indépendantes et tierces. compte de toutes les modifications interGroupe Canal Plus était L’Autorité de la concurrence a rejeté venues depuis la décision d’autorisation placé dans l’obligation de l’argumentation invoquée par Groupe de 2006 dans la structure concurrenrevenir en l’état antérieur Canal Plus en tant que circonstance tielle du marché de la télévision payante atténuante tenant au fait qu’elle avait et des marchés connexes. À cet égard, (avant la fusion de 2006) respecté plus de 80 % des engagements Groupe Canal Plus a annoncé début ou de notifier à nouveau souscrits. Outre le fait que l’Autorité de septembre la prise de contrôle des deux l’opération à l’Autorité la concurrence a objecté qu’une telle chaînes de la TNT gratuite du groupe dans le délai d’un mois. proportion était en elle-même contesBolloré, une opération qui devrait avoir table, les différents engagements étant un impact significatif sur le paysage d’une nature et d’une portée très différentes, elle a indiqué audiovisuel français. Si cette dernière opération était validée, que le respect de l’ensemble des 59 engagements était en tout elle permettrait à Groupe Canal Plus de disposer au total de état de cause nécessaire pour prévenir les risques d’atteinte trois chaînes gratuites sur la TNT en comptant iTélé, faisant à la concurrence qui avaient été identifiés. ainsi jeu égal avec TF1, propriétaire de TMC et NT1, et disBien que l’article L. 430-8 du Code de commerce français offre tançant M6, détenteur de W9. Il s’agit donc là d’éléments l’alternative à l’Autorité de la concurrence, en cas de manquenouveaux que l’Autorité de la concurrence ne manquera pas ments constatés à des engagements, soit de retirer la décision de prendre en compte dans le cadre du nouvel examen de la d’autorisation, soit d’enjoindre sous astreinte à la partie liée fusion avec TPS. par les engagements de les exécuter, l’Autorité de la concurCompte tenu des circonstances ayant conduit l’Autorité de la rence a décidé d’ordonner directement la déconcentration. concurrence à prendre sa décision d’annulation, il est fort proDe l’avis de l’Autorité de la concurrence, une mesure d’inbable qu’elle conditionnera toute nouvelle autorisation à des jonction n’aurait pas permis de remédier à l’absence continue engagements très stricts et différents. À cet égard, le Président de respect par Groupe Canal Plus des engagements imposés de l’Autorité de la concurrence a d’ores et déjà déclaré dans depuis 2007 et de compenser les atteintes à la concurrence en un entretien publié dans le journal d’informations français résultant. En outre, compte tenu du terme particulièrement Le Monde du 22 septembre 2011 que tout nouveau feu vert proche des engagements concernés (dont les plus importants serait conditionné à la mise en place « d’une régulation forte ». devaient expirer en avril 2012), une exécution tardive de ceux-ci n’aurait pas été susceptible de garantir efficacement IV. — LA SANCTION PÉCUNIAIRE DE 30 MILLIONS une concurrence suffisante sur le marché de la télévision D’EUROS : UNE AMENDE À LA HAUTEUR DU GAIN payante.
ÉCONOMIQUE RÉALISÉ ?
III. — CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION Groupe Canal Plus disposait de la possibilité de former un recours non suspensif devant le Conseil d’État à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence. D'après les propos relatés par le journal La Tribune du 21 septembre 2011, Groupe Canal Plus n’avait pas tardé à réagir en estimant que la décision de l’Autorité de la concurrence revêtait un « caractère très inhabituel », en notant « la disproportion par rapport aux supposés manquements relevés » et en assurant
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Sur le fondement de l’article L. 430-8 du Code de commerce (cet article dispose que le montant maximum de la sanction pécuniaire pouvant être infligée à une personne morale pour non exécution d’engagements fixés dans la décision d’autorisation de concentration s’élève à 5 % de son chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu’a réalisé en France durant la même période la partie acquise), Groupe Canal Plus a
été condamné à payer une amende de 30 millions d’euros, l’Autorité de la concurrence ayant caractérisé des manquements intentionnels aux engagements résultant de la décision d’autorisation de 2006.
Certes, il s’agit de l’amende la plus importante jamais infligée en France pour le non-respect d’engagements liés à une décision d’autorisation de concentration. Il est toutefois permis de s’interroger sur le caractère dissuasif du montant de cette sanction compte tenu de l’importance du marché de la télévision payante. Comme le rappelle l’Autorité de la concurrence dans sa décision, « [l]a sanction pouvant être imposée en cas de non-respect d’engagements souscrits dans le cadre d’une opération de concentration, et conditionnant l’autorisation de celle-ci par l’Autorité – ou antérieurement par le ministre chargé de l’économie – doit en tout état de cause être déterminée de telle sorte que l’entreprise ayant pris les engagements ne soit pas incitée à se livrer à un calcul économique consistant à les proposer à l’Autorité en vue d’obtenir l’autorisation de la concentration, mais sans vouloir les exécuter effectivement ou sans prendre les mesures nécessaires à cet effet. Il importe donc que la sanction pécuniaire imposée en cas de non-respect d’engagements soit fixée à un niveau suffisant pour dissuader les intéressés de ne pas exécuter leurs engagements » (pt. 220). On ne peut que regretter que l’Autorité de la concurrence ne détaille pas dans sa décision les éléments de nature à mettre en rapport la sanction pécuniaire prononcée avec le gain économique que la violation des engagements pendant une aussi longue période a pu procurer à Groupe Canal Plus (migration d’abonnés, non réalisation d’investissements dans les grilles de programmes, impossibilité pour les concurrents de mettre à la disposition de leurs abonnés des bouquets compétitifs, etc.). Cette décision, bien qu’intervenant dans un contexte particulier, rappelle utilement qu’il est indispensable pour tout acteur ayant souscrit des engagements dans le cadre d’une opération de concentration, de les respecter dans leur intégralité sans pouvoir réaliser une mise en balance des engagements les uns avec les autres, ce qui nécessite en amont d’appréhender les conséquences pratiques de tels engagements, tout particulièrement lorsqu’ils comprennent des engagements comportementaux sur une longue durée.
Force est de constater que la situation sanctionnée en l’espèce par l’Autorité de la concurrence illustre la limite d’un recours massif à des engagements complexes et malaisés à contrôler pour résoudre l’ensemble des problèmes identifiés au stade du contrôle d’une concentration, ce d’autant plus sur un marché aussi évolutif que celui de la télévision payante. Elle doit conduire l’Autorité de la concurrence et les entreprises à s’interroger sur la nature et l’ampleur des engagements comportementaux discutés lors de l’examen d’une opération notifiée. En effet, dès lors que les engagements consistent en des obligations de faire dont l’exécution par l’entreprise qui en est la débitrice est par hypothèse fortement susceptible d’être sujette dans le temps à de multiples aléas et à des difficultés significatives, qu’ils soient involontaires ou résultent d’une mauvaise volonté ou de négligences, il convient d’évaluer leur réelle substituabilité, en pratique, avec des engagements structurels. En l’espèce, rappelons que les nombreux engagements souscrits avaient, pêle-mêle, pour objectif de faciliter l’accès à des droits cinématographiques et sportifs, mettre à disposition d’opérateurs concurrents des chaînes, garantir que les négociations concernant la reprise de chaînes indépendantes et leur distribution par Groupe Canal Plus soient conduites de manière objective et transparente, de façon à préserver leur autonomie et permettre l’enrichissement des bouquets concurrents. Il est dès lors bien évident que Groupe Canal Plus était placé dans une situation où il était naturellement tenté de ne pas s’y soumettre pleinement ou, à tout le moins, d’en différer le plus possible l’exécution compte tenu de ses intérêts économiques. Sans doute l’Autorité de la concurrence a-t-elle souhaité marquer les esprits en frappant un grand coup afin d’asseoir son pouvoir décisionnel récent en matière de contrôle des concentrations (non seulement a priori mais également a posteriori). Il lui reste à présent à démontrer sa capacité à dénouer de façon créative l’écheveau résultant de l’inexécution des engagements qui avaient été imposés dans la décision annulée. ◆
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ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
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Par Jean-Louis i LESQUINS Avocat Associé DS AVOCATS
Et Lil Lila FERCHICHE
Exemptabilité de l’interdiction des ventes sur Internet : l’étau se resserre En réponse à une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Paris, la Cour de justice de l’Union européenne indique que l’interdiction des ventes en ligne pour des produits de parapharmacie constitue une restriction de concurrence par objet, et est en principe interdite par l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sans exclure toutefois la possibilité d’exempter cette interdiction, sous réserve que les conditions énoncées à l’article 101, paragraphe 3, du Traité soient remplies. CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence
RLDA
Avocat à la Cour DS AVOCATS
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L
e 13 octobre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt en interprétation dans l’affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, répondant à une question préjudicielle introduite deux ans auparavant par la Cour d’appel de Paris sur le point de savoir : « si l’interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective constitue effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1 du Traité CE échappant à l’exemption par catégorie prévue par le Règlement n° 2790/1999 mais pouvant éventuellement bénéficier d’une exemption individuelle en application de l’article 81 paragraphe 3 du Traité CE » ? (CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 29 oct. 2009, n° 2008/23812, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS). Le litige à l’origine de ce renvoi préjudiciel concernait la licéité, au regard du droit des ententes français et communautaire, d’une clause des conditions générales de distribution et de vente des marques de la société Pierre Fabre DermoCosmétique, qui stipule que : « [l]e distributeur agréé doit s’engager à ne délivrer les produits (…) que dans un point de vente matérialisé et individualisé (…) » (en 2008, le Conseil de la concurrence avait enjoint à Pierre Fabre de supprimer cette clause de tous ses contrats de distribution sélective – Cons. conc., déc. n° 08-D-25, 29 oct. 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle vendus sur conseils pharmaceutiques), dont il suit l’interdiction
faite aux distributeurs agréés de procéder à des ventes sur Internet. Il convient de remarquer, pour la bonne compréhension de l’arrêt, que cette clause pouvait être lue soit isolément, soit en relation avec celles qui, dans le même contrat, la précèdent immédiatement, et qui disposent que : « Le distributeur agréé doit justifier de la présence physique et permanente dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture de celui-ci, d’au moins une personne spécialement qualifiée par sa formation pour :
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– acquérir une parfaite connaissance des caractéristiques techniques et scientifiques des produits (…), nécessaire à la bonne exécution des obligations d’exercice professionnel (…), – donner, de façon habituelle et constante, au consommateur toutes informations relatives à la bonne utilisation des produits (…), – conseiller instantanément et sur le point de vente, le produit (…) le plus adapté au problème spécifique d’hygiène ou de soin, notamment de la peau et des phanères, qui lui est soumis. Cette personne qualifiée doit être titulaire pour ce faire, du diplôme de Pharmacien délivré ou reconnu en France (…) ». Ainsi, l’interdiction des ventes par Internet pouvait également être vue comme la conséquence de l’exigence que la délivrance des produits en cause soit accompagnée d’un conseil personnalisé, qui plus est, dispensé par un pharmacien. Il se trouve que le groupe Pierre Fabre lui-même, lors de la procédure menée par le Conseil de la concurrence, avait motivé l’interdiction des ventes en lignes, alternativement, par le souci de lutter contre les contrefaçons et de prévenir le risque de parasitisme à l’intérieur de son réseau – motifs indépendants de la défense de la clause de présence du pharmacien – et par la nécessité à ses yeux, de défendre l’image de marque des produits et d’assurer un conseil adapté aux acheteurs s’agissant de produits dont l’usage doit être encadré ou déconseillé chez certaines personnes – motifs directement liés à l’exigence de vente en présence d’un pharmacien. Comme on le verra plus loin, l’arrêt recèle la même ambivalence, l’interdiction de vente en ligne étant examinée, selon les moments, en elle-même ou en relation avec l’appréciation de l’exigence d’un conseil personnalisé. À l’instar de son avocat général (Concl. av. gén. Mazák, 3 mars 2011), la Cour de Justice a répondu à la question posée en trois étapes : – La clause contractuelle en cause dans le litige au principal constitue-t-elle une restriction de la concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ? (I.) – Le contrat de distribution sélective contenant une telle clause (dans l’hypothèse où il entre dans le champ d’appli-
cation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE) peut-il bénéficier de l’exemption par catégorie instituée par le règlement n° 2790/1999 ? (II.) – Lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable, ledit contrat peut-il néanmoins bénéficier de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE ? (III.)
I. — SUR LA QUALIFICATION DE LA RESTRICTION DE LA CLAUSE CONTRACTUELLE LITIGIEUSE COMME UNE RESTRICTION DE LA CONCURRENCE PAR OBJET La notion de restriction par objet
Brièvement, une clause restreignant la concurrence par sa teneur même n’a pas nécessairement cette restriction comme finalité. Aussi, en introduisant une définition à composantes multiples de la restriction par objet (teneur de la clause, objectif poursuivi, contexte économique et juridique dans lequel elle s’inscrit), la Cour de Justice ouvre la porte à des discussions byzantines, à moins que, par accident, l’analyse menée selon tous ces critères converge vers une restriction marquée de la concurrence. Ce qui semble être le cas en l’espèce : excluant un mode de distribution en pleine expansion, contraignant l’acheteur à bénéficier de services qu’il ne désire pas nécessairement consommer et opérant dans un contexte juridique où le nombre d’offreurs est déjà limité par le mécanisme de la distribution sélective, l’interdiction de vente sur Internet semble bien par nature, par destination, et compte tenu de son environnement, devoir rigidifier le fonctionnement du marché concerné.
À titre liminaire, la Cour de justice relève que « ni l’article 101 TFUE ni le règlement n° 2790/1999 ne se réfèrent à la notion de restriction caractérisée de la concurrence », mais à la notion de « restriction par objet », pour reformuler la question préjudicielle posée. La portée limitée de cette remarque pour La Cour applique à la l’avenir doit d’emblée être relevée, dans question de la licéité la mesure où le règlement n° 330/2010 (Règl. Comm. UE n° 330/2010, 20 avr. 2010, concernant d’une clause contractuelle
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DROIT ÉCONOMIQUE
L’absence de « justification objective »
Avant de rendre cette conclusion définitive, la Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence antérieure, que la resl’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le au regard des règles de triction par objet n’est constituée qu’à fonctionnement de l’Union européenne à des catégories concurrence une méthode la condition que la pratique en cause d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE 23 avr. d’analyse longtemps ne soit pas « objectivement justifiée ». 2010, n° L 102) qui s’est substitué au règleréservée, s’agissant Sur ce point également, l’arrêt est lapiment n° 2790/1999 le 1er juin 2010, se de mesures étatiques, daire. En première analyse, une « justifiréfère expressément dans le titre même cation objective » peut s’entendre d’une de son article 4, à la notion de « restricà l’application d’autres raison qui ne tient pas à la recherche tion caractérisée ». règles du Traité. d’un intérêt économique, qu’il s’agisse La Cour de justice répond à la première de l’intérêt particulier de son auteur ou branche de la question « qu’une clause de la simple recherche d’une efficience économique en général. contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution Il s’agirait d’une nécessité matérielle à laquelle l’on ne pourrait sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et se soustraire ou d’une obligation légale qui imposerait d’intégrer d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique la clause en question dans le contrat, ou encore de la poursuite en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour d’un intérêt général qui transcenderait l’impératif de concurrence. conséquence l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces Sans s’attarder sur les définitions, la Cour se réfère manifestement ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette aux « justifications objectives » ou « motifs légitimes », au regard disposition si, à la suite d’un examen individuel et concret desquels elle a l’habitude de considérer les restrictions quantide la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du tatives entre États membres et, plus largement, les entraves à la contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il liberté de circulation et à la liberté d’établissement. apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, On sait qu’aux justifications objectives issues de l’article 36 TFUE cette clause n’est pas objectivement justifiée ». (moralité publique, ordre public, sécurité publique, protection La Cour ne s’attarde guère sur la définition de la notion, de la santé, protection de la propriété industrielle et commerpourtant si importante, de « restriction par objet ». Elle se ciale,…), sont venues s’ajouter des exceptions jurisprudentielles, contente de renvoyer à un arrêt précédent (CJCE, 6 oct. 2009, aff. telles que la fraude à la loi, l’utilisation abusive du libre service, C-501/06, GlaxoSmithKline) dans lequel elle a jugé que, s’agissant et diverses « raisons impérieuses d’intérêt général » : protection d’une clause contractuelle, son caractère de restriction par des consommateurs et des destinataires de services, politique objet s’analyse en tenant compte de la « teneur de ses dispoculturelle et maintien du pluralisme, protection des travailleurs sitions », des « objectifs qu’il vise à atteindre » ainsi que du et lutte contre le travail dissimulé, étant entendu que ces motifs « contexte économique et juridique dans lequel il s’insère ». ne doivent pas avoir de caractère économique. L’on est alors confronté aux difficultés des définitions multiLa Cour applique donc à la question de la licéité d’une clause critères. contractuelle au regard des règles de concurrence une méthode La clause d’un contrat qui affecte la concurrence peut l’affecter d’analyse longtemps réservée, s’agissant de mesures étatiques, soit par essence, par son dispositif même, soit par finalité ou à l’application d’autres règles du Traité. Cette extension est par destination, c’est-à-dire à raison des effets qu’on désire lui légitime, dans la mesure où les mêmes raisons d’intérêt général voir produire. Ces deux éléments sont manifestement inclus peuvent permettre d’écarter l’application stricte tant des règles dans la compréhension que la Cour se fait de la « restriction sur la libre circulation que des règles de concurrence et où, par objet ». Pour autant, si par son dispositif même, une clause dans les deux cas, l’exception est soumise à un principe de peut exclure certaines offres et réduire le nombre d’opérateurs proportionnalité. Elle reste néanmoins problématique, dans la autorisés à accéder à un marché, elle peut ne pas avoir pour mesure où les « motifs légitimes » traditionnellement invoqués objectif d’affecter, de restreindre ou même de fausser la au sujet de la distribution sélective (maintien d’un commerce concurrence. À tout le moins, elle peut poursuivre, à côté de spécialisé pour la vente de produits de haute qualité et de > celui-ci, d’autres finalités, qui lui confèrent un objet composite.
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E X E M P TA B I L I T É D E L’ I N T E R D I C T I O N D E S V E N T E S S U R I N T E R N E T : L’ É TA U S E R E S S E R R E
haute technicité) ne sont pas exactement de même nature d’autant plus indispensable qu’il ne serait précisément pas que les raisons d’intérêt général qui, pour l’application de possible « en ligne ». l’article 36 TFUE, doivent rester de nature non économique En second lieu, la Cour exclut, sans s’en expliquer vraiment, (CJCE, 24 mars 1994, aff. C-275/92, Her Majesty’s Customs and Excise c/ Schindler et a. ; que la nécessité de préserver l’image de prestige des produits en cause puisse constituer un objectif légitimant une restriction et CJCE, 21 oct. 1999, aff. C-67/98, Zenatti). de la concurrence. Elle s’écarte ici au moins des conclusions L’on pourra aussi se demander si, en introduisant à ce stade de son avocat général qui avait, au contraire, opiné que l’inl’exception de la « justification objective », la Cour n’empiète terdiction des ventes sur Internet est une restriction par objet, pas, au moins en partie, sur la discussion d’une éventuelle si elle « va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour « exemption » au regard de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non dès lors que le « progrès économique » exigé pour bénéficier seulement de leurs qualités matérielles, mais aussi de leur aura de cette exception légale reçoit une acception toujours plus ou image (…) » (pt. 57, Concl. av. gén. ; souligné par nous). Mais il est vrai large. Ainsi, la sauvegarde de l’environnement, la protection du consommateur ou la préservation de la santé publique sont que si des objets de collection ou des véhicules de prestige susceptibles d’y être rattachés, dans la mesure où, objectifs (ou tous autres objets constituant des singularités au sens que non économiques par essence, ils se révèlent, à la fin, avoir les économistes donnent à ce terme), peuvent être acquis sur des effets économiques. On remarquera d’ailleurs que la Cour Internet, on discerne mal en quoi la vente en ligne comprometde Justice cite, pour écarter les « justifications objectives » trait irrémédiablement l’image de produits tels que pommades, avancées par Pierre Fabre, l’arrêt même onguents et crèmes hydratantes. que le Conseil de la concurrence avait En tout état de cause, la Cour a voulu invoqué pour rejeter l’exemption indivis’inscrire dans le sillage de sa très anLa Cour exclut, sans s’en duelle, confirmant incidemment qu’un cienne jurisprudence, qui veut que, tant expliquer vraiment, que « progrès économique » établi n’est pas la distribution sélective comme système, la nécessité de préserver loin de constituer une « justification que chacune des clauses contractuelles objective », comme c’est déjà le cas dans pouvant l’organiser doivent, pour être l’image de prestige des l’application anglo-saxonne de la « règle compatibles avec l’article 101, paraproduits en cause puisse de raison ». graphe 1, TFUE, être exigées par la naconstituer un objectif Quoi qu’il en soit, s’agissant en l’espèce ture des produits et rester strictement légitimant une restriction de produits loyaux et marchands, dont proportionnées à ce qui est nécessaire de la concurrence. la fabrication et la mise en marché est pour assurer une bonne distribution des contrôlée, les marques protégées, la produits en cause. Au-delà, on entre distribution licite et l’usage libre, de dans le champ de l’article 101, paraproduits auxquels ne s’attache aucun monopole de production graphe 1, TFUE, et la restriction est clairement une restriction ou de commercialisation et qui ne sont pas des médicaments « par objet », autrement dit par essence et par destination. et ne doivent donc pas faire l’objet d’une dispensation par Restera à l’auteur de la restriction de concurrence à motiver, un pharmacien, on ne voit pas ce qui pourrait permettre de le cas échéant, une exemption au regard de l’article 101, « justifier objectivement » l’interdiction de vendre en ligne. paragraphe 3, du même Traité. De fait, aussitôt mentionnée cette possible exception de la « justification objective » et aussitôt rappelé à la juridiction II. — SUR L’IMPOSSIBILITÉ DE BÉNÉFICIER de renvoi qu’il lui revient d’examiner la question (pt. 42 de l’arDE L’EXEMPTION « PAR CATÉGORIE » rêt), la Cour de Justice intervient dans le débat en pointant du doigt les justifications qu’elle a déjà déclarées comme L’article 2 du règlement d’exemption par catégorie prévoyait ne pouvant « objectivement » légitimer une interdiction des que l’article 81, paragraphe 1, du Traité CE ne s’applique pas ventes sur Internet. aux accords portant sur les conditions dans lesquelles les En premier lieu, la Cour indique qu’elle écarte, au regard des parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains produits libertés de circulation, les arguments relatifs à la nécessité ou services, à condition que la part du marché détenue par de fournir un conseil personnalisé au client et d’assurer la le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur protection de celui-ci contre une utilisation incorrecte de lequel il vend les biens ou services contractuels. produits comme justifiant l’interdiction de vente par Internet Cependant, l’exemption prévue à l’article 2 ci-dessus ne s’apde médicaments non soumis à prescription médicale ou de plique pas, conformément à l’article 4 c) du même règlement, lentilles de contact (pts. 44 à 46 de l’arrêt). Le même raisonnement aux accords qui restreignent les ventes actives ou passives aux consommateurs finals par les membres d’un système de distriest donc utilisé au regard de l’application de l’article 101, bution sélective opérant en tant que détaillants sur le marché, paragraphe 1, TFUE, lequel, il est vrai, vise les pratiques sus« sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du sysceptibles d’affecter non seulement le jeu de la concurrence, tème d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ». mais également le commerce intra-communautaire. Et le Or, comme la Cour de cassation avant lui (Cass. com., 14 mars 2006, raisonnement vaut a fortiori puisqu’il s’agit en l’espèce de produits qui ne sont pas des médicaments. n° 03-14.640), le Conseil de la concurrence avait estimé que l’interOn relèvera sur ce point que la Cour établit un lien direct diction des ventes sur Internet ne répondait pas à l’exception entre l’exigence de délivrance d’un conseil personnalisé et prévue à l’article 4 c) in fine ci-dessus, au motif qu’Internet l’interdiction de vendre sur Internet, emportant ensemble n’est pas un lieu de commercialisation mais seulement « un l’un et l’autre dans un considérant sans concession. Une moyen de vente alternatif ». appréciation plus nuancée eût été envisageable : il n’est pas Dans le cadre de ses observations écrites à la juridiction de impossible qu’un conseil personnalisé puisse être délivré renvoi (conformément à l’article 15, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, la Commission par Internet (webcam ou emails), ni que la délivrance d’un peut soumettre des observations aux juridictions nationales lorsque l’application cohérente conseil personnalisé dans les points de vente physiques soit de l’article 101 ou 102 du Traité l’exige), la Commission européenne avait
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partagé la même opinion, considérant pour sa part que ladite exception ne pouvait s’appliquer qu’aux points de vente « en dur » (cf., également, le pt. 57 des Lignes Directrices de la Commission sur les restrictions verticales, JOUE 19 mai 2010, n° C 130). Aussi, après avoir relevé que l’article 4 c) in fine du règlement n° 2790/1999 « ne vise que des points de vente où des ventes directes se pratiquent », la Cour de Justice répond à la deuxième branche de la question que « l’exemption par catégorie prévue à l’article 2 dudit règlement ne s’applique pas à un contrat de distribution sélective qui comporte une clause interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation des produits contractuels » (pt. 59 de l’arrêt).
III. — SUR LA POSSIBILITÉ DE BÉNÉFICIER D’UNE EXEMPTION INDIVIDUELLE (OU « EXCEPTION LÉGALE ») À la dernière branche de la question posée par la juridiction de renvoi, la Cour de justice répond clairement, et sans nouveauté, que la possibilité pour une pratique contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE de bénéficier à titre individuel, de l’exception légale prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE est de principe et découle directement du Traité (pt. 49 de l’arrêt). En effet, l’article 101, paragraphe 3, TFUE prévoit que : « (…), les dispositions [de l’article 101, paragraphe 1] peuvent être déclarées inapplicables à tout accord (…) ou pratique concertée (...) qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans : a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ; b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ». Ainsi, le bénéfice de l’exception légale est une possibilité ouverte, sous réserve de satisfaire aux quatre conditions cumulatives énoncées ci-dessus, à toute pratique ayant pour objet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Cette interprétation est conforme aux observations écrites de la Commission européenne, ainsi qu’à ses Lignes Directrices précitées, aux termes desquelles les entreprises ont la possibilité d’établir des gains d’efficience probables résultant de l’introduction d’une restriction caractérisée dans l’accord et de démontrer que, globalement, toutes les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont remplies (Lignes Directrices préc., pt. 47). Toutefois, hormis ce considérant de principe, la juridiction de renvoi n’obtiendra pas d’indications supplémentaires, la Cour de Justice expliquant, comme son avocat général, qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour apprécier si le contrat de distribution sélective en cause satisfait aux conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Seul le Conseil de la concurrence avait analysé en détail les arguments développés par Pierre Fabre aux fins d’une exemption individuelle, la démonstration que ces conditions sont réunies incombant à l’entreprise auteur des pratiques reprochées (Règl. n° 1/2003, art. 2). Pierre Fabre invoquait quatre arguments à l’appui de sa démonstration : – l’amélioration de la distribution des produits dermo-cosmétiques en prévenant les risques de contrefaçon (1°) et de parasitisme entre officines agréées (2°) ;
– la garantie du bien-être du consommateur grâce à la présence physique du pharmacien lors de la délivrance du produit (3°) ; – le fait que la distribution par Internet n’apporterait aucun surcroît de concurrence sur le marché des produits en cause et, notamment, aucune baisse des prix de détail (4°). Chacun de ces arguments avait été analysé, mais écarté par le Conseil de la concurrence (Cons. conc., déc. n° 08-D-25 préc., pts. 75 à 82). Le Conseil avait estimé, s’agissant du risque de contrefaçon, que « la possibilité, reconnue à la société mise en cause, de réserver à ses propres distributeurs agréés la vente des produits par Internet permet d’atteindre cet objectif ». S’agissant du risque de parasitisme, le Conseil avait considéré qu’« un système de distribution sélective, avec présence d’un pharmacien dans les lieux de vente, garantit que le service de conseil est dispensé dans toutes les officines agréées et que chacune en supporte le coût ». Il en avait conclu qu’il était « impossible qu’une pharmacie agréée qui disposerait d’un site Internet puisse tirer bénéfice des conseils dispensés par une autre officine agréée sans en partager les coûts ». Il avait également rejeté l’argument tiré du bien-être du consommateur en raison de la présence du pharmacien, après avoir relevé que les produits en cause n’étaient pas des médicaments, que les effets négatifs liés à l’utilisation des produits n’étaient détectables qu’une fois le produit acheté, quel que soit le moyen d’acquisition, et non au moment de l’achat et qu’en toute hypothèse, l’émission d’une contre-indication à l’emploi de tel ou tel produit dermo-coméstique relevait de la seule compétence du médecin. Quant à la circonstance que la distribution par Internet n’entraînerait pas de baisse des prix pour les consommateurs, le Conseil avait considéré que les gains apportés aux consommateurs pourraient résider dans l’amélioration du service proposé par les distributeurs et pas seulement dans la baisse des prix. Les arguments invoqués avaient donc buté sur l’exigence de démontrer que les moyens employés étaient indispensables pour atteindre l’objectif de progrès recherché et strictement proportionnés à ce qui est nécessaire.
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
DROIT ÉCONOMIQUE
Les éléments de réponse apportés aujourd’hui par la Cour de justice sont désormais entre les mains de la Cour d’appel de Paris, mais également d’autres juridictions, telle que la Cour d’appel de Toulouse saisie d’un litige voisin portant sur la licéité de la clause de présence du pharmacien (appel pendant devant la Cour d’appel de Toulouse, n° 2386.2010 II). Le Groupe Pierre Fabre a encore la possibilité théorique d’exciper d’autres « justifications objectives » ou « motifs légitimes » propres à autoriser la restriction de concurrence résultant de sa clause de présence du pharmacien et/ou de l’interdiction des ventes en ligne. Il peut aussi chercher à établir, à condition de les quantifier, les « gains d’efficience » résultant de l’introduction d’une restriction caractérisée dans ses accords de distribution et démontrer que toutes les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE permettant leur exemption individuelle, sont remplies. Mais l’étau se resserre pour Pierre Fabre. Tous les arguments invoqués à ce jour par ce dernier pour justifier les restrictions en cause ont été écartés par la Cour de justice au titre des « justifications objectives » et par le Conseil de la concurrence au titre de l’exemption individuelle. Pierre Fabre devra donc faire preuve d’imagination. ◆
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Par Chloé MATHONNIÈRE Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit économique
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CONCURRENCE 3718
Le paquet « procédure » publié La Commission réforme les procédures en matière d’ententes et d’abus de position dominante et renforce le rôle du conseiller-auditeur. Communiqué Comm. UE n° IP/11/1201, 17 oct. 2011
Le 17 octobre 2011, la Commission européenne a rendu publics, dans leur version définitive, les trois textes composant le paquet « procédure » : les bonnes pratiques relatives aux procédures en matière d’ententes et d’abus de position dominante, le mandat révisé du conseiller-auditeur et les bonnes pratiques relatives à la communication de données économiques. Cette publication fait suite à la consultation publique qu’elle avait lancée en janvier 2010. Les bonnes pratiques relatives aux procédures en matière d’ententes et d’abus de position dominante : l’objectif recherché par ce texte est de garantir une plus grande interaction entre les services de la Commission et les parties concernées dès le début de la procédure et une meilleure information de ces dernières sur l’état d’avancement de l’affaire tout au long de la procédure. Parmi les nouveautés, nous retiendrons que : – les parties seront informées, au stade de la communication des griefs, des principaux paramètres pris en compte pour la possible imposition d’amendes ; – l’organisation de réunions-bilans, les fameux « state of play meetings » bien connus en matière de contrôle des concentrations, sera étendue aux affaires d’entente ; – l’accès des plaignants ou des tiers, avant la communication des griefs, aux « contributions essentielles », telles que les études économiques, sera amélioré ; – les décisions de rejet de plainte seront publiées, soit intégralement, soit sous forme de résumé. Le conseiller-auditeur : le mandat révisé du conseillerauditeur conduit à un renforcement de son rôle par l’attribution de nouvelles fonctions dans les procédures antitrust et de contrôle des concentrations. Par exemple, pour les procédures antitrust : Au stade de la phase d’enquête : – il sera chargé de résoudre les problèmes concernant la protection de la confidentialité de la correspondance entre les entreprises et leurs avocats extérieurs ; – il interviendra quand une entreprise considèrera qu’elle n’a pas été informée de son statut dans la procédure ; – les parties auront la possibilité de le saisir lorsqu’elles estimeront qu’elles ne devraient pas être obligées de répondre à
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des questions qui pourraient les contraindre à admettre une infraction ; – il interviendra en cas de différend concernant la prorogation des délais de réponse aux demandes de renseignements formulées en vertu de l’article 18, paragraphe 3, du règlement nº 1/2003 concernant les ententes et les abus de position dominante. À d’autres phases de la procédure : – son rôle sera renforcé dans la préparation et la conduite des auditions (communication d’une liste de questions sur lesquelles les personnes invitées à l’audition seront invitées à faire connaître leur point de vue, identification des pointsclés du débat, communication en temps utile de la liste des participants qui assisteront à l’audition) ; – il devra présenter des rapports sur l’exercice effectif des droits procéduraux tout au long de la procédure, y compris lors de la phase d’enquête ; – enfin, il pourra être saisi par les parties dans les procédures d’engagements ou de transaction relatives à des affaires d’entente ou d’abus de position dominante. Les bonnes pratiques relatives à la communication de données économiques : ce texte expose dans les grandes lignes les critères que toute analyse économique et économétrique doit respecter et explique la façon dont ces analyses seront traitées par les services de la Commission. Précisons enfin que les bonnes pratiques relatives aux procédures en matière d’ententes et d’abus de position dominante et celles relatives à la communication de données économiques s’appliqueront, pour les affaires en cours, aux étapes procédurales qui doivent encore être accomplies. Elles entreront en vigueur à compter de leur publication. À noter : la publication au Journal officiel du 20 octobre 2011 des bonnes pratiques relatives aux procédures en matière d’ententes et d’abus de position dominante (JOUE 20 oct. 2011, n° C 308, p. 6). Le mandat révisé du conseiller-auditeur est entré en vigueur le 21 octobre dernier, le jour suivant sa publication au Journal officiel (cf. décision du président de la Commission européenne du 13 septembre 2011 relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence, art. 19 ; JOUE 20 oct. 2011, n° L 275, p. 29). Un certain nombre
de dispositions transitoires concernant les mesures d’investigation qui ont été effectuées avant l’entrée en vigueur du nouveau mandat et les obligations de rapport du conseillerauditeur dans les cas ouverts avant cette date, sont prévues. ➤ Lamy droit économique 2012, n° 1748
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DROIT ÉCONOMIQUE
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Contrôle des concentrations : intérêt à agir d’une association de consommateurs Les associations de consommateurs disposent du droit à être entendues dans les procédures de concentration, sous réserve du respect de deux conditions. Trib. UE, 12 oct. 2011, aff. T-224/10, Association belge des consommateurs test-achats ASBL c/ Commission
Cet arrêt du 12 octobre 2011 est l’occasion pour le Tribunal de revenir sur les conditions de recevabilité du recours des
Sur le recours des tiers contre la décision d’autorisation d’une opération de concentration : Le Tribunal rappelle qu’un tel recours est irrecevable, dès lors que le tiers n’est pas affecté individuellement par la décision d’autorisation au sens de la jurisprudence Plauman (CJCE, 15 juill. 1963, aff. 25/62, Plauman c/ Commission) et que son recours vise uniquement à contester la substance de cette décision. À l’inverse, lorsqu’il tend à assurer la protection des garanties procédurales qui sont reconnues aux tiers dans le cadre de la procédure administrative de contrôle des concentrations, un tel recours est recevable. Parmi ces garanties procédurales, figure le droit, pour les associations de consommateurs, à être entendues conformément à l’article 11, c), du règlement n° 802/2004. Le Tribunal précise cependant que les conditions dans lesquelles ce droit à être entendu a pu être exercé ne peuvent être contestées que sous réserve du respect de deux conditions : – la concentration doit concerner des produits ou services utilisés par les consommateurs finals ; – l’association de consommateurs doit avoir effectivement introduit une demande écrite afin d’être entendue par la Commission au cours de la procédure d’examen. À cet égard, le Tribunal reconnaît que ni le règlement n° 139/2004 ni son règlement d’application ne précisent la période au cours de laquelle une telle demande doit être introduite. Ce silence ne saurait toutefois être interprété en ce sens que toute demande à être entendu – même introduite antérieurement à la notification à la Commission de la concentration en cause – entraîne pour cette dernière l’obligation d’y donner suite. Il estime en effet cohérent avec la logique du contrôle européen des concentrations et dans la mesure où la Commission ne prend de décision au titre de l’article 6 du règlement sur les concentrations qu’à l’égard des « concentrations notifiées » de considérer que les démarches que les tiers sont tenus d’entreprendre pour être impliqués dans une procédure de concentration doivent avoir lieu à partir de la notification formelle de l’opération de concentration. Dès lors, la requérante, une association belge de consommateurs, qui avait informé la Commission de son souhait à être entendue dans le cadre de l’examen de l’opération de concentration EDF/Segebel deux mois avant sa notification, mais n’avait pas renouvelé sa demande une fois l’opération dûment notifiée, n’est pas recevable à contester la décision d’autorisation de la Commission, motif pris de ce qu’elle violerait ses droits procéduraux. Sur le recours des tiers contre la décision de la Commission refusant de renvoyer l’examen d’une opération de concentration aux autorités nationales : Le Tribunal précise que les tiers intéressés ne sont pas recevables à contester une telle décision : « [les] droits procéduraux et [la] protection juridictionnelle [que le droit de l’Union reconnaît à ces tiers] ne sont aucunement mis en danger par la décision de refus de renvoi qui, bien au contraire, garantit aux tiers intéressés par une opération de concentration de dimension communautaire, d’une part, que celle-ci sera examinée par la Commission au regard du droit de l’Union et, d’autre part, que le Tribunal sera le juge compétent pour connaître d’un éventuel recours contre la décision de la Commission mettant fin à la procédure ». ➤ Lamy droit économique 2012, nos 1959 et 1966
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Ouverture à la concurrence du transport ferroviaire : accès des nouveaux entrants aux gares de voyageurs Le 3 octobre 2011, l’Autorité de la concurrence a rendu publics deux avis concernant l’accès des nouveaux entrants aux gares de voyageurs. Aut. conc., avis n° 11-A-15, 29 sept. 2011, sur un projet de décret relatif aux gares de voyageurs et autres infrastructures de services du réseau ferroviaire ; Aut. conc., avis n° 11-A-16, 29 sept. 2011, relatif au projet de séparation des comptes de l’activité gares de voyageurs au sein de la SNCF
Ces deux avis, qui s’inscrivent dans la perspective de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire en France, invitent les pouvoirs publics à construire dès maintenant « un cadre crédible (…) afin de ne pas manquer l’ouverture à la concurrence qui se fera en réalité dès le mois de décembre 2011 ». Les recommandations formulées par l’Autorité de la concurrence s’articulent autour de trois axes. Le premier concerne la nécessité d’assurer dès maintenant une réelle séparation fonctionnelle de l’entité, au sein de la SNCF, gestionnaire des gares (Gares et Connexions) avec à moyen terme (2-3 ans), une séparation juridique. L’Autorité préconise plus particulièrement : – un nouveau mode de nomination et de révocation du directeur de Gares et Connexions (par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des Transports et après avis de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires) qui ne serait ainsi plus soumis à l’appréciation de la SNCF et de son président ; – l’attribution d’un plus large pouvoir de gestion sur le patrimoine des gares aux dirigeants de Gares et Connexions ainsi que la possibilité pour le directeur de Gares et Connexions d’en déterminer la politique d’investissements ; – la mise en place d’un dispositif de protection des informations commerciales plus contraignant ; – la réelle maîtrise par Gares et Connexions de la relation commerciale avec les opérateurs ferroviaires qui, jusqu’à présent, doivent s’adresser à un service de la direction générale de la SNCF. Le second axe vise à accroître l’indépendance financière de Gares et Connexions. Enfin, le troisième et dernier axe de recommandations vise à renforcer le pouvoir d’intervention de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires. ➤ Lamy droit économique 2012, n° 2107
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tiers à une opération de concentration contre d’une part, la décision d’autorisation de cette opération et, d’autre part, la décision de refus de renvoi de cette opération aux autorités nationales de concurrence.
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
3721
Licéité des relevés de prix effectués par les salariés d’un concurrent La Cour de cassation confirme, au nom du libre jeu de la concurrence, la licéité des pratiques de relevés de prix effectués par les salariés d’un concurrent. Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-21.862, P+B+I
Dans son arrêt du 4 octobre 2011 qui aura les honneurs d’une publication au Bulletin et sur Internet, la Cour de cassation
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est venue clarifier la question de la licéité des relevés de prix réalisés par les salariés d’un concurrent et mettre ainsi fin aux divergences d’appréciation des juges du fond. Après avoir rappelé dans un attendu de principe qu’« il résulte de l’article L. 410-2 du Code de commerce que, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens et services sont librement déterminés par le jeu de la concurrence », puis énoncé que la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande que les concurrents puissent comparer leurs prix, elle conclut fort logiquement que ces derniers peuvent faire pratiquer des relevés de prix par leurs salariés dans leurs magasins respectifs.
Il ne peut ainsi se contenter d’affirmer, pour accueillir une action en concurrence déloyale fondée sur une action de débauchage, que le départ de salariés hautement qualifiés vers une société concurrente n’avait pu qu’affecter le fonctionnement de l’entreprise prétendument victime. Au contraire, il se doit de vérifier, de manière concrète, si le transfert des employés vers une société concurrente a entraîné une véritable désorganisation de l’entreprise, et non une simple perturbation. ➤ Lamy droit économique 2012, n° 2636
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➤ Lamy droit économique 2012, nos 2145 et 3090
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DISTRIBUTION
Action directe du vendeur d’espaces publicitaires contre l’annonceur
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Rupture brutale des relations commerciales dans le domaine des transports
S’il résulte de l’article 20, alinéa 3, de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 que le vendeur d’espaces publicitaires doit en toute hypothèse communiquer directement ses factures à l’annonceur, cette obligation n’a pas pour sanction la perte du droit à rémunération dont le vendeur est titulaire à l’encontre de l’annonceur.
L’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s’applique pas lorsque les relations entre les parties sont régies par un contrat-type d’origine légale. Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-20.240, P+B
L’arrêt du 4 octobre 2011 est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler sa jurisprudence selon laquelle l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne s’applique pas dans le cadre de relations commerciales régies par un contrat-type d’origine légale, tel que le contrat-type de transport public de marchandises : « l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui instaure une responsabilité de nature délictuelle, ne s’applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, lorsque le contrat-type qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la [loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs], régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l’opérateur de transport » (cf. pour une solution similaire : Cass. com., 22 janv. 2008, n° 06-19.440, Bull. civ. IV, n° 12). ➤ Lamy droit économique 2012, nos 2408 et 2414
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Cass. com., 4 oct. 2011, n° 10-24.810, P+B
Tel est l’attendu de principe énoncé par la Cour de cassation dans le cadre d’un litige opposant un vendeur d’espaces publicitaires à un annonceur quant au refus de ce dernier de payer certaines factures. La cour d’appel avait jugé que faute pour le vendeur d’espaces publicitaires d’avoir communiqué ses factures directement à l’annonceur conformément à l’article 20, alinéa 3, de la loi du 29 janvier 1993, il avait laissé ce dernier se libérer entre les mains de son mandataire et ne pouvait dès lors invoquer d’action directe à son encontre. La Haute Juridiction censure cette solution au visa de l’article 1998 du Code civil et de l’article 20 de la loi du 29 janvier 1993 précité : l’annonceur étant, par l’effet du mandat, partie aux contrats d’achats d’espaces publicitaires conclus en son nom et pour son compte, le non-respect de l’obligation de communication des factures n’est pas de nature à priver le vendeur des droits qu’il tient de ces contrats.
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➤ Lamy droit économique 2012, n° 2744
Conditions de licéité du débauchage : quel contrôle pour le juge ?
Distribution sélective sur Internet
Le juge doit opérer un contrôle concret sur l’existence d’une véritable désorganisation que le débauchage du personnel d’un concurrent a pu créer au sein de son entreprise.
Une interdiction générale et absolue de vendre par Internet constitue une restriction de concurrence par objet, à moins qu’une telle interdiction ne soit objectivement justifiée. Elle ne peut bénéficier d’une exemption par catégorie mais pourrait, sous certaines conditions, bénéficier d’une exemption individuelle.
Cass. com., 20 sept. 2011, n° 10-19.443, P+B
La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle à l’ordre, dans un arrêt du 20 septembre 2011, le juge sur la nature du contrôle qu’il doit effectuer lorsqu’il entend se prononcer sur la licéité de manœuvres de débauchage.
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CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence
Telle est la solution dégagée par la Cour de justice saisie d’une question préjudicielle par la Cour d’appel de Paris dans le cadre
du litige opposant la société Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à l’Autorité de la concurrence. Il s’agissait de savoir en l’espèce si une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet imposée aux distributeurs d’un réseau de distribution sélective constitue une restriction de concurrence « par objet » au sens de l’article 101, paragraphe 1 TFUE, si un tel accord peut bénéficier d’une exemption par catégorie, et si, lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable, un tel accord peut bénéficier d’une exemption individuelle au titre de l’article 101, paragraphe 3 TFUE. La Cour relève d’abord qu’« l’organisation d’un (…) réseau [de distribution sélective] ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ». En d’autres termes, la Cour n’exclut pas qu’un accord organisant un réseau de distribution sélective et interdisant la vente en ligne des produits contractuels puisse ne pas relever de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, à la condition cependant que les restrictions de concurrence induites par un tel accord soient objectivement justifiées. Or, à cet égard, la Cour rappelle que les arguments relatifs à la nécessité de fournir un conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de celui-ci contre une utilisation incorrecte des produits pour justifier une interdiction de vente par Internet n’ont jusqu’à présent pas trouvé grâce à ses yeux (cf. CJCE, 11 déc. 2003, aff. C-322/01, Deutscher Apothekerverband, pts. 106, 107 et 112,
En bref… Force exécutoire des jugements étrangers (Règlement n° 44/2001) La requête en délivrance de la déclaration constatant la force exécutoire d’une décision de justice rendue à l’étranger, déposée devant le greffier en chef du tribunal de grande instance compétent, n’a pas à être présentée par un avocat. Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-14.968, P+B
Dématérialisation des procédures devant la Cour de justice de l’Union européenne – suite La dématérialisation des procédures devant les juridictions de l’Union se matérialise ! L’application informatique dénommée « e-Curia » permettant le dépôt et la signification d’actes de procédure par voie électronique devant la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique est enfin effective. Un lien a été
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
et CJCE, 2 déc. 2010, aff. C-108/09, Ker-Optika, pt. 76). De même, elle rejette
comme possible justification à une interdiction de vente par Internet, l’objectif de préserver l’image de prestige. Il s’ensuit qu’aucune justification – à tout le moins, de celles déjà examinées par la Cour – ne semble pouvoir constituer un « objectif légitime pour restreindre la concurrence » et justifier ainsi qu’une clause poursuivant un tel objectif puisse échapper à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Dès lors, « une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de [l’article 101, paragraphe 1, TFUE] ». Sur la question d’une possible exemption par catégorie, la Cour juge qu’une clause qui interdit de facto Internet comme mode de commercialisation ne peut bénéficier d’une telle exemption. Elle n’exclut pas en revanche qu’elle puisse bénéficier d’une exemption individuelle au titre de l’article 101, 3, TFUE. Mais, sur ce dernier point, le lecteur et très certainement, également, la Cour d’appel de Paris resteront quelque peu sur leur faim. Considérant en effet qu’elle « ne dispose pas d’éléments suffisants pour apprécier si le contrat de distribution sélective satisfait aux conditions de l’article 101, paragraphe 3 TFUE », la Cour refuse de fournir des indications supplémentaires. • OBSERVATIONS • Pour plus de détails sur cet arrêt, voir l’éclairage de Lesquins J.-L. et Ferchiche L., Exemptabilité de l’interdiction des ventes sur Internet : l’étau se resserre, RLDA 2011/65, n° 3717. Pour un commentaire sur les conclusions de l’Avocat général, Ján Mazák, cf. RLDA 2011/59, n° 3394, obs. Lecourt A. ➤ Lamy droit économique 2012, nos 3842, 4658, 4710 et 4711
créé à partir de la page d’accueil du site Curia afin de faciliter l’accès à cette application. Déc. CJUE, 13 sept. 2011, JOUE 1er oct. 2011, n° C 289, p. 7 Déc. Trib. UE, 14 sept. 2011, JOUE 1er oct. 2011, n° C 289, p. 9 Déc. TFPUE, 20 sept. 2011, JOUE 1er oct. 2011, n° C 289, p. 11 Communiqué CJUE, 23 nov. 2011
Obligation de motivation : la Commission européenne une nouvelle fois rappelée à l’ordre Dans un arrêt du 29 septembre 2011, la Cour de justice rappelle à l’ordre la Commission quant à son obligation de motivation lorsqu’elle entend rejeter les arguments d’une société visant à renverser la présomption selon laquelle elle exercerait une influence déterminante sur sa filiale, dont elle détient la quasi-totalité du capital. CJUE, 29 sept. 2011, aff. C-521/09 P, Elf Aquitaine c/ Commission
Lancement d’une consultation publique sur les programmes dits de « compliance » et la non-contestation des griefs Un projet de document-cadre relatif aux programmes de conformité au droit de la concurrence et un projet de communiqué de procédure relatif aux conditions de mise en œuvre de la procédure de non-contestation des
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griefs font l’objet d’une nouvelle consultation publique de la part de l’Autorité de la concurrence. Cette consultation, lancée le 14 octobre 2011, est ouverte jusqu’au 14 décembre 2011. Les textes complets de ces deux projets de documents sont disponibles sur le site de l’Autorité. Communiqué Aut. conc., 14 oct. 2011
Nomination d’un conseiller clémence à l’Autorité de la concurrence Le 1er septembre 2011, l’Autorité de la concurrence s’est dotée d’un conseiller clémence en la personne d’Anne Krenzer. L’Autorité entend ainsi renforcer l’efficacité de son dispositif de détection des cartels et consolider la coopération entre autorités nationales de concurrence. Anne Krenzer assurait jusque-là les fonctions de conseillère juridique principale chargée du réseau des autorités de concurrence européennes. Directement rattachée à Virginie Beaumeunier, Rapporteure générale de l’Autorité, elle aura pour missions principales de participer aux auditions des entreprises, de conseiller les rapporteurs en charge d’un dossier de clémence et de coopérer avec les autres autorités de concurrence concernées par des demandes de clémence multiples. Communiqué Aut. conc., 4 oct. 2011
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Vente d’ordinateurs préinstallés : le contour de l’obligation d’information pesant sur le professionnel précisé Dans un arrêt du 6 octobre 2011, la Cour de cassation précise le contenu de l’obligation d’information du professionnel telle que définie à l’article L. 121-1 du Code de la consommation. Cass. 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-10.800, P+B+I
À l’origine de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 qui se voit honoré d’une publication au Bulletin et sur Internet : la vente par Darty d’ordinateurs pré-équipés de logiciels d’exploitation et d’application, sans mention des conditions d’utilisation de ces logiciels, de leur prix et de la possibilité d’y renoncer. Engagé d’abord sur le terrain de l’article L. 122-1 du Code de la consommation interdisant les ventes subordonnées, le litige s’était ensuite déplacé sur celui des pratiques commerciales déloyales au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice du 23 avril 2009 (CJCE, 23 avr. 2009, aff. C-261/07 et C-299/07, Total Belgium NV et Galatea BVBA c/ Sanoma Magazines Belgium NV). Dans un arrêt du 26 novembre 2009, la Cour d’appel de Paris avait estimé que les informations relatives aux conditions d’utilisation des logiciels et à leur prix ne sauraient être considérées comme revêtant un caractère substantiel au sens de la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales (CA Paris, pôle 5, ch. 5, 26 nov. 2009, n° 08/12771, Darty c/ UFC Que Choisir). Elle avait notamment relevé que compte-tenu de leur « aspect technique, de telles informations ne se prêt[ai]ent pas à la communication, nécessairement limitée, que peut effectuer un magasin non spécialisé » et qu’il n’était pas démontré en quoi elles « seraient déterminantes de la décision d’achat d’un consommateur moyen ». Et conclu que ce « qu’il import[ait] essentiellement, [c’est] que le consommateur soit avisé, comme c’est le cas en l’espèce, que les ordinateurs proposés à la vente sont équipés de certains logiciels, précisément identifiés, ce qui lui permet, le cas échéant, de recueillir par lui-même, à supposer qu’il en ait la capacité, des renseignements plus approfondis à cet égard ». Dès lors, Darty n’avait pas à fournir au consommateur les informations relatives aux conditions d’utilisation des logiciels et pouvait se borner à identifier ceux équipant les ordinateurs qu’elle distribuait. Au contraire, la Cour de cassation juge que « ces informations, relatives aux caractéristiques principales d’un ordinateur équipé de logiciels d’exploitation et d’application, sont de celles que le vendeur professionnel doit au consommateur moyen pour lui permettre de prendre une décision en connaissance de cause » et rend un arrêt de cassation au visa de l’article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, tel qu’interprété à la lumière de la directive n° 2005/29/CE. Ce faisant, la Cour de cassation met fin à l’incertitude qui
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vente d’ordinateurs avec des logiciels pré-installés, sans mention du prix des logiciels et sans possibilité d’y renoncer, constituait une pratique commerciale déloyale : CA Versailles, 3e ch., 5 mai 2011, n° 09/09169, UFC Que Choisir c/ HP). • OBSERVATIONS • La procédure d’infraction engagée par la Commission européenne contre la France pour non-respect de la directive n° 2005/29/CE relative aux pratiques déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs a franchit une nouvelle étape le 29 septembre 2011. Estimant que la France n’avait pas encore pleinement aligné ses dispositions nationales sur le droit de l’Union européenne, la Commission a décidé d’émettre un avis motivé. Une dernière fois, la France est officiellement invitée à se conformer aux règles de l’Union européenne applicables aux pratiques commerciales déloyales. Prochaine étape : la saisine de la Cour de justice par la Commission conformément aux dispositions de l’article 258 TFUE. ➤ Lamy droit économique 2012, nos 3348, 5098 et 5103
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régnait sur cette question (cf. pour un arrêt récent ayant considéré que la
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Surendettement : suspension d’une procédure de saisie immobilière et absence de recours Le jugement qui statue sur une demande de remise de l’adjudication n’est susceptible d’aucun recours. Cass. 2e civ., 29 sept. 2011, n° 10-27.658, P+B
Cet arrêt est l’occasion pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation de rappeler que le jugement qui statue sur une demande de remise de l’adjudication n’est susceptible d’aucun recours. Dès lors, l’appel formé contre le jugement du juge de l’exécution ayant déclaré irrecevables et infondées les demandes de la commission de surendettement et des débiteurs doit être déclaré irrecevable. L’arrêt des juges d’appel ayant déclaré ce recours recevable est donc censuré par les juges de la Haute Cour au visa des articles 125 du Code de procédure civile, 8 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006 et R. 331-15 du Code de la consommation dans sa rédaction alors applicable. La Cour confirme ainsi sa jurisprudence déjà existante (cf. Cass. 2e civ., 6 déc. 2001, n° 00-11.136, Bull. civ. II, n° 181). ➤ Lamy droit économique 2012, n° 6132
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CONSOMMATION
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Délit de tromperie : appréciation de l’intention frauduleuse Le caractère intentionnel du délit de tromperie est caractérisé, dès lors que le prévenu, en sa qualité de responsable de la première mise sur le marché, n’a pas respecté les obligations de l’article L. 212-1 du Code de la consommation. Cass. crim., 20 sept. 2011, n° 11-81.326, P+B
Le délit de tromperie de l’article L. 213-1 du Code de la consommation est un délit intentionnel, ce qui suppose que l’intention frauduleuse du prévenu soit caractérisée.
Cette intention est caractérisée par l’inobservation par le prévenu de son obligation générale de vérification de conformité qui pesait sur lui en sa qualité de responsable de la première mise sur le marché d’un produit importé. On rappellera que l’article L. 212-1 du Code de la consommation instaure en
En bref… Les contrats de syndic de copropriété passés au crible de la Commission des clauses abusives Le 17 octobre 2011, la Commission des clauses abusives a mis en ligne une recommandation relative aux contrats de syndic de copropriété. Cette recommandation, adoptée le 15 septembre 2011, vise à la suppression de 24 clauses, dont celles qui sont relatives aux doubles facturations d’un même service ou au recours au compte bancaire séparé. Communiqué CCA, 17 oct. 2011
Directive sur les droits des consommateurs Le 10 octobre 2011, le Conseil des ministres de l’Union européenne a adopté la directive sur les droits des consommateurs, adoptée en première lecture par le Parlement européen en juin dernier. La directive, publiée au Journal officiel de l'Union européenne le
effet une obligation générale de vérification de conformité qui impose au responsable de la première mise sur le marché d’un produit de vérifier que celui-ci est conforme aux prescriptions en vigueur.
ACTUALITÉS
DROIT ÉCONOMIQUE
➤ Lamy droit économique 2012, n° 6731
22 novembre 2011, entrera en vigueur le vingtième jour suivant sa publication. Les États membres disposeront alors d’un délai de 2 ans pour mettre leur droit national en conformité avec ses dispositions. Dir. Parl. et Cons. UE n° 2011/83/UE, 25 oct. 2011, JOUE 22 nov. 2011, n° L 304
Protection des entreprises contre les pratiques déloyales Le 21 octobre 2011, la Commission européenne a lancé une consultation publique sur la nature et l’ampleur des pratiques déloyales dont peuvent être victimes les entreprises au sein de l’Union européenne. Parmi les pratiques d’ores et déjà recensées par la Commission, figurent l’escroquerie en ligne et l’escroquerie à l’annuaire professionnel. La consultation publique est ouverte jusqu’au 16 décembre 2011. Communiqué Comm. UE n° IP/11/1224, 21 oct. 2011
Charte des bonnes pratiques de médiation en matière de consommation La Commission de la médiation, créée par la loi n° 2010737 du 1er juillet 2010 et « chargée d’émettre des
avis et de proposer des mesures de toute nature pour évaluer, améliorer et diffuser les pratiques de médiation non judiciaires en matière de consommation », a rendu publique, le 27 septembre 2011, sa charte des bonnes pratiques. Ce document a pour principal objectif d’offrir aux entreprises, secteurs professionnels et administrations un cadre de référence commun qui définit les principes et les règles sur lesquels s’appuyer pour élaborer leur propre charte, spécifique à leur type d’activités et de fonctionnement. Il servira également de socle à l’évaluation par la Commission des pratiques des différents médiateurs. Le texte de la charte est disponible sur le site Internet de la Commission de la médiation : http://www.mediation-conso.fr/charte.html.
Normalisation L’arrêté du 5 mars 1980 relatif à l’homologation et à la mise en application obligatoire de normes française (JO 21 mars 1980) a été abrogé par l’arrêté du 13 octobre 2011, publié au Journal officiel du 25 octobre 2011. Arr. min. 13 oct. 2011, JO 25 oct.
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Sous la direction scientifique de Paul-Henri ANTONMATTÉI, Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier, Doyen honoraire, Directeur du Laboratoire de Droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I), Avocat associé, J. Barthélémy et associés.
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
L
a situation des salariés mis à disposition est décidément bien complexe. Ce n’est toutefois pas la traditionnelle question de la prise en compte de ces derniers dans l’effectif de l’entreprise utilisatrice que la Cour de cassation a eu à trancher mais celle de la portée de l’option prévue par la loi du 20 août 2008 concernant leur droit de vote lors des élections des délégués du personnel. Les magistrats ont alors admis, le 28 septembre 2011, que « le fait pour un salarié, ayant exercé le droit d’option ouvert par l’article L. 2314-18-1 du code du travail, d’avoir été élu en qualité de délégué du personnel dans l’entreprise utilisatrice, est sans incidence sur ses droits d’être électeur et éligible aux élections des membres du comité d’entreprise dans l’entreprise qui l’emploie. » Par ailleurs la Cour s’est prononcée, le 21 septembre 2011, sur le champ d’application de la consultation des délégués du personnel de l’article 1226-10 du Code du travail lors d’une proposition de reclassement faisant suite à un avis d’inaptitude. À l’identique de la solution retenue pour les salariés non investis de fonctions représentatives, les magistrats retiennent que le refus par un salarié inapte d’une proposition de reclassement n’impose pas, dans l’hypothèse d’une seconde offre, une nouvelle consultation des délégués du personnel. Mais avant tout, le principe d’égalité de salaire a souvent été à l’honneur dans le cadre de cette chronique. Un arrêt de la chambre sociale du 8 juin 2011 nous donne l’occasion de faire le point sur un aspect plus particulier de la question : qu’en est-il du principe et de son contrôle par le juge lorsque la différence de traitement a une origine conventionnelle ? Isabelle CORNESSE
Principe d’égalité de traitement : le respect du pouvoir normatif des partenaires sociaux par le contrôle du juge Par Fleur LARONZE
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Docteur en droit privé Laboratoire de droit social Université Montpellier 1
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A
La seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement, résultant d’un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence. Repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération. Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-14.725, P+B+R+I
u regard de la diversité des problèmes de droit posés par l’arrêt du 8 juin 2011, il aurait pu sembler difficile de dégager une solution cohérente. Pourtant, la Cour de cassation a réussi, par l’originalité de son raisonnement, à préserver la liberté dont disposent les partenaires sociaux en instaurant différentes catégories professionnelles et à renforcer la teneur du principe d’égalité de traitement. En l’espèce, Monsieur Mandelbi est engagé, en qualité de visiteur médical, par la société Laboratoires Ciba-Ceigy, devenue la société Novartis Pharma, puis est nommé délégué
hospitalier. Il a la qualité de cadre, au regard de la classification de la convention collective de l’industrie pharmaceutique. Or, il se voit refuser, en raison de sa qualité, l’octroi d’une prime rémunérant normalement l’ancienneté des assimilés cadres. La juridiction prud’homale est saisie par le salarié qui demande le paiement d’un rappel de salaire au titre de la prime d’ancienneté conventionnelle pour la période courant de février 2003 à février 2009. La Cour d’appel d’Orléans accueille favorablement la demande du salarié, par son arrêt en date du 21 janvier 2010. La société interjette un pourvoi. Faut-il considérer la différence de traitement prévue par la convention collective comme étant justifiée par la différence >
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P R I N C I P E D ’ É G A L I T É D E T R A I T E M E N T : L E R E S P E C T D U P O U V O I R N O R M AT I F D E S PA R T E N A I R E S S O C I A U X PA R L E C O N T R Ô L E D U J U G E
de catégorie professionnelle ou au contraire apprécier cette différence de traitement à travers le prisme du principe d’égalité de traitement ? La Cour de cassation répond à cette question sans y répondre. Elle tente, par la solution qu’elle pose, de concilier le respect du pouvoir normatif des partenaires sociaux et le contrôle du juge qui s’appuie sur le principe d’égalité de traitement. Pourtant, la préservation de l’autonomie contractuelle des partenaires sociaux par le juge impose a priori l’absence de contrôle judiciaire des normes conventionnelles. Mais, la chambre sociale de la Cour de cassation réussit ce tour de force qui consiste à justifier l’appréciation de la différence de traitement par rapport à son objet ou son but. Celle-ci doit « prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ». La différence de catégorie professionnelle peut donc justifier une différence de traitement à condition de reposer sur des raisons objectives. Cette solution n’est pas nouvelle (Cass. soc., 1er juill. 2009, n° 07-42.675, Bull. civ. V., n° 168, Dr. soc. 2009, p. 1002, obs. Rade C., JCP S 2009, 1451, note Jeansen E., JSL n° 260, p. 7, JCP E 2009, 2198, note Aubert-Monpeyssen T. ; Antonmattéi P.-H., Avantage catégoriel d’origine conventionnelle et principe d’égalité de traitement : évitons la tempête !, Dr. soc. 2009, p. 1169). Mais, le caractère novateur de l’arrêt
en présence est incontestable, compte tenu de la façon dont est mobilisé le principe d’égalité de traitement. Il conduit la Cour de cassation à casser l’arrêt de la cour d’appel qui a privé sa décision de base légale. Une méthodologie précise est parachevée par la Cour de cassation qui pose ici une nouvelle pierre dans la construction du principe d’égalité de traitement. La Cour de cassation s’était prononcée, en 2006 et en 2007, par deux arrêts de principe, sur la possibilité de prévoir des différences de traitement par la voie de la négociation collective. Norme générale consacrée par la Cour de cassation en 1996 (Cass. soc., 29 oct. 1996, n° 92-43.680, « Ponsolle », Bull. civ. V, n° 359, Dr. soc. 1996, p. 1013, note Lyon-Caen A.n Dr. ouvr. 1997, p. 148, obs. Moussy P., Grands arrêts, n° 68, RJS 1996, n° 1272), le principe « à travail égal, salaire égal »
gagne en autonomie avec la jurisprudence de ce début de XXIe siècle. Des différences de traitement d’origine légale ou conventionnelle apparaissent plus légitimes que celles instaurées par la négociation individuelle (le contrat de travail ou la décision unilatérale). Pour autant, la négociation collective envisagée comme une source de différence de traitement est critiquée par la doctrine. Certains auteurs (Aubert-Monpeyssen T., Peut-on contourner le principe d’égalité de rémunération en jouant sur les sources ?, JCP E 2006, 1909 ; Gasser J.-M., Les justifications de l’inégalité des rémunérations ou que reste-t-il du principe « à travail égal, salaire égal » ?, RJS 8-9/2007, p. 687 ; Lyon-Caen A., À travail égal, salaire égal. Une règle en quête de sens, RDT 2006, p. 16) considèrent que la
possibilité offerte à l’employeur de négocier des différences de rémunération en fonction des établissements méconnaît le principe « à travail égal, salaire égal ». C’est l’accord collectif lui même qui détermine librement les critères de différenciation entre salariés, ayant des fonctions identiques en limitant certaines dispositions à un ou plusieurs établissements (Cass. soc., 18 janv. 2006, Dr. soc. 2006, p. 449). C’est encore une fois, un accord collectif qui identifie les parcours professionnels à un critère de distinction, critère très subjectif (Cass. soc., 3 mai 2006, JCP S 2006, 1496). Le risque d’arbitraire est trop important pour laisser l’employeur et les partenaires sociaux seuls juges des règles de rémunération. Mais, il ne semble pas possible de contourner l’application du principe d’égalité de traitement par la négociation collective. En réalité, les craintes suscitées par ces arrêts (Cass. soc., 18 janv. 2006, préc. ; Cass. soc., 3 mai 2006, préc.) sont apaisées par l’arrêt
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du 20 février 2008 (Cass. soc., 20 févr. 2008, Bull. civ. V, Dr. soc. 2008, p. 530, chron. Rade C., JSL, n° 231, p. 13, JCP S 2008, 1305), le juge raisonnant à partir du critère d’identité de situation pour apprécier le respect du principe d’égalité de traitement. Dès lors, « une différence de traitement entre des salariés placés dans la même situation doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence » (Cass. soc., 20 févr. 2008, préc.). Ainsi, les accords collectifs sont soumis au principe « à travail égal, salaire égal » alors même que la jurisprudence avait reconnu pendant longtemps la légitimité de ces normes afin d’établir des différences de traitement sans devoir invoquer des raisons objectives pour les justifier. Le contrôle des accords collectifs à travers le prisme du principe d’égalité de traitement a été suggéré implicitement par l’arrêt du 20 février 2008 de la chambre sociale de la Cour de cassation qui remet en cause la disparité de traitement fondée sur la seule différence de catégories professionnelles prévues dans une convention collective. Il est revendiqué au sein de l’arrêt du 1er juillet 2009 de la chambre sociale de la Cour de cassation (préc.) qui conditionne l’autonomie normative des partenaires sociaux établissant des différences de traitement à l’existence de raisons objectives et pertinentes. Si l’autonomie normative effrénée des partenaires sociaux était vivement critiquée par certains auteurs, son recadrage qui était certes nécessaire (M. le conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation Bailly considère qu’« il est clair que l’autonomie des partenaires sociaux n’est pas illimitée. Ils doivent eux aussi respecter le principe d’égalité de traitement et ne pas cautionner des différences qui ne seraient pas justifiées par des raisons objectives et pertinentes » : Entretien avec P. Bailly, Semaine sociale Lamy n° 1414, p. 13) fait, néanmoins, naître d’autres craintes telles
que, d’une part, le bouleversement de l’autonomie collective s’exprimant par le pouvoir normatif des partenaires sociaux et, d’autre part, l’insécurité juridique résultant de la remise en cause des dispositions conventionnelles par le contrôle du respect du principe d’égalité de traitement par le juge. D’abord, les partenaires sociaux, par la norme collective qu’ils adoptent, tentent de restaurer l’égalité entre les salariés qui est rompue sur le plan individuel entre le salarié et l’employeur mais aussi entre les salariés dont la relation de travail est adaptée en fonction de leur parcours professionnel, de leur ancienneté, de leur diplôme. Les différences de traitement instaurées sur le plan collectif sont nécessairement appréciées au regard de l’avantage accordé et peuvent résulter de la pratique du donnant-donnant (Antonmattéi P.-H., Avantage catégoriel d’origine conventionnelle et principe d’égalité de traitement : évitons la tempête !, préc., spéc. p. 1170). La légitimité de l’autonomie collective employée à
cette fin ne fait aucun doute puisque les partenaires sociaux adaptent la norme à la réalité de l’entreprise et à la situation individuelle des salariés. Ensuite, plusieurs décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation illustrent l’insécurité juridique résultant de la remise en cause des dispositions conventionnelles qui prévoient des différences de traitement. Il a, ainsi, été jugé que l’insuffisance des capacités financières de l’employeur concernant le versement d’une prime aux salariés ainsi que le choix de priver certains salariés du bénéfice de cette prime aux fins de permettre au plus grand nombre de salariés des autres établissements de bénéficier sans délai de la plupart des avantages conventionnels ne constituaient pas une raison objective (Cass. soc., 28 oct. 2009, n° 08-40.457, Bull. civ. V, n° 239, JSL, n° 266, p. 16). De la même façon, le fait d’être promu en vertu d’un accord collectif ne peut justifier la différence de rémunération entre les salariés embauchés avant et après l’entrée en vigueur de l’accord (Cass. soc., 4 févr. 2009, n° 07-41.406, Bull. civ. V, n° 35, JSL, n° 252, p. 28). De surcroît, la Cour d’appel de Montpellier ne relève aucune
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
raison objective susceptible de justifier la différence de traitement entre cadres et non cadres s’agissant de la durée du préavis et du mode de calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement (CA Montpellier, 4 nov. 2009, n° 09/01816, Semaine sociale Lamy, n° 1423, p. 14). Afin de préserver l’autonomie collective, il peut apparaître préférable de limiter le contrôle judiciaire qui « porterait uniquement sur l’objectivité de » la raison qui doit être invoquée pour justifier la différence de traitement, « la pertinence étant supposée acquise par le mécanisme même de la négociation collective » (Antonmattéi P.-H., Avantage catégoriel
employée dans l’arrêt à l’étude. La spécificité de la situation des salariés est caractérisée par leur statut juridique individuel (tenant notamment aux « conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ») qui a toujours été pris en compte par le juge. L’originalité de l’arrêt ne relève pas dans le mode du contrôle du juge qui reste le même mais dans les limites de ce contrôle. L’arrêt du 8 juin 2011 est un compromis efficace et la Cour de cassation a évité ainsi de porter atteinte aux dispositions conventionnelles dont la menace de leur remise en cause planait comme une épée de Damoclès au dessus des partenaires sociaux. Mais, cette solution permet aussi d’introduire d’origine conventionnelle et principe d’égalité de traitement : évitons la tempête !, préc., plus de sécurité juridique dans le contrôle judiciaire des jusspéc. p. 1170). Le respect du principe d’égalité de traitement ne tifications de différence de traitement. pouvait être assuré par le contrôle du En vertu de la jurisprudence du 20 féjuge que sur la base d’une intervention L’arrêt du 8 juin 2011 est vrier 2008, l’appréciation des raisons législative qui aurait précisé les raisons un compromis efficace objectives et pertinentes ne semblait objectives susceptibles d’être invoquées et la Cour de cassation pouvoir être opérée qu’à travers une par les partenaires sociaux (Antonmattéi a évité ainsi de porter approche in concreto du contrôle des P.-H., Avantage catégoriel d’origine conventionnelle et atteinte aux dispositions méthodes employées par l’employeur principe d’égalité de traitement : évitons la tempête !, préc., pour évaluer ses salariés et à travers ibidem). Mais, la Cour de cassation a pris conventionnelles dont la un contrôle de proportionnalité des la main en choisissant d’exercer le rôle menace de leur remise différences de traitement. Le juge deattendu du législateur. en cause planait comme vra désormais limiter son contrôle aux M. le conseiller à la Cour de cassation, une épée de Damoclès au dispositions conventionnelles. Les parH. Gosselin, avait proposé dans son dessus des partenaires tenaires sociaux pourront préciser, dans rapport trois solutions possibles : le les clauses conventionnelles, l’objet maintien de la jurisprudence résultant sociaux. et le but des différences de catégories de l’arrêt du 1er juillet 2009, le respect professionnelles et des différences de traitement qui en absolu de l’autonomie normative des partenaires sociaux ou découlent. La différenciation opérée dans les statuts des un contrôle judiciaire encadré et limité à des justifications salariés doit être justifiée par la spécificité de leur situation. admises par la Cour de cassation. La troisième solution a Le juge ne peut contrôler la différence de traitement qu’à finalement été retenue par la Cour de cassation qui exprime l’appui des stipulations conventionnelles précisant le degré ici sa volonté de contrôler le travail du juge. La Cour de de spécificité de la situation des salariés. cassation va exercer un contrôle de la qualification juridique Après être érigé en principe sous l’adage « à travail égal, sade la différence de traitement qui ne peut être caractérisée laire égal », le principe d’égalité de traitement est désormais qu’au regard des raisons objectives et pertinentes dont une seul visé dans les arrêts de principe de la Cour de cassation typologie sera à l’avenir dressée. Ainsi, sans se prononcer qui a construit les différentes pièces de ce rouage complexe. directement sur la légitimité de la différence de traitement La Cour de cassation a, d’abord, procédé à la limitation du prévue par une norme conventionnelle, le raisonnement de principe par des exceptions, puis à l’instrumentalisation de la Cour de cassation fait intervenir le juge en amont puisque ce principe dont l’inapplication nécessite des justifications, sera examiné l’objet ou le but de la différence de traitement et aujourd’hui assure son déploiement par la définition des reposant sur des raisons non seulement contrôlées mais aussi types de justification susceptibles d’être retenues. Il ne reste limitées. La raison objective et pertinente relève plus de la plus qu’à découvrir, au gré des affaires qui se présenteront cause, de la finalité, de l’objet de la différence de traitement. Le à elles, les types de justifications fondant les différences de vocabulaire classique de la jurisprudence de la Cour de cassatraitement. ◆ tion va peut être évolué au regard de la nouvelle terminologie
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Par le Laboratoire de droit social de la Faculté de droit de Montpellier (Université Montpellier I)
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Salariés mis à disposition : exercice de l’option Le fait pour un salarié, ayant exercé le droit d’option ouvert par l’article L. 2314-18-1 du Code du travail, d’avoir été élu en qualité de délégué du personnel dans l’entreprise utilisatrice, est sans incidence sur ses droits d’être électeur et éligible aux élections des membres du comité d’entreprise dans l’entreprise qui l’emploie. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-27.374, P+B
Encore un arrêt sur les salariés mis à disposition ! Mais cette fois, la difficulté ne concernait pas la traditionnelle question de la prise en compte de ces derniers dans l’effectif de l’entreprise utilisatrice mais l’option prévue par la loi du 20 août 2008. Bref rappel : afin d’éviter un double vote d’un salarié mis à disposition pris en compte dans l’effectif d’une entreprise utilisatrice, ce texte permet aux salariés qui remplissent une condition de présence dans l’entreprise utilisatrice d’exercer leur droit de vote (et pour l’élection des délégués du personnel leur droit de candidature) dans cette dernière ou dans l’entreprise qui les emploie (pour les délégués du personnel, cf. C. trav., art. L. 2314-18-1 ; et pour le comité d’entreprise, C. trav. art. L. 2324-17-1). Faute de plus amples précisions sur le fonctionnement de ce mécanisme, le contentieux n’a pas tardé tout comme les premiers compléments jurisprudentiels. On sait désormais que c’est à la date d’organisation des élections dans l’entreprise utilisatrice que le salarié mis à disposition doit être mis en mesure d’exercer son droit d’option (Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, Bull. civ. V, n° 114, Dr. soc. 2010, p. 826 avec l’article de Petit F.). Peu importe qu’il ait déjà voté dans son entreprise d’origine. Mais une fois l’option exercée dans l’entreprise utilisatrice, ce choix vaut pour la durée du cycle électoral : il ne peut donc « plus participer au scrutin organisé par son entreprise d’origine » (Morin M.-L., Pecaut-Rivolier L., Struillou Y., Le guide des élections professionnelles, 2e éd, Dalloz, 2011, n° 331-81). Tout n’est pas réglé.
Voilà un salarié mis à disposition qui exerce l’option dans l’entreprise utilisatrice et qui est élu délégué du personnel au sein de cette dernière. Peut-il voter et se présenter aux élections du comité d’entreprise de son employeur dans le même cyclé électoral ? Tout dépend de savoir si l’option est la même pour les élections des délégués du personnel et du comité d’entreprise. Réponse de la chambre sociale de la Cour de cassation : « Le fait pour un salarié, ayant exercé le droit d’option ouvert par l’article L. 2314-18-1 du code du travail, d’avoir été élu en qualité de délégué du personnel dans l’entreprise utilisatrice, est sans incidence sur ses droits d’être électeur et éligible aux élections des membres du comité d’entreprise dans l’entreprise qui l’emploie » (Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-27.374). Cette dissociation s’explique par le fait que le salarié mis à disposition n’est pas éligible au comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice. Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, l’option s’exerce donc distinctement pour chaque scrutin° Pas simple ! Mais il peut y
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avoir plus compliqué encore. Privé de l’éligibilité pour l’élection CE dans l’entreprise utilisatrice, le salarié peut dissocier droit de vote et droit de candidature. Mais pourquoi ne pas le faire aussi pour l’élection des délégués du personnel ? À suivre… Paul-Henri ANTONMATTÉI Professeur de droit à la Faculté de Droit de Montpellier Doyen honoraire Directeur du Laboratoire de Droit social de la Faculté de Droit de Montpellier (Université Montpellier I) Avocat associé, J. Barthélémy et associés
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Le refus par un salarié inapte d’une proposition de reclassement n’impose pas, dans l’hypothèse d’une seconde offre, une nouvelle consultation des délégués du personnel L’avis des délégués du personnel sur le reclassement du salarié prévu par l’article L. 1226-10 du Code du travail doit être recueilli après que l’inaptitude du salarié en conséquence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle a été constatée dans les conditions prévues par l’article R. 4624-31 du Code du travail et avant la proposition à l’intéressé d’un poste de reclassement approprié à ses capacités. Dès lors, les délégués du personnel n’ont pas à être consultés sur la seconde proposition de reclassement. Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-30.129, D
Dans une décision rendue le 21 septembre 2011, les magistrats de la chambre sociale de la Cour de cassation ont décidé que la consultation des délégués du personnel antérieure à une proposition de reclassement faite au salarié déclaré inapte à la suite d’un accident du travail, n’a pas à être renouvelée en cas de nouvelles propositions et ceci, même si le salarié est protégé. En effet, en vertu de l’article L. 1226-10 du Code du travail, lorsqu’un salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à la reprise de son ancien poste à la suite d’une suspension de son contrat en raison d’un accident du travail, l’employeur doit, après avis des délégués du personnel, lui proposer un poste de reclassement adapté à ses capacités et aux conclusions rendues par le médecin du travail. Dans cette hypothèse, la consultation des délégués du personnel constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance rend illégitime le licenciement pour inaptitude physique et impossible le reclassement. Par conséquent, le salarié a droit à l’indemnité prévue par l’article L. 1226-15 du Code du travail, indemnité spéciale au moins égale à douze mois de salaires (Cass. soc., 17 déc. 1997, TPS 1998, comm. 66, obs. Verkindt P.-Y. ; Cass. soc., 30 nov. 2010, RJS 2/11, n° 104). Classiquement, cette consultation ne peut avoir lieu qu’une fois l’inaptitude physique du salarié constatée de façon régulière par le médecin du travail, c’est-àdire après les deux examens médicaux requis à cet effet ou, par dérogation, après l’unique examen médical rendu en cas de danger immédiat relevé par le médecin du travail. De surcroît,
elle doit également être antérieure à la proposition au salarié d’un poste de reclassement (Cass. soc., 28 oct. 2009, RJS 1/10, n° 33). Cependant, le salarié ayant le droit de refuser cette première proposition de reclassement, faut-il réitérer la consultation des délégués du personnel ? En effet, en cas de refus du reclassement par le salarié déclaré inapte, l’employeur a l’obligation de lui proposer d’autres postes de reclassement qui seraient disponibles. Doit-il pour autant consulter à nouveau les délégués du personnel ? Dans un arrêt en date du 3 juillet 2001, la chambre sociale de la Cour de cassation s’était déjà prononcée à propos d’un salarié non protégé et avait décidé que la consultation régulière des délégués du personnel avant la première proposition de reclassement était suffisante et ne devait pas à être réitérée lors de nouvelles offres de reclassement. Or, dans l’arrêt commenté, le salarié était luimême délégué du personnel. En effet, atteint d’une calcification de l’épaule reconnue comme maladie professionnelle, le salarié avait subi deux examens médicaux de reprise du travail à l’issue desquels le médecin du travail l’avait déclaré inapte au poste de porteur-distributeur mais apte à une fonction sans manutention. Les délégués du personnel avaient été consultés sur une première offre de reclassement. Cette offre ayant été refusée par le salarié, son licenciement avait été envisagé et une autorisation demandée à l’inspecteur du travail. La demande avait été refusée et un recours devant le ministre du Travail avait été tenté. Cependant, avant que la décision sur le recours soit prononcée, le salarié s’était vu proposer un nouveau poste de reclassement
En bref… Ancienneté La date d’ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d’ancienneté sauf à l’employeur à rapporter la preuve contraire. Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 09-72.054, P+B
Clause de non-concurrence La validité de la clause de non-concurrence doit être appréciée à la date de sa conclusion ; la convention collective intervenue postérieurement ne peut avoir pour effet de couvrir la nullité qui l’affecte. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 09-68.537, P+B
Liberté d’expression du salarié Ayant constaté que dans une lettre adressée à un ancien mandataire social en litige avec le représentant de la société, le salarié avait mis en cause la moralité de ce dernier dans des actes relevant de sa vie privée, la cour d’appel a fait ressortir qu’il avait ainsi abusé de sa liberté d’expression. Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 09-72.054, P+B
Prise d’acte La prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail de sorte que le salarié n’est pas tenu d’exécuter un préavis. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 09-67.510, P+B
Protocole d’accord préélectoral Il ne résulte d’aucun texte que le protocole d’accord préélectoral doit être matérialisé par un seul et même accord global sur l’ensemble des matières relevant de la négociation. Si le protocole d’accord préélectoral fixant les modalités de mise en œuvre du vote électronique doit, pour être
et avait signé un avenant à son contrat de travail afin d’occuper un poste d’assistant de gestion, acceptant ainsi son reclassement. Néanmoins, le ministre ayant confirmé ultérieurement le refus d’autorisation de licenciement, le salarié décida de contester la validité de son accord puis de saisir la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’un rappel de salaires, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de reclassement. Ces demandes reposaient sur l’absence de consultation des délégués du personnel sur la seconde proposition de reclassement. Or, les magistrats de la Haute Juridiction décident d’aligner la solution déjà retenue pour le salarié non protégé à celui qui l’est. La consultation régulière des délégués du personnel à laquelle l’employeur avait procédé avant la première proposition est considérée comme satisfaisant aux conditions de l’article L. 1226-10 du Code du travail. La circonstance que le salarié inapte soit délégué du personnel et que la nouvelle proposition était, en l’occurrence, consécutive au rejet par l’inspecteur du travail de la demande d’autorisation de licenciement présentée par l’employeur suite au refus par l’intéressé de la première offre de reclassement n’impose pas une solution spécifique. Les magistrats s’en tiennent à une application de la lettre du texte que l’on peut approuver, la multiplication des consultations étant source de complications pratiques sans gain réel de protection. Christine NEAU-LEDUC Professeur à l’Université Montpellier 1
valable, satisfaire aux conditions de majorité prévues aux articles L. 2314-3-1 et L. 2324-3-1 du Code du travail, l’accord d’entreprise autorisant le recours au vote électronique est soumis aux seules conditions de validité prévues à l’article L. 2232-12 du Code du travail. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-27.370, P+B
Représentant syndical au comité d’entreprise C’est à la date des dernières élections que s’apprécient les conditions d’ouverture du droit pour un syndicat de désigner un représentant au comité d’entreprise. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-60.357, P+B
Représentativité syndicale Pour apprécier l’influence d’un syndicat, critère de sa représentativité caractérisé prioritairement par l’activité et l’expérience, le juge doit prendre en considération l’ensemble de ses actions, y compris celles qu’il a menées alors qu’il était affilié à une confédération syndicale dont il s’est par la suite désaffilié. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-26.545, P+B+R
Syndicats En vertu des articles L. 2142-3 à L. 2142-7 du Code du travail, l’affichage et la diffusion des communications syndicales à l’intérieur de l’entreprise sont liés à la constitution par les organisations syndicales d’une section syndicale, laquelle n’est pas subordonnée à une condition de représentativité ; dès lors, les dispositions d’une convention ou d’un accord collectif visant à faciliter la communication des organisations syndicales ne peuvent, sans porter atteinte au principe d’égalité, être limitées aux seuls syndicats représentatifs et doivent bénéficier à tous les syndicats qui ont constitué une section syndicale. Cass. soc., 21sept. 2011, n° 10-19.017, P+B
REPÈRES
DROIT DU TRAVAIL
Syndicat catégoriel Un syndicat peut présenter des candidats dans les collèges que ses statuts lui donnent vocation à représenter. Selon l’article L. 2122-2 du Code du travail, dans l’entreprise ou l’établissement sont représentatives à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels leurs règles statutaires leur donnent vocation à présenter des candidats, les organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale qui satisfont aux critères de l’article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel dans ces collèges, quel que soit le nombre de votants ; il en résulte que, lorsqu’un syndicat affilié à une confédération catégorielle interprofessionnelle nationale présente, en conformité avec son champ statutaire, des candidats dans plusieurs collèges, sa représentativité est établie en fonction des suffrages recueillis dans l’ensemble de ces collèges. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-26.693, P+B+R Selon qu’elles sont ou non affiliées à une confédération catégorielle nationale, les organisations syndicales catégorielles ne se trouvent pas dans la même situation ; dès lors, les dispositions des articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-3 du Code du travail, en ce qu’elles réservent aux organisations syndicales catégorielles affiliées à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale certaines modalités d’appréciation de la représentativité, ne méconnaissent pas les articles 5 de la convention n° 135 de l’OIT, 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 5 et 6 de la Charte sociale européenne. Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 10-19.113, P+B
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DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DES CONTRATS D’AFFAIRES Sous la direction scientifique de Cyril NOURISSAT, Professeur agrégé des Facultés de droit, Recteur de l’Académie de Dijon
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ctualité nourrie pour la période couverte par la présente livraison de la chronique. Chacun mesurera que, comme dans d’autres branches du droit, l’emprise de l’ordre juridique européen ne cesse de progresser. Et certains observerons que se profile, ce qui est heureux, une sorte de convergence autour des intérêts bien compris des opérateurs du commerce international. Cela transparaît, en premier lieu, dans le travail de titan que constitue le projet d’instrument uniforme européen en droit de la vente. Certes, toujours fortement marqué par le prisme du contrat de consommation et de la nécessaire protection de la partie faible (illustrée d’ailleurs par l’arrêt du 16 juin commenté ici par Madame de ClavièreBonnamour), différentes inflexions remarquables – comme on le lira dans les colonnes qui suivent – sont apportées qui conduisent à prendre en compte les spécificités du commerce intra-européen dans le contexte plus global du commerce international. Ce « second régime » de la vente, laissé à la seule volonté des parties au contrat, pose de nombreuses questions tant politiques que techniques. Quid des lois de police ? Quid de la convention de Vienne ? On trouvera dans la première analyse donnée par Madame Porcheron d’utiles éléments de réponse. Cela se manifeste, en second lieu, dans l’arrêt majeur prononcé par la Cour de justice le 9 juin 2011 dans l’affaire Electrosteel Europe SA. La jonction est pleinement opérée en toute intelligence entre l’instrument phare du droit du commerce international que constituent les Incoterms et l’instrument phare du droit processuel commercial européen qu’est le règlement « Bruxelles I ». Le pragmatisme semble donc l’emporter même si certains regrets apparaissent, comme le relève Monsieur Combet. Plus généralement, si la frontière garde (encore ?) toute sa signification entre les situations contractuelles internes (et les contentieux qui peuvent en découler) et les situations contractuelles frappées d’un élément d’extranéité, l’on voit donc se dessiner un effacement de cette même frontière entre les situations intraeuropéennes et les situations que nous appelons habituellement « réellement internationales ». Il faut s’en féliciter pour les opérateurs qui œuvrent à l’international sans considérations marquées entre le marché européen et le marché international. Et quand l’on sait que l’internationalisation des instruments européens (enclenchée avec les règlements « Rome I » et « Rome II » et leur vocation universelle) est à l’ordre du jour à la faveur de la refonte du règlement « Bruxelles I », chacun mesurera aisément que régionalisation et internationalisation du droit, longtemps présentées comme des dimensions concurrentes, sont probablement appelées à devenir complémentaires mais, souhaitons-le, non redondantes ! N’était-ce d’ailleurs pas l’intuition fondatrice de cette chronique consacrée depuis l’origine de manière délibérée au droit international et européen des contrats d’affaires… Cyril NOURISSAT
Par Delphine l hi PORCHERON
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Maître de conférences à l’Université de Strasbourg Membre du Centre de Droit Privé Fondamental
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La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente : un pas décisif vers l’élaboration d’un droit européen des contrats ? C’est au terme d’un véritable marathon que la proposition de la Commission européenne portant sur un règlement relatif à un droit commun européen de la vente a pu voir le jour. Présenté le 11 octobre 2011, ce projet d’instrument devrait constituer une avancée majeure dans la construction d’un droit européen des contrats. Communiqué Comm. UE n° IP/11/1175, 11 oct. 2011
es instances européennes ont depuis longtemps affirmé l’importance d’un instrument en droit européen des contrats. La disparité des législations nationales en ce domaine est considérée comme un frein pour le marché
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intérieur, plus particulièrement pour les petites et moyennes entreprises. Elle affaiblirait également la confiance des consommateurs. L’adoption d’un instrument européen en matière contractuelle devrait permettre de gagner en simplicité et en sécurité juridique, et participerait au bon
fonctionnement du marché (cf. le programme de Stockholm, JO C115 du 4.5.2010, qui établit les priorités de l’Union européenne pour 2010-2014 dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité et mentionne qu’un cadre commun de référence pour le droit européen des contrats permettrait de soutenir l’activité économique). Des doutes ont toutefois été exprimés quant à la véritable incidence de la diversité des règles de droit sur le comportement des acteurs économiques (cf. par exemple, « synthèse des travaux des groupes du réseau TEE sur le livre vert du 1er juillet 2010 », in Behar-Touchais M., Chagny M. (dir.), Livre vert sur le droit européen des contrats, réponses du réseau Trans Europe Experts, Société de législation comparée 2011, p. 18 et s.).
L’Union européenne travaille sur un projet de droit européen des contrats depuis plus de dix ans (projet initialement inspiré de codifications savantes telles que les Principes de droit européen des contrats établis par la Commission sur le droit européen des contrats, créée sous l’égide du professeur O. Lando ou l’Avant-projet de Code européen des contrats). En 2001, la Commission avait
proposition se compose d’un règlement suivi d’une annexe I contenant les règles de droit contractuel et d’une annexe II comprenant un avis d’information type que le professionnel doit délivrer au consommateur. Il convient à présent d’en donner un premier aperçu en examinant sa nature juridique, son champ d’application et son contenu.
REPÈRES
DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DES CONTRATS D’AFFAIRES
I.– NATURE JURIDIQUE Parmi les sept options présentées par le Livre vert du 1er juillet 2010, la quatrième portant sur l’élaboration d’un instrument optionnel a finalement été retenue. Concrètement, la Commission propose un règlement instituant un instrument facultatif de droit européen de la vente. L’idée est ainsi de permettre aux contractants de commercer dans l’ensemble du marché européen en choisissant, s’ils le souhaitent, de se soumettre à un régime identique : le régime optionnel. Cette nouvelle forme de normativité s’est donc imposée au premier plan (pour-
lancé une consultation publique sur les problèmes résultant de la divergence des droits nationaux des contrats (COM(2001) 398), suivie en 2003 par un Plan d’Action tendant à « un droit européen des contrats plus cohérent » tant, les 320 réponses reçues lors de la consultation publique (COM(2003) 68). L’amélioration devait être résultant du Livre vert ne reflétaient pas un enthousiasme L’idée est de permettre menée sur deux fronts : élaboration d’un unanime à l’égard de celle-ci ; il est dès lors légitime de aux contractants cadre commun de référence (CCR) et s’interroger sur la réelle destinée des réponses données au de commercer dans révision de l’acquis communautaire. Un Livre vert. En ce sens, Claret H., Pignarre G., Les méthodes l’ensemble du marché projet de cadre commun de référence de la Commission européenne : à quoi sert-il de convaincre (PCCR) monumental fut alors élaboré quand on a déjà contraint ?, D. 2011, p. 1981 ; Adde pour européen en choisissant, par un réseau académique européen et une réflexion sur les limites de la démocratie participative, s’ils le souhaitent, de se déposé fin 2008. En octobre de la même Pérès C., Livre vert de la Commission européenne, les soumettre à un régime année, la Commission présenta une prosources contractuelles à l’heure de la démocratie participaidentique : le régime position de directive relative aux droits tive, RDC 2011-1, p. 13 et s.). optionnel. des consommateurs (COM(2008) 614) qui, Il s’agit donc d’une voie médiane qui tend à introduire dans le droit des États après d’âpres discussions, a finalement membres, au moyen d’un règlement, un texte de droit maété adoptée par le Parlement européen le 23 juin 2011 et par tériel sur la vente. L’originalité de cet instrument est qu’il le Conseil de l’Union européenne le 10 octobre dernier. Une ne se substituera pas aux droits nationaux. Il s’ajoutera aux transposition dans les droits nationaux est prévue en 2013 différentes règles préexistantes et permettra aux cocontractants (cette nouvelle directive est consultable sur le site ). d’éviter d’être confrontés à l’application d’un droit étranger. En outre, le 1er juillet 2010, la Commission européenne diffusa La proposition est conçue comme un « second régime », exun Livre vert sollicitant des avis sur les « actions envisageables pression qui a remplacé celle de « 28e régime » initialement en vue de la création d’un droit européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises » (COM(2010) 348/3). Sept options adoptée. Cette nouvelle terminologie n’a rien d’anodin. Se référer à un « 28e régime » – qui s’ajoute aux 27 régimes de droit furent présentées. Elles portent sur les diverses formes que l’instrument européen pourrait emprunter et sont classées des contrats des États membres – tendrait à assimiler l’instrudans un ordre croissant de valeur contraignante. Elles vont ment optionnel à un droit étranger. En revanche, l’expression de la simple publication des résultats d’un groupe d’expert « second régime » permet d’insister sur l’idée d’un second (option 1) à un règlement instituant un Code civil européen régime interne d’origine européenne (cf. Avis du Comité économique et (option 7). social européen, INT/499 du 27 mai 2010). Si les contractants choisissent ce Parallèlement à cette consultation qui a pris fin en jan« second régime » d’origine européenne, celui-ci se substituera vier 2011, la Commission a mis en place un groupe d’experts intégralement au droit étatique. Il deviendra le régime interne chargé d’élaborer dans le délai d’un an, à partir des différents choisi par les parties (cf. Behar-Touchais M., Relation d’un instrument optiontravaux existants (le PCCR, les Principes contractuels communs publiés par la nel avec les lois nationales, document disponible sur le site ). L’article 11 de la proposition de règlement affirme le caractère exclusif de l’instrument en disposant que « lorsque sur la vente internationale de marchandises et les Principes d’Unidroit relatifs aux contrats les parties sont valablement convenues d’appliquer le droit du commerce international), un projet de texte sur un cadre commun commun européen de la vente à un contrat, seul ce droit régit de référence en droit européen des contrats. Ce document les matières relevant de ses dispositions » (sic.). intitulé « Feasibility study for a future instrument in European Contract Law » fut présenté le 3 mai 2011. Il résulte d’une Le futur droit commun européen de la vente, s’il est adopté profonde réflexion menée par de multiples acteurs. Toute en l’état, sera donc un « second régime » facultatif. Lorsque partie intéressée par le nouveau projet pouvait exprimer son les cocontractants le choisiront, il deviendra exclusif de toute avis jusqu’au 1er juillet 2011 (106 réponses ont été recueillies autre règle nationale pour les matières relevant de son champ d’application. Ces caractéristiques emportent plusieurs conséen dépit d’un délai qui étonne par sa brièveté). quences. Le présent commentaire se limitera à quelques Dernièrement, un seuil décisif a été franchi par la Commisquestions portant sur l’articulation entre le régime optionnel sion : celle-ci vient de présenter une proposition de règlement et les règles de droit international privé. relatif au droit commun européen de la vente (COM(2011) 635 final) Tout d’abord, le choix du droit commun européen de la vente qui reprend en grande partie les règles issues de l’« étude ne constitue pas une désignation de droit applicable au sens > de faisabilité » du groupe d’experts. Plus précisément, la
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L A P R O P O S I T I O N D E R È G L E M E N T R E L AT I F À U N D R O I T C O M M U N E U R O P É E N D E L A V E N T E : U N PA S D É C I S I F V E R S L’ É L A B O R AT I O N D ’ U N D R O I T E U R O P É E N D E S C O N T R AT S ?
des règles de droit international privé et « ne doit pas être confondu avec cette formalité » (cf. exposé des motifs de la proposition de règlement, p. 7). En effet, selon le considérant 10 de la proposition, la désignation du droit commun européen de la vente sera un choix opéré au sein du droit national reconnu compétent en vertu du règlement « Rome I » (Règl. Parl. et Cons. CE n° 593/2008, 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles) ou du règlement « Rome II » (règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ; ce règlement prévoit notamment des règles de conflits de lois en matière de responsabilité précontractuelle), ou de toute autre règle de conflit de lois pertinente (par exemple, celles issues de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels). Cette solution implique
toutefois un raisonnement complexe qui se déroule en deux étapes : application des règles de droit international privé pour déterminer la loi applicable, puis application de la convention désignant le droit commun européen de la vente (en vertu des dispositions de l’article 8 du règlement). Qu’en sera-t-il lorsque les règles de conflit désigneront la loi d’un État tiers ? En l’absence de précisions supplémentaires figurant dans le règlement, il semble que le choix du « second régime » devra être invalidé. Mais, cette solution, qui limite considérablement la portée du nouvel instrument, pourrait être en contradiction avec le considérant 14 énonçant que « l’application du droit commun européen de la vente ne devrait pas se limiter aux situations transfrontières concernant les seuls États membres mais également servir à favoriser le commerce entre ces derniers et les pays tiers ». Elle risquerait également de déjouer les prévisions des contractants qui auraient choisi le droit commun européen de la vente sans vérifier préalablement la loi applicable au contrat (en ce sens, Vareilles-Sommières P., Corneloup S., Heymann J., Usunier L., AldebrechtVignes C., Livre vert sur le droit européen des contrats, réponses du réseau Trans Europe Experts, Société de législation comparée 2011, p. 159).
Ensuite, selon le considérant 12, l’article 6, paragraphe 2, du règlement « Rome I » (selon lequel, dans un contrat de consommation, le choix par les parties de la loi applicable au contrat ne peut pas priver le consommateur de la protection des dispositions impératives de la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle) n’aura « plus aucune importance pratique pour les
matières régies par le droit commun européen de la vente ». En effet, puisque la proposition comprend un corps complet de règles impératives et totalement harmonisées protégeant le consommateur, les disparités entre les législations des États membres lorsque les parties auront choisi d’appliquer ce droit commun disparaitront. Mais, là encore, une difficulté surgit lorsque le consommateur n’est pas domicilié dans un État membre. Dans ce cas, le considérant 14, 2de phrase, précise que « lorsque des consommateurs de pays tiers interviennent, la convention d’application du droit commun européen de la vente, qui impliquerait le choix d’un droit étranger pour eux, devrait être soumise aux règles applicables en matière de conflits de lois » (l’on peut d’ailleurs se demander pourquoi cette précision ne concerne que les seuls contrats de consommation). Il semble résulter de ce considérant, mais son interprétation n’est pas aisée, que la désignation par les parties de l’instrument optionnel est assimilée, dans cette hypothèse, à un choix de loi applicable, au sens notamment de l’article 3, paragraphe 1, du règlement « Rome I ». La désignation du droit commun européen de la vente constituerait dès lors un choix international et ne serait plus subordonnée à l’applicabilité de la loi d’un État membre. Partant, une modification de l’article 3 du règlement « Rome I » serait en principe nécessaire, puisque dans sa formulation actuelle, cet article dispose que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». Or, l’instrument européen ne peut être assimilé à une loi au sens strict. Cependant, en vertu du
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considérant 14 du préambule du règlement « Rome I », selon lequel un instrument juridique européen en droit des contrats peut prévoir que les parties peuvent choisir d’appliquer ces règles, une modification ne s’impose pas obligatoirement (tout dépend néanmoins de la valeur juridique attribuée à ce considérant). Mais, le problème persiste pour le règlement « Rome II » qui ne comporte pas de dispositions similaires (en vertu de l’article 14-1, a) du règlement « Rome II », pour les contrats de consommation, les parties peuvent choisir la loi applicable à l’obligation non contractuelle dans un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage).
Enfin, lorsque les parties choisiront ce « second régime », les dispositions de celui-ci ne pourront pas être évincées par les lois de police. L’application uniforme du régime optionnel dans les États membres sera par là même favorisée. Cependant, le risque est de voir se développer des stratégies de contournement des lois de police, et ce au détriment de la partie la plus faible. La nature et les caractéristiques du projet présenté par la Commission, à défaut de précisions suffisantes, soulèvent donc un certain nombre de difficultés. La détermination du champ d’application de la proposition semble moins problématique.
II.– CHAMP D’APPLICATION L’« étude de faisabilité » remise en mai 2011 par le groupe d’experts ne contenait pas de règles précises sur le domaine d’application du futur instrument. La proposition de la Commission établit quant à elle le champ d’application géographique, personnel et matériel du droit commun européen de la vente. Concernant tout d’abord son domaine d’application dans l’espace, l’article 4-1 du règlement précise que le droit commun européen de la vente s’applique aux contrats transfrontières. L’objectif de la Commission étant de créer un régime commun afin de stimuler le commerce transfrontière, cette limitation paraît conforme au principe de proportionnalité. Le contrat transfrontière est ensuite défini à l’article 4-2. Deux hypothèses sont distinguées : tout d’abord, dans les contrats entre professionnels, la nature transfrontière est appréciée sur la base de la résidence habituelle des parties dont l’une au moins est située dans État membre ; puis, dans un contrat entre un professionnel et un consommateur, le contrat est transfrontière « lorsque : a) l’adresse indiquée par le consommateur, l’adresse de livraison du bien ou l’adresse de facturation est située dans un pays autre que celui où le professionnel a sa résidence habituelle et b) l’un au moins de ces pays est un État membre ». Le champ d’application spatial de l’instrument est donc clairement établi. Néanmoins, les États membres devraient être autorisés, s’ils le souhaitent, à étendre le futur instrument aux contrats purement internes (cf. article 13). Concernant ensuite les parties contractantes visées, le texte de la Commission porte à la fois sur les rapports contractuels entre professionnels (« B to B ») et sur les rapports entre professionnels et consommateurs (« B to C »). Lorsque toutes les parties contractantes sont des professionnels, l’une au moins doit être une petite ou moyenne entreprise (cf. article 7 qui définit la notion de PME). Le règlement laisse cependant aux États membres la possibilité de légiférer afin de proposer un recours au droit commun européen de la vente pour des contrats entre professionnels dont aucun n’est une PME (article 13). S’il semble effectivement essentiel d’inclure dans le champ de l’instrument optionnel les contrats de consommation, puisque c’est en ce domaine que la disparité des droits des États membres est la plus susceptible de constituer une entrave aux échanges transfrontaliers (en ce sens, cf. notamment Vareilles-Sommières P., Cor-
neloup S., Heymann J., Usunier L., Aldebrecht-Vignes C., préc., p. 149), l’articulation entre l’acquis communautaire, la nouvelle directive relative aux droits des consommateurs et le futur instrument mériterait d’être davantage précisée. La Commission se contente ici d’énoncer que le degré de protection assuré par les dispositions impératives de sa proposition est égal ou supérieur à celui de l’acquis actuel (cf. exposé des motifs, p. 7). La question de l’inclusion des contrats conclus entre professionnels est en revanche plus discutable. En effet, les professionnels disposent déjà de règles uniformes internationales, comme la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises (qui semble d’ailleurs avoir été une source d’inspiration importante lors de l’élaboration de la proposition), le besoin d’un régime optionnel paraît donc
être moins pressant. Pour autant, l’objectif visé par le projet d’instrument de droit européen de la vente étant de permettre « à tous les agents économiques du marché intérieur de choisir un système contractuel unifié et complet en harmonie avec les règles d’un ordre public européen » (Tricot D., Behar-Touchais M., Michaux E., Sejean M., Descaudin Ch., in Livre vert sur le droit européen des contrats, réponses du réseau Trans Europe Experts, préc.), l’inclusion semble finalement
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Le projet retient un plan essentiellement chronologique. Outre les dispositions introductives, les règles sont énoncées et ordonnées suivant les phases successives du processus contractuel : formation du contrat (Partie II) ; appréciation du contenu du contrat (Partie III) ; obligations et moyens d’action des parties à un contrat de vente ou à un contrat de fourniture de contenu numérique (Partie IV) ; obligations et moyens d’action des parties à un contrat de services connexes (Partie V) ; dommages et intérêts, intérêts de retard (Partie VI) ; restitution (Partie VII) ; prescription (Partie VIII). L’analyse du document fait apparaître trois types de règles : certaines dispositions sont communes à toutes les parties, d’autres sont spécifiques aux relations entre professionnels (« B to B ») et d’autres enfin sont propres aux rapports entre professionnels et consommateurs (« B to C »). De manière générale, le texte peut être considéré comme protecteur du consommateur. Cela résulte de différentes dispositions telles que, par exemple, les règles concernant l’information précontractuelle devant être fournie par le professionnel au consommateur (articles 13 et s.), le droit de rétractation relatif aux contrats conclus à distance ou hors établissement (cf. articles 40 et s., les appendices I
pleinement justifiée. Concernant enfin le domaine d’application matériel de l’instrument optionet II de l’annexe I du règlement comportent en outre un La question de l’inclusion nel, la Commission a centré son projet modèle des instructions concernant la rétractation devant des contrats conclus entre sur la matière contractuelle. Elle opère être envoyé au consommateur et un modèle de formulaire professionnels est en ainsi une rupture nette avec le PCCR de rétractation), l’interprétation du contrat revanche plus discutable. au champ d’application trop vaste. Le en faveur du consommateur (article 64), texte présenté par la Commission porte la protection du consommateur en cas donc sur le seul droit des contrats, et de non-conformité du produit (articles 99 plus précisément encore, en vertu de l’article 5 du règlement, et s.), ou encore tout un arsenal de lutte contre les clauses sur les contrats de vente de biens, de fourniture de contenu contractuelles abusives (articles 79 et s., qui s’adressent également en partie numérique (tels que vidéos, enregistrements audio, images ou contenus numériques aux contrats entre professionnels). Concernant les règles communes à toutes les parties, l’opéraécrits, jeux numériques, logiciels…) et de prestations de services connexes teur du commerce international reconnaîtra des dispositions (installation, entretien et réparation du bien). Un souci de pragmatisme a s’inspirant notamment de la Convention de Vienne sur la très certainement guidé ce choix. L’objectif poursuivi par la vente internationale de marchandises. L’on peut citer, par Commission étant de développer le commerce intra-européen, exemple, l’article 31-3, selon lequel une proposition faite au il semble effectivement cohérent de viser en premier lieu ce public ne constitue pas une offre, sauf circonstances contraires type de contrats. Toutefois, le Parlement européen avait appelé à un champ d’application plus large. Dans une résolution (comp. article 14.2 de la CVIM) ou encore le mécanisme de la résolution du 8 juin 2011, il estimait que les contrats de prestation de du contrat pour inexécution anticipée qui permet à l’une des services et les contrats d’assurance devraient également être parties, dès lors que l’inexécution serait de nature à justifier inclus dans l’instrument optionnel. la résolution, de résoudre le contrat avant l’échéance prévue Néanmoins, si le champ d’application matériel de ce projet pour l’exécution si l’autre partie a déclaré qu’elle ne s’exése limite à la vente, à la fourniture de contenu numérique et cuterait pas ou s’il est manifeste qu’elle ne s’exécutera pas aux services qui y sont liés, son contenu comporte également (articles 116 et 136 du droit commun européen de la vente, comp. article 72 de la CVIM). quelques dispositions générales. L’on remarquera enfin que la traduction du texte en français est parfois approximative. Ainsi, l’article 142-1 relatif au transfert de risques énonce que « dans un contrat de vente avec un III.– CONTENU consommateur, les risques sont transférés au moment où le consommateur ou un tiers autre que le transporteur et désigné La proposition de la Commission constitue un texte sur le par le consommateur, n’a pas physiquement pris possession du droit de la vente qui se veut complet et autonome par rapport bien ou du support matériel sur lequel le contenu numérique aux droits nationaux (cf. article 4 de l’annexe I qui précise que « le droit commun est fourni ». Il faut certainement comprendre ici que le transeuropéen de la vente doit être interprété de façon autonome, conformément à ses objectifs et fert de risques s’opère lorsque le consommateur (ou un tiers aux principes sous-jacents à celui-ci »). C’est pourquoi les 186 articles du autre que le transporteur et désigné par le consommateur) projet de droit commun européen de la vente contiennent à a pris physiquement possession du bien (en ce sens, cf. la version la fois des principes généraux relatifs au droit des contrats et des dispositions spécifiques à la vente et aux services liés. anglaise du projet). Parmi les règles générales énoncées dans la Partie I figurent L’idée d’un futur droit commun européen relatif aux contrats notamment le principe de liberté contractuelle (qui subit des exceptions de vente se concrétise donc peu à peu. Le projet doit encore être approuvé par le Parlement européen et le Conseil de importantes notamment lorsqu’un consommateur est une partie contractante, cf. article 1 du l’Union européenne, ce qui laisse présager de nouveaux droit commun européen de la vente) et le principe de bonne foi et loyauté débats au sein et en dehors des institutions européennes. ◆ (article 2) qui acquiert ici le statut de principe directeur.
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Régime européen de la garantie de conformité : dans la pesée d’intérêts antagonistes, le juge de l’Union compose, mais déçoit. En cas de remplacement d’un bien de consommation défectueux, le vendeur est tenu d’enlever ce bien du lieu où il a été installé de bonne foi par le consommateur et y installer le bien de remplacement, ou supporter les frais nécessaires à ces opérations. Le remboursement de ces frais peut cependant être limité à un montant proportionné à la valeur du bien conforme et à l’importance du défaut de conformité. CJUE, 16 juin 2011, aff. jointes C-65/09 et C-87/09, Gebr. Weber GmbH c/ Jürgen Wittmer (C-65/09) et Ingrid Putz c/ Medianess Electronics GmbH (C-87/09)
La directive n° 1999/44/CE du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (JOCE 7 juill. 1999, n° L 171, p. 12), encadre la vente de ces biens et crée « un socle minimal commun de règles de droit de la consommation valable indépendamment du lieu de la vente des biens dans la Communauté » (cf. les considérants 2 et 5). Instrument d’harmonisation partielle, son objectif est a priori d’assurer une protection contre la non-conformité des biens au contrat au profit du seul consommateur (cf. par exemple, les considérants 1, 5 et 7) en consacrant, notamment, une conception unitaire de la conformité. Le texte n’est transposé en droit français qu’avec retard, justifiant une condamnation de la France (cf. CJCE, 1er juill. 2004, aff. C-311/03, Commission c/ France, D. 2005, p. 614, obs. Nourissat C., RTD civ. 2005, p. 345, obs. Remy-Corlay P.), et à l’issue d’un débat houleux, par l’ordonnance du 17 février 2005 relative à la « garantie de conformité due par le vendeur au consommateur » (D. 2005, p. 555. Cf. également le rapport au Président de la République : JCP E 2005, 365). Directement inspiré de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 (CVIM), il crée un concept nouveau : la garantie de conformité. Tout juste réceptionnée dans les systèmes juridiques des États membres, la nature comme la portée exacte de cette institution interrogent (cf. Pimont S., La garantie de conformité. Variations françaises autour de la préservation des particularités nationales et de l’intégration communautaire, RTD com. 2006, p. 261). Différentes obscurités puisent leur source dans
l’ambiguïté de la directive elle-même : adoptée sur la double
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base des articles 153 et 95 CE – le premier permet d’arrêter des mesures relatives au rapprochement des législations des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, le second assigne à la Communauté (l’Union) européenne la mission de contribuer à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, protection dont il fait une politique d’accompagnement du marché intérieur – l’intention du législateur de l’Union y est incertaine, des finalités opposées s’entrecroisant. Dans ce contexte, les divergences dans l’interprétation des ambitions européennes foisonnent. Des analyses parfois contradictoires sont proposées, qui défendent tantôt assidûment la protection de l’acheteur, tantôt le besoin de prévision des professionnels. Des difficultés pratiques en découlent, en particulier quant au jeu des remèdes offerts au consommateur. Chaque décision rendue par le juge de l’Union à propos de la garantie de conformité doit dès lors retenir l’attention. Ses arrêts sont peu nombreux en ce domaine. L’arrêt Quelle précise pour la première fois, le 17 avril 2008 (CJCE, 17 avr. 2008, aff. C-404/06, Quelle AG, Rec. CJCE, I, p. 2685, D. 2008, p. 2631, note Pignarre G. et Pignarre L. F. ; ibid. 2009, p. 393, obs. Poillot E., JCP G 2008, II, n° 152, note Paisant G.), les modalités
d’application de la directive. Interprétant son article 3, qui dispose que la réparation ou le remplacement du bien non conforme interviennent « sans frais », mais ajoute que ces frais désignent « ceux exposés pour la mise des biens dans un état conforme, notamment les frais d’envoi du bien et les frais exposés au travail et au matériel », la Cour se détache des termes du texte européen et choisit une approche très protectrice du consommateur, en s’opposant à ce qu’une réglementation nationale autorise le vendeur d’exiger, de la part de l’acquéreur non professionnel, une indemnité pour l’usage du bien non conforme jusqu’à son remplacement. La solution est heureuse : elle encourage certains consommateurs à recourir à un régime juridique en de nombreux points moins protecteur que celui issu du droit commun, à tout le moins, en France, et, en conséquence, peu prisé. En répondant, le 16 juin dernier, aux questions préjudicielles qui lui sont soumises dans les affaires jointes Gebr. Weber GmbH c/ Jürgen Wittmer (C-65/09) et Ingrid Putz c/ Medianess Electronics GmbH (C-87/09), la Cour poursuit l’œuvre de composition du régime de la garantie légale de conformité. Elle adopte, en revanche, une perspective distincte de celle retenue en 2008. La première espèce oppose un consommateur à une société à propos d’un contrat de vente portant sur du carrelage poli, pour un prix de 1 382, 27 euros. Après avoir fait poser les deux tiers de ce carrelage dans sa maison, l’acquéreur a constaté la présence de traces sombres, discernables à l’œil nu. Dans le cadre d’une procédure engagée contre le vendeur, un expert conclut que ces marques proviennent de fines traces de micro-polissage, impossibles à faire disparaître. Le complet remplacement des dalles constitue le seul mode de dédommagement envisageable, opération estimée à 5 830, 57 euros, que la société refuse de prendre en charge. Le second litige est né après qu’une consommatrice ait conclu par Internet, avec l’entreprise Medianess Electronics GmbH, un contrat de vente portant sur un lave-vaisselle neuf, pour un prix de 367 euros. Sans que les opérations d’installation du matériel puissent en être la cause, celui-ci révèle ultérieurement sa défectuosité. Aucune réparation n’étant possible, les parties s’entendent sur son remplacement. Le vendeur refuse cependant de procéder également à l’enlèvement de l’ancien appareil et à l’installation du nouveau, ou de supporter les frais nécessaires à cette opération.
Saisies de ces deux affaires, les juridictions allemandes demandent au juge de l’Union si la directive 1999/44/CE – plus spécifiquement, son article 3 – oblige le professionnel à prendre en charge l’enlèvement du bien non conforme et l’installation du bien de remplacement. Le Bundesgerichtshof souligne notamment que le droit allemand n’impose aucune obligation, à l’endroit du vendeur non fautif, d’assumer ces opérations. La réponse avancée par le juge de l’Union se départit des conclusions de l’avocat général, résolument favorables aux professionnels (Conclusions de l’avocat général M. J. MAZÁK, présentées le 18 mai 2010). En substance, la Cour explique, dans un premier temps, qu’en cas de remplacement d’un bien de consommation non conforme, le vendeur est tenu d’enlever ce bien du lieu où il a été installé de bonne foi par le consommateur, conformément à sa nature et à l’usage recherché, ou supporter les frais nécessaires à cette opération. Cette obligation existe indépendamment du fait de savoir si le professionnel s’est engagé, en vertu du contrat de vente, à procéder à l’installation du bien initialement acheté. Elle ajoute toutefois, dans un second temps, que le remboursement de ces frais peut être limité à un montant proportionné à la valeur du bien conforme et à l’importance du défaut de conformité. Alors que des incertitudes pratiques pèsent sur le régime européen de la garantie de conformité, la décision étudiée éclaire sur la nature et les effets de cette institution juridique. Au-delà de ces éléments attendus, l’examen du raisonnement tenu par la Cour se révèle nécessaire dans la perspective d’une harmonisation maximale de la conformité dans la vente, telle que suggérée par la proposition de directive du 8 octobre 2008 relative aux droits des consommateurs (COM (2008) 614 final), qui impose à ces derniers de se fonder exclusivement sur les transpositions du texte européen. En analysant l’étendue de la garantie, le juge de Luxembourg vient préciser de façon utile les obligations du professionnel (I). La solution de la Cour déçoit en revanche quant à l’articulation des remèdes offerts au consommateur (II).
I.– LA GARANTIE, INSTRUMENT DE DÉFINITION DES OBLIGATIONS DU PROFESSIONNEL L’espèce étudiée témoigne de ce que la garantie participe directement de la définition des obligations du vendeur (cf. à propos de la garantie contre les vices cachés, Coëffard P., Garantie des vices cachés et « responsabilité contractuelle de droit commun », Poitiers, 2003, spéc. n° 70). Le com-
blement de certaines lacunes terminologiques de la directive 1999/44 (A) permet à la Cour de déterminer les devoirs du professionnel (B). A.– Le comblement des lacunes terminologiques La garantie légale de conformité, ainsi nommée, en droit français, afin de la distinguer de la garantie commerciale également régie par la directive 1999/44, cette dernière désignant l’hypothèse dans laquelle le vendeur offre conventionnellement des droits au consommateur en sus des droits légaux, oblige le vendeur à répondre, vis-à-vis du consommateur, « de tout défaut de conformité qui existe lors de la délivrance du bien », ainsi que l’envisage l’article 3, paragraphe 1, de la directive. Quatre droits hiérarchisés sont énoncés, au bénéfice du consommateur, à cette fin. Probablement imprégné d’une logique de droit commun, le texte privilégie la satisfaction in rem de l’acquéreur et accorde la primauté à l’exécution en nature de la convention : au terme de l’article 3, paragraphe 2, « le consommateur a le droit d’exiger du vendeur la réparation du bien ou son remplacement, dans les deux cas sans frais,
à moins que cela ne soit impossible ou disproportionné ». De façon subsidiaire, la directive propose deux remèdes en valeur à son article 3, paragraphe 5 : la réduction adéquate du prix ou la résolution du contrat de vente. Ces dispositions matérialisent l’objet du régime européen de la garantie : tandis que, en vertu du contrat de vente, le professionnel est tenu de livrer ou de délivrer la chose vendue, la garantie représente la suite naturelle de cette obligation, qui impose au vendeur d’assumer l’exécution incorrecte du contrat ou, plus précisément, la non-conformité au contrat du bien de consommation. La garantie met ainsi directement en cause l’étendue des obligations du professionnel (Coëffard P., thèse préc.). Cette dernière dépend néanmoins de la définition des notions relatives aux droits du consommateur. En l’espèce, la Cour apporte des éléments de compréhension de la notion de « remplacement sans frais », visée à l’article 3, paragraphes 2 et 3, de la directive. La portée exacte de la notion de « remplacement » varie dans les différentes transpositions nationales de la directive 1999/44. Strictement, ce terme s’entend de l’échange de la chose présentant un défaut contre une qui est conforme. Tandis que le texte européen procède à une harmonisation minimale, certains États membres ajoutent à cette obligation celle de supporter les coûts d’enlèvement du bien non conforme. D’autres États, comme l’Allemagne ou la France, n’imposent au contraire aucun devoir supplémentaire au professionnel. L’interprétation littérale de la directive ne semble en effet prescrire au vendeur de procéder à l’installation du bien de remplacement non conforme ou de prendre en charge les frais afférents à cette opération, dès lors qu’il n’y est pas soumis en vertu des stipulations contractuelles. Son interprétation téléologique ne suffit, quant à elle, à apporter une réponse ferme à cette question. Révélant les débats qui ont opposé le Conseil et la Commission au Parlement lors des travaux préparatoires de la directive – les premiers ont refusé « en dépit d’un souhait du Parlement dans ce sens, de retenir l’article 153 CE en tant que base juridique de la directive » (Serrano L., Champ
REPÈRES
DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DES CONTRATS D’AFFAIRES
d’application et définitions, in La directive communautaire sur la vente, commentaires, Bianca M.-C., Grundmann S. et Stijns S., LGDJ et Bruylant, 2004, spéc. n° 3) – d’aucuns
d’affirmer que la protection du consommateur ne représente qu’un objectif secondaire du régime européen de la garantie de conformité. Pour d’autres, le régime de la garantie de conformité devrait, idéalement, être plus favorable au consommateur que celui issu du droit commun (Pimon S., art. préc.). Au final, un vide juridique naît de lacunes terminologiques. Ces dernières font encourir au texte européen différentes critiques, dans la mesure où la protection accordée au consommateur dépend directement de leur comblement. En expliquant qu’en cas de remplacement d’un bien de consommation non conforme, le vendeur est tenu d’enlever ce bien du lieu où il a été installé par le consommateur et y installer le bien de remplacement, ou supporter les frais nécessaires à ces opérations, le juge de l’Union envisage la notion de « remplacement » de façon fonctionnelle, de sorte que la mise en œuvre du remède choisi par le consommateur n’emporte aucun frais à son endroit. Ces frais, selon l’article 3, paragraphe 4, de la directive, désignent « les frais nécessaires exposés pour la mise des biens dans un état conforme, notamment les frais d’envoi du bien et les frais associés au travail et au matériel ». La notion de « remplacement » ne saurait ainsi se limiter à la simple livraison du bien de remplacement conforme : elle impose au vendeur de prendre en charge l’ensemble des frais afférents à cette opération. Par l’adverbe « notamment », présent dans le texte de la directive, le législateur de l’Union a souhaité signifier que l’énumération >
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proposée à l’article 3, paragraphe 4, n’est pas exhaustive : elle ne présente qu’un caractère indicatif (cf. pt. 31 de l’arrêt Quelle préc. et pt. 50 de l’arrêt ici étudié). D’où l’on observe que la gratuité constitue l’élément essentiel de la protection du consommateur. Elle est de l’essence même des remèdes auxquels celui-ci a droit, qu’il s’agisse du remplacement du bien en particulier, mais également de l’autre remède en nature, la réparation, ou des deux remèdes en valeur. Fort de ce constat, il n’est pas certain que la transposition française de la directive (cf. en particulier C. consom., art. L. 211-9 et s.) aille nécessairement, sur ce point, au-delà de la protection que cette dernière accorde au consommateur : le fait que l’acheteur n’ait à supporter aucun frais de mise en pratique des remèdes énoncés à l’article 3 du texte européen constitue une mesure de protection minimale qui lui est accordée (pt. 60 de la présente espèce et pt. 36 de l’arrêt Quelle). Cet avantage – la gratuité – offert au consommateur, découle de la volonté manifeste du législateur de l’Union de lui assurer une protection effective (cf. pts. 51 et 55 de l’arrêt). Ces observations ne dissipent probablement pas toutes les difficultés relatives à la détermination des droits du consommateur. Notamment, la gratuité des frais de justice exposés par ce dernier pourrait prêter à caution (Gaudin L., Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes offerts au consommateur en cas de défaut de conformité de la chose vendue, D. 2008, p. 631, spéc. n° 26). Néanmoins, le juge de l’Union
détermine en l’espèce le critère d’appréciation des frais mis à la charge du vendeur : il s’agit de l’ensemble des frais auxquels le consommateur n’aurait pas été confronté si le vendeur avait d’emblée correctement exécuté son obligation de livrer un bien conforme (pt. 60 de l’arrêt). La protection effective du consommateur s’entend, en conséquence, d’une gratuité absolue, dans la limite de son enrichissement sans cause. Elle exclut le versement de toute prestation financière par l’acheteur – devraient ainsi être visés, notamment, les frais d’avocat – pour obtenir la mise en conformité du bien (cf. déjà, l’arrêt Quelle préc.). Ces précisions terminologiques viennent déterminer les obligations du professionnel. B.– La détermination des obligations du vendeur Les devoirs du vendeur.– La Cour explique que l’obligation du vendeur, en cas de remplacement du bien non conforme, de procéder lui-même à l’enlèvement de ce bien du lieu ou il a été installé et d’y installer le bien de remplacement, ou de supporter les frais nécessaires à cette opération, existe indépendamment du point de savoir s’il s’était engagé, en vertu du contrat de vente, à installer le bien de consommation acheté initialement et indépendamment d’une faute éventuelle qu’il aurait pu commettre. Ce faisant, la Cour, se plaçant sur le terrain de l’exécution du contrat, précise l’étendue de l’engagement du professionnel : celui-ci est tenu de supporter l’ensemble des risques économiques liés à la présence du défaut de conformité. Cette obligation découle de l’essence même de la garantie, qui permet de reporter le risque sur le professionnel tandis que, sans elle, le risque serait à la seule charge du consommateur. La Cour rappelle également un caractère fondamental de l’obligation de garantie : celle-ci est objective, puisqu’elle est détachée de toute faute éventuelle du vendeur et, dès lors, de toute analyse de son comportement. Une obligation de résultat pèse sur le professionnel : le résultat attendu est celui de la délivrance d’une chose conforme, tel qu’entendue par l’article 2 de la directive (cf. pt. 56 : « (…) en livrant un bien non conforme, [le vendeur] n’a pas correctement exécuté l’obligation à laquelle il s’était engagé en vertu du contrat de vente (…) »). Le principe apparaît rigoureux
mais est a priori cohérent, dans la mesure où le professionnel est tenu ès qualité et non au regard de son comportement.
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L’étendue de ses obligations est déterminée en fonction de ses connaissances et de sa maîtrise technique, qui ont incité le consommateur à contracter. Ce même argument devrait d’ailleurs permettre de plaider en faveur de l’admission de l’action directe du consommateur contre le fournisseur ou le fabricant du bien litigieux. Cette question, qui préoccupe actuellement les autorités européennes (cf. le Livre vert du 8 février 2007 sur la révision de l’acquis communautaire en matière de protection des consommateurs ainsi que la communication de la Commission au Conseil et Parlement européen du 24 avril 2007 sur la mise en œuvre de la directive du 25 mai 1999), divise les auteurs (cf. par exemple, en faveur de l’action directe, Puig M., Contrats spéciaux, Hypercours Dalloz, 2005, n° 489, p. 286 et 287 ; contra Gout O. et Maria I., Réflexions sur la transmission éventuelle des actions en garantie de conformité, JCP G 2008, I, 109). Au
regard des modes de distribution contemporains, nous devons cependant admettre que nombre de vendeurs maîtrisent uniquement le comportement des objets dont ils assurent la commercialisation, mais non leur technique (cf., en ce sens, Le Tourneau Ph., Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2008/2009, n° 6127). Dans ce contexte, l’admission d’une responsabilité directe du producteur permettrait certainement d’organiser un meilleur équilibre des intérêts en présence. L’analyse du comportement du consommateur n’est cependant pas sans conséquence sur sa protection. Le comportement du consommateur, condition de l’effectivité de sa protection.– Dans l’ensemble des contrats de consommation, le consommateur est tenu de s’acquitter du prix convenu. Tandis que la Cour observe, en l’espèce, que « le consommateur a, pour sa part, acquitté le prix de vente et a donc correctement exécuté son obligation contractuelle », elle ajoute que « le fait, pour le consommateur confiant dans la conformité du bien, d’avoir installé, de bonne foi, le bien défectueux conformément à sa nature et à l’usage recherché avant l’apparition du défaut, ne saurait constituer une faute susceptible d’être reprochée audit consommateur » (pt. 56). Ce faisant, elle conditionne l’étendue de la protection de l’acheteur : celui-ci est tenu d’installer de bonne foi le bien défectueux, conformément à sa nature et à l’usage recherché. L’effectivité de la protection du consommateur dépend ainsi directement de son comportement. Cette solution permet de protéger les intérêts du vendeur. Elle constitue un moyen d’empêcher les abus de la part de son cocontractant. La solution de la Cour se révèle cependant décevante quant à l’articulation des remèdes offerts au consommateur.
II.– UNE ARTICULATION DÉCEVANTE DES REMÈDES OFFERTS AU CONSOMMATEUR La mise en œuvre des remèdes offerts à l’acheteur par la directive est obscurcie par la volonté de préserver les intérêts du professionnel. En l’espèce, la Cour semble, dans un premier temps, privilégier la protection du consommateur en interprétant le jeu des remèdes de façon à assurer sa satisfaction in rem. Plus précisément, l’admission de la disproportion absolue permet au consommateur d’imposer au vendeur l’exécution en nature (A). L’effectivité de la protection de l’acheteur est néanmoins largement amoindrie, dans un second temps, par une appréciation de la proportionnalité favorable au professionnel (B). A.– La volonté d’assurer la satisfaction in rem du consommateur par l’admission de la disproportion absolue Le jeu des remèdes offerts au consommateur par la directive correspond au principe du maintien du contrat. Le
consommateur peut, en effet, obtenir en priorité la mise en état conforme du bien, par sa réparation ou son remplacement, sans devoir pour autant recourir à la justice. Cette prédominance de la satisfaction en nature permet, en dépit de la défaillance contractuelle du vendeur, de sauver le lien contractuel et de faciliter l’exécution du contrat, en apportant satisfaction aux attentes du créancier. La liberté conférée au consommateur de choisir le remède en nature cesse cependant, au terme de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, lorsque cette option entraîne un coût disproportionné « par rapport à l’autre mode [en nature] (…), compte tenu de la valeur qu’aurait le bien s’il n’y avait pas défaut de conformité, de l’importance du défaut de conformité et de la question de savoir si l’autre mode de dédommagement peut être mis en œuvre sans inconvénient majeur pour le consommateur ». Aussi, le vendeur peut procéder selon la modalité exclue par le consommateur, lorsque celle-ci est encore possible, dès lors que, tant au regard du prix du bien qu’à celui de l’importance du défaut, le coût de l’option initiale de l’acheteur est excessivement élevé pour le professionnel. La difficulté est que le texte de la directive se contente d’envisager les hypothèses de disproportions relatives, dans lesquelles il est possible de comparer le coût de chacun des deux remèdes en valeur. Nulle précision n’est en revanche apportée pour les situations de disproportions absolues, dans lesquelles seul l’un des deux modes de dédommagement en nature peut, en pratique, être mis en œuvre. En l’espèce, la Cour insiste sur la volonté du législateur de l’Union de privilégier l’exécution du contrat. Considérant que le maintien du lien contractuel est favorable au consommateur, elle observe que les remèdes en valeur ne permettent pas de lui assurer le même niveau de protection que la mise en conformité du bien. La faculté offerte au vendeur de refuser la réparation ou le remplacement du bien non conforme se circonscrit ainsi aux hypothèses d’impossibilités ou de disproportions relatives, dès lors qu’un autre remède en nature peut, en ce cas, être mis en œuvre. En revanche, lorsqu’un seul des remèdes en nature permet in casu de mettre le bien dans un état conforme au contrat, le professionnel ne peut refuser cet unique mode de dédommagement. Au final, la primauté de l’exécution du contrat en nature confère au consommateur le droit d’imposer au professionnel le seul mode de satisfaction in rem envisageable en pratique. Le vendeur en devient légalement contraint d’accepter le second remède en nature lorsque celui initialement choisi par l’acheteur est trop onéreux, ou d’assumer le seul remède en nature envisageable, lorsque le second est impossible, en pratique, à mettre en œuvre. A priori favorable aux intérêts du consommateur, cette solution est cependant modérée par la considération du coût du remède pour le professionnel. L’effectivité de la protection de l’acheteur en devient directement conditionnée par les intérêts économiques du vendeur. B.– L’effectivité de la protection du consommateur conditionnée par le coût du remède La disproportion absolue du remède en nature ne suffit à permettre au vendeur de refuser cet unique mode de dédommagement. La Cour ajoute néanmoins que lorsque le remplacement du bien défectueux, en tant que seul mode de dédommagement possible, entraîne des coûts disproportionnés pour le vendeur, la directive ne s’oppose pas à ce que le droit du consommateur au remboursement des frais d’enlèvement du bien non conforme et d’installation du bien de remplacement soit, si nécessaire, limité à un montant
proportionné à la valeur qu’aurait le bien s’il était conforme et à l’importance du défaut de conformité. Aussi, à l’espoir de voir la Cour trancher fermement en faveur de l’un des intérêts antagonistes – plus spécifiquement, en faveur de l’intérêt du consommateur –, succède la déception d’un raisonnement qui privilégie finalement les intérêts économiques du professionnel, tout en refusant cependant d’affirmer clairement sa position. Dans l’intérêt du professionnel, la hiérarchie des remèdes organisée par la directive lui permet d’organiser la prévisibilité de ses coûts, engendrés par la garantie de conformité (cf. égale-
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ment Gaudin L., Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes offerts au consommateur en cas de défaut de conformité de la chose vendue, D. 2008, p. 631, spéc. n° 6). Du
point de vue du consommateur, elle présente cependant l’inconvénient de lui imposer un remède auquel il ne souhaitait pas initialement recourir, dès lors que le vendeur dispose presque toujours de la faculté de contester le choix fait par l’acheteur. Le raisonnement suivi par la Cour confirme cette observation. Le juge de l’Union confie en effet au vendeur un rôle décisif dans la détermination des remèdes proposés au consommateur. Dans la mesure où il ne semble pas possible de faire abstraction de la confiance du consommateur dans le professionnel (cf. en ce sens, Gaudin L., art. préc., spéc. n° 7), il est largement vraisemblable que l’acheteur laisse toute latitude à son cocontractant, présumé techniquement compétent, pour évaluer le coût du dédommagement. Le vendeur est dès lors fondé à arguer du caractère disproportionné du coût du remède pour contraindre finalement le consommateur à recourir à un remède en valeur. Certains donneront peut-être à cette solution un fondement juridique. Il pourrait, en effet, s’agir d’une application particulière de la théorie de la mitigation of losses, le droit anglais ayant largement inspiré le texte de la directive. La solution semble cependant davantage puiser dans une justification économique, par laquelle le vendeur est autorisé à refuser le remède en nature dès lors que celui-ci lui semble excessif, quitte à contrarier la satisfaction contractuelle du créancier. La liberté de choix de l’acheteur en devient quoiqu’il en soit réduite à une portion congrue et le caractère inégalitaire de la relation contractuelle renforcé. C’est donc l’effectivité de la protection du consommateur qui en est directement diminuée. Dans ce contexte, quelques éléments d’appréciation du caractère proportionné ou non du coût du remède en nature auraient été précieux. Sources de sécurité juridique, ils auraient contribué à renforcer la confiance du consommateur dans le Marché intérieur. Pour l’heure, les difficultés persistent. Comment, par exemple, apprécier la légalité des clauses incérées dans les « conditions générales de vente », par lesquelles les professionnels limitent le remboursement des frais de remplacement ou de réparation des biens non conformes à un certain pourcentage ? Nous pouvons regretter que le juge de l’Union refuse de se prononcer davantage et se contente de confier au juge national le soin de « tenir compte, d’une part, de la valeur qu’aurait le bien s’il était conforme et de l’importance du défaut de conformité ainsi que, d’autre part, de la finalité de la directive consistant à garantir un niveau élevé de protection des consommateurs » (pt. 76). Face à la nécessité de choisir entre des intérêts antagonistes, la Cour préfère ainsi se dérober, laissant finalement licence aux juges nationaux : à eux de déterminer in casu l’ampleur de la protection du consommateur. Blandine de CLAVIÈRE-BONNAMOUR Docteur en droit ATER à l’Université Jean-Moulin, Lyon 3 >
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Compétence juridictionnelle en matière de distribution internationale Le contrat de distribution international n’est ni un contrat de vente, ni un contrat de fournitures de services Cass. 1re civ, 23 mars 2011, n° 10-30.210, D
Depuis une dizaine d’années, la détermination de la compétence juridictionnelle en cas de litige relatif à un contrat de distribution international suscite une jurisprudence abondante que la Cour de cassation a souhaité régler avec fermeté et indépendance (cf. Ancel M.-E., Les contrats de distribution et la nouvelle donne du règlement Rome I, Rev. Crit. DIP 2008, p. 561). Elle retient régulièrement que ces contrats n’étant ni des contrats de vente, ni des contrats de fourniture de services, il convient, pour la détermination de la compétence juridictionnelle, de fixer le lieu de l’obligation qui sert de base à la demande conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie. La première chambre civile poursuit dans cette voie avec un arrêt rendu le 23 mars 2011. Il s’agissait en l’espèce d’un litige survenu à propos d’un contrat-cadre conclu le 12 février 2001 entre une société française (BH Industrie, devenue société D2I) et une société polonaise (Gabo), aux termes duquel le fabricant français concédait à son cocontractant polonais la distribution exclusive de ses produits sur les territoires de la Pologne et de la Slovaquie. À la suite d’un désaccord sur les marchandises livrées, le fournisseur français a assigné le distributeur polonais en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de commerce de Charleville-Mézières. Le distributeur a soulevé l’incompétence de la juridiction française au profit de la juridiction polonaise. Par un premier arrêt rendu le 26 mars 2007, la Cour d’appel de Reims a fait application de la loi polonaise à laquelle se référait l’article 11 du contrat pour qualifier celui-ci de contrat de vente. Une décision qu’est venue censurer la première chambre civile de la Cour de cassation : au visa de l’article 5-1 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après règlement Bruxelles I), elle casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que, d’une part, « selon ce texte, lorsqu’il ne s’agit ni d’un contrat de vente ni d’un contrat de fournitures de services, le lieu de l’obligation qui sert de base à la demande, pour la détermination de la compétence juridictionnelle, doit être fixé conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie » et que, d’autre part, il appartenait à la Cour d’appel de « qualifier le contrat au regard du droit communautaire applicable » (Cass. 1re civ., 9 juil. 2008, n° 07-17.295, Bull. civ. I, n° 192). Par un arrêt rendu sur renvoi le 4 janvier 2010, la Cour d’appel de Reims prend acte de la décision de la Cour suprême, et retient que c’est à juste titre que le Tribunal de commerce de Charleville Mézières, dont elle confirme le jugement en toutes ses dispositions, a retenu sa compétence. Après un nouveau pourvoi formé par la société Gabo, la Cour de cassation persiste et signe : le contrat de distribution international n’est ni un contrat de vente, ni un contrat de fournitures de services (I).
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Mais cette solution pourrait bien être remise en cause par le règlement Rome I (II).
I.– LE CONTRAT DE DISTRIBUTION INTERNATIONAL, UN CONTRAT « SUI GENERIS » ? C’est avec constance que, depuis plusieurs années, la Cour de cassation retient que les contrats-cadres de distribution relèvent, non de l’article 5-1 b) du règlement Bruxelles I, mais bien de l’article 5-1 a). En l’espèce, il n’était pas contesté que l’action portant sur l’exécution du contrat relevait de la matière contractuelle, laquelle a fait l’objet d’une interprétation autonome de la part des juges communautaires (CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob Handte). En revanche, les parties s’opposaient sur la détermination de l’obligation qui sert de base à la demande, la société française soutenant que le contrat litigieux devait être qualifié de contrat de vente et la société polonaise de contrat de distribution. On sait que le point b) de l’article 5-1 du règlement Bruxelles I pose une présomption irréfragable pour faciliter l’identification du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande dans deux types de contrats : les ventes de marchandises, et la fourniture de services. Pour les contrats de vente de marchandises, la compétence est ainsi dévolue au tribunal du lieu de livraison des marchandises, présumé être celui du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande. Pour les contrats de prestation de services, la compétence est dévolue au tribunal du lieu où les services doivent être fournis (Clavel S., Droit International Privé, 2e éd., Dalloz, 2010, p. 520). En revanche, lorsque le contrat qui constitue le fondement du litige n’est ni une vente de marchandises, ni une fourniture de services, c’est le point c) de l’article 5-1 du règlement qui va s’appliquer. Or, ce point c) renvoie au système en vigueur sous l’empire de la Convention de Bruxelles : le tribunal compétent est celui du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, déterminé en application de la jurisprudence De Bloos-Tessili. En vertu de cette jurisprudence, pour déterminer le tribunal compétent, le juge doit d’abord procéder à l’indentification de l’obligation qui sert de base à la demande (CJCE, 6 oct. 1976, aff. 14/76, A. De Bloos Sprl c/ Sté en commandite par actions Bouyer ; cf. Karpenschif M., Nourissat C. (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence de l’Union européenne, Paris, PUF, 2010, n° 16), puis localiser le lieu de cette obligation
« conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie » (CJCE, 6 oct. 1976, aff. 12/76, Industrie Tessili Italiana Como c/ Dunlop AG ; cf. Karpenschif M., Nourissat C. (dir.), préc., n° 15).
Et si, comme le rappelait le plus éminent des juristes français de l’après-guerre, le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite (Carbonnier J., Flexible droit, LGDJ, 8e éd., 1995, p. 6), le système n’en demeure pas moins d’une complexité telle qu’il a pu se heurter à l’hostilité des juges du fond, obligés de mener un raisonnement dont la simplicité n’est pas la vertu première (Sindres D., De la qualification d’un contrat-cadre de distribution au regard des règles communautaires de compétence, Rev. crit. DIP 2008, p. 863). Ainsi certains d’entre eux ont-ils cru
pouvoir s’affranchir de la règle De Bloos-Tessili en retenant une conception extensive du contrat de vente (Cass. 1re civ., 23 janv. 2007, n° 05-12.166, Bull. civ. I, n° 30 ; Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-14.697 ; Cass. 1re civ., 9 juil. 2008, n° 07-17.295, Bull. civ. I, n° 192) ou de fourniture de services (Cass. 1re civ., 5 mars 2008, n° 06-21.949, Bull. civ. I, n° 61) là où
il eût fallu qualifier le contrat de contrat de distribution. La
II.– UNE SOLUTION FRAGILISÉE PAR LE RÈGLEMENT ROME I ? Adopté le 17 juin 2008, le règlement « Rome I » s’applique, depuis le 17 décembre 2009, aux obligations contractuelles relevant des matières civile et commerciale dans des situations de conflit de lois. Si, en formulant des règles de rattachement distinctes pour le « contrat de vente de biens », le « contrat de prestation de services », le « contrat de franchise » et le « contrat de distribution » (respectivement aux points a, b, e, f), l’article 4.1 du règlement Rome I semble conforter la prise de position de la Cour de cassation, les contrats de distribution ne se subsumant pas sous la catégorie « contrat de prestation de services » (Ancel M.-E., préc., Rev. crit. DIP 2008, p. 561), le considérant 17 du même règlement vient éclairer d’une lueur différente les relations entre l’article 4 précité et l’article 5 du règlement Bruxelles I. En effet, le considérant 17 précise que, s’agissant de la loi applicable à défaut de choix, les notions de « prestation de services » et de « vente de biens » devraient recevoir la même interprétation que celle retenue pour l’application de l’article 5 du règlement Bruxelles I, dans la mesure où ce dernier couvre la vente de biens et la fourniture de services. Les contrats de franchise ou de distribution, ajoute-t-il, bien qu’ils soient des contrats de services (souligné par nos soins), font l’objet de règles particulières. Ainsi les contrats de franchise et de distribution sont donc des « contrats de services » au regard du considérant 17 du règlement Rome I et relèvent, dès lors, de l’article 5.1 b) du règlement Bruxelles I. Et si cette disposition est dépourvue de valeur normative (Lemaire S., Interrogations sur la portée juridique du préambule du règlement Rome I, D. 2008, p. 2157), elle n’est pas là par hasard et pourrait remettre en cause la solution de la Cour de cassation quant à la détermination de la compétence juridictionnelle en cas de litige relatif à un contrat de distribution international. Ainsi, dans notre cas d’espèce, peut-être la solution eut-elle été différente si le contrat de distribution entre la société française et la société polonaise avait été conclu après le 17 décembre 2009. Reste à savoir ce que fera la Cour suprême – revirement de jurisprudence ? Question préjudicielle ? – lorsqu’elle sera confrontée à une telle hypothèse. François-Henri DÉSÉRABLE Doctorant à l’Université Jean Moulin – Lyon 3
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Cour régulatrice est venue chaque fois censurer les juges frondeurs en retenant, comme elle le fait en l’espèce, que « pour l’application de l’article 5-1 du règlement Bruxelles I, il convenait de déterminer la nature du contrat en cause selon la loi du for, par référence au droit communautaire, (…) que, ne s’agissant ni d’un contrat de vente, ni d’un contrat de fourniture de services, [la Cour d’appel] a, en application de l’article 5-1 a) dudit règlement, analysé les obligations des parties selon la loi polonaise applicable au contrat, pour déterminer le lieu de l’obligation litigieuse ». En d’autres termes, ni la lex fori, ni la lex contractus n’ont vocation à régler la question de la qualification. Et le contrat de distribution international n’étant ni un contrat de vente, ni un contrat de fourniture de services, c’est, en quelque sorte, un contrat « sui generis », relevant d’une catégorie à part et ne pouvant, dès lors, prétendre tomber sous le coup de l’article 5-1 b). Une solution prévisible au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, mais étonnante si on l’examine à l’aune du règlement Rome I qui pourrait bien changer la donne.
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REPÈRES
DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DES CONTRATS D’AFFAIRES
Les Incoterms au secours du règlement « Bruxelles I » Afin de déterminer le lieu de livraison des marchandises « en vertu du contrat », la juridiction doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms. CJUE, 9 juin 2011, aff. C-87/10, Electrosteel Europe SA
L’arrêt rendu par la Cour de justice le 9 juin 2011 semble être rédigé « en formules expressives, soigneusement choisies et vigoureusement frappées » pour reprendre la formule du Doyen Gény (Gény F., note sous Cass. civ, 27 mars 1928, 1 353). En effet, le contentieux portant sur la notion de « lieu de livraison » au sens de l’article 5-1 b) du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) démontre que les réponses apportées par la Cour de justice ne sont pas toujours satisfaisantes pour les opérateurs économiques. Il convient de rappeler que l’article 5-1 a) du règlement énonce qu’« une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ». Or, en matière de vente de marchandises, l’article 5-1 b) dispose que « le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande » est « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » sauf convention contraire. Ces dispositions qui font l’objet d’un contentieux récurrent devant la Cour de justice démontrent la nécessité de le reformer. Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des difficultés dans la définition de la notion « matière contractuelle » permettant de déterminer si un contrat correspond à une vente de marchandise ou à une prestation des services. D’ailleurs, l’affaire Car Trim du 25 février 2010 est un modèle du genre (CJUE, 25 févr. 2010, aff. C-381/08, Car Trim, D. 2010, p. 1837, note. Azzi T., D. 2010, p. 1592, obs. Jault-Seseke F., et D. 2010, p. 2331, obs. Bollé S., RTD. eur. 2010. p. 21, Chron. Douchy-Oudot M. et Guinchard S., Europe 2010, Comm. 148, obs. Idot L., Gaz. Pal. 2010. 878, note Mittmann, RLDA 2010/51, n° 2972, obs. Quéguiner J.-S.). Cette qualification est essentielle car elle permet
de déterminer respectivement le lieu où « les marchandises ont été ou auraient dû être livrées » ou « les services ont été ou auraient dû être fournis ». Si l’affaire sous commentaire semble s’inscrire dans une logique propre à la Cour de justice, il n’en demeure pas moins que son apport n’est pas négligeable au regard de la notion « en vertu du contrat », en particulier avec l’utilisation comme source des usages du droit du commerce international tels que les Incoterms. Les faits de l’affaire concernaient la société Edil Centro qui avait vendu des marchandises à la société Electrosteel. À la suite de la livraison des biens à cette dernière par un transporteur, la société Edil Centro a décidé de saisir les juridictions italiennes afin de faire condamner la société acheteuse à lui payer le prix des marchandises acquises. >
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Cependant la société Electrosteel a formé opposition à cette demande au motif qu’au regard des dispositions du règlement « Bruxelles I », la société Edil Centro aurait dû saisir les juridictions dans le ressort duquel se situe le siège de l’acheteur, soit Paris en France et non l’Italie. Or, la société Edil Centro faisait référence au contenu du contrat qui contenait l’Incoterm EXW (« Ex works »), c’est-à-dire que selon cette clause, la marchandise est considérée livrée dès la remise des biens au transporteur à l’usine même du vendeur. C’est dans ce cadre que la juridiction de renvoi a décidé de saisir la Cour de justice afin qu’elle se prononce sur la notion de « lieu de livraison » en tant que « lieu d’exécution de l’obligation qui sert de bases à la demande » conformément à l’article 5-1 b), premier tiret du règlement. Ainsi, la question était simplement de savoir si le juge devait intégrer dans le champ contractuel l’Incoterm mentionné et utilisé le lieu qu’il désignait comme le lieu de livraison des marchandises. Si la réponse apportée par la Cour de justice s’inscrit dans une démarche pragmatique, il n’en demeure pas moins qu’elle parait incohérente sur plusieurs points. À la lecture de cette décision, le lecteur ressent d’une part une certaine joie (I) qui s’estompe au regard des regrets qu’il nourrit (II).
I. – UNE JOIE Nul doute que la décision sous commentaire fera date, non pour sa taille avec cinq pages, mais parce qu’elle semble s’inscrire dans un phénomène d’internationalisation des normes (Nourissat C., préc.). L’intérêt majeur de cette décision est que la Cour de justice fait une reconnaissance explicite et univoque des Incoterms comme source du droit du commerce international. La position de la Cour de justice sur cette question n’est pas neutre car elle semble s’inscrire en contradiction avec la démarche adoptée par de nombreuses juridictions nationales (Deshayes B., Le « lieu de livraison » au sens de l’article 5-1 b) du règlement Bruxelles I, JCP G 2010, p. 1190).
En effet, des juridictions nationales ont déjà reconnu que l’Incoterm « ex works » ne permettait que de déterminer le transfert de risques et en aucune façon le lieu de livraison des marchandises. En effet, selon une partie de la doctrine, cette clause n’opère que le transfert de risque dès lors que les marchandises ont été mises à disposition de l’acheteur à la sortie de l’usine. Par exemple, dans une décision du 11 mai 2010, la Cour de cassation a admis que cette clause « a pour effet de transférer les risques à l’acquéreur dès la remise des marchandises au transporteur ou leur mise à disposition à l’usine » (Cass. com., 11 mai 2010, n° 08-21.266 ; contra Cass. com., 22 mars 2011, n° 10-16.993). Dès lors, le lieu de mise à disposition des marchandises qui opère le transfert de risques ne peut pas servir comme lieu de livraison au sens de l’article 5-1 b) du règlement. Or, la position adoptée par la Cour de justice est différente dans la mesure où elle considère que cette clause détermine d’une part le transfert de risques et d’autre part le lieu de livraison des marchandises (pt. 23). D’ailleurs, la Cour fait une référence expresse aux conclusions de son avocat général qui assimile cet Incoterm à une clause de retrait des marchandises par l’acheteur dans la mesure où le lieu de livraison est déterminé (Conclusions, 3 mars 2011, pt. 40). En effet, le raisonnement de la Cour de justice est assez simple dans la mesure où elle assimile le lieu de mise à disposition des marchandises et le lieu de livraison de
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celles-ci puisqu’il s’agit du même lieu. Ainsi la Cour de justice a apporté une réponse claire sur le contenu des termes « en vertu du contrat » dès lors qu’elle fait une référence explicite aux Incoterms afin de déterminer le tribunal compétent au regard des lieux mentionnés dans ceux-ci. La position de la Cour de justice peut également s’expliquer par le fait que les Incoterms sont des clauses qui peuvent servir de critère objectif pour aider le juge à déterminer le lieu de livraison des marchandises au sens de l’article 5-1 b) du règlement puisqu’ils ne font que mentionner des éléments factuels et objectifs. Cette position qui peut paraître surprenante semble d’autant plus justifiée par le fait qu’elle s’inscrit parfaitement dans la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, la Cour de justice, faisant référence à l’arrêt Car Trim de 2010, écarte rapidement la question de la détermination du lieu de livraison puisqu’elle fait une mention explicite du dispositif qui énonce qu’« en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat ». La Cour précise également que « s’il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base, sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l’acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l’opération de vente ». Cette approche du lieu de livraison ne semble souffrir d’aucune contradiction dans la mesure où la Cour reprend dans le dispositif de l’arrêt sous commentaire, le même dispositif que celui qu’elle a rendu dans l’affaire Car Trim.
II. – DES REGRETS Si la décision rendue par la Cour de justice le 9 juin dernier semble apporter de nouvelles avancées, il n’en demeure pas moins qu’elle souffre d’une part de certaines lacunes et d’autre part d’une contradiction fondamentale. L’interprétation des termes « en vertu du contrat » ne semble pas satisfaisante dans la mesure où si la Cour fait entrer dans le champ contractuel les Incoterms, elle se garde bien de les interpréter au regard de l’article 5-1 b) du règlement. Préférant opérer une assimilation implicite entre le lieu de livraison des marchandises avec le lieu de mise à disposition des marchandises qui détermine le transfert de risques, la Cour de justice refuse d’interpréter le lieu mentionné dans l’Incoterm par rapport aux dispositions du règlement. Cette lacune peut sembler regrettable dans la mesure où la Cour de justice ne qualifie pas le contrat en cause préférant opérer directement une analyse des mentions de ce dernier. Si la solution apportée par la Cour de justice semble opportune, la méthode semble être à revoir et ce n’est pas la première fois que de tels défauts apparaissent dans ses décisions (en ce sens, Quéguiner J.-S., préc.). Ce sentiment est renforcé par le fait de considérer « les termes ou les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commercial international » comme des clauses contractuelles sans définir le contrat. Or cette situation peut être dommageable dans la mesure où les opérateurs économiques risquent de ne pas savoir quel est le juge compétent puisqu’un Incoterm peut désigner un lieu de mise à disposition des marchandises différent du lieu de livraison au sens de l’article 5-1 b) du règlement. Il convient de rappeler que
le législateur de l’Union européenne a voulu mettre en place un instrument qui permette une unification maximum des règles de compétences judiciaires au nom de la prévisibilité et sécurité juridique (Deshayes B., préc.). Cette démarche semblait possible dans la mesure où le juge devait utiliser des critères objectifs afin de désigner le juge compétent. Or, l’arrêt sous commentaire se fonde sur l’Incoterm, c’est-à-dire la volonté des parties. D’ailleurs, cette décision va avoir pour conséquence de forcer les opérateurs économiques à être bien plus attentifs qu’auparavant dans le choix des Incoterms puisqu’ils pourront servir de critères dans la détermination de la compétence juridictionnelle (Nourissat C., préc.). D’ailleurs, cette contradiction n’enlève en rien à la prévisibilité des solutions
En bref…
REPÈRES
DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DES CONTRATS D’AFFAIRES
puisque cette décision ne fait que déplacer le centre de gravité de l’appréciation de la compétence juridictionnelle au niveau du contenu de contrat et non plus au niveau des prestations caractéristiques. • OBSERVATIONS • Sur cet arrêt, cf. Radtke C. M., Le juge du lieu de livraison, RLDA 2011/64, n° 3676.
Mathieu COMBET Attaché temporaire d’enseignement et de recherche Centre d’Études Européennes Membre de l’Équipe de droit international, européen et comparé (EDIEC – EA 4185) Université Jean Moulin Lyon 3
déterminer le lieu de livraison qu’à défaut de stipulation expresse sur ce point. En l’espèce les parties avaient bien, dans leurs bons de livraison, stipulé expressément le lieu de livraison des marchandises près d’Auxerre (à Avallon) attribuant ainsi compétence au Tribunal de
Incoterms
commerce d’Auxerre.
Aux fins de déterminer le lieu d’exécution de l’obligation
Cass. com., 22 mars 2011, n° 10-16.993, P+B, Bull. inf.
qui sert de base à la demande pour une vente de mar-
C. cass., juill. 2011, n° 963
chandise, c’est-à-dire, le lieu de livraison des marchandises, pour connaître de la compétence juridictionnelle,
Cession de créance
l’insertion de l’incoterm CVIM « Ex Works » (à savoir, la
Qui, de la banque ou du sous-traitant doit récupérer les
livraison dans les locaux du vendeur), auquel se réfèrent
sommes dues par le maître de l’ouvrage italien lorsque
les parties dans leurs bons de livraison, ne permet de
l’entrepreneur principal français a auparavant cédé les
créances de ses clients à la banque pour obtenir un prêt ? L’article 13-1 de la loi de 1975 énonce que « L’entrepreneur principal ne peut céder ou nantir les créances résultant du marché ou du contrat passé avec le maître de l’ouvrage qu’à concurrence des sommes qui lui sont dues au titre des travaux qu’il effectue personnellement » Mais, la cour d’appel qui condamne le maître de l’ouvrage au paiement direct du sous-traitant en érigeant cette loi de 1975 en loi de police, sans avoir caractérisé l’existence d’un lien de rattachement de l’opération avec la France au regard de l’objectif de protection des sous-traitants, prive sa décision de base légale. Cass. com., 27 avr. 2011, n° 09-13.524, P
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Le colloque « Le Droit Continental, vecteur de compétitivité » qui s’est tenu le jeudi 27 octobre 2011 à l’Assemblée nationale, sous le haut patronage du Président de la République Nicolas Sarkozy, fut l’occasion de présenter le rapport « Propositions pour évaluer la qualité des climats des affaires ». Ses coauteurs, Patrick Patelin et Claude Revel, Conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEF) et membres de la Commission Droit et Influence internationale se sont fixé pour objectif de déterminer le climat des affaires dans le Monde d’une manière innovante qui se distingue de l’analyse classique utilisée pour établir le classement du Doing Business édité par la Banque Mondiale. Sujet d’une actualité brûlante et particulièrement sensible, la compétitivité économique des pays est plus que jamais la clé du retour de la croissance, c’est pourquoi un classement déterminant la facilité de faire des affaires se doit d’utiliser des indicateurs précis, fiables et adaptés aux évolutions sociétales. Patrick Patelin a accepté de nous présenter ce rapport et de nous en dire plus sur le système d’évaluation proposé.
Une alternative au Doing Business pour évaluer les climats des affaires Revue Lamy Droit des affaires : Le Doing Business fait déjà une analyse du climat des affaires dans 183 pays et territoires. Votre idée est-elle de compléter le travail effectué par la Banque Mondiale ou de le repenser en profondeur ? Patrick Patelin : Suite à la première publication du Doing Business en 2004, de nombreux articles ont été écrits à son sujet et ceux-ci ont révélé les défauts du classement de la Banque Mondiale. Nous en sommes également conscients et avons pensé opportun de faire des propositions. Établir un classement est une bonne chose, mais celui du Doing Business est partisan. Il est biaisé parce qu’il se fonde uniquement sur des concepts anglosaxons ou plus exactement sur la common law. Selon ce système d’évaluation, le pays le plus attractif serait celui où l’on paye le moins d’impôts, où les salariés ne bénéficient d’aucune protection et où les entreprises n’ont aucune responsabilité éthique, il n’est donc pas satisfaisant. Nous avons donc considéré nécessaire d’ajouter de nouveaux indicateurs et d’utiliser une autre méthodologie.
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serait le fruit d’une réflexion à un échelon multilatéral. Pour cela, il faudrait qu’une institution s’y emploie, avec des moyens plus importants et une démarche « globale ». Nous pensons à la Banque européenne d’investissement, ou bien à la Fondation pour le Droit continental. RLDA : Vous indiquez que le Doing business a une approche quantitative et techniciste du climat des affaires. Quelle a été la votre lors de l’élaboration de ce rapport ? Patrick PATELIN Avocat associé Cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre
Le Doing Business pourrait être complété en tenant compte de ces nouveaux critères, ou une institution pourrait reprendre ces indicateurs et en proposer d’autres, afin d’établir un nouveau classement sur des bases différentes. Notre rapport est l’ébauche d’un ouvrage plus complet qu’il reste à rédiger et qui
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P.P. : L’approche du Doing Business est imparfaite et très critiquée, les données utilisées sont si techniques qu’elles finissent par réduire le champ de vision pour donner un résultat peu fidèle à la réalité. Avec Claude Revel et notre groupe de travail aussi composé de Dominique de Courcelles et de Bruno Gouthière, nous avons tenté d’associer à la perspective purement technique et quantitative utilisée par Doing Business une démarche qualitative. Ainsi nous avons proposé trois nouvelles catégories de critères : la bonne administration de la justice, la
RLDA : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre méthodologie ? P.P. : Créer des indices c’est bien, mais encore faut-il pouvoir les évaluer. Nous avons donc veillé à ce que chaque indicateur comprenne des sous-indicateurs et que ceux-ci puissent être évalués qualitativement. Pour vous donner un exemple, le critère de la responsabilité sociétale de l’entreprise ne peut pas s’analyser sans que l’on considère aussi le mode de gouvernance (qualité du contrôle des organes, présence et indépendance des commissaires aux comptes, communication financière, protection des actionnaires minoritaires, sanctions…), la responsabilité sociale (protection des employés, élimination des discriminations, accessibilité aux recours judiciaires, niveau de participation…), les enjeux environnementaux (nombre de traités ratifiés, efficacité de leur mise en œuvre, participation des entreprises aux actions…) et la lutte anticorruption (nombre de fonctionnaires ayant fait l’objet de condamnations, leur niveau de rémunération, transparence des appels d’offres publics, ratification de traités internationaux…). RLDA : Vous faites la part belle aux considérations éthiques, morales et environnementales. Pensez-vous que les opérateurs économiques y soient aussi sensibles ? On parle avant tout d’affaires… P.P. : Pour avoir une vision complète du climat des affaires, on ne peut pas s’en affranchir. Les entreprises tiennent compte de ces considérations car elles ont un impact financier non négligeable. On leur demande de privilégier aussi le développement durable. Un monde sans morale ou sans éthique est-il concevable ? L’entreprise n’a-t-elle d’autre fonction que d’assurer l’enrichissement de ses actionnaires ? La réponse est non. L’entreprise et le monde des affaires ont des obligations « citoyennes » qui lorsqu’elles ne sont pas respectées, pour certaines d’entre elles, sont sanctionnées. L’entreprise ne peut donc pas ignorer cette nouvelle donne. Elle doit en tenir compte tout comme un rapport qui note 183 pays.
Si un pays n’a aucune loi pour protéger l’environnement, si les salariés n’y ont aucune protection sociale, si l’administration de la justice y est déficiente pouvons-nous considérer que c’est un pays au climat propice aux affaires ? Nous pensons que non, et le mouvement actuel s’inscrit dans une démarche responsable et vertueuse dont doit tenir compte Doing Business. Ce qui n’est malheureusement pas le cas. RLDA : Comment expliquez-vous que le droit continental, ou droit civil, soit ainsi délaissé au profit de la common law anglo-saxonne ? P.P. : Le droit civil est bien présent, seulement il se remarque moins. La common law s’est imposée notamment en matière de fusions-acquisitions ou en droit financier, ce sont les domaines de droit les plus en vue, les plus innovants et qui font l’objet d’un bon marketing. Par ailleurs, les rédacteurs de nouvelles normes s’en inspirent et de nombreuses grandes entreprises et banques y inclus françaises privilégient la common law. Tout ceci peut faire penser que la common law convient mieux au dynamisme du climat des affaires. Mais ce serait oublier que le droit civil est indiscutablement reconnu dans d’autres domaines, notamment en droit des obligations, des contrats ou en droit fiscal et qu’il reste le système de presque 24 % de la population mondiale tandis que seulement 6,5 % de cette population utilise un système de pur common law. Par ailleurs, la nature conceptuelle du droit civil ou continental permet d’encadrer des situations en perpétuel mouvement. Codifié le droit améliore la sécurité juridique et le besoin de prévisibilité se fait de plus en plus sentir. La common law est loin de remplir cette fonction. Les faits sont là, depuis la crise économique ont s’aperçoit des limites de la common law, de celles de la soft law (qui en est l’un de ses produits dérivés) et on demande aux États de reprendre la main et de légiférer. RLDA : Que pensez-vous du fait que le droit français emprunte de plus en
plus aux mécanismes de la common law – par exemple le droit des procédures collectives s’inspire du Chapter 11 du droit américain pour la procédure de sauvegarde ou du Prepack américain pour la sauvegarde financière accélérée ? P.P. : La common law tout comme le droit civil se nourrissent l’un de l’autre. Cette interaction permet incontestablement d’améliorer un système juridique, de le rendre plus efficient, ce qui est le cas en matière de procédures collectives en France ou en droit des sociétés en Argentine et au Brésil. S’inspirer d’un droit étranger présente de nombreux avantages pour le pays qui a la volonté et la capacité de l’adapter notamment en respectant les principes de son système juridique. Le danger serait d’imposer pour les besoins d’un classement (celui de Doing Business) ou dans une opération d’acquisition, sous l’influence de juristes anglo-saxons par exemple, des concepts qui n’existent pas dans le droit du pays d’accueil ou du pays auquel est soumis le contrat d’acquisition. Dans cette hypothèse l’efficacité de cette nouvelle loi ou nouvelle clause serait purement illusoire.
PERSPECTIVES ENTRETIEN
gouvernance des entreprises, la responsabilité et l’éthique. Ces critères et leurs indicateurs sont appréciés sous un angle quantitatif mais aussi qualitatif. Tout cela se reflète dans notre méthodologie. Nous n’avons pas recherché l’exhaustivité mais l’efficience au sens large, c’està-dire celle qui prend en compte l’aspect économique et l’aspect « culturel ».
RLDA : La France se classe péniblement au 29e rang dans le Doing Business. En tenant compte de vos indicateurs, gagnerait-elle quelques places ou seraitelle encore rétrogradée ? P.P. : Je ne peux pas me prononcer. Il est certain que le classement serait très différent car on prendrait des indicateurs plus pertinents. Comme je l’ai évoqué précédemment le système d’évaluation utilisé par le Doing Business est basé sur des critères issus de la common law, ce qui tend à biaiser les résultats et à placer les États anglo-saxons dans les premiers rangs. Avec les nouveaux indicateurs proposés, la France ne se positionnerait peut-être plus derrière la Géorgie ou l’ex-république yougoslave de Macédoine ! ◆ Propos recueillis par Marina FILIOL DE RAIMOND Secrétaire générale de la Rédaction Lamy droit commercial
La rédaction de ce rapport a été dirigée par Claude REVEL et Patrick PATELIN, Conseillers du Commerce extérieur de la France, avec le concours de Dominique de COURCELLES, Bruno GOUTHIERE et la participation de nombreux experts français et internationaux. Patrick PATELIN est inscrit aux barreaux des Hauts-de-Seine et de Rosario (Argentine), avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre et responsable depuis 1996 des trois bureaux de la zone Mercosur (Buenos Aires – Argentine, São Paulo – Brésil et Montevideo – Uruguay). Claude REVEL est spécialiste en conseil international, professeur associée à SKEMA Business School (Paris), auteur et conférencière (mention d’honneur au Prix Turgot 2008).
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Loin de l’image première d’un procédé inutile et contraire aux valeurs du droit, le whistleblowing peut avoir une utilité réelle, y compris en matière pénale, en dépit du nombre important de facultés ou devoirs de coopération existant déjà. Toutefois, pour prétendre devenir un procédé usité dans le monde de l’entreprise, une clarification s’impose quant au cadre général de la réglementation de la CNIL. Ce n’est qu’à cette condition que le whistleblowing pourra devenir un mécanisme de gestion du risque pénal mais aussi un vecteur de marque pour les entreprises.
Nouveau coup de sifflet contre le whistleblowing : quel avenir en France pour les alertes éthiques ? Recherche sur l’apport de l’alerte professionnelle au regard de la coopération en matière pénale Par Christophe AYELA Avocat associé Cabinet Mayer Brown
Et Kevin BIHANNIC Consultant Mayer Brown
1. À la suite de l’arrêt Dassault rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 8 décembre 2009 (Cass. soc., 8 déc. 2009, n° 08-17.191, Bull. civ. V, n° 276), la mise en place de programmes de conformité, et spécifiquement du dispositif d’alerte interne, avait fait couler beaucoup d’encre. En dépit d’un accord de principe posé par la CNIL en 2005, la Cour de cassation posait une limite au mouvement expansionniste du mécanisme. 2. Cette réserve à l’endroit du whistleblowing vient d’être relancée par un arrêt du 23 septembre 2011 refusant une fois encore de reconnaître la validité d’un dispositif d’alerte (CA Caen, 23 sept. 2011, n° 09/03336). 3. Les avocats, les compliances officers et tout juriste d’entreprise s’interrogent et s’inquiètent du sort réservé à un tel mécanisme, devenu réalité sociale.
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LES ENTREPRISES FRANÇAISES PEUVENT-ELLES METTRE EN PLACE UN SYSTÈME D’ALERTE PROFESSIONNELLE ? 4. Au travers de sa délibération du 14 octobre 2010 (CNIL, 14 oct. 2010, n° 2010-370), la CNIL se proposait de répondre aux interrogations en définissant le nouveau cadre de l’alerte professionnelle – cadre dont il convient d’envisager l’intérêt, particulièrement sous l’angle de la coopération en matière pénale. 5. Mais avant d’analyser ce nouveau cadre, il importe de revenir brièvement sur la notion elle-même.
POURQUOI LA TECHNIQUE DU WHISTLEBLOWING ? 6. Source du procédé. – Sonorité étrange, impossible adoption d’une traduction littérale… le whistleblowing – entendez « coup de sifflet » – se démarque d’abord par son origine étrangère. Et c’est de cette origine que découle, sinon son incompréhension, à tout le moins une appréhension du droit français. 7. La réalité du whistleblowing est en effet celle de l’alerte professionnelle. Or, pour alerter, il faut dénoncer…, action provoquant des sentiments contradictoires dans l’inconscient français. Car derrière la dénonciation transparait son hideuse cousine, la délation.
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8. Pourtant, l’alerte professionnelle vise à permettre de limiter des comportements anormaux. Son origine doit être retrouvée dans la volonté du législateur américain de prévenir et lutter contre les scandales financiers. 9. C’est au travers de la loi SarbanesOxley du 31 juillet 2002 (Pub. L. N° 107-204, 116 Stat. 745) que les principes éthiques de la bonne gouvernance d’entreprise vont acquérir force juridique. Cette juridicité s’est certes traduite par l’émergence d’obligations pour les entreprises américaines, mais aussi pour l’ensemble des sociétés prétendant intervenir sur une place boursière américaine. 10. Les mutations induites en terme de gouvernance d’entreprise n’ont pas manqué d’affecter à travers le monde le fonctionnement interne des plus grandes sociétés. Il s’en est suivi des réactions multiples de la part des législateurs confrontés à l’émergence de dispositifs d’alertes. C’est ainsi que l’on a pu assister à l’apparition de lois nouvelles visant à valider ou encadrer la technique du whistleblowing, telle l’adoption au Japon le 15 février 2007 des normes « Japanese SOX » par la Financial Services Agency (pour une présentation en français, cf. « Japanese SOX : comment répondre de manière pragmatique aux nouvelles obligations en matière de contrôle interne », sur le site de PricewaterhouseCoopers).
11. Utilité du procédé. – Au travers de ces droits, la pratique du procédé d’alerte professionnelle vise à préserver
12. Mais l’alerte professionnelle, c’est également une logique défensive manifestée par la mise en place de process de contrôle interne tendant à démontrer le respect de la législation et celle de tous les moyens nécessaires pour empêcher la réalisation d’infractions. 13. En somme, l’alerte professionnelle est porteuse de deux typologies complémentaires : une approche offensive, visant à l’amélioration du travail et de la qualité ; une approche défensive, visant à la réduction du risque pénal.
RÉCEPTION DU WHISTLEBLOWING ? 14. Réaction des justiciables du procédé. – Mais les justiciables français se montrent circonspects. L’heure n’est pas à la mise en avant de la promotion de l’entreprise par les dispositifs internes ; le climat est celui de la crainte. Crainte du risque pénal, tendant à valider le recours à la technique… mais crainte de l’alerte professionnelle elle-même, incitant à une limitation stricte de sa validité. 15. L’obstacle psychologique semble alors prépondérant en France et contribue au cadre général de défiance manifesté avec éclat par la jurisprudence Dassault. Cet obstacle psychologique constituerait en effet, aux dires de certains, le principal frein au développement en France de la technique du whistleblowing. Ce frein prendrait sa source dans le rapport étrange qu’entretient notre pays avec la notion d’alerte, mais aussi en raison de ses modalités de mises en œuvre, qui viendraient heurter les valeurs françaises. 16. C’est donc un rapport à la peur qu’instaure en premier lieu la technique de l’alerte professionnelle. Peur de l’autre et de ce qu’il va dénoncer. L’alerte professionnelle, mise à la charge de chacun, c’est l’espionnage par son voisin et la perte des limites. Ainsi, le whistleblowing, se situerait entre le harcèlement moral au travail, l’atteinte à la vie privée et l’émergence d’un risque psychosocial, contre lesquels les employeurs doivent désormais veiller. 17. Trouble accentué par le fait que la notion de limite éthique se confond avec les valeurs personnelles. Donner un ca-
deau, pour moi, c’est corrompre ; donner un cadeau, pour moi, c’est entretenir une relation… qui tranchera ? Quelle est la frontière entre corporate hospitality et acte de corruption ? Y a-t-il une scission entre lobbying et corruption ? À trop pencher vers l’éthique et la morale, c’est la crainte d’une indétermination du cadre qui surgit. 18. Sans même tenter de définir précisément les termes du manquement à l’éthique, il y a la crainte de la revanche au travers de la dénonciation. C’est donc la peur du faux et de l’atteinte à la réputation. On l’aura compris, pour tous les français, dénoncer, c’est un acte répréhensible par nature, qui se double de conséquences dramatiques dans l’entreprise (ce rejet est de plus encouragé par les modalités de sa mise en œuvre dans les législations américaines ou anglaises permettant le recours au whistleblowing, qui encouragent la dénonciation externe, les compensations pour les dénonciateurs et l’anonymat cf. le dossier de l’Autorité de
L’alerte professionnelle est porteuse de deux typologies complémentaires : une approche offensive, visant à l’amélioration du travail et de la qualité ; une approche défensive, visant à la réduction du risque pénal.
la concurrence : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/ doc/etudecompliance_oct08.pdf).
19. De fait, notre droit s’est d’emblée positionné dans une perspective de limitation, puisqu’on ne pouvait pas interdire le développement de la technique. 20. Réaction du droit. – Loin du cercle vertueux mis en avant Outre-Atlantique, le droit français propose d’en avoir une vision plus critique. 21. La première réaction sera celle de la CNIL qui refusa en 2005 la mise en place d’un système d’alerte interne, au motif que le nombre de dénonciations calomnieuses et de licenciements sans cause réelle et sérieuse allait augmenter (Beckhard J., Arrêt Dassault Systèmes : la CNIL n’est plus seule, Droit et expertise, 13 janv. 2010, p. 10).
PERSPECTIVES ÉTUDE
la qualité du travail, le respect d’une certaine éthique et pourrait se comprendre comme un facteur d’assainissement du monde des affaires et de mise en avant d’une marque.
22. Mais l’objection première ne pouvait résister à la demande et à la réalité. Car les entreprises françaises se voyaient incitées par leurs parentes américaines, avant que de l’être par la justice pénale étatsunienne. L’argument devenait imparable : pour la gestion du risque pénal, laissez nous devenir des auxiliaires de la justice (Kross J.-C., L’entreprise : nouvelle auxiliaire de justice ?, lors de la conférence « Gestion des données clients », organisée le 26 novembre 2010 à Paris, par Investance).
Soumise aux pressions, la CNIL finit par céder et adopta lors d’une délibération du 8 décembre 2005 une procédure visant à autoriser le traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre dans le cadre de dispositifs d’alerte professionnelle. Mais cette réception pris le tour de l’adaptation. L’autorisation unique, baptisée AU-004, ne valait pas blanc seing dans la mise en place de chartes éthiques et de systèmes d’alerte interne. Le cadre s’articulait autour d’arguments forces, prétendument clairs : – « Un champ d’application restreint pour un usage facultatif ; – une définition des catégories de personnes concernées par le dispositif d’alerte ; – un traitement restrictif des alertes anonymes ; – la diffusion d’une information claire et complète sur le dispositif d’alerte ; – le recueil des alertes par des moyens dédiés ; – une gestion interne des alertes réservées à des spécialistes, dans un cadre confidentiel ; – des données pertinentes, adéquates et non excessives ; – la possibilité d’évaluer le dispositif ; – une conservation limitée des données à caractère personnel ; – une information précise de la personne mise en cause ; – le respect des droits d’accès et de rectification » (document d’orientation adopté par la CNIL le 10 novembre 2005 pour la mise en œuvre de dispositifs d’alerte professionnelle conformes à la loi du 6 janvier 1978 modifiée en août 2004, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés).
Outre la mise en place de moyens visant à prévenir le respect des droits des personnes, la spécificité la plus marquante de ce dispositif était d’en limiter le domaine d’application aux seules matières comptables, financières, bancaires ou ayant trait à la lutte contre la corruption. 23. Vous avez dit une limitation claire du domaine ? – Alors qu’elle se voulait particulièrement stricte, la CNIL avait
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oublié de faire acte de précision. Car si le champ d’application prévu par l’article 1er était restrictif, la CNIL avait permis d’aller au-delà des matières ainsi envisagées en offrant la faculté, sur le fondement de l’article 3 de l’AU-004, de dénoncer en interne « des faits qui ne se rapportent pas à ces domaines (…) lorsque l’intérêt vital de cet organisme ou l’intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu ». 24. Et c’est précisément la rédaction de cette disposition qui se trouve à l’origine de la jurisprudence Dassault. En l’espèce, Dassault avait mis en place un code d’alerte éthique, lequel prévoyait que, s’il s’appliquait à titre principal dans le cadre des matières visées par l’article 1er de l’AU-004, il pouvait encore trouver à jouer « en cas de manquements graves aux principes décrits par le code lorsqu’il met en jeu l’intérêt vital du groupe DS ou l’intégrité physique ou morale d’une personne » (Cass. soc., 8 déc. 2009, n° 08-17.191, Bull. civ. V, n° 27). Visant expressément l’article 3 de l’AU-004, la Cour de cassation considère cependant que « le dispositif d’alerte professionnelle faisant l’objet d’un engagement de conformité à l’autorisation unique ne peut avoir une autre finalité que celle définie à son article 1er que les dispositions de l’article 3 n’ont pas pour objet de modifier ». 25. Curieuse réaction de la Cour qui craint une multiplication des actes d’alerte à l’encontre de faits… visés par l’AU-004. Comment interpréter cette jurisprudence ? Cette position de la Cour de cassation ne peut se comprendre qu’au regard du cadre global de l’alerte en cette hypothèse. La société Dassault imposait de révéler les actes en interne, à l’exclusion de la transmission de l’information à l’externe. Ainsi, les salariés se trouvaient contraint de dénoncer à l’intérieur, en violation de la liberté d’expression que leur reconnait pourtant le Code du travail (C. trav., art. L. 1121-1 et L. 2281-1 et s.). Dès lors que la rédaction était pour le moins elliptique, le risque était de museler totalement les salariés en effectuant une censure interne. Mais invalidant de la sorte le code de conduite retenu par la société Dassault, la Cour de cassation mettait en même temps un coup d’arrêt au mouvement expansionniste que semblait pouvoir s’arroger le whistleblowing tout en brouillant l’analyse devant être faite des dispositions de l’AU-004. 26. Afin d’apporter de la lumière sur la validité des alertes professionnelles, la
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CNIL a modifié la rédaction de la délibération portant création de l’AU-004. « Après avoir rencontré toutes les parties prenantes : organisations syndicales, patronales, institutions publiques, mais également de grands groupes français et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), la CNIL a adopté, le 14 octobre 2010, une délibération modifiant l’autorisation unique AU-004 » (CNIL, Alertes professionnelles : la CNIL clarifie son autorisation unique n° AU-004, précit.). Devant l’ampleur des travaux effectués sur le thème depuis 2005, jalonnés de plusieurs rapports, la nouvelle rédaction devait constituer un évènement majeur de l’évolution de l’alerte professionnelle en France. Pourtant, se limitant à une reprise de la jurisprudence Dassault en supprimant la faculté d’alerte des faits extérieurs aux domaines visés par l’article 1er d’une part, et à celle du délai, prévu dès 2005 par le document d’orientation, relatif à la destruction ou l’archivage des données lorsque les faits n’ont pas donné lieu à une procédure disciplinaire ou judiciaire d’autre part, la Commission aura déçu. Même l’extension de l’alerte aux actes constitutifs de manquement au droit de la concurrence ne fait qu’un écho à la permission par la CNIL accordée sur requête préalable. 27. Un apport si négligeable qu’il ne peut nous conduire qu’à la conclusion que, soit le dispositif fonctionne très bien, soit il n’est pas jugé digne d’intérêt par la CNIL. Et, de l’aveu même du Secrétaire général de la CNIL, le whistleblowing représente un apport quasi inexistant pour les entreprises, car son procédé est contraire aux valeurs françaises, et aboutit aux mêmes résultats que ce qui existe déjà (Padova Y., Dispositif d’alerte et les suites de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 décembre 2009 : point de vue de la CNIL, lors de la conférence « Whistleblowing ou alertes professionnelles : quel avenir en la France ? », tenue à Paris le 6 décembre 2010).
Il faut alors s’interroger sur l’apport de la technique en droit français.
QUEL DEVENIR POUR LE WHISTLEBLOWING À LA FRANÇAISE ? 28. L’utilité du whistleblowing et le cadre de la coopération en matière pénale. – Dès lors que le whistleblowing vise à « permettre aux salariés de faire connaitre à la direction de l’entreprise ou du groupe certains faits commis par
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d’autres salariés, potentiellement répréhensibles ou préjudiciables aux intérêts de l’entreprise » (Conseil de la concurrence, État des lieux : perspectives des programmes de conformité, précit., n° 4, p. 69), on perçoit immédiatement la
liaison existante avec les problématiques pénales. Or, en la matière, les dispositifs d’alerte sont déjà pléthore en droit français. Sans prétendre à l’exhaustivité, on relève en effet que, bien loin de la critique initiale adressée aux systèmes de dénonciation, notre droit favorise la dénonciation, particulièrement dans le cadre du droit pénal, aussi bien général que du travail, des affaires ou économiques. Dans tous ces domaines, le système envisage deux axes de coopération : la faculté et l’obligation. La faculté de coopérer 29. En droit du travail, les salariés disposent de la faculté de dénoncer tout comportement suspect dans l’entreprise au titre de la liberté d’expression (liberté d’expression individuelle : article L. 1121-1 du Code du travail ; liberté d’expression collective : article L. 2281-1 et suivants du Code du travail).
Cette faculté de dénoncer, encouragée par l’édiction de normes tendant à assurer la protection du coopérant, trouve un terrain propice dans la dénonciation d’actes de discrimination (C. trav., art. L. 1132-3), de harcèlement (C. trav., art. L.1152-2) ou de corruption (C. trav., art. L. 1161-1). 30. Mais le droit pénal autorise, plus généralement, la coopération. Ainsi, conformément à l’article 226-10 du Code pénal, la dénonciation calomnieuse n’est constituée qu’à la condition de porter sur des faits que l’on sait « totalement ou partiellement inexact ». A contrario, la dénonciation d’acte réel ou dont le dénonciateur ignore le caractère inexact est autorisée. Cette faculté de dénonciation est d’ailleurs confirmée par la capacité reconnue très largement aux personnes de témoigner dans le cadre d’une instance pénale (C. pr. pén., art. 331 ; pour une analyse en ce sens, Adam P., Le retour des sycophantes ? (à propos du whistleblowing), Dr. ouvrier 2006, p. 281, spéc. p. 286 et les références visées en note 56).
De fait la faculté de coopérer ne connait de limites que dans le cadre de l’abus, ce qui ressort explicitement de la condamnation de la dénonciation calomnieuse. Un abus qui se traduit par la mauvaise foi de celui qui dénonce (en droit du travail : Cass. soc., 27 oct. 2010, n° 08-44.446 ; Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, Bull. civ. V, n° 66 ; en matière pénale, Cass. crim., 7 juin 2005, n° 03-86.640, Bull. crim., n° 171 ; Cass. crim., 7 déc. 2004, n° 04-81.929, Bull. crim., n° 307).
31. Allant plus avant que le simple dispositif du whistleblowing, le droit français impose en outre des obligations de dénoncer des actes pénalement répréhensibles. 32. En droit du travail, ces obligations de dénonciation tendent pour l’essentiel à permettre de mettre un terme à des comportements ou situations comportant un risque grave pour la santé et la sécurité des personnes. C’est ainsi que le droit du travail contraint les employés à dénoncer de telles situations tant à son employeur (C. trav., art. L. 4131-1) qu’à ses collègues (C. trav., art. L. 4122-1). En cas de manquement à cette obligation, une sanction disciplinaire pourrait être encourue (Cass. soc, 23 juin 2010, n° 09-41.607, Bull. civ. V, n° 151), aussi bien qu’une incrimination pénale, au titre d’une omission condamnable. À cet égard, on songera à l’article 121-3 du Code pénal qui, procédant par renvoi à des incriminations spécifiques, sanctionne la mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Mais c’est surtout à l’égard des organismes représentatifs des salariés que le droit pénal a institué des obligations de coopération. Il en va ainsi à l’encontre des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2313-2) et du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT ; C. trav., art. L. 4131-2), concernant les atteintes aux libertés des salariés ou l’existence d’un risque grave et imminent pour la sécurité ou la santé. 33. En droit boursier et financier, les obligations de coopération visant à assurer la transparence ou à prévenir le financement de la criminalité organisée sont nombreuses. Afin d’assurer la transparence, des obligations de coopération ont été mises à la charge de l’Autorité des marchés financiers (AMF), pour les actes de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, de manipulation de cours ou de délits d’initiés (C. mon. fin., art. L. 621-15-1). Plus généralement, l’AMF doit informer le Procureur de la République de tout crime ou délit porté à sa connaissance dans le cadre de son activité (C. mon. fin., art. L. 621-21-1). Par une logique en deux temps, c’est à la charge des entreprises que la dénonciation est imposée, celles-ci étant contraintes d’informer l’AMF de tout soupçon qu’elles auraient quant à l’existence de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, de manipulation de cours ou de délits d’initiés (C. mon. fin., art. L. 621-17-2).
Les commissaires aux comptes sont également contraints de dénoncer tout fait délictueux dont ils auraient eu connaissance dans le cadre de leur activité (C. com., art. L. 823-12), sous peine d’être poursuivi pour complicité par abstention ou nonrévélation de faits délictueux (Cass. crim., 31 janv. 2007, n° 05-85.886, Bull. crim., n° 25). En outre, ils doivent mettre « en œuvre les obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme » (C. com., art. L. 823-12, in fine) révélant ainsi la question des obligations de coopération pour lutter contre la criminalité. D’une manière générale, il existe une série d’obligations mises à la charge de tous ceux qui, « dans l’exercice de leur profession, réalisent, contrôlent ou conseillent des opérations entraînant des mouvements de capitaux », à la condition qu’ils sachent que les fonds proviennent d’une infraction visée à l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 561-1 et s.). Une obligation plus contraignante en-
L’intérêt du dispositif d’alerte serait alors de réintroduire la coopération dans l’entreprise pour lui permettre de mieux envisager sa stratégie en matière pénale, notamment sur le terrain du plaider-coupable.
core est mise à la charge de ceux qui entretiennent une relation d’affaire avec des clients, obligation leur étant faite de déclarer tout soupçon quant à l’origine et à la destination des fonds (C. mon. fin., art. L. 561-2 et s.). On relèvera également, que l’Autorité de concurrence doit transmettre au procureur de la République les dossiers établis par elle relatif à des comportements anticoncurrentiels (C. com., art. 462-6). Enfin, on soulignera que le droit pénal instaure des obligations de coopération mises à la charge de tout à chacun pour les actes les plus graves (C. pén., art. 434-1) dont le manquement peut faire l’objet de poursuites pour non-assistance à personne en danger par non-dénonciation (Cass. crim., 18 févr. 2009, n° 08-87.831) ou de complicité par abstention de dénonciation (Vitu A., Complicité par abstention, Rev. sc. crim. 1990,
PERSPECTIVES ÉTUDE
L’obligation de coopérer
p. 775 et s. ; Cass. com., 30 mars 2010, Bull. civ. IV, n° 69, Rev. sociétés 2010, p. 304, note Le Cannu P.).
34. De ce rappel non exhaustif du cadre de la coopération existant en matière pénale, il ressort nécessairement une interrogation sur l’utilité réelle du dispositif d’alerte professionnelle. L’interrogation sera d’ailleurs renforcée par le fait que la CNIL préconise un usage complémentaire du dispositif. Quand le dispositif sera-t-il mis en œuvre ? On peut a priori l’exclure dans les hypothèses où existe une obligation de coopération, dès lors qu’un cadre plus contraignant existe déjà. Ce qui aboutirait in fine à l’exclure des questions relatives au droit du travail, au droit boursier, comptable, financier ou ayant trait à la corruption, ainsi que pour les questions relevant du droit de la concurrence… en somme dans tous les cas couverts par le whistleblowing. L’absence d’intérêt pour l’alerte découlerait donc plus de son inefficacité que de sa contrariété avec les prétendues valeurs françaises… celles-là même que notre droit pénal ignore. 35. Pourtant, un tel jugement serait sans doute trop hâtif. Hormis les obligations de dénonciations existantes en matière du droit du travail, elles sont plus généralement le fait de tiers à l’entreprise. 36. L’intérêt du dispositif d’alerte serait alors de réintroduire la coopération dans l’entreprise pour lui permettre de mieux envisager sa stratégie en matière pénale, notamment sur le terrain du plaidercoupable. Une certaine utilité restaurée, il convient alors de s’interroger sur les causes réelles de son inefficacité. Or, à cet égard, on constate plusieurs phénomènes pouvant limiter son efficacité. 37. Le devenir du whistleblowing au regard de quelques difficultés… – Bien plus que nos prétendues valeurs, c’est l’encadrement de l’alerte professionnelle qui n’est pas de nature à inspirer la confiance des salariés. En dépit de la mise en place de garanties importantes par la CNIL, certaines questions restent en suspens : 38. Quid de l’anonymat sur lequel la CNIL se montre réticente ? – Sur ce point, l’AU-004 prévoit en son article 2 que l’émetteur de l’alerte doit s’identifier, mais que son identité restera confidentielle. Par exception, l’alerte anonyme
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sera admise à la condition qu’elle soit entourée de précautions particulières et qu’il n’y ait pas d’incitation à l’anonymat. 39. Les précautions à prendre. – S’agissant de précautions particulières, la CNIL suggère de recourir à un examen préalable des alertes anonymes. Derrière cette proposition, on perçoit un obstacle probable : la mise en place de services d’enquêtes internes dédiés et la problématique de l’obtention des preuves, dans le respect des libertés, spécialement le droit au respect de la vie privée des salariés.
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sentiment de perte total du contrôle de la situation par l’alertant. 42. Quid encore de la conservation des plaintes hors champ ? – L’article 6 de l’AU-004 autorise la conservation des données relatives à une alerte alors même que celle-ci n’entre pas dans le champ du dispositif. Quelle utilité de conserver une telle information ? N’est ce pas là un moyen de mettre en œuvre le dispositif au-delà de ce qui est permis ? On peut en outre s’interroger sur les conséquences pour l’entreprise ayant connaissance de ces faits. Engagerait-elle sa responsabilité, notamment dans le cadre d’une complicité par abstention de
40. L’incitation à l’anonymat. – L’incitation à l’anonymat est envisagé au regard de la publicité faite de l’existence du dispositif. C’est donc cette publicité qui devrait se trouver au cœur du débat. Or, les limites doivent être clairement définies, sous peine de voir les entreprises refuser la mise en place de systèmes d’alerte professionnelle. Le simple affichage de la faculté d’anonymat est-il incitatif ? Avant que la Cour d’appel de Caen ne précise la notion d’incitation, il semblait possible d’en revenir à une approche sémantique, impliquant de « pousser quelqu’un à faire quelque chose » (« Incitation », Dictionnaire Larousse). Il y a donc un comportement actif dans l’incitation, insistant sur la faculté de recourir à l’anonymat. Pourtant, la Cour d’appel a considéré que la simple incitation à donner son identité ne suffisait pas à remplir la condition posée (CA Caen, 23 sept. 2011, n° 09/03336). Elle estime que le fait de prévoir des moyens technique permettant l’anonymat sans déconseiller d’y recourir équivaut à une incitation. Ainsi, à contre-courant de ce que la définition de l’incitation pouvait laisser supposer, l’absence d’acte positif pourra être sanctionnée par une nullité de l’alerte anonyme et de l’ensemble des sanctions prises sur cette base.
dénonciation ? Si tel venait à être le cas, l’obligation mise à la charge de l’entreprise ne reviendrait-elle pas à réactiver la rédaction ancienne de l’article 3 ? La position retenue à cet égard par la Cour d’appel de Caen semble d’ailleurs constituer une nouvelle critique de la règlementation CNIL. Elle sanctionne en effet le dispositif se contentant de poser un filtrage a posteriori des alertes. Selon cet arrêt, pouvant néanmoins être relativisé, les modalités pratiques d’alerte devraient empêcher a priori les alertes hors champ.
41. Quid également de l’information sur la suite des plaintes ? – Alors que celui qui fait l’objet d’une alerte professionnelle peut prétendre à une certaine information, la CNIL n’envisage pas d’informer celui qui alerte des suites de l’affaire. Il s’ensuit potentiellement un
43. Quid ensuite du champ d’application de l’autorisation ? – Outre le risque de réactivation préalablement évoqué, on s’interrogera sur le visa étrange effectué à des législations étrangères. N’eut-il pas été plus judicieux de viser soit la matière boursière, soit les questions de
C’est par lobbying que les entreprises pourront obtenir une modification de l’appréciation faite de l’alerte professionnelle. Par ce biais, elles parviendront ainsi à faire reconnaitre les mécanismes de compliance dans leur globalité
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manière directe ? Que vienne à changer le droit étranger, le champ de l’autorisation pourra se voir modifié. 44. Quid enfin du traitement externalisé des alertes ? – L’AU-004 permet de recourir aux services d’un prestataire de services pour la gestion des alertes au titre de son article 4. On notera toutefois qu’elle ne lui reconnaît pas la première place, cette option n’intervenant qu’au troisième alinéa de la disposition. Pourtant, le recours à un tiers, respectueux du cadre institué, tendant à garantir le respect de la confidentialité et celui de la vie privée, semble présenter certains avantages. En premier lieu, il diminue sensiblement la crainte de voir l’information diffusée en interne. Un tel mécanisme serait alors à même de mieux garantir la confidentialité à l’égard de l’entreprise dans son ensemble, direction comprise, et permettrait de rassurer notablement tant ceux qui osent alerter que ceux, sujets de l’alerte. En second lieu, il ne serait plus nécessaire d’affecter des personnes en interne à cette tâche. Il s’ensuit une potentielle économie en moyens matériels et humains. Il conviendra toutefois de prendre des précautions en cas de recours à un prestataire externe situé en dehors de l’Union européenne, afin d’assurer un niveau minimum de protection des données à caractère personnel (Rapp. CNIL, Les questions posées pour la protection des données personnelles par l’externalisation hors de l’Union européenne des traitements informatiques, 9 sept. 2010).
45. Conclusion. – De cette mise en lumière d’interrogations légitimes, il ressort que l’alerte professionnelle à une utilité et que des moyens d’actions sont possibles. Il n’en demeure pas moins que c’est par lobbying que les entreprises pourront obtenir une modification de l’appréciation faite de l’alerte professionnelle. Par ce biais, elles parviendront ainsi à faire reconnaître les mécanismes de compliance dans leur globalité : système de gestion du risque pénal certes, mais également signe distinctif, garantissant les bonnes pratiques et contribuant ainsi au développement de son image de marque. ◆
RLDA
PERSPECTIVES ÉTUDE
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Lors de l’examen du projet de loi de régulation bancaire et financière, les parlementaires ont souhaité renforcer la responsabilité civile des agences de notation. Toutefois, malgré ce nouveau régime, il n’est pas certain qu’à l’avenir la responsabilité de ces agences soit retenue plus fréquemment par les tribunaux.
La nouvelle responsabilité civile des agences de notation Par Florian DENIS Juriste
Lorsque la crise des subprimes a éclaté, les critiques se sont multipliées à l’encontre des agences de notation de crédit (ANC). Il est en effet apparu que les notes qu’elles avaient attribuées aux produits structurés complexes sous-estimaient très nettement le risque effectivement contenu dans ces instruments financiers (Rapport de la Commission des finances du Sénat n° 703, Tome I, 14 sept. 2010). Les ANC ont également été soupçonnées de se trouver au cœur de conflits d’intérêts majeurs, en s’engageant dans des activités de conseil en matière de titrisation auprès d’entités qu’elles devaient ultérieurement noter (Gaillard N., Les agences de notation au cœur du système financier… et des critiques, Questions internationales, nov.-déc. 2008, p. 33-34).
Afin de pallier ces défaillances, le règlement n° 1060/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 a mis en place un système d’enregistrement et de surveillance des ANC qui souhaitent voir leurs notes utilisées à des fins réglementaires dans l’Union européenne (UE). Ce texte a également édicté une série de règles précises visant notamment à prévenir les situations de conflits d’intérêts au sein des ANC et à améliorer la qualité et la transparence de la notation de crédit. Le règlement n° 513/2011/UE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011 est venu compléter ce mécanisme en transférant à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) l’intégralité des compétences liées à l’enregistrement, au contrôle et aux sanctions des ANC. Les régulateurs nationaux, tels que l’Autorité des marchés financiers (AMF), sont donc déchargés de ces missions depuis le 1er juin 2011.
Si le règlement n° 1060/2009/CE a créé une responsabilité administrative, il n’a cependant pas instauré un régime de responsabilité civile spécifique pour les ANC puisqu’il a précisé que « tout recours visant des agences de notation de crédit en relation avec une violation des dispositions du (…) règlement [devait] être effectué conformément au droit national applicable en matière de responsabilité civile » (Règl. Parl. et Cons. CE n° 1060/2009, 16 sept. 2009, consid. 69). Or, jusqu’à présent, les trois grandes ANC, (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch) ont rarement été mises en cause devant les tribunaux civils du continent européen. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’absence de procès intenté aux agences. « Psychologiquement, on devine la réticence des émetteurs à poursuivre des agences au pouvoir d’autant plus redouté qu’il s’exerce dans le cadre d’un marché oligopolistique » (Dondero B., HaschkeDournaux M. et Sylvestre S., Les agences de notation, Actes prat. ing. sociétaire 78/2004, p. 17). En outre, il est
très difficile pour les investisseurs de rapporter la preuve de la faute commise par une ANC, même si, préalablement, par le biais d’une expertise in futurum (CPC, art. 145), ils parviennent à collecter les informations utilisées par l’agence pour établir sa note. Enfin, n’oublions pas que les ANC ont une surface financière limitée, sans commune mesure avec les dommages et intérêts que des plaignants sont susceptibles de leur réclamer (cf. Rapport 2009 de l’AMF sur les agences de notation, p. 44). Récemment, le groupe laitier Parmalat a engagé un recours contre l’agence Standard & Poor’s (S & P), devant un tribunal milanais. Il reprochait à l’ANC de l’avoir classé en catégorie « investissement » jusqu’à la dernière semaine précédant sa faillite, intervenue en décembre 2003 et sollicitait du juge italien l’attribution de quatre milliards d’euros, à titre de dommages et intérêts. En juillet 2011, le Tribunal de Milan a reconnu la faute de S & P mais ne l’a condamnée cependant qu’à rembourser les honoraires perçus
au titre du contrat de notation, à compter de novembre 2000 jusqu’à la date du défaut de paiement de la société, soit 784 000 euros (la justice italienne ordonne à S & P de verser 784 000 euros à Parmalat, Reuters, 5 juill. 2011). En France, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 30 juin 2006 dans l’affaire Morgan Stanley/LVMH (CA Paris, 15e ch., sect. B., 30 juin 2006, n° RG : 04/06308), ayant reconnu la responsabilité civile délictuelle des analystes financiers, aurait pu inciter les émetteurs, victimes de notations sauvages, à croiser le fer avec les ANC, dans la mesure où cette décision semble transposable aux activités des ANC (cf. Couret A., Banque d’affaires, analystes financiers et conflits d’intérêts, D. 2004, p. 335). Pourtant, il n’y a eu à ce jour qu’une seule action judiciaire dirigée contre les grandes ANC. Ainsi, en 2001, l’Association française des porteurs d’emprunts russes (AFPER) a assigné Standard & Poor’s (S & P) et Moody’s devant le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI), leur réclamant conjointement 2,7 milliards d’euros à titre de dommages et intérêts. L’AFPER estimait que les ANC avaient commis une faute, en permettant à la Russie de revenir sur les marchés financiers à des taux acceptables. L’AFPER soutenait que les ANC n’avaient pas pris en compte, lors de l’établissement de leur note, la défaillance de la Russie sur le remboursement de 48 emprunts d’État qu’elle avait émis en France entre 1822 et 1914 et que le Gouvernement soviétique avait refusé d’honorer après 1917 (Guillaume Ph., L’AFPER met en cause les agences de notation financière, Les Échos, 19 juin 2001). Par jugement en date
du 6 avril 2004, le TGI a jugé l’action de l’AFPER imprudente et l’a déboutée de ses demandes (Les porteurs d’emprunts perdent leurs procès contre deux agences de notation, AFP, 6 avr. 2004). Afin de remédier à cette situation de quasi-irresponsabilité de fait des ANC, le député Jérôme Chartier, rapporteur du projet de loi de régulation bancaire et financière auprès de l’Assemblée nationale, a déposé un amendement, en
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mai 2010, qui visait à créer un régime de responsabilité sans faute pour leurs « erreurs de notation », sur le modèle du régime applicable aux produits défectueux, prévu par les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil (amendement CF 108 du Rapporteur Jérôme Chartier). Toutefois, la notion d’« erreur de notation » risquait de se heurter à une difficulté pratique : la notation n’est pas un bien matériel quelconque, il s’agit d’une opinion ou plus exactement d’une évaluation prédictive qui porte sur la capacité de remboursement d’une entité ou sur l’éventualité de son défaut futur. Dans la mesure où une notation envisage l’avenir, il est toujours aisé de la critiquer ex-post, dans l’hypothèse où ce qu’elle avait anticipé ne s’est finalement pas produit. La loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière est finalement revenue à une conception plus classique de responsabilité civile pour faute. Ainsi, le nouvel article L. 544-5 du Code monétaire et financier dispose que les ANC « engagent leur responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, tant à l’égard de leurs clients que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et manquements commis par elles dans la mise en œuvre de leurs obligations définies » par le règlement n° 1060/2009/CE. Cet article poursuit en indiquant que « tout accord ayant pour effet de soumettre, par avance et exclusivement, aux juridictions d’un État tiers à l’Union européenne un différend relatif aux dispositions du règlement n° 1060/2009 (…) alors que les juridictions françaises auraient été compétentes pour en connaître à défaut d’un tel accord, est réputé nul et non écrit ». L’article L. 544-6 du Code monétaire et financier prévoit enfin que « les clauses qui visent à exclure la responsabilité des agences de notation de crédit mentionnées à l’article L. 544-4 sont interdites et réputées non écrites ». Ce nouveau régime de responsabilité civile des ANC soulève de nombreuses problématiques, d’une part en matière de droit international privé (I), d’autre part en ce qui concerne les conditions de mise en œuvre d’une telle responsabilité (II).
I.– LES QUESTIONS DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ SOULEVÉES PAR LE RÉGIME DE RESPONSABILITÉ CIVILE DES ANC Le processus de notation est assez similaire entre les trois grandes agences de notation (Gaillard N., Les agences de notation, éd. La découverte, 2010, p. 40-41). Tout d’abord, une entité privée ou publique rentre en
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contact avec une ANC, qui va désigner un analyste principal, en charge de réunir des informations sur l’émetteur et de rencontrer les dirigeants du client. À l’issue de ces rencontres, l’analyste principal rédige un mémorandum, qui est présenté à un comité de notation composé de plusieurs analystes du secteur concerné. Au terme de ce débat, il est procédé à un vote qui aboutit à l’attribution d’une notation. Si les informations transmises à l’ANC sont jugées insuffisantes, cette dernière peut refuser de noter l’entité qui le sollicite : les ANC n’ont donc aucune obligation de résultat d’émettre une notation aux termes de leur contrat. Une fois sa notation attribuée, l’entreprise ou l’entité souveraine en est immédiatement informée et peut former un appel contre la décision, auquel cas le comité de notation délibèrera à nouveau. Une fois définitivement fixée, la notation est annoncée au public par voie de communiqué. On notera que l’élaboration d’une notation de crédit est un processus déterritorialisé. Même si les trois grandes ANC ont chacune une filiale immatriculée à Paris, les entités françaises sont souvent suivies par des équipes d’analystes établis dans différents pays. Comme l’a souligné l’AMF dans son rapport sur les ANC pour 2009 (Rapport 2009 de l’AMF sur les agences de notation, p. 42), « d’une manière générale, les équipes analytiques des agences sont constituées sur une base européenne, voire globale, et non uniquement nationale. En conséquence, un certain nombre de sociétés, banques et autres entités (…) peuvent être suivies par des analystes basés ailleurs qu’à Paris et inversement, les analystes localisés à Paris peuvent assurer le suivi d’entités situées en et hors de France (y compris en Afrique et au Moyen-Orient) ». En raison de ce caractère transnational du processus de notation, tant la responsabilité civile contractuelle (A) que la responsabilité civile délictuelle (B) des ANC soulèvent un certain nombre de difficultés relevant du droit international privé. A. – La responsabilité civile contractuelle La mise en jeu de la responsabilité contractuelle des ANC suppose que soient déterminées dans un premier temps la juridiction compétente (1°), puis dans un second temps la loi applicable au litige (2°). 1° La juridiction compétente Jusqu’au vote par le Parlement français de la loi de régulation bancaire et finan-
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cière, les contrats de notation conclus par des entités françaises, dès lors qu’ils présentaient un élément d’extranéité, contenaient en général des clauses attributives de juridiction qui donnaient compétence, en cas de litige, aux tribunaux de New York ou de Londres. Désormais, la liberté de choix des parties au contrat quant à la juridiction compétente est limitée, dans la mesure où l’alinéa 2 de l’article L. 544-5 du Code monétaire et financier dispose désormais que : « tout accord ayant pour effet de soumettre par avance et exclusivement, aux juridictions d’un État tiers à l’Union européenne un différend relatif aux dispositions du règlement (CE) n° 1060/2009 (…), alors que les juridictions françaises auraient été compétentes pour en connaître à défaut d’un tel accord, est réputé nul et non écrit ». Pour comprendre ce texte, il est nécessaire de faire un retour en arrière sur les débats parlementaires, qui ont conduit à son adoption (a) puis, d’envisager les hypothèses dans lesquelles les clauses attributives de juridiction désignant une juridiction située hors de l’UE, sont interdites (b). a) Retour sur les travaux parlementaires En première lecture à l’Assemblée nationale, le rapporteur du texte, le député Jérôme Chartier a déposé un amendement visant à instituer la nullité des clauses contractuelles excluant ou limitant la responsabilité des ANC. Puis, lors du passage du texte au Sénat, celui-ci a été modifié sur deux points. D’une part, les sénateurs ont donné la possibilité aux ANC d’inclure dans leurs contrats de notation des clauses limitatives de responsabilité, dans la mesure où le considérant 35 du règlement n° 1060/2009/CE autorise les ANC à stipuler dans leur contrat de notation une clause en application de laquelle elles ne sauraient être tenues responsables dans l’hypothèse où leurs clients leur transmettraient, sciemment ou non, des informations fausses ou erronées affectant la notation. L’interdiction totale des clauses limitatives de responsabilité en droit français risquait donc d’être jugée contraire au droit communautaire. D’autre part, la Haute Assemblée a souhaité renforcer l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité incluses dans les contrats de notation au profit des ANC. Les sénateurs ont en effet pris conscience lors de leurs travaux que, pour bénéficier d’un droit de la responsabilité plus clément, autorisant notamment les clauses exonératoires
b) Une limitation des clauses attributives de juridiction dans les contrats de notation En application de l’article L. 544-5, alinéa 2, du Code monétaire et financier, les clauses attributives de juridiction sont interdites, dans les contrats de notation, si quatre conditions cumulatives sont réunies. La première condition tient au fait que l’accord entre les parties doit désigner une juridiction hors de l’UE. Les parties à un contrat de notation ont en revanche toute liberté pour désigner une juridiction de leur choix, située dans l’UE. Un texte de loi qui aurait interdit la désignation de toute juridiction hors de France aurait sans doute été contraire au règlement n° 44/2001/CE du Conseil du 22 décembre 2000, dit « Bruxelles I »,
concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Il est très probable que les ANC profiteront de la possibilité offerte par l’article L. 544-5 du Code monétaire et financier pour prévoir des clauses donnant compétence aux tribunaux de Londres, dès lors que la relation contractuelle présentera un élément d’extranéité. En revanche, il semble difficilement concevable que les parties puissent insérer à l’avenir une clause compromissoire dans leur contrat de notation : dans la mesure où le ratio legis de l’article L. 544-5, alinéa 2, est d’éviter la « délocalisation » des contrats de notation (Rapport de la Commission des finances du Sénat, préc.) et de prohiber le recours à un juge étatique situé hors de l’UE, on peut déduire a fortiori, qu’il interdit le recours à un arbitre privé…
Alors que l’objectif des parlementaires était de réputer nulles et non écrites les clauses exonératoires de responsabilité figurant dans les contrats de notation, ils ont en réalité voté un texte qui prohibe seulement la désignation d’une juridiction hors de l’UE.
La deuxième condition tient au fait qu’il doit s’agir d’un accord désignant « par avance » une juridiction, c’est-à-dire avant que le litige entre les parties ne soit né. En revanche, rien n’interdit aux parties, une fois leur différend survenu, de conclure entre elles un compromis, qui pourrait proroger la compétence d’une juridiction située hors de l’UE. Cette hypothèse est toutefois peu probable : une fois les parties en conflit, il est rare qu’elles se mettent d’accord sur le choix d’un juge… La troisième condition tient au fait que la clause attributive de juridiction doit désigner de « manière exclusive » une juridiction située hors UE. A contrario, rien ne semble interdire aux parties de stipuler une clause qui désignerait deux juridictions compétentes en cas de litige (l’une dans l’UE, l’autre hors UE), à charge pour le demandeur de choisir l’un des deux tribunaux désignés par la clause.
La dernière condition est sans doute la plus difficile à appréhender : les parties ne peuvent pas faire le choix d’une juridiction située hors de l’UE, si les tribunaux français étaient en principe compétents pour connaître du litige. Mais, dans quelles hypothèses, les tribunaux français sont-ils compétents pour trancher une action judiciaire menée contre une ANC ? Trois situations sont envisageables. Le juge français sera nécessairement compétent dès lors qu’une action judiciaire sera menée contre une ANC établie en France puisque le siège de cette dernière sera situé sur le territoire national (CPC, art. 42). Si une société française souhaite poursuivre en justice une ANC ressortissante de l’UE, les juridictions françaises peuvent également se déclarer compétentes, en application de l’article 5 du règlement « Bruxelles I » si le service de notation de crédit a été exécuté en France. Toutefois, comment savoir si ce service de notation a été réalisé dans l’Hexagone ? La réponse à cette question n’est pas aisée car le processus de notation met en scène des analystes situés dans différents pays. Néanmoins, on pourrait penser que si l’analyste principal, c’està-dire l’analyste jouant un rôle central dans l’élaboration de la note, est situé en France, les juridictions nationales seront compétentes pour connaître d’un tel litige. Si un émetteur français souhaite mettre en cause la responsabilité contractuelle d’une ANC établie hors de l’UE – aux États-Unis notamment – la compétence des juridictions nationales sera déterminée par les règles figurant aux articles 42 et suivants du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962, Dame Scheffel, D. 1963, p. 109, note Holleaux G.). Les tribunaux français pourront se déclarer compétents notamment si le lieu d’exécution de la prestation caractéristique du contrat est situé en France (CPC, art. 46), c’est-à-dire si l’analyste principal qui suit l’entité notée travaille dans l’Hexagone. On rappellera enfin, qu’en l’absence de convention internationale contraire, un émetteur français pourra s’appuyer sur le privilège de juridiction prévue par l’article 14 du Code civil afin d’attraire une ANC établie hors de l’UE devant le juge français. Si le contrat de notation ne respecte pas l’interdiction posée par l’article L. 544-5, alinéa 2, du Code monétaire et financier et désigne, par exemple, les tribunaux de New York comme étant compétents, l’entité notée française conservera toujours la possibilité de saisir les juridictions nationales dans la mesure où la
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PERSPECTIVES ÉTUDE
de responsabilité, les ANC pouvaient être tentées de soumettre leurs contrats de notation à une loi d’autonomie étrangère. Afin que l’interdiction des clauses exclusives de responsabilité ne reste pas lettre morte, la Commission des finances du Sénat l’a donc érigée en loi de police au sens de l’article 9 du règlement n° 593/2008/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, dit « Rome I », sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rapport de la Commission des finances du Sénat, préc.). Lors du passage du texte en séance publique le 1er octobre 2010, les sénateurs ont toutefois supprimé cette référence à la loi de police et ajouté un alinéa afin d’interdire qu’un contrat de notation donne compétence à un juge situé hors de l’UE pour examiner la responsabilité d’une ANC, lorsque le juge français aurait été compétent pour trancher le différend. Ce dispositif a été adopté en seconde lecture par l’Assemblée nationale et figure désormais à l’article L. 544-5, alinéa 2, du Code monétaire et financier. Toutefois, ce texte est loin d’être exempt de critiques : alors que l’objectif des parlementaires était de réputer nulles et non écrites les clauses exclusives de responsabilité figurant dans les contrats de notation, y compris ceux soumis par la volonté des parties à un droit étranger, ils ont en réalité voté un texte qui prohibe seulement la désignation d’une juridiction hors de l’UE. Or, « la détermination de la loi applicable au contrat et celle de la juridiction compétente ne sont pas liées » (Thépot C., L’encadrement légal de l’activité des agences de notation, LPA 2010, n° 250, p. 26). Le contrat de notation pourra donc être soumis à un droit étranger et contourner ainsi l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité.
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clause sera considérée comme « non écrite ». En outre, la décision rendue par un tribunal new-yorkais, alors même que les juridictions françaises pouvaient connaître du litige, sera réputée rendue par un tribunal incompétent et ne pourra pas, semble-t-il, recevoir l’exequatur en France. 2° La loi applicable au contrat de notation Si le for français se déclare compétent, sans doute sera-t-il confronté à une clause contractuelle relative à la loi applicable, qui désignera le plus souvent le droit anglais ou le droit de l’État de New York. Même si l’agence et son client sont tous les deux des ressortissants français, ils pourront en théorie soumettre leur contrat à une loi étrangère mais dans tous les cas, ils ne pourront pas échapper aux dispositions d’ordre public du droit français (Règl. Parl. et Cons. CE n° 593/2008, 17 juin 2008, art. 3.3). Parmi ces règles impératives, les parties devront notamment respecter l’interdiction des clauses exonératoires de responsabilité figurant à l’article L. 544-6 du Code monétaire et financier. En l’absence de loi d’autonomie choisie par les parties, celle-ci sera déterminée par le juge français en application de l’article 4 du règlement « Rome I », qui prévoit que « le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire a sa résidence habituelle », c’est-à-dire, en principe, par la loi du siège social de l’ANC, partie au contrat de notation. B. – La responsabilité civile extracontractuelle des agences de notation Un grand nombre d’opérateurs sont susceptibles de vouloir mettre en jeu la responsabilité délictuelle d’une ANC. Il peut s’agir tout d’abord d’un émetteur, victime d’une notation non sollicitée, qui a vu les taux d’intérêts exigés par ses créanciers grimper. Un obligataire pourra quant à lui se plaindre d’une sur-notation ou d’une baisse tardive du rating, qui l’a conduit à investir dans des titres émis par une entité proche de la défaillance. L’actionnaire pourrait rechercher la responsabilité d’une ANC en raison de la chute du cours de bourse provoqué par une sous-notation de la société. « Il est enfin envisageable qu’une entreprise tierce intente une action en responsabilité à l’encontre d’une agence de notation qui aurait sur-noté un concurrent, permettant ainsi à ce dernier d’obtenir des avantages financiers injustifiés » (Quentin B., Les agences de notation, RD bancaire et fin. 2004, n° 6, p. 467).
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Quel que soit l’intervenant souhaitant intenter une action en justice à l’encontre d’une ANC, celui-ci devra déterminer successivement la juridiction compétente (1°) et la loi applicable à son différend (2°). 1° La juridiction compétente Prenons l’exemple d’un investisseur français qui a acquis les actions d’une société française, dont le cours de bourse a baissé, en raison d’une dégradation brutale de sa notation. Si le rating a été émis par une ANC française, les juridictions nationales seront nécessairement compétentes pour trancher le différend (CPC, art. 42 et 46). Dans l’hypothèse où la notation a été élaborée par une ANC établie dans l’UE, les juridictions françaises pourront également être saisies en application de l’article 5.3 du règlement « Rome I », qui prévoit une option de compétence au profit du « tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». En principe, c’est le siège de l’émetteur qui sera réputé être le lieu du dommage (Mattout J.-P., La notation, Bull. Joly Bourse 1994, p. 435) et non pas le domicile de l’investisseur (CJCE, 10 juin 2004, aff. C-168/02, Kronhofe c/ Maier et al.). Par ailleurs, le juge français qui se déclare compétent en tant que juge du lieu du dommage, devra, comme dans l’affaire Morgan Stanley/ LVMH (CA Paris, arrêt préc.), limiter son examen aux « faits dont les préjudices auront été subis en France », même s’il est permis de s’interroger, à l’instar de certains auteurs, sur la portée concrète d’une telle limitation de compétence (Laprade F. M., Les analystes financiers ont-ils cessé d’être intouchables ?, RLDA 2006/10, n° 553).
Si la notation a été élaborée par une ANC hors UE (américaine, par exemple), le juge français pourra de la même manière connaître du litige, en tant que juridiction du lieu du fait dommageable (CPC, art. 46). Le juge français pourra également se déclarer compétent en tant que tribunal du lieu du fait générateur du dommage, dans l’hypothèse où l’analyste principal de l’entité notée travaillait en France (CPC, art. 46). Enfin, face à une ANC immatriculée outre-Atlantique, l’investisseur français pourra toujours saisir le juge hexagonal, en se fondant sur le privilège de juridiction figurant à l’article 14 du Code civil. Une fois qu’il aura reconnu sa compétence, il appartiendra au for de déterminer la loi applicable. 2° La loi applicable au litige Lorsque les parties au procès (ANC et investisseur) sont françaises et que la
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notation litigieuse porte sur un émetteur français, le for doit, en toute logique, appliquer le droit français. En revanche, lorsque l’ANC sera européenne ou américaine, le juge français devra déterminer la loi applicable par rapport au règlement n° 864/2007/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « Rome II », qui prévoit que « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent » (Règl. Parl. et Cons. CE n° 864/2007, 11 juill. 2007, art. 4.1). Dans notre exemple, le juge français devrait donc considérer que le dommage est intervenu au siège de l’émetteur et que le droit français est applicable au litige. On rappellera cependant que, dans l’affaire Morgan Stanley/LVMH (CA Paris, arrêt préc.), la Cour d’appel avait reconnu, en se fondant sur le critère de la loi du lieu du dommage, l’applicabilité de la loi française, « sauf en ce qui concerne la structure ou l’organisation de la banque, dont les règles sont issues du droit du siège social ». Par conséquent, lorsque le dommage est survenu en France, les tribunaux français pourront apprécier le caractère fautif du comportement de l’ANC au regard du droit français mais devront examiner les défaillances de structure et d’organisation de l’ANC au regard du règlement européen n° 1060/2009/CE, lorsqu’il s’agira d’une ANC établie dans l’UE et au regard de la loi américaine lorsqu’il sera question d’une ANC ayant son siège outre-Atlantique. Une fois résolues ces épineuses questions de droit international privé, le demandeur devra encore rapporter la preuve de la responsabilité de l’ANC.
II.– LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITÉ DES AGENCES DE NOTATION L’article L. 544-5, alinéa 1, du Code monétaire et financier dispose que : « les agences de notation de crédit mentionnées à l’article L. 544-4 engagent leur responsabilité délictuelle et quasi délictuelle, tant à l’égard de leurs clients que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et manquements par elles commis dans la mise en œuvre des obligations définies dans le règlement (CE) n° 1060/2009 (…) ».
(cf. Dondero B., Haschke-Dournaux M. et Sylvestre S., art. préc., p. 17). L’action judiciaire menée
par le client d’une ANC devrait normalement être de nature contractuelle, en application du principe de non cumul des responsabilités civiles. D’autre part, la mention « délictuelle ou quasi délictuelle » paraît inutile : il n’existe pas en droit civil français de distinction entre la faute intentionnelle (C. civ, art. 1382) et l’imprudence ou la négligence ayant eu des conséquences dommageables (C. civ., art. 1383). Même si les formulations employées par l’article L. 544-5, alinéa 1, sont susceptibles d’être améliorées, ses « dispositions recouvrent un régime traditionnel de responsabilité pour faute – ou responsabilité délictuelle – fondé sur l’article 1382 du Code civil ». Pour établir la responsabilité d’une ANC en droit français, « trois conditions doivent [donc] être réunies : une faute, un préjudice et un lien de causalité » (Rapport de la Commission des finances du Sénat, préc.).
A. – La faute ou le manquement Alors que la loi de régulation bancaire et financière avait pour but de faciliter l’engagement de la responsabilité des ANC, elle pourrait avoir rendu en réalité la preuve d’un manquement commis par une ANC plus difficile à prouver. On se rappelle que, dans l’affaire Morgan Stanley/LVMH, la Cour d’appel de Paris avait estimé que la faute d’un analyste financier pouvait naître de « la transgression d’une règle légale ou coutumière, voire de principes professionnels issus de codes ou d’usages ». En conséquence, avant la loi de régulation bancaire et financière, une ANC pouvait être tenue civilement responsable non seulement pour des manquements au règlement n° 1060/2009/CE mais aussi pour des violations du Code de conduite élaboré dans le cadre de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs ou du Code de conduite professionnel interne à chaque agence. Depuis la loi de régulation bancaire et financière, outre les violations de stipulations contractuelles (Thépot C., art. préc.), seuls les « fautes et manquements (…) commis dans la mise en œuvre des obligations définies dans le règlement (CE) n° 1060/2009 » peuvent
permettre la mise en jeu de la responsabilité des agences. L’article L. 544-5 a donc fortement restreint le type de fautes, susceptibles d’être reprochées aux ANC. Ces fautes figurent désormais à l’annexe III du règlement n° 1060/2009/CE. D’autre part, dès lors que le Conseil des autorités de surveillance de l’AEMF aura reconnu la responsabilité professionnelle d’une ANC, en lui infligeant une amende par exemple, le demandeur n’aura qu’à s’appuyer sur cette décision pour prouver la faute. En revanche, si l’AEMF n’a pas lancé d’enquête ou pire, si la procédure a abouti à une mise hors de cause de l’agence, il sera extrêmement difficile – pour ne pas dire impossible – pour un demandeur de prouver ultérieurement la faute de l’ANC devant le juge civil. Outre la faute, le demandeur devra également rapporter la preuve de son préjudice et du lien de causalité entre la faute et son préjudice.
Alors que la loi de régulation bancaire et financière avait pour but de faciliter l’engagement de la responsabilité des ANC, elle pourrait avoir rendu en réalité la preuve d’un manquement commis par une ANC plus difficile à prouver. B. – Le dommage et le lien de causalité entre la faute et le préjudice Le dommage susceptible d’être allégué contre une ANC devra présenter un caractère certain (Dondero B., Haschke-Dournaux M. et Sylvestre S., art. préc., p. 25). Lorsque le demandeur sera un obligataire ou un actionnaire, il ne pourra a priori solliciter que la réparation d’une perte de chance de ne pas pouvoir avoir investi dans un autre titre. Nul ne peut dire en effet comment l’investisseur aurait agi, en l’absence de faute de la part de l’ANC, ce qui exclut donc toute réparation intégrale de son préjudice. Dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle, le préjudice devra en outre présenter un caractère prévisible. Ce critère de la prévisibilité du dommage devrait rendre ardue la tâche des émetteurs, qui souhaitent obtenir la réparation des conséquences dom-
mageables, liées à la mise en œuvre de rating trigger clauses par un tiers avec lequel l’entité notée a conclu un contrat. Dans un tel cas, l’agence pourra en effet toujours soutenir qu’elle ignorait l’existence de telles clauses et qu’elle n’est donc pas tenue de réparer les dommages en résultant. L’intérêt d’une action en responsabilité contractuelle contre une ANC s’en trouverait alors diminué (Thépot C., art. préc.). Si la preuve du préjudice devrait être malgré tout possible, en revanche, « la qualification du lien entre la faute et le préjudice apparaît plus délicate » (Rapport de la Commission des finances du Sénat, préc.). Il conviendra en effet pour le demandeur de démontrer une « double causalité, à savoir non seulement l’effet de la notation injustement basse [ou haute] sur la création du préjudice allégué mais aussi en amont, l’effet produit par la faute sur la valeur de la note » (Dondero B., HaschkeDournaux M. et Sylvestre S., art. préc., p. 20). Le plaignant devra donc dans un premier temps démontrer qu’il existe un lien entre le manquement à une obligation définie par le règlement n° 1060/2009/CE et la sur-notation ou la sous-notation dont l’émetteur est victime. Or, cette relation de cause à effet n’a rien d’évident. Comme l’a relevé le sénateur Philippe Marini, rapporteur du projet de loi de régulation bancaire et financière auprès de la Haute Assemblée, « prenons le cas d’une ANC qui omet, sciemment ou non, d’organiser la rotation de ses analystes, comme le règlement européen l’y oblige. Elle commet, incontestablement une faute, et peut à ce titre, être sanctionnée par le régulateur. Pour autant, rien ne prouve que la notation émise dans ses conditions, soit, sur le fond préjudiciable à l’émetteur » (Rapport de la Commission des finances du Sénat, préc.). En conséquence, si la faute n’a pas d’incidence sur la valeur de la note attribuée, on ne pourra pas prétendre qu’un préjudice en a résulté. Dans un second temps, le plaignant devra prouver le lien entre la sur-notation et la sous-notation et le dommage qu’il a effectivement subi. Or, tous les demandeurs ne seront pas sur un pied d’égalité pour établir cette causalité. Ainsi, pour un émetteur, il sera assez facile de démontrer que l’attribution d’une notation basse a fait mécaniquement augmenter les taux d’intérêts auxquels il emprunte sur les marchés. On se souvient que dans l’affaire Morgan Stanley/LMVH, le Tribunal de commerce de Paris avait jugé que « l’opinion et les analyses financières d’une grande banque internationale telle que Morgan
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PERSPECTIVES ÉTUDE
La rédaction de ce texte a fait l’objet de critiques de la part de la doctrine (Thépot C., art. préc.). D’une part, il est surprenant que la responsabilité délictuelle puisse concerner le rapport entre les ANC et leurs clients, dans la mesure où ces derniers sont liés à l’agence soit par un contrat de notation, soit par un contrat d’abonnement
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qui a acheté des titres obligataires, « la preuve du lien de causalité, entre la valeur de la notation et la décision d’acquisition pourra aisément (…) s’inférer des exigences internes [lui] imposant exclusivement l’acquisition de titres de créances ayant obtenu un niveau de note minimal » (Dondero B., Haschke-Dournaux M. et Sylvestre S., article préc., p. 26). En revanche, un actionnaire éprouvera sans doute plus de difficultés à montrer que la note a été la cause impulsive et déterminante de son investissement, dans la mesure où « la notation d’un émetteur n’a pour objet que d’analyser sa qualité de crédit, non d’apprécier l’opportunité de détenir
des actions » (Dondero B., Haschke-Dournaux M. et Sylvestre S., art. préc., p. 26). En définitive, les articles L. 544-5 et L. 544-6 du Code monétaire et financier constituent des signaux forts en direction des ANC. Toutefois, comme dans le passé, les hypothèses dans lesquelles le droit français sera applicable aux litiges impliquant les ANC demeureront rares. Par ailleurs, en exigeant que la faute résulte d’un manquement aux obligations définies par le règlement n° 1060/2009/CE, ce nouveau régime semble avoir durci les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile des ANC. ◆
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Stanley ont nécessairement un impact sur les sociétés d’importance mondiale (…) » (T. com. Paris, 12 janv. 2004, n° : 2002093985). On peut donc conclure qu’a fortiori l’opinion émise par l’une des trois ANC, qui forment un oligopole mondial en matière de services de notation de crédit, a nécessairement un « impact » sur les entités notées. Les investisseurs devront quant à eux prouver le lien entre la sur-notation et le préjudice allégué, à savoir la perte de chance d’investir dans un autre titre. Ils devront donc démontrer que leur décision d’investissement était fondée sur la notation. Pour un investisseur institutionnel,
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L’inconstitutionnalité des actions attitrées au mandataire judiciaire : le cas de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif Par Michel ATTAL Maître de conférences (Université Toulouse 1 – Capitole) Directeur des Études de l’IEJ (Toulouse) Avocat à la Cour (Toulouse)
1. Il est à présent connu que le droit constitutionnel pénètre le droit privé, à la faveur de la création de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 (et dont le régime a été précisé par la loi organique du 10 décembre 2009). L’article 61-1 de la Constitution dispose ainsi que « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantie, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Ce dispositif permet donc de contester la conformité à notre norme suprême de toute disposition législative. À la condition de passer le filtre de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, toute juridiction peut en effet transmettre au Conseil constitutionnel une QPC posée par un justiciable à l’occasion d’un procès en cours. 2. Même si le système est loin d’être parfait, notamment en ce qu’il consacre des filtres dont on sait qu’il sont parfois infranchissables, il présente l’immense avantage de permettre une réflexion sur des principes, règles ou normes souvent considérés comme intangibles, alors qu’ils ne constituent que des postulats souvent soumis à des objectifs de valeur supérieure. 3. Dans certains domaines, le recours à la QPC ne faisait que peu de doute : pour se limiter au droit privé, le droit pénal constitue sûrement le meilleur exemple, tant les règles gouvernant la garde à vue, pour ne citer qu’elles, paraissent contraires à plusieurs de nos principes fondamentaux.
4. De prime abord, le droit des affaires semble moins touché par ce mouvement. Néanmoins, le but de la présente étude est de s’interroger sur la conformité de certaines règles du droit des procédures collectives aux principes constitutionnels. La matière fournit en effet plusieurs occasions d’appliquer divers principes à valeur constitutionnelle, consacrés dans des cadres variés. 5. Le droit des procédures collectives repose sur l’instauration assumée d’un déséquilibre, au profit de l’entreprise en difficulté, et au détriment des créanciers (cf. en ce sens, Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 6e éd., 2009, n° 48). La tenta-
tive de sauvetage d’une entreprise participe de l’intérêt général, tant d’un point de vue économique que social. Dès lors, les intérêts individuels des créanciers doivent passer au second plan. Il est d’ailleurs frappant de constater que quand la doctrine la plus autorisée évoque l’« humanisation de la procédure », entraînant une « prise en compte de la diversité des intérêts » (Saint-Alary-Houin C., ibid., nos 54 et s.), elle ne vise que les salariés, le chef d’entreprise, et le repreneur. 6. Le droit des procédures collectives organise donc un dispositif de protection de l’intérêt général, par le moyen d’une prééminence par rapport aux intérêts individuels des créanciers. La terminologie est ici cruciale. Nous nous fonderons sur les définitions classiques : « l’intérêt individuel est l’avantage escompté par un individu en particulier. La somme des intérêts individuels désigne l’adjonction des différents avantages attendus. Ensuite, l’intérêt collectif consiste dans l’intérêt spécial d’une catégorie sociale ou professionnelle, supérieur aux intérêts individuels des membres du groupement. Il désigne ce qui rassemble des personnes autour d’une même communauté d’intérêts. L’intérêt général, enfin, désigne l’intérêt de tous, le bien public » (Guinchard S., Chaisnais C., Ferrand F., Procédure civile, précis Dalloz, 30e édition, 2010, n° 145).
7. L’un des moyens d’assurer un traitement collectif des difficultés d’une entreprise consiste à judiciariser ledit
traitement : le tribunal assurera le respect des objectifs législatifs considérés comme supérieurs, et le Procureur de la République pourra représenter la société, et ainsi veiller à ce que l’intérêt de cette dernière ne soit lésé qu’en de justes et légitimes proportions. 8. L’existence de procédures judiciaires nécessite l’intervention d’auxiliaires de justice, tels que les avocats, les mandataires judiciaires, ou les administrateurs judiciaires. Cependant, la loi confère parfois des prérogatives très étendues, et manifestement exorbitantes du droit commun, à certains de ces auxiliaires. 9. La présente recherche se propose d’analyser l’un des manifestations de cette judiciarisation, et de cette intervention de certains auxiliaires de justice, à l’aune de plusieurs principes à valeur constitutionnelle. Principalement, la situation des mandataires judiciaires mérite la plus grande attention, le législateur leur conférant notamment des actions dites attitrées. 10. Dans de nombreuses hypothèses, en effet, le législateur va limiter le nombre des titulaires d’une action en justice. Tel justiciable pourra donc avoir un intérêt à agir, mais pas la qualité pour le faire, la loi considérant que des intérêts supérieurs à son intérêt individuel commandent de ne réserver l’action qu’à un nombre déterminé de personnes. Contrairement à l’action banale, l’action attitrée sera donc limitativement attribuée par le législateur (cf. Guinchard S. et alii, op. cit., n° 142). L’idée de l’action attitrée consiste à réaliser un arbitrage entre plusieurs intérêts antagonistes, ces intérêts pouvant d’ailleurs être individuels, collectifs ou généraux. 11. Ainsi le mandataire de justice est-il le titulaire (ou co-titulaire avec le Parquet ou des autorités judiciaires) de nombreuses actions attitrées. Par exemple, l’article L. 622-22, alinéa 2, du Code de commerce dispose qu’« à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d’office, la
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procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». Ou encore, l’article L. 622-6-1 prévoit que « si le débiteur n’engage pas les opérations d’inventaire dans un délai de huit jours à compter du jugement d’ouverture ou ne les achève pas dans un délai fixé par ce jugement, le juge-commissaire désigne pour y procéder ou les achever un commissaire-priseur judiciaire, un huissier de justice, un notaire ou un courtier en marchandises assermenté en considération de leurs attributions respectives telles qu’elles résultent des dispositions qui leur sont applicables. Il est saisi par l’administrateur, le mandataire judiciaire ou le ministère public. Il peut également se saisir d’office. Le délai fixé pour achever les opérations d’inventaire peut être prorogé par le jugecommissaire ». On le voit, le mandataire judiciaire jouit de plusieurs prérogatives, souvent à titre exclusif. Le cadre de la présente étude ne permettant pas l’exhaustivité, l’analyse sera centrée sur l’un des cas les plus problématiques.
d’une société soumise à une procédure collective, qui souhaite se retourner contre le gérant (en général lui-même associé) pour les fautes de gestion par lui commises. Dans ce cas de figure, il doit d’abord envisager l’action de l’article L. 651-2, qui est réservée à quelques autorités judiciaires ou auxiliaires de justice.
12. De manière générale, l’article L. 622-20 du Code de commerce explique que le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers. À ce titre, et au-delà des exemples précédemment cités, l’action en comblement pour insuffisance d’actif, prévue par l’article L. 651-2 du Code de commerce pour sanctionner la faute de gestion du dirigeant, est réservée au liquidateur (donc au mandataire judiciaire), au ministère public, ou au(x) créancier(s) contrôleur(s), en vertu de l’article L. 651-3 du même Code. Il s’agit donc bien d’une action attitrée, au sens des définitions retenues plus haut.
Sa dernière possibilité dans le cadre du droit des procédures collectives consistera donc à tenter d’être nommé créancier contrôleur, puisque la loi du 26 juillet 2006 est venue permettre à la majorité des créanciers contrôleurs de saisir le tribunal en cas de carence du mandataire judiciaire (C. com., art. L. 622-20). Il n’est même pas certain qu’il reçoive une réponse du juge-commissaire. Là encore, aucune voie de recours ne paraît envisageable. La seule issue sera de saisir le tribunal, afin d’essayer d’obtenir une réponse.
13. Cette réservation se justifie parfaitement au regard de l’intérêt collectif des créanciers : l’action ayant pour objectif d’augmenter le patrimoine de la personne soumise à la procédure collective, et donc d’augmenter le droit de gage des créanciers, il est légitime que le représentant des créanciers soit le titulaire privilégié de l’action. En revanche, il est permis de s’interroger sur la légitimité de la combinaison de ces solutions avec celles posées par la Cour de cassation s’agissant d’une éventuelle action d’un créancier, dont l’intérêt à agir n’est pourtant pas contestable. 14. L’hypothèse fréquemment rencontrée en pratique concerne un ex-associé
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15. Il faudra donc qu’il demande au Procureur de la République d’intenter l’action. Dans la pratique, la réponse négative, ou plus souvent l’absence de réponse, ne laissera au créancier n’autre choix que d’envisager de saisir le Procureur Général de la question en tant qu’autorité hiérarchique, sans certitude ni réelle voie de recours ouverte. Le créancier pourra également solliciter du mandataire judiciaire qu’il intente l’action. Ici également, il se peut parfaitement qu’aucune suite ne soit donnée. Dans ce cas de figure, la seule issue serait une action en responsabilité contre le liquidateur. Il est cependant établi que la jurisprudence ne laisse que très rarement de telles actions prospérer (cf. en ce sens, Saint-Alary-Houin C., op. cit., n° 1094 et les réf. citées en note 86).
16. Le créancier sera peut-être tenté de recourir au droit commun de la responsabilité civile, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Malheureusement, comme nous aurons l’occasion de le voir, il rencontrera vraisemblablement l’échec, du fait de la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation. 17. La situation du créancier est donc bloquée. À ce titre, il est possible de contester la constitutionnalité du droit positif, en ce qu’il prive ledit créancier de toute voie d’action, sans que cela puisse être légitimée au regard d’intérêts supérieurs. Plus précisément, les solutions actuelles nous paraissent constituer une violation de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui dispose que « la liberté consiste
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à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), ainsi que de l’article 16 de la même Déclaration (qui dispose que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »). 18. Avant d’examiner ces arguments dans le détail, il convient d’apporter une précision d’importance. Dans notre hypothèse de travail, c’est la constitutionnalité du régime de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif couplé avec les règles jurisprudentielles fermant l’action en responsabilité de droit commun qui est contestée. Il est en effet parfaitement admissible, au regard des objectifs du droit des entreprises en difficulté, que le mandataire liquidateur jouisse spécialement d’une action réservée. Ce qui est moins admissible, c’est que l’existence de cette action spéciale soit interprétée comme fermant la voie de droit commun. Dans une optique judiciaire, on sait que la Cour de cassation est généralement réticente à transmettre une QPC portant sur sa propre interprétation de la loi ; l’affaire ayant donné lieu à la décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011 (relative au mariage entre personnes de même sexe) montre néanmoins que la chose n’est pas inenvisageable. En outre, le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC n° 2010-39 du 6 octobre 2010, avait énoncé que « tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » (considérant 2). 19. La Constitution et les autres règles à valeur constitutionnelle sont censées bénéficier à tout citoyen ; il n’est donc pas incohérent de vérifier in concreto si lesdits citoyens jouissent effectivement de leurs prérogatives, ou si, à l’inverse, ils en sont privés pour de légitimes raisons. Ainsi, la combinaison entre cette fermeture et l’action spéciale attitrée au mandataire judiciaire es-qualité de liquidateur viole le principe de liberté individuelle (I) ainsi que celui du droit à un recours juridictionnel effectif (II).
I.– LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LIBERTÉ INDIVIDUELLE 20. Dès 1982, le Conseil constitutionnel a affirmé que « Nul n’ayant le droit de nuire à autrui, en principe, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (Cons.
principe de responsabilité pour faute, qui confère une portée constitutionnelle à la règle énoncée par l’article 1382 du Code civil, se lit comme la conséquence de la liberté reconnue par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » et que « la liberté n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces même droits ». 21. Le Conseil constitutionnel confère donc une valeur constitutionnelle aux règles de responsabilité civile du droit commun, sur la base de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. 22. Comme souvent, le Conseil constitutionnel assortit ce principe de responsabilité de limites : cette exigence constitutionnelle ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il faut donc se demander si la fermeture de l’action en responsabilité de droit commun peut se fonder sur des motifs d’intérêt général. 23. La Cour de cassation estime manifestement que le créancier ne doit pas pouvoir recourir effectivement à l’article 1382 du Code civil pour ne pas nuire aux objectifs de la procédure collective et au traitement collectif des créanciers : en application de l’article L. 651-3 du Code de commerce, seul le mandataire judiciaire, organe de procédure, est chargé de défendre en justice l’intérêt collectif des créanciers, permettant ainsi d’éviter la multiplication d’instances. 24. Mais l’intérêt collectif des créanciers est-il l’intérêt général ? Il est incontestable que la procédure collective, et l’accomplissement de ses objectifs, relève de l’intérêt général. Il est dès lors parfaitement admissible que le traitement collectif des créanciers soit assuré, notamment par une réservation d’actions spécifiques à des autorités particulières. En revanche, lesdites autorités doivent représenter l’intérêt général, ce qui n’est clairement pas le cas du mandataire judiciaire. 25. La loi assigne nettement au mandataire judiciaire la mission de défendre l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art.
L. 622-20), y compris en les représentant en justice (C. com., art. L. 812-1). Cet auxiliaire de
justice, profession libérale, ne peut donc pas être considéré comme défenseur de l’intérêt général, contrairement au Procureur de la République. 26. Certes, dans l’exercice de certaines de ses missions, le mandataire judiciaire accomplit une mission de service public, c’est-à-dire consistant à protéger l’intérêt général. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette solution a eu pour principal objectif ou conséquence la soumission des mandataires judiciaires aux règles pénales gouvernant le délit de prise illégale d’intérêts (cf., en ce sens, Segonds M., note sous Cass. crim., 26 sept. 2001, D. 2002, p. 1800).
27. Toutefois, à l’instar du droit pénal, il faut retenir une approche fonctionnelle, mais non statutaire, de la notion de mission de service public. Une même autorité, ou un même auxiliaire de justice, pour accomplir une telle mission d’intérêt général en accomplissant certaines de ses prérogatives ; cela ne signifiera pas
Toutefois, à l’instar du droit pénal, il faut retenir une approche fonctionnelle, mais non statutaire, de la notion de mission de service public. que toute action de cet auxiliaire relèvera de l’intérêt général. 28. La faculté reconnue au mandataire judiciaire de choisir d’exercer ou non l’action en comblement pour insuffisance d’actif, fermant potentiellement toute voie d’action au créancier individuel, ne peut clairement pas être regardée comme participant à une mission de service public. Certes, par cette action, le mandataire participe au fonctionnement de la justice ; il le fait toutefois en vertu d’un intérêt qui n’est pas l’intérêt général, mais celui d’une catégorie, les créanciers, prise abstraitement. Cela est d’autant plus vrai quand le mandataire décide de ne pas intenter l’action. 29. Ainsi, la limitation du jeu des règles de la responsabilité civile ne peut en l’espèce se justifier par un motif d’intérêt général, puisque le mandataire judiciaire ne représente qu’un intérêt
PERSPECTIVES ÉTUDE
const., 22 oct. 1982, déc. n° 82-144 DC, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, considérant 3). Cette reconnaissance d’un
collectif. Quelle que soit la solution à préconiser (modification de la position de la Cour de cassation, ou du statut des mandataires judiciaires), le principe de liberté individuelle est donc violé par notre droit positif. La violation d’un principe fondamental peut éventuellement se justifier par un motif d’intérêt général. Or, tel n’est pas le cas, notamment si l’on raisonne à partir du droit à un recours juridictionnel effectif.
II.– LA VIOLATION DU DROIT À UN RECOURS JURIDICTIONNEL EFFECTIF. 30. Même si l’on voulait admettre – ce qui n’est pas notre cas ! – que l’intérêt général est à l’origine de la réservation d’une action en justice à un représentant d’un intérêt simplement collectif, encore faut-il garder à l’esprit que le Conseil constitutionnel estime que les exclusions ou aménagements des règles de la responsabilité civile de droit commun ne doivent pas porter atteinte d’une manière disproportionnée aux droits de victimes d’actes fautifs ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (Cons. const., 11 juin 2010, déc. 2010-2 QPC). En d’autres termes, il faut néanmoins vérifier que les moyens de la règle demeurent proportionnés par rapport à l’objectif de ladite règle. 31. Le Code de commerce, en réservant l’action en comblement pour insuffisance d’actif à certaines autorités ou auxiliaires comme le mandataire judiciaire, ne pose pas expressément un principe d’interdiction pour le créancier individuel de recourir à la responsabilité civile de droit commun. Pourtant, pour la Cour de cassation, l’action en comblement de l’insuffisance d’actif est exclusive de la responsabilité civile de droit commun, de sorte qu’un cumul est par principe exclu (cf., notamment, Cass. com., 20 juin 1995, n° 93-12.810, Bull. civ. IV, n° 187 ; et Cass. com., 8 juill. 2003, n° 00-16.882).
32. Cette solution, posée à l’origine dans le cas d’une société in bonis, a par la suite été étendue aux hypothèses visant des sociétés soumises à des procédures collectives (cf. en ce sens, Jambort S., Responsabilité des dirigeants sociaux à l’égard des tiers pour des faits antérieurs à l’ouverture d’une procédure collective (à propos de Cass.com., 7 mars 2006), JCP E 2006, n° 51, p. 2834).
33. Cette exigence supportée par la société in bonis se justifie car elle conduit, en fait, à rendre responsable la personne
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morale pour la plupart des agissements commis par son dirigeant. Les tiers peuvent donc espérer obtenir réparation, auprès de la société, du dommage qu’ils ont subi. Mais ce n’est absolument pas le cas lorsque la société est soumise à une procédure collective, puisque le seul préjudice susceptible d’être réparé au profit des créanciers est finalement le préjudice collectif, étant rappelé que le juge bénéficie d’un pouvoir modérateur en matière de comblement de passif (cf. en ce sens Jambort S., op. cit.). 34. Ce principe de non-cumul ne connaît qu’une exception : l’action du créancier de la société liquidée sera possible à la double condition que la faute du dirigeant soit détachable de ses fonctions, et que le créancier démontre un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers (cf. en ce sens : Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-16.536, Bull. civ. IV, n° 61). Cette exception demeure largement théorique, les conditions posées étant extrêmement difficiles à remplir. 35. La première condition ne sera, en pratique, jamais remplie. En effet, si une action est envisagée contre le dirigeant d’une société soumise à une procédure collective par un associé (ou ancien associé) es-qualité, il est plus que probable que la faute ressortira de l’activité du gérant dans le cadre de ses fonctions. Cela explique que la Cour de cassation soit peut-être en train d’infléchir sa position ; dans un arrêt rendu le 9 mars 2010 (Cass., com., 9 mars 2010, nos 08-21.547 et 08-21.793, Bull. civ. IV, n° 48), elle a énoncé que « la mise en
œuvre de la responsabilité des administrateurs et du directeur général à l’égard des actionnaires agissant en réparation du préjudice qu’ils ont personnellement subi n’est pas soumise à la condition que les fautes imputées à ces dirigeants soient intentionnelles, d’une particulière gravité et incompatibles avec l’exercice normal des fonctions sociales ». La condition de la faute détachable semble donc appartenir au passé, même si la portée de cette jurisprudence peut être discutée. 36. Reste néanmoins la seconde condition, qui consiste à démontrer que le créancier qui souhaite agir a subi un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers. La preuve du caractère personnel du préjudice n’est pas contestable : elle correspond aux exigences du droit commun de la responsabilité civile. En revanche, l’obligation de démontrer un préjudice distinct se justifie beaucoup moins : le créancier doit ainsi démontrer
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qu’il n’est pas dans la même situation que les autres créanciers. Or, la Cour de cassation estime que le simple fait de ne pas avoir été payé de sa créance ne constitue pas un préjudice strictement personnel du créancier (Cass. com., 7 juil. 2004, n° 02-10.687). Mis à part l’hypothèse d’un créancier ayant consenti personnellement une sûreté à un créancier de la société soumise à une procédure collective, cette preuve sera impossible à rapporter. 37. Les plus optimistes estimeront que la Cour de cassation s’achemine vers un abandon de cette condition d’un préjudice distinct, en se fondant sur l’important arrêt cœur Défense. Dans
porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif (cf., également, Cons. const., 19 déc. 2000, déc. n° 2000-437 DC, considérant 44). 39. Le droit positif français rend donc l’action individuelle d’un créancier en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1382 du Code civil inutilisable en pratique. Le droit à un recours juridictionnel effectif n’est donc ici pas garanti. La seule existence d’une action spéciale attitrée, qui ne relève pas, en réalité, de la défense de l’intérêt général, ne peut suffire à justifier cette solution.
CONCLUSION
L’action du créancier de la société liquidée sera possible à la double condition que la faute du dirigeant soit détachable de ses fonctions, et que le créancier démontre un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers. cette affaire, la Haute Juridiction (Cass. com., 8 mars 2011, nos 10-13.988, 10-13.989 et 10-13.990) admet qu’un créancier puisse former tierce opposition formée contre un jugement ordonnant une procédure de sauvegarde, en avançant que ladite procédure n’avait pour but que de permettre à d’autres créanciers de retarder leur paiement ; cet argument est qualifié de propre au créancier requérant. Là encore, la portée de cette jurisprudence est discutable, et une extension au cas de l’action en comblement de l’insuffisance d’actif est encore largement prématurée. 38. Qu’il s’agisse de la condition de faute détachable ou de celle du préjudice distinct, leur mise en œuvre est incertaine. L’insécurité juridique qui en résulte conduit à nier au tiers la possibilité d’actionner la responsabilité du dirigeant social sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, niant ainsi le droit au recours juridictionnel garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. En effet, le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 (considérant n° 83) a jugé qu’il résulte de l’article 16 qu’en principe, il ne doit pas être
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40. Le fait de prévoir une action attitrée permet au législateur d’atteindre un objectif précis, qui peut consister dans la défense de l’intérêt général, d’un intérêt collectif, ou d’un intérêt particulier. Mais le fait d’attitrer une action n’implique pas nécessairement de fermer totalement l’utilisation du droit commun. 41. Une telle fermeture constitue une violation de plusieurs principes à valeur constitutionnelle, à savoir la liberté individuelle et le droit à un recours juridictionnel effectif. 42. Une telle violation ne peut se justifier que par des motifs d’intérêt général. Or, en l’espèce, seul un intérêt collectif peut être invoqué. Ainsi, le créancier, tiers ou associé, est privé de manière disproportionnée de la possibilité de voir son dommage réparé, privant ainsi le justiciable de la possibilité de se prévaloir du principe de réparation de la faute ayant une valeur constitutionnelle. La société en difficulté est déjà dans une situation irrémédiablement compromise, tandis que les créanciers n’ont absolument aucun recours contre le gérant, à qui pourtant l’ouverture de la procédure collective peut être, au moins partiellement, imputée. 43. Les résultats de la présente recherche montrent bien que, par la prise en compte de la règle et de ses modalités d’application pratique, le droit constitutionnel permet une réflexion sur les buts d’une règle et sur l’équilibre que le législateur essaie d’instaurer, sans donner à un quelconque principe une valeur de dogme. N’est-ce pas là le meilleur moyen de garantir la sécurité, la flexibilité et l’adaptabilité de notre ordre juridique ? ◆
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