evaluation de la precocite intellectuelle chez l'enfant . interet et limite ...

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Peut-on se fier aux résultats des tests pour l'évaluation de la précocité de l'enfant .... Lors de son CP, Naëlle attendait une nouvelle rencontre avec une certaine.
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EVALUATION DE LA PRECOCITE INTELLECTUELLE CHEZ L’ENFANT . INTERET ET LIMITE DES TESTS.

L’objectif de mon intervention ne consistera pas à présenter de façon générale les principales caractéristiques des enfants intellectuellement précoces, nous nous y sommes déjà employés par le passé en soulignant le remarquable développement de certaines aptitudes et la fréquente créativité de ces enfants. Nous avons eu la chance d’assister à un brillant exposé d’Alain De Broca. Nous allons aujourd’hui orienter notre attention sur les principaux moyens employés pour évaluer le développement des aptitudes, en particulier les tests. Les tests permettent de stimuler l’activité cognitive des sujets, de mesurer et de donner une idée du développement de compétences intellectuelles en comparant le niveau de performances d’un sujet à celui de sujets de même âge chronologique. Comme l’affirmait R. Zazzo en son temps, « tester, c’est comparer ». Peut-on se fier aux résultats des tests pour l’évaluation de la précocité de l’enfant et dans quelle mesure ? Nous allons tenter de répondre à ces questions. Parlons des tests et de leurs qualités tout d’abord. Les tests de type Binet-Simon ont été largement utilisés jusqu’à une période assez récente. Actuellement, les tests les plus couramment utilisés par les psychologues sont les échelles de D. Wechsler, en particulier l’échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants et adolescents, la WISC-IV actuellement, bientôt la 5ème version. Ces échelles présentent des qualités dites « métrologiques », une fidélité, une sensibilité, une validité et des normes établies sur de grands échantillons représentatifs. La fidélité correspond pour aller vite à la stabilité des résultats au fil du temps. La sensibilité correspond quant à elle au potentiel de différenciation de l’épreuve, qui doit pouvoir permettre de discriminer les performances des sujets entre eux. La validité est définie à partir d’indices basés notamment sur le contenu du test, les procédures de réponse, la structure interne et les relations avec d’autres variables, par exemple les scores à des épreuves évaluant les mêmes concepts (validité « concourante »). On ne parle plus vraiment aujourd’hui de différents types de validité mais plutôt de différentes catégories de preuves de la validité.

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Qu’est-ce que ces épreuves évaluent ? Les échelles de Wechsler évaluent, à partir de situations nombreuses et variées, des aptitudes. La structure en 4 facteurs, dite « quadrifactorielle » de la dernière WISC tient davantage compte des théorisations récentes sur l’intelligence de l’enfant et sur les données de l’analyse factorielle, tout en respectant une certaine continuité au niveau du contenu, continuité à laquelle D. Wechsler était si attaché. Ainsi, dans la dernière WISC, les sous-épreuves ont-elles été choisies et affectées à une échelle en fonction de leur corrélation avec le facteur correspondant. Par exemple, le subtest « Vocabulaire » a été affecté à l’échelle de compréhension verbale car c’est le facteur « Compréhension verbale » qui sature le plus fortement cette sous-épreuve. Revenons brièvement à la fréquente confusion entre aptitude et performance. Il est essentiel de rappeler la distinction entre performance et aptitude dès lors qu’il s’agit de lire des résultats obtenus dans des situations nombreuses et variées. Un enfant peut ne pas être performant à un test, mais être intelligent, avoir développé certaines aptitudes qui ne sont d’ailleurs pas forcément sondées dans l'épreuve en question. Les auteurs d’une épreuve telle que la WISC ne prétendent pas donner un reflet absolu du potentiel de l’enfant. Les praticiens sont circonspects lorsqu’ils donnent une lecture des données chiffrées; ils s’appuient sur les réponses, les conduites, les éléments qualitatifs, l’ensemble des éléments recueillis lors du bilan ainsi que les données de l’anamnèse. Il ne faut pas oublier que les sous-épreuves d'un test ne constituent qu'un échantillon de situations des différents domaines à investiguer. S’agissant des résultats des élèves intellectuellement précoces aux tests, ils sont tantôt fréquemment très élevés, tantôt moyens, voire dans certains cas particuliers, inférieurs à la moyenne. Dans ce dernier cas, devrions-nous rejeter l'hypothèse de précocité? Il est selon nous déraisonnable de l'infirmer de façon péremptoire, il suffit pour cela d'examiner avec attention le profil et de constater le fait que, dans certains domaines, les scores peuvent être très supérieurs à la norme, avec des réponses pertinentes, originales qui sous-tendent probablement l'existence d'un très bon potentiel et le développement remarquable de quelques aptitudes. Si nous regardons les résultats aux tests des élèves dont la situation a été examinée en 2011/2012 en vue d’un éventuel saut de classe dans notre secteur d’intervention, les notes aux échelles globales s’échelonnent entre 109 et 146 ; nous n’avons pas reporté les intervalles de confiance (cf. tableau élèves précoces 2012). Rappelons au passage la relativité de ces notes composites, dans la mesure où, même si les protocoles sont réputés valides, il ne faut jamais négliger l’erreur type

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de mesure, l’index étant la note la plus probable dans un intervalle de confiance statistiquement défini et connu. Nous constatons le fait que pour tous les sujets apparaît une hétérogénéité du spectre des index, surtout en ce qui concerne le profil de Zulma. Dans ce cas, le QI total perd de sa pertinence et il est important d’éviter de s’y référer. En général, plus les écarts sont importants, moins le QIT est valide. Nous pouvons observer les notes composites reportées dans le tableau et vérifier le fait que certains résultats sont élevés mais pas nécessairement supérieurs à 130, valeur qui était autrefois considérée comme étant la performance minimale pour les enfants EIP. Si nous regardons maintenant les résultats obtenus par un échantillon d’enfants à la WISC-IV lors de la phase d’étalonnage de l’étude de cette épreuve (cf. tableau 5.17 du manuel d’interprétation de WISC-IV), nous constatons le fait qu’en moyenne les index ICV, IRP et QIT sont significativement supérieurs à la moyenne, les NS à la plupart des subtests sont également supérieurs à la norme. Certaines valeurs se situent dans la zone moyenne, comme à l’échelle de vitesse de traitement. Tous les sujets de cet échantillon avaient obtenu à la WISC-III un QIT>130 et étaient considérés comme des enfants précoces. Le QIT de la nouvelle version est inférieur au QIT de la WISC-III, ce qui peut en partie s’expliquer par le phénomène d’amélioration des performances au fil du temps (effet « Flynn »). Quand nous regardons les écarts-types, une certaine dispersion apparaît, ce qui tend à signifier le fait que des sujets peuvent obtenir des résultats qui ne sont pas élevés, ce qui ne semble pas correspondre aux représentations courantes sur la précocité. Passons maintenant à la question de la relativité des performances des plus jeunes aux tests. Si dans la majorité des cas les notes aux tests confirment les observations et données précédemment recueillies par les professionnels et les parents, le doute subsiste pour certains enfants, en particulier lorsqu'ils sont jeunes, à 4 ans par exemple. La question se pose alors de savoir si les tests sont bien adaptés pour la vérification de l'hypothèse de précocité, si notre approche est assez globale, toutes les aptitudes n’étant pas développées chez l’enfant jeune, si nous n'accordons pas une place trop large aux résultats, si nous ne devons pas « lire » ce que nous avons recueilli d'une autre façon. Ne s'agirait-il pas d'opérer une décentration, en utilisant une procédure d'analyse qui vise à souligner les points forts et estomper les points faibles de ces enfants. Ainsi se révéleraient davantage les aptitudes particulières de chacun d’entre eux. Nous avons aussi parfois tendance à généraliser pour avancer plus rapidement vers une conclusion.

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Dans une perspective plus individuelle et qualitative, il semble préférable, pour des enfants que nous supposons intellectuellement précoces, de donner une lecture plus flexible de ce qu'ils montrent. Dans cette optique, les tests sont en quelque sorte mis à l'épreuve. Les résultats ne sont plus considérés de manière aussi absolue. Les praticiens essaient de comprendre ce qui leur est donné à voir, à partir de différentes situations plus ou moins standardisées, à partir de ce qui leur est confié, de saisir le profil singulier de chaque enfant, son avance, sa vitesse de progression. Quand c'est possible, une nouvelle rencontre avec l'enfant peut être proposée afin de s'enquérir de l'évolution dans le domaine des acquisitions, de l'investissement par rapport aux apprentissages notamment, dans une perspective de comparaison du sujet par rapport à lui-même et plus seulement par rapport aux autres, dans une perspective d'observation continue comme se plaisait à le souligner R. Zazzo que nous avons déjà cité. Vignette clinique. Je voudrais à présent vous parler du cas d’une enfant qui fréquente une des écoles dans lesquelles j’interviens. Naëlle avait 5 ans lors d'un premier bilan en GS. Rien ne laissait supposer qu'un saut de classe allait être décidé l'année suivante. Les index qu'elle a obtenus à l’échelle de Wechsler pour jeunes enfants, la WPPSI-III, sont les suivants, le QIV s’élevait à 111(102-118); le QIP s’élevait à 109 (99-117); le QVT s’élevait à 127(113-133); le QIT s’élevait à 114 (106-120). Les notes standard aux échelles et aux subtests étaient supérieures à la moyenne mais ne semblaient pas a priori constituer des indices suffisants pour confirmer l'hypothèse de précocité. Nous avons pu constater une participation optimale de l'enfant, une dispersion de ses réussites à trois sous-épreuves, « VOC », « IDC » et « RVB », avec des réussites à des items plus difficiles, quelquefois après le critère d'arrêt. Ces réussites semblaient évoquer le processus de développement du raisonnement, de la logique catégorielle et du traitement simultané verbal en particulier. Naëlle commençait à s'intéresser à la lecture et aux nombres. Elle a dit d'ailleurs lors de l’entretien qu'elle savait lire « presque » et elle a ajouté: « j'sais lire, mais y'a plus qu'à m'entrainer ». Elle manifestait une bonne logique, le vocabulaire était riche, la mémoire auditive très bonne. Elle commençait à lire et écrire des mots « simples ». Elle avait compris le sens de l'addition et de la soustraction pour des nombres inférieurs à 10. Après le bilan, les parents ont évoqué les progrès significatifs de leur fille, au niveau de sa maturité et de ses compétences scolaires. Ils ont eu le sentiment que l'entretien et les tests ont servi d'événement déclenchant permettant un « déclic » en quelque sorte, la confrontation de Naëlle à la difficulté de certains items ayant pu l'aider à franchir un cap au niveau de sa personnalité.

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Lors de son CP, Naëlle attendait une nouvelle rencontre avec une certaine impatience. Elle savait que nous allions nous revoir. Son enseignante lui avait annoncé. C’est donc sans hésitation et avec un plaisir non dissimulé qu’elle a abordé cette deuxième rencontre. Naëlle apprécie de plus en plus les activités sportives et surtout la création de petits mots illustrés qu’elle communique aux siens et à quelques pairs. Elle a développé un goût artistique dans lequel une certaine créativité se dessine. Elle montre qu’elle lit bien désormais, en soignant son intonation. Son niveau de lecture orale se situe à la moyenne des enfants de fin de CM1. Elle écrit des phrases, des textes simples, avec un niveau lexical élevé. Ces compétences illustrent bien l’idée de vitesse de progression. Naëlle obtient à la NEMI-2 de meilleurs performances qu’à l’échelle de Wechsler, très supérieures à la moyenne et homogènes. La NEMI-2 est une échelle composite commercialisée en 2006, 40 ans après la Nouvelle échelle métrique de l’intelligence de R. Zazzo. Cette épreuve permet d’évaluer plusieurs aptitudes, la compréhension verbale, l’intelligence fluide ou la mémoire de travail en particulier. En ce qui concerne les réponses de Naëlle à cette épreuve, elles témoignent d’une excellente compréhension, du développement remarquable des aptitudes, en particulier l’analyse. Son avance développementale (9 ;6 en âge au test pour un AR de 6 ;4) et la vitesse de progression de Naëlle sont évidentes à l’épreuve de G. Cognet qui est plus saturée par le facteur verbal (bien que l’intelligence fluide soit aussi évaluée) ce qui a peut-être avantagé l’enfant. Cet exemple illustre bien la prudence qu’il convient d’adopter avec les données chiffrées d’un moment à un autre, d’une épreuve à une autre mais aussi pour une même épreuve. Ainsi, je me souviens d’un enfant de 4 ans et quelques mois qui avait obtenu des notes composites autour de 115-120 à l’échelle de Wechsler pour jeunes enfants et pour lequel l’éventualité d’un passage anticipé au CP était évoquée. Antoine commençait à lire en début d’année et paraissait un peu inhibé en classe et dans la cour. En fin d’année, il présentait un excellent niveau de fin de CP. En revanche, il n’était toujours pas à l’aise, en particulier dans la cour ; il l’était davantage dans la pratique instrumentale et les jeux électroniques avec ses frères. Les parents souhaitaient connaître les résultats aux tests et je leur dis à ce momentlà que je pensais que le rendement intellectuel de leur fils était probablement sousévalué, que le score ne reflétait que partiellement son potentiel et que, par conséquent, il ne me semblait pas pertinent de leur communiquer les notes. La communication des notes obtenues à ce moment-là aurait probablement contribué à figer les performances à un niveau donné et à perdre de vue les caractéristiques dynamiques liées au développement du sujet.

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Deux ans plus tard, Antoine passait la WISC et obtenait 20 à 25 points en plus selon les échelles, ce qui confirmait nos prédictions en quelque sorte. Validité des notes. Les notes constituent le plus souvent des données fiables si le protocole est valide. Quelquefois, les scores n’apportent que des indications, des informations partielles et il importe alors de se pencher sur les réponses, les conduites dont l’analyse se révélera certainement utile afin de saisir en finesse le fonctionnement de l’enfant. En conclusion, les résultats aux tests doivent toujours être commentés avec prudence, ce quel que soit le profil de l’enfant. Il est impératif de prendre en compte les conduites et les réponses dans cette situation standardisée du test pour donner un avis. Dans le cas particulier de l’évaluation de la précocité, nous avons repéré une tendance à la dispersion des résultats qui existe pour les sujets « toutvenant » mais qui paraît plus marquée pour les enfants précoces. Par ailleurs, nous avons remarqué le fait que pour ces enfants, l’expression du potentiel n’était pas nécessairement optimale, les notes obtenues étant parfois « seulement » pourrions-nous dire moyennes! Il semble toujours opportun d’utiliser les tests en lisant attentivement l’ensemble des données recueillies mais aussi des situations non-standardisées qui sont de nature à nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement intellectuel et affectif de l’enfant qui est avec nous. Nous ne pouvons pas toujours nous fier aux résultats, en tout cas pas de façon absolue, car un enfant précoce ne participe pas forcément de façon linéaire et totale, ce qui nous conduit à dire que les données chiffrées ne sont dans certains cas pas valides dans la mesure où elles ne constituent qu'un reflet partiel des virtualités (ce qui a été illustré à partir de l’exemple d’Antoine. Il est possible de tenir compte des résultats lorsque l'engagement de l'enfant est évident, quand il s’est montré performant. Nous obtenons alors une idée du niveau de développement atteint dans un ou plusieurs domaine(s), mais pas nécessairement une indication précise apportée par une note globale, composite qui résumerait les performances, un QI total comme c'est le cas dans les échelles de Wechsler. Nous atteignons par conséquent avec les enfants intellectuellement précoces certaines limites des tests qui nous fournissent des informations partielles sur ce que l'enfant sait et peut faire. Il est fréquemment difficile d'utiliser les résultats comme indice déterminant permettant de valider ou infirmer l'hypothèse de précocité.

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Nous n’avons pas abordé l’importance de ce qui se joue entre l’enfant et le praticien, et qui peut affecter les résultats. Cette influence peut difficilement être identifiée, quantifiée. La standardisation de la situation d’examen psychologique permet le contrôle de nombreuses variables, mais nous savons que d’un moment à un autre (nous savons que la stabilité des résultats est loin de constituer une règle générale), d’une personne à l’autre, des variations peuvent être observées, en particulier sur les attitudes et les performances d’un enfant. Pour revenir sur le titre de cette communication, l’évaluation de la précocité peut être réalisée grâce à des tests, dont nous allons extraire de précieuses informations qui devraient nous permettre d’aller dans le sens de l’hypothèse ou non. Il ne semble pas raisonnable de ne considérer que les notes aux échelles pour donner un résumé du bilan. Le Quotient intellectuel ne peut rendre compte à lui seul de l’ensemble des compétences d’un enfant. L’intelligence ne se mesure pas comme la taille et ne se limite pas à une ou quelques donnée(s) chiffrée(s). Une approche strictement psychométrique serait donc réductrice. Nous risquerions une erreur diagnostique et ce serait restreindre considérablement le riche contenu de ce que nous pourrons communiquer à propos du fonctionnement du sujet précoce que nous avons appris à mieux connaître.

Philippe COCHE