1. Rumeurs de paix, murmures de guerre. Rumeurs de paix, murmures de guerre
. Évaluation de la réintégration des ex-combattants dans la vie civile.
Rumeurs de paix, murmures de guerre
Évaluation de la réintégration des ex-combattants dans la vie civile au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et en Ituri République Démocratique du Congo Résumé Exécutif Guy Lamb, Nelson Alusala, Gregory Mthembu-Salter and Jean-Marie Gasana
L’objectif de cette étude était : ■■
d’évaluer les processus de réintégration socioéconomique des ex-combattants dans la vie civile,
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d’analyser les causes et les dynamiques des conditions actuelles de sécurité au Nord-Kivu, SudKivu et en Ituri et les implications du processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) actuel et futur, et
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d’estimer la mesure dans laquelle les ex-combattants démobilisés ont été à nouveau recrutés par les groupes armés, en prenant en considération les facteurs incitatifs et dissuasifs..
Outre une revue des écrits et un bilan des études et données publiées sur le sujet, cette étude s’appuie sur une analyse qualitative (entretiens individuels et groupes de discussion avec des ex-combattants et des membres des communautés d’accueil) afin d’identifier les éléments déterminants de la réintégration à la vie civile, les dynamiques en place et les enseignements à en tirer.
Les conflits post-indépendance et la construction de la paix La République Démocratique du Congo (RDC) a connu une longue histoire de répression et de conflits armés remontant à l’ère de l’occupation européenne. Après l’indépendance, l’autorité du gouvernement est demeurée inefficace sur une vaste étendue du territoire, particulièrement dans l’Est. Face à la non rémunération régulière des forces armées du gouvernement sous l’ère Mobutu, les soldats avaient souvent recours au pillage des communautés rurales pour assurer leur subsistance. Les communautés touchées réagissaient à ce comportement prédateur et
aux autres types d’insécurité en créant leurs propres milices. Ces groupes armés connurent une véritable prolifération dans le milieu des années 1990. L’instabilité dans la région fut également aggravée par les mouvements de population et de groupes armés provoqués par le conflit au Rwanda. Les tensions locales finirent par aboutir à un mouvement de rébellion en 1996 qui fit tomber le régime de Mobutu. À partir de 1999, un autre mouvement rebelle soutenu par l’étranger a menacé le nouveau régime de Kabila. Cette accumulation de tensions et de conflits divers fut officiellement stoppée par une série d’accords de paix entre 1999 et 2002. Malgré ces derniers, un ensemble non négligeable de zones de l’est du pays demeure à ce jour instable, parcouru par des groupes armés et des milices toujours en activité, particulièrement dans les zones minières.
Désarmement, démobilisation et réintégration en RDC Le processus de DDR déployé en RDC est sans doute le programme le plus complexe et varié jamais mis en œuvre en Afrique. Il comprenait, entre autres, un programme national, des programmes de désarmement et de rapatriement des combattants étrangers et de leurs dépendants, des processus destinés à des groupes ciblés aux besoins spécifiques (les femmes, les ex-combattants invalides et les enfants), et des projets de désarmement des membres de milices afin de les réintégrer à la vie civile. La Banque mondiale et les Nations Unies ont été les principaux promoteurs du processus de DDR, aux côtés du gouvernement du pays. Le programme de DDR en RDC a constitué la plus importante composante du Programme multi-pays de
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démobilisation et réintégration (MDRP), représentant 50 pourcent de son budget total. Les activités du MDRP se sont achevées dans la région des Grands Lacs en 2009. A cette date, 102.014 anciens combattants avaient reçu un appui à la démobilisation et réinsertion et 52.172 avaient reçu une aide à la réintégration. Si la démilitarisation a pu toucher de nombreux ex-combattants dans la région de l’est, les résultats demeurent cependant mitigés en termes de réintégration. En effet, les kits de réinstallation ont souvent été revendus et destinés à d’autres projets ; certains ex-combattants ont rejoint leur groupe armé d’origine ; les femmes se sont souvent retrouvées exclues des programmes de réintégration, ne pouvant justifier de l’ensemble des critères nécessaires pour accéder à la démobilisation.
Les conditions de sécurité et d’insécurité en Ituri, et dans le Nord & Sud-Kivu Le niveau de sécurité pour les populations en Ituri, et dans le Nord et le Sud-Kivu s’est amélioré de façon marginale en 2010 et 2011, par comparaison à la période 2008-2009. Les conditions de sécurité variaient néanmoins selon les communautés. De plus, les niveaux de violence et de violations des droits de l’homme enregistrés étaient particulièrement élevés, notamment les viols, agressions, meurtres, pillages et enlèvements. Les principaux auteurs de ces actes étaient des membres de groupes armés et de milices, ainsi que des soldats des FARDC (Forces Armées de la RDC). Des tensions au sein des forces armées congolaises contribuèrent à l’instabilité de la région. Les FARDC étaient souvent accompagnées de rebelles et d’autres groupes étrangers, pour qui le butin que constitue l’extraction de l’or devint à la fois un moyen de survie et une façon d’asseoir leur suprématie. Face à l’exploitation illégale des ressources minières par certains membres des FARDC et l’augmentation de la violence dans l’est du Congo, une réforme militaire fut mise en œuvre afin de stabiliser la région et réduire le niveau de violence. En 2011, les contingents de l’armée se retirèrent des zones clés, laissant les communautés à la merci d’attaques perpétrées par d’autres groupes armés. De plus, certains anciens membres de groupes armés, insatisfaits des conditions et avantages qui leur avaient été accordés au sein des FARDC, ont fini par déserter l’armée du gouvernement. Certains individus auraient rejoint des groupes armés ou en auraient établi de nouveaux.
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La réintégration des anciens combattants Par rapport à l’essentiel de la population active de la RDC, de nombreux combattants démobilisés ont à présent entrepris une activité professionnelle civile stable et sont impliqués dans des activités économiquement viables ne nécessitant aucune formation officielle, ni réseau spécifique, ni investissement de capital conséquent : ■■
les petits commerces : stands de marché, commerce transfrontalier de marchandises importées des pays voisins ;
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extraction minière artisanale à petite échelle. Celle-ci comporte une forte présence d’ex-combattants démobilisés, surtout en Ituri, où la moitié d’entre eux sont des mineurs artisanaux ;
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le transport : conduire un moto-taxi est une activité de subsistance populaire parmi les ex-combattants, car elle ne nécessite ni qualification spécifique ni compétence professionnelle. Le transport fluvial (le transport par bateau de bois, de minerai ou d’autres marchandises) génère également des revenus ;
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la pêche est une activité très lucrative lorsque les ex-combattants collaborent au sein d’associations et possèdent une expérience du métier ;
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l’agriculture : ce secteur est essentiellement profitable aux anciens fermiers ayant une expérience suffisante pour subsister à l’aide de leur kit agricole. L’accès à la terre étant une contrainte majeure, c’est donc la culture vivrière et la chasse du gibier de brousse qui constituent les activités agricoles les plus courantes ;
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le secteur de l’exploitation forestière comprend des ex-combattants, surtout dans l’industrie du bois, que ce soit sur le marché intérieur ou extérieur ;
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les activités illégales, criminelles ou de contrebande telles que le trafic de minerai, de drogue ainsi que la criminalité armée sont une option pour les ex-combattants disposant de peu d’opportunités économiques ;
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le recrutement dans des groupes armés. Celui-ci peut s’expliquer par certains facteurs dissuasifs tels que le sentiment de discrimination perçu au sein
des FARDC eu égard à l’allocation de bénéfices, de grades, etc ; la perte de l’accès aux sites miniers lucratifs par des factions des FARDC ; la transformation légale des zones minières par l’interdiction gouvernementale ; un processus défectueux de réforme du secteur de la sécurité ; et l’attrait des groupes armés qui apportent un sentiment d’appartenance et des possibilités de revenus. D’après cette étude, les choix d’activités des ex-combattants individuels semblent avoir été directement influencés par leurs conditions particulières, leur expérience, leurs responsabilités familiales, leurs compétences et leur expérience dans des activités de subsistance. L’accès à des réseaux individuels pouvant être utiles dans un but économique (l’accès à des prêts, des associés, des investisseurs et des marchés) s’est avéré un ingrédient clé dans la sécurisation d’une activité économique durable. De nombreux ex-combattants se sont associés en affaires avec des individus ou des réseaux sans aucun passé militaire. Dans certains cas, des ex-combattants de groupes armés précédemment en guerre les uns contre les autres semblaient capables de travailler côte à côte relativement pacifiquement dans toute une série de métiers, de l’exploitation minière artisanale au moto-taxi, au petit commerce ou à la pêche. La façon dont les ex-combattants ont utilisé le kit de réinsertion/réintégration qui leur a été fourni a varié. Certains l’ont mis directement au service d’une activité génératrice de revenus. Un grand nombre l’ont vendu, certains dans le but d’utiliser l’argent pour une consommation à court terme, d’autres pour investir les fonds dans une entreprise économique qu’ils déterminaient comme étant plus appropriée à la particularité de leur situation personnelle. Les ex-combattants ont souvent opté pour des activités génératrices de revenus afin d’épargner des fonds et de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Dans
certains cas, les ex-combattants gèrent plusieurs petites entreprises employant généralement des membres de la famille. Souvent, les anciens combattants ont voulu améliorer leur statut socio-économique en changeant et en adaptant leur source de revenus. Certains, par exemple, avaient commencé par des petits travaux, constituant ainsi des économies pour les réinvestir ensuite dans des entreprises plus rentables. Généralement, l’effet produit était un entraînement vers un progrès positif. Compte tenu de ces dynamiques bénéfiques, il serait envisageable d’avancer l’idée que les ex-combattants deviennent progressivement des agents implicites de la paix.
Recommandations En matière d’affaires militaires : --
nquêter sur les crimes commis par les forces E armées régulières contre la population (dont des violations des droits de l’homme) et appliquer les mesures disciplinaires adéquates.
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Achever d’urgence le processus de réforme de l’armée afin de fournir une meilleure protection des populations vulnérables aux attaques des groupes armés.
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Continuer le processus de désarmement.
En matière de réintégration : --
Évaluer le type d’aide adéquat à fournir aux ex-combattants.
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Adapter le soutien à la réintégration aux conditions locales du marché.
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Encourager les mineurs artisanaux à travailler dans des zones démilitarisées.
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Prôner l’instauration d’une baisse des taxes et de facilités d’accès au crédit pour soutenir le développement des petites entreprises.
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