comportement de gestionnaire de patrimoine comme la formation continue, l'
éthique, la sécurité des systèmes de gestion et la formalisation des procédures.
Editorial
Gestion de patrimoine & Risque
septembre 2007
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Ouvrage coordonné par
Gérard VARONA Président de la C.C.E.F. Expert-Comptable Commissaire aux comptes
CONVERGENCE lancé lors de notre dernière convention portait sur l évaluation et la transmission d’entreprises. Nous avons souhaité cette année en étoffer le contenu afin qu’il devienne un véritable cahier abordant des thématiques liées à l’expertise financière et plus généralement aux conseils aux entreprises et aux particuliers. Nous avons fait le choix dans ce numéro d’évoquer “ Gestion de patrimoine et risque ” sous un éclairage innovant grâce au métissage exemplaire des contributions d’universitaires reconnus et de praticiens-experts de la CCEF : avocat, conseils en gestion de patrimoine. Notre projet, à travers ces cahiers, est bien de développer une large communauté d’expertises complémentaires en élargissant notre compétence technique par le partage de nos expériences pour le plus grand bénéfice de nos clients. Je remercie chaleureusement toutes celles et ceux qui ont œuvré avec passion à la rédaction de ce numéro de CONVERGENCE qui allie si bien rassemblement, partage et développement.
Lionel ESCAFFRE Professeur associé à l’Université d’Angers G.R.A.N.E.M. Commissaire aux comptes Rédacteur en chef des cahiers CONVERGENCE Président de la C.C.E.F. Pays de la Loire
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Bruno SÉJOURNÉ Maître de Conférences à l’Université d’Angers G.R.A.N.E.M. Directeur de l’Ecole Supérieure d’Economie et de Management des Patrimoines
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Ont contribué à ce numéro : Direction de la Publication : Gérard VARONA Rédaction et coordination : Lionel ESCAFFRE & Bruno SÉJOURNÉ Rédacteurs : Didier PAGEL - Gilles PIETRIGA - Dominique SAGOT-DUVAUROUX François SAUVAGE - Silvestre TANDEAU de MARSAC
Avant-propos Lionel ESCAFFRE L’idée de ce recueil est d’analyser le risque sous-jacent à toute décision de gestion de patrimoine. Nous y avons rassemblé six contributions de Professionnels et d’Universitaires enseignant à l’Ecole supérieure d’économie et de management des patrimoines de l’Université d’Angers, en formation initiale et continue. Le lien entre le risque et la gestion de patrimoine recouvre des domaines divers qu’illustrent très bien les articles présentés ci-après. Il ne s’agit pas ici de proposer une revue exhaustive de la thématique mais plus d’analyser des points techniques significatifs rencontrés par tous les professionnels dont l’activité est directement ou indirectement impliquée dans la gestion de patrimoine. Ce numéro est divisé en deux grands chapitres qui résument les deux facettes de la problématique. D’une part, il s’agit d’étudier le risque inhérent à toute décision de gestion, d’autre part, le risque est analysé par rapport à la responsabilité qu’elle engendre pour le professionnel qui exerce une activité de conseil en la matière. Au sein du premier chapitre, François Sauvage nous propose une lecture relative au démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie suite au vote de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi, et du pouvoir d’achat. Il montre les avantages en matière fiscale de l’usufruit. La loi favorise, en effet, indirectement, le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit en faveur du conjoint. Dans un champ d’exercice différent, Dominique Sagot-Duvauroux s’intéresse aux œuvres d’art et plus particulièrement à la formation de leur valeur économique. L’auteur identifie les facteurs qui affectent cette valeur. Il montre que l’achat exclusivement fondé sur un ressenti esthétique ne se combine pas facilement avec la recherche d’une rentabilité élevée. Le risque associé à la gestion du patrimoine financier est abordé par Bruno Séjourné qui propose d’étudier les stratégies de diversification temporelle, souvent offertes sur les produits d’épargne à long terme. L’article rappelle deux idées importantes : d’une part, les actions offrent davantage de
Bruno SÉJOURNÉ performance sur le long terme que les actifs non risqués, d’autre part, le risque, mesuré par l’écart type ou la variance de la rentabilité, diminue avec le temps. L’auteur montre que les placements risqués combinés à un effort d’épargne pour la retraite ont tendance à augmenter chez les ménages avec l’âge. Il est alors intéressant de rappeler que plus l’effort d’épargne pour la retraite est tardif, moins la stratégie de diversification temporelle mérite d’être mise en place puisque le risque de perte augmente quand la durée du placement souhaitée se réduit. Dans un second chapitre qui s’adresse plus particulièrement au conseil en gestion de patrimoine, Didier Pagel propose une démarche de maîtrise de risque en stipulant que la gestion de patrimoine est “la science qui étudie les comportements de l’homme à travers la relation entre ses fins et les ressources rares dont il dispose dans le choix de ses actions.” De nombreux points illustrent la démarche inhérente à tout comportement de gestionnaire de patrimoine comme la formation continue, l’éthique, la sécurité des systèmes de gestion et la formalisation des procédures de l’organisation. Ces procédures sont de nature à protéger les conseils contre des risques de contentieux dont le traitement est souvent délicat. En effet, Silvestre Tandeau de Marsac précise que l’évolution de la jurisprudence est de plus en plus sévère pour les prestataires de services tenus à une obligation de conseil. L’auteur rappelle que si l’écrit est une source de contentieux, la rédaction systématique d’une lettre de mission et d’un bilan patrimonial démontre aisément le respect par le professionnel de son obligation d’information et de son devoir de conseil en cas de mise en cause. Ce risque de contentieux est à analyser au regard d’une approche pragmatique de la responsabilité civile du conseil en gestion de patrimoine. Gilles Pietriga présente le champ d’application des assurances civiles professionnelles en proposant une gestion de certains sinistres. L’auteur conclut sur la nécessité de développer une formation et une information en continu des professionnels qui doivent respecter l’obligation d’information des investisseurs.
Sommaire
Avant-propos
Chapitre 1
Gestion de patrimoine et risque de gestion
Le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie entre époux au lendemain de la loi du n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat : un risque payant ? François SAUVAGE
P 5
L’achat d’oeuvre d’art, un placement risqué ? Dominique SAGOT-DUVAUROUX
P 9
La stratégie de diversification temporelle Bruno SÉJOURNÉ
P 12
Chapitre 2
Le risque du professionnel de la gestion de patrimoine
Maîtrise des risques : Menace ou opportunité Didier PAGEL
P 15
Le risque contentieux Silvestre TANDEAU de MARSAC
P 17
Gestion de patrimoine et responsabilité civile : une approche pragmatique Gilles PIETRIGA
P 21
Chapitre 1
Gestion de patrimoine et risque de gestion Le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie entre époux au lendemain de la loi T.E.P.A. du 21 août 2007 : un risque payant ? François SAUVAGE Professeur à l’Université d’Angers
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1 Chacun sait que l’assurance-vie¹ rencontre un succès particulièrement vif auprès des ménages français.² Elle constitue en effet un instrument de protection du conjoint survivant particulièrement performant. Les formulaires d’adhésion à une assurance-vie ont ainsi pris l’habitude de désigner le conjoint survivant du souscripteur bénéficiaire de premier rang de la prestation assurée en cas de décès, avant ses enfants et ses héritiers.³
2 Mais, dans le but d’adoucir la taxation du contrat à son dénouement par la mort de l’assuré et éviter que les sommes recueillies par le veuf ou la veuve soient soumises aux droits de succession à son propre décès, il a été proposé de démembrer la clause bénéficiaire en stipulant que le capital décès est attribué, non en pleine propriété, mais en usufruit à son conjoint et en nuepropriété à ses enfants.
¹ Seule l’assurance-vie individuelle retiendra l’attention, et non l’assurance collective. ² Selon les statistiques de la Fédération française des sociétés d’assurance publiées au mois de juillet dernier, l’encours des contrats d’assurance-vie et de capitalisation (provisions mathématiques et provisions pour participation aux bénéfices) est aujourd’hui de 1 122 milliards d’euros, en dépit d’une baisse des cotisations depuis décembre 2006. ³ La clause bénéficiaire usuelle est ainsi rédigée : « mon conjoint, à défaut mes enfants vivants ou représentés, à défaut mes héritiers. » Le dénouement sous forme de rente n’a pas d’intérêt dans la perspective recherchée, car l’usufruitier d’une rente a vocation à en percevoir les arrérages (C. civ., art. 610). N. Sauphanor, Du démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-décès, Droit et patrimoine 1999 n° 73, p. 42.- J. Aulagnier, L’attribution partagée usufruit/nue-propriété du capital d’un contrat d’assurance-vie dénoué, Droit et patrimoine 2002, n° 105, p. 20. Pour un exemple de clause bénéficiaire démembrée V. J.-F. Piraud, Le contrat d’assurance vie de la souscription au dénouement, éd. de Verneuil, 2e éd. p. 53 : “ En cas de survie de mon épouse : Pour l’usufruit : mon conjoint, Pour la nue-propriété : mes enfants par parts égales, à défaut leurs descendants par application des règles de la représentation successorale, à défaut mes héritiers. Mon épouse bénéficiera d’un quasi-usufruit sur les sommes ainsi versées, en application de l’article 587 du code civil. En cas de prédécès de mon épouse : Mes enfants par parts égales ou leurs descendants par application des règles de la représentation successorale, à défaut mes héritiers.”
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Le démembrement de la clause bénéficiaire donne naissance à un quasi-usufruit sur somme d’argent, 6 qui autorise le conjoint survivant à les dépenser, mais à charge de restituer une somme d’un même montant aux enfants à l’extinction de son droit (c’est-à-dire au plus tard à son décès), en application de l’article 587 du code civil. De cette façon, le morcellement de la base taxable est susceptible d’alléger la taxation du contrat au décès de l’assuré, le cas échéant, et, surtout, la créance de restitution peut être déduite fiscalement de l’actif de la succession du bénéficiaire.
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Cette proposition, aussi séduisante soitelle, n’a pas toujours rencontré le succès escompté et est réservée par les professionnels à une clientèle avertie. La faute, sans doute, aux dangers d’une formule jusqu’à présent pénalisée par un traitement fiscal durablement équivoque,9 à l’origine d’une certaine frilosité des assureurs-vie qui n’hésitent d’ailleurs pas à adresser leur client à un notaire pour rédiger la clause bénéficiaire en démembrement de propriété.¹º
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Pourtant, le très fameux “paquet fiscal” offert cet été au contribuable par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur de l’emploi, du travail et du pouvoir d’achat¹¹ est susceptible de renforcer l’intérêt de la clause bénéficiaire d’une assurance-vie entre époux.
L’impact fiscal de la clause bénéficiaire démembrée au profit du conjoint survivant, que renforce la loi nouvelle, se manifeste au décès de l’assuré (1°) et au décès du bénéficiaire (2°).
1° Exonération au décès de l’assuré :
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On sait que si les sommes recueillies par le bénéficiaire au dénouement d’un contrat d’assurance-vie par le décès de l’assuré échappent en principe aux droits de succession, puisqu’elles ne sont pas transmises par la voie successorale (C. civ., art. 1121 ; C. ass., art. L 132-12), en revanche : - sont soumises au droit de prélèvement forfaitaire de 20 %, les sommes dues par les organismes d’assurance et assimilés sur la fraction revenant à chaque bénéficiaire qui excède 152 500 euros, si elles correspondent à des primes versées après le 13 octobre 1998 soit sur des contrats souscrits avant le 20 novembre 1991, soit sur des contrats souscrits après cette date dès lors que l’assuré est âgé de moins de 70 ans lors de leur versement (CGI, art. 990 I) ; - relèvent des droits de mutation par décès, les primes versées par le souscripteur audelà de 70 ans, pour la fraction qui excède 30 5000 euros, s’agissant des contrats d’assurance-vie souscrits après le 20 novembre 1991 (CGI, art. 757 B).
Tout au moins dans un contrat en euros ou si le bénéficiaire n’opte pas pour la remise des unités de compte dans un contrat multisupports, hypothèse il est vrai peu fréquente (pour l’exercice de l’option en cas de démembrement de la clause bénéficiaire, V. M. Iwanesko, Unités de compte et clause bénéficiaire démembrée, Droit et patrimoine 2007 n° 159, p. 28). V. C. civ., art. 617. Lamy Patrimoine Etude 125 n° 115 sous la dir. J. Aulagnier, L. Aynès, J.-P. Bertel et B. Plagnet.- J.- F. Piraud, op cit. p. 51. 9 Le démembrement de la clause bénéficiaire entre époux est aussi pénalisé par l’obligation d’emploi des capitaux assurés à la demande des enfants lorsque le contrat est en euros prévue par l’article 1094-3 du code civil et par le maintien du bénéfice du contrat en cas de divorce en vertu de l’article 265 du code civil, pour peu, d’une part, que la souscription au profit du conjoint soit analysée comme une donation de bien présent entre époux, et, d’autre part, que le contrat ait été accepté prématurément par l’époux bénéficiaire (certains auteurs prétendent toutefois qu’il pourrait être révoqué en vertu d’une interprétation a contrario de l’article 1096 du code civil modifié par la loi du 23 juin 2006, car le contrat d’assurance-vie accepté ne prend pas effet au cours du mariage, mais au moment de sa dissolution par décès de l’assuré) ¹º La clause bénéficiaire prend alors place dans un testament, ce qui est autorisé par l’article L 132-8 du code des assurances, et présente l’avantage de la discrétion si le testament olographe est déposé chez un notaire. ¹¹ J.O. 22 août 2007, p.13945. 6
Or, le conjoint survivant est désormais exonéré de droits de mutation par décès aux termes de l’article 796 O bis inséré dans le Code général des impôts par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007.¹² Il en résulte que, lorsque le contrat d’assurance-décès bénéficie au conjoint survivant du souscripteur : - les sommes dues par les organismes d’assurance et assimilés sur la fraction qui excède 152 500 euros revenant à chacun des bénéficiaires échappent au droit de prélèvement de 20%, en vertu d’une modification rédactionnelle de l’article 990 I du CGI par l’article 8-XIV de la loi n° 20071223 du 21 août 2007, - les primes versées par le souscripteur après 70 ans sont exonérées de droits de succession, y compris pour la fraction qui excède 30 500 euros, en application de l’article 796 O bis nouveau du CGI. L’extension de l’exonération à une transmission hors succession est justifiée par le souci de ne pas défavoriser l’assurance-vie au regard de l’exonération dont bénéficie la transmission héréditaire au conjoint survivant par l’effet de la loi, d’un testament ou d’une donation à cause de mort.¹³ Quelle que soit la date de souscription du contrat, il devrait par conséquent être exonéré, dès lors que la succession de l’assuré s’ouvre après la date de publication de la loi.¹
7 Cette exonération a, selon nous, vocation à s’appliquer également en cas de démembrement de la clause bénéficiaire, dès lors que l’usufruitier des sommes assurées est le conjoint survivant.
En effet, l’administration fiscale a précisé dans une instruction du 12 janvier 2006 reprenant une réponse ministérielle récente¹ que dans l’hypothèse d’une clause bénéficiaire démembrée, l’usufruitier des capitaux assurés est seul redevable de la taxe de 20% et qu’il bénéficie seul de l’abattement de 152 500 euros, car “ il est le bénéficiaire exclusif du capital-décès ”.¹6
8 En cas de clause bénéficiaire stipulant que le conjoint du souscripteur est bénéficiaire en usufruit du capital-décès, alors que les enfants sont bénéficiaires en nue-propriété, on peut, à notre avis, désormais prétendre qu’à la mort de l’assuré : - le contrat n’est plus soumis au droit de prélèvement de l’article 990 I du CGI ;¹ - les primes échappent aux droits de mutation par décès au titre de l’article 757 B du CGI, si on admet par identité de motifs que le conjoint survivant est seul redevable des droits de mutation par décès dès lors que l’intégralité des sommes lui revient, et, par conséquent, qu’ aucune répartition de l’abattement et des primes taxables ne doit être effectuée entre usufruitier et nuspropriétaires en fonction de la valeur de leurs droits respectifs estimée en fonction du barème de l’article 669 du CGI.¹ Cette interprétation devrait toutefois être écartée, si le souscripteur avait imposé un remploi des capitaux assurés ou prescrit leur répartition entre usufruitier et nuspropriétaires, en l’absence de quasiusufruit. ¹ 9 Mais, il est évidemment trop tôt pour savoir si l’administration fiscale fera sienne une telle lecture…
¹² L’exonération profite également au partenaire survivant d’un pacte civil de solidarité. ¹³ Rapport G. Carrez, Doc. Ass. Nat. Session extraordinaire 2007 n° 62, p. 172. ¹ L. n° 2007-1223, 21 août 2007, art. 8-XXII. ¹ Rép. min. n° 60024 Perruchot : JOAN Q 9 août 2005, p. 76.- V. également rép. min n° 18470 Dassault : JO Sénat Q 25 août 2005, p. 2188 ; 92 ; n° 50207 Chatel : JOAN Q 9 août 2005, p. 7692.- Pour leur critique, V. J. Aulagnier, Attribution démembrée du capital d’un contrat dénoué : les réponses ministérielles contestables d’août 2005, Droit et patrimoine 2006 n° 46, p 24. ¹ 6 Instr. 12 janv. 2006 : BOI 7 K-1-06. V. not. sur cette doctrine fiscale Lamy Patrimoine précité Etude 125 n° 500.- R. Chalier, le démembrement de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie…Et si l’administration fiscale était dans le vrai ? Droit et patrimoine 2007 n° 155, p. 34. ¹ En ce sens Feuillet rapide Francis Lefebvre, 37-07, p. 13 n° 9. ¹Sur la répartition jusqu’à présent préconisée au regard de l’article757 B du CGI dans les contrats d’assurance-vie entre époux avec clause bénéficiaire démembrée V. not. M. Iwanesko, La fiscalité de la clause bénéficiaire démembrée, BPAT Francis Lefebvre 02/2007 p. 11 ¹9 V. J. Aulagnier art. précité.- R. Chalier, art. précité.
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2° Déduction au décès du bénéficiaire :
9 En outre, il semble aujourd’hui communément admis que les sommes recueillies par le conjoint survivant titulaire d’un quasiusufruit n’ont pas à être portées à l’actif de la succession du conjoint survivant, mais qu’elles pourront en être déduites. D’une part, la présomption de propriété de l’article 751 du CGI applicable aux biens détenus en usufruit par le défunt et en nuepropriété par les héritiers semble devoir être écartée ²º : - soit que l’on considère que le capitaldécès n’est pas démembré en présence d’un quasi-usufruit de sommes d’argent en vertu de l’article 587 du Code civil ; - soit, dans le cas contraire, que l’on admette que la preuve de la sincérité du démembrement de propriété peut aisément être rapportée ou qu’il provient d’une donation régulière de plus de trois mois au sens de l’article 751 du C.G.I. D’autre part, la dette de restitution du conjoint survivant quasi-usufruitier pourra être imputée sur sa succession, car elle constitue une créance dont le défunt était tenu de son vivant au sens de l’article 768 du CGI. Elle peut à ce titre être portée au passif de la déclaration de succession du conjoint survivant, sans pour autant constituer une dette volontairement consentie par le défunt à ses héritiers au sens de l’article 773-2° du CGI, dont la déduction n’aurait été admise que sous certaines conditions d’opposabilité à l’administration fiscale,²¹ car la dette de restitution est un effet de la loi (C. civ., art. 587).²²
10 En application du principe du nominalisme monétaire, le montant de cette dette de restitution est en principe égal au nominal des sommes d’argent versées par l’assureur-vie au conjoint survivant au décès de l’assuré, sans que l’on ait à se demander désormais si le prélèvement de 20% doit être déduit du montant de la créance, tout au moins dans l’interprétation proposée.²³ Pour faire échec au nominalisme monétaire, une clause d’indexation licite² ou une dette de valeur pourraient être stipulées, sauf à préciser que leur opposabilité à l’administration fiscale suppose qu’elles aient été constatées par acte authentique ou par acte sous seing privé ayant acquis date certaine autrement que par le décès de l’une des parties,² s’agissant d’une dette non plus légale mais volontairement consentie par le défunt à ses héritiers au sens de l’article 773-2° précité du CGI.² 6
11 Somme toute, le lecteur averti pourrait ne pas s’étonner que la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 soit susceptible d’encourager indirectement le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie souscrit en faveur du conjoint : il y a belle lurette qu’il sait qu’ “au regard du droit fiscal, la formule de l’usufruit présente… une évidente supériorité”.²
²º En ce sens Mémento Francis Lefebvre Patrimoine 2007-2008 n° 28932. ²¹ V. infra n° 10. ²² V. not. M. Iwanesko, art. précité. ²³ Sur ce point V. R. Chalier, art. précité. ² V. C. mon. et fin., art. L 112-2. ² Par enregistrement de l’acte sous seing privé notamment. ² 6 En ce sens Mémento Francis Lefebvre Patrimoine 2007-2008 n° 28936. ² P. Catala, La veuve et l’orphelin, in Famille et patrimoine, PUF p. 257.
L’achat d’œuvre d’art, un placement risqué ?² Dominique SAGOT-DUVAUROUX,
L’indice du prix des œuvres d’art construit par la société Art Price, leader mondial de l’information en ligne sur le marché de l’art affiche une hausse de 25,4% en 2006. Le chiffre d’affaires des ventes aux enchères d’œuvres d’art atteint le chiffre record de 6,4 milliards $ pour 400 000 lots vendus, en hausse de 52% par rapport à 2005. En novembre 2006, Christies a réalisé la plus grosse vente de tous les temps en adjugeant 78 lots pour 491,4 millions $. Même la France, tenue à l’écart de la hausse ces dernières années, connaît une envolée des prix de 9% et de son chiffre d’affaires de 42% qui atteint 330 millions €, soit 6,5% des ventes mondiales. Cette flambée des prix s’accompagne naturellement de l’obtention de prix record. Sur les cinq tableaux les plus chers du monde, 4 ont été vendus en 2006, le record appartenant à l’artiste américain J. Pollock pour un tableau de 1948, Dripping, échangé en vente privée. Aux enchères, le Garçon à la pipe de Picasso, vendu par Sotheby’s à New-York, le 6 mai 2004 pour 93 millions $ (sans les frais) reste le tableau le plus cher. Cette hausse s’est poursuivie durant le premier semestre 2007 puisque, toujours selon Art Price, plus de 4.000 records d’artistes ont été battus durant cette période. L’analyse économique est-elle en mesure d’expliquer ces prix ? Deux étapes dans le raisonnement doivent être distinguées : Premièrement, il faut comprendre quels sont les critères utilisés par les experts pour apprécier la valeur des œuvres d’art. Ces critères relèvent de ce que nous appelons les conventions esthétiques. Ensuite, il s’agit de comprendre pourquoi, parmi les nombreux artistes qui satisfont à ces critères, seuls quelques-uns émergent sur la scène internationale et atteignent des prix record. Il sera alors temps de s’interroger sur la rentabilité d’un tel placement.
Les conventions esthétiques
1 Selon le sociologue Howard Becker, “la valeur esthétique naît de la convergence de vue entre les participants à un monde de l’art à telle enseigne que si cette convergence n’existe pas, il n’y a pas non plus de valeur dans cette acception du terme. (…) Une œuvre a des qualités et partant une valeur quand l’unanimité se fait sur les critères à retenir pour la juger, et quand on lui a appliqué les principes esthétiques acceptés d’un commun accord.” (H. Becker, les mondes de l’art, p.150). Les conventions esthétiques ont pour objectif d’identifier les caractéristiques des œuvres à prendre en compte, à une époque donnée, pour en apprécier la valeur. Dans le passé, les caractéristiques physiques des œuvres (taille, technique utilisée, temps nécessaire à leur réalisation…) ou encore le sujet (peinture d’histoire, portrait, nature morte …) servaient à en apprécier le prix. La valeur était ancrée dans l’œuvre et le nom de l’auteur n’intervenait que dans un second temps. Depuis la fin du XIXeme siècle, avec l’avènement d’un marché de l’art organisé autour de galeries de promotion dont les plus célèbres furent à l’époque les galeries Durand-ruel, Vollard ou Kahnweiler, la valeur des oeuvres s’est construite autour d’une nouvelle convention, la convention d’originalité (Moureau, Sagot-Duvauroux, 2006). Désormais, sur le marché de l’art international, une œuvre a d’autant plus de valeur qu’elle est innovante et rare. Cette innovation et cette rareté sont attestées par l’authenticité de l’œuvre. Dans ce cadre, les ready-made de Marcel Duchamp (dont son célèbre urinoir), dont la valeur est faible au regard du travail accompli par l’artiste ou du sujet choisi, ont une valeur esthétique et économique importante dans cette nouvelle convention.
² Cet article reprend certains passages de l’article : Les œuvres d’art constituent-elle un placement rentable ? paru dans la revue Option Finances, n°925, 26 mars 2007.
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Professeur à l’Université d’Angers Directeur du G.R.A.N.E.M., Université d’Angers
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Les stratégies d’acteur
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2 Ainsi, si un artiste souhaite percer sur le marché de l’art international, il se doit d’être innovant. Les peintres “à la manière de” ou les peintres de genre (peintre de marine…) en sont donc exclus. Il reste néanmoins un très grand nombre d’artistes qui cherchent à créer quelque chose de nouveau rapport à ce qui s’est fait dans le passé mais qui ne rencontrent pas le succès. L’accès à la notoriété passe par le repérage des artistes par quelques intermédiaires dont la position leur permet d’avoir une influence sur le comportement des autres acteurs. Il s’agit de quelques collectionneurs, galeristes, commissaires d’exposition, conservateurs dont les choix sont considérés comme des signaux de qualité par le reste du marché. La sociologue Raymonde Moulin parle d’instances de légitimation de l’art. Compte tenu du nombre d’artistes postulants à la notoriété, la rencontre avec ces instances relève en partie du hasard. Mais talent et hasard ne suffisent pas. L’accès à la notoriété exige finances et stratégies de communication. Les galeries ont toujours joué un rôle essentiel dans la valorisation des artistes mais elles doivent aujourd’hui partager ce rôle avec de nouvelles catégories d’acteurs. En premier lieu, les commissaires d’exposition, responsables de manifestations comme la Biennale de Venise ou la Documenta de Kassel disposent d’un pouvoir d’influence considérable eu égard à l’écho médiatique de ces manifestations, à l’image de personnalités comme Harald Szeemann. Deux exemples : L’obtention du prix de la Biennale de Venise par Raul Rauschenberg en 1964 est souvent considéré comme la consécration de l’art contemporain américain sur la scène internationale. De même, la consécration du couple de photographes allemands les Becher à cette même biennale en 1990 marque une étape importante dans l’avènement d’un marché de l’art photographique.
Mais une seconde catégorie d’acteurs, souvent originaire du monde des affaires, collectionneurs, marchands, conservateurs ont acquis, depuis une quinzaine d’année, une position centrale sur le marché et disposent d’importants leviers, notamment financiers, pour valider leurs choix esthétiques. Dans une économie qui est de plus en plus une économie de production, où les œuvres ne voient le jour que si elles sont pré-financées, dans une économie de plus en plus mondialisée, où les coûts de communication dépassent les coûts de production à l’instar du marché cinématographique, l’argent constitue plus que jamais un atout maître. François Pinault et Charles Saatchi représentent deux exemples significatifs de ces nouveaux agents. L’homme d’affaires français, collectionneur d’art contemporain réputé, contrôle la première maison de ventes aux enchères dans le monde, Christies’, et est propriétaire du Palazzo Grassi à Venise, devenu un lieu de reconnaissance institutionnel important de l’art contemporain. On dit de François Pinault que lorsqu’il s’arrête devant un tableau pendant une exposition, les prix de l’artiste concerné grimpent aussitôt. De même, Charles Saatchi, qui a fait fortune dans la communication, est à l’origine du formidable succès des “ Young British Artists ”, dont le chef de file, Damien Hirst, né en 1965, vient de vendre en juin 2007 son œuvre, For the Love of God, un crâne du XVIIIe siècle certi de 8600 diamants pour la somme de 50 millions de livres soit 73,61 millions d’euros, ce qui en fait l’artiste vivant le plus cher du monde. Talents, hasard et stratégies se combinent donc pour expliquer la hiérarchie des valeurs des artistes contemporains à un moment donné. Dans ce contexte, est-il pertinent de placer ses économies en œuvres d’art ?
3 Les études économétriques mettent généralement en évidence, sur une longue période, une plus faible performance et un risque plus élevé des placements en œuvres d’art par rapport aux placements financiers classiques. L’économiste américain Baumol fut l’un des premiers à considérer l’investissement en œuvre d’art comme un coup de poker, notant toutefois que la plus faible rentabilité pouvait être compensée par la valeur esthétique ou symbolique que retire le collectionneur de son acquisition. Plus récemment une étude de Worthington et Higgs [2004] portant sur la période 1976-2001 montrait que les placements en œuvres d’art étaient moins rentables et plus risqués que les placements en actions aux Etats-Unis, toutes catégories d’œuvre confondues. L’indice des valeurs boursières présente à la fois le rendement annuel moyen le plus élevé et l’écart-type le plus faible, c'est-à-dire le plus faible risque de s’écarter sensiblement du rendement moyen. Les maîtres contemporains ont la particularité d’avoir le rendement moyen le plus élevé des courants artistiques avec cependant de grands écarts par rapport à cette moyenne. A l’opposé, les impressionnistes français, qui figurent pourtant parmi les stars du marché de l’art en terme d’enchères records, constituent le placement le plus risqué pour un rendement moyen relativement faible. Ce résultat rejoint celui obtenu par d’autres études qui montrent que les tableaux les plus réputés ont souvent un taux de rendement inférieur à l’index général. Notons toutefois que les résultats des études sont très vulnérables à la méthode utilisée pour calculer la rentabilité. Les œuvres d’art étant, dans la majorité des cas, des œuvres uniques, le calcul d’un taux de rendement moyen s’avère délicat. Des études plus ciblées montrent néanmoins qu’un investisseur informé ou qui se spécialise sur un style ou un artiste est susceptible d’améliorer sensiblement ses gains.
Csujack [1997] calcule que le marché des œuvres de Picasso s’est révélé sur la période 1966-1994 plus rentable que le marché boursier. Landes [2000] explique la rentabilité élevée retirée de la vente de leur collection par les époux Victor et Sally Ganz, d’une part par leur réputation de collectionneur qui constitue une caractéristique de notoriété valorisée par le marché en tant que telle mais aussi par la clairvoyance de leurs choix fondée sur une très bonne connaissance de l’art. Enfin, Agnello [2002] montre que des achats sélectifs permettent d’améliorer sensiblement la performance du placement. En conclusion, acheter à l’aveugle des œuvres d’art ou selon son seul feeling présente sans doute des risques financiers importants. La connaissance des artistes et peut-être plus encore des réseaux de l’art contemporain constituent un investissement immatériel indispensable pour rentabiliser un tel placement. Mais à la différence des actions, les pertes financières peuvent être compensées par un plaisir esthétique !
Références bibliographiques
• BAUMOL W. J. (1986), “Unnatural Value : Art Investment as a Floating Grap Game”, American Economic Review, 76, 10-14. • BECKER H. (1988), Les mondes de l’art, Flammarion, Paris, trd. Franç. Art World, University of California Press, 1982. • CZUJACK C. (1997), « Picasso Paintings at Auctions, 1963-1994 », Journal of Cultural Economics, 21 (3), 229-47. • LANDES W.M. (2000), "Winning the Art Lottery : The Economic Returns to the Ganz Collection", Recherches Economiques de Louvain, 66 (2), 111-130. • MOULIN R. (1992), L’artiste l’institution et le marché, Paris, Flammarion, Paris. • MOUREAU N., SAGOT-DUVAUROUX D. (2006), Le marché de l’art contemporain, Repères, la Découverte. • SAGOT-DUVAUROUX D. (2007), Les œuvres d’art constituent-elle un placement rentable ? Option Finances, n°925, 26 mars. • WORTHINGTON A., HIGGS H. (2004), “Art as an Investment : Risk, return and Portfolio Diversification in Major Painting Markets”, Accounting and Finance, 44 (2), 257-71.
Gestion de patrimoine et risque de gestion
La rentabilité du placement en œuvre d’art
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La stratégie de diversification temporelle Bruno SÉJOURNÉ
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Gestion de patrimoine et risque de gestion
Maître de conférences à l’Université d’Angers, G.R.A.N.E.M. Directeur de l’Ecole Supérieure d’Economie et de Management des Patrimoines
[email protected]
D’où vient l’attrait pour la diversification temporelle ? Les années récentes ont été marquées en France par la montée en puissance de l’épargne de long terme (valeurs mobilières, PEL et surtout assurance-vie) qui représente aujourd’hui environ les deux tiers du patrimoine financier des9 ménages. Même si seuls 37 % des épargnants citaient en juin dernier “la préparation de la retraite” comme objectif de leur épargne² , force est de constater que la motivation de prévoyance, entendue ici comme l’accumulation à long terme en vue de financer partiellement les dépenses de consommation durant la retraite, n’y est pas étrangère. Cette évolution a conduit les intermédiaires financiers à proposer des stratégies de placement sur plusieurs années, voire décennies, dont le caractère régulier et systématique exonère l’épargnant d’une succession de choix forcément coûteux en termes de temps et d’effort consacré au suivi d’un portefeuille de valeurs mobilières. Parmi celles-ci, la diversification temporelle consiste à réduire progressivement la part des actifs les plus risqués, autrement dit les actions, dans le patrimoine financier au fur et à mesure que l’horizon de placement se réduit. Elle est applicable tout à la fois à la gestion individualisée, par exemple dans le cadre d’un PEA, et au sein de formules d’épargne collective ou individuelle, à travers l’épargne en entreprise, l’assurance-vie ou le PERP. Une telle stratégie s’oppose aux préceptes fondateurs de la théorie du portefeuille qui stipulent que les choix d’actifs sont indépendants de la durée de placement. Nous nous interrogeons ici sur la pertinence d’une telle stratégie pour l’ensemble des agents à la recherche d’une solution de placement idéale à long terme.
1 Dans les pays anglo-saxons, notamment à travers les fonds de pension, la stratégie de diversification temporelle est régulièrement proposée aux épargnants. Il s’agit d’exposer d’autant plus son portefeuille au risque des marchés d’actions que la durée prévue du placement est longue, puis d’échanger progressivement ces actions contre des actifs moins risqués comme les titres de dettes (obligations ou titres du marché monétaire) au fur et à mesure que l’horizon se rapproche. Des « règles d’or » ont ainsi été élaborées, comme celle qui consiste à appliquer le principe « 100-âge » au pourcentage des actions dans le portefeuille. En France, les statistiques recueillies montrent que cette pratique demeure marginale pour les portefeuilles gérés en direct et pour l’assurance-vie lorsque l’on observe les stocks, mais qu’elle a tendance à se développer, particulièrement sur les nouveaux produits d’épargne retraite que sont le PERP et le PERCO³º . Deux idées forces sont régulièrement avancées par les intermédiaires financiers pour justifier cette stratégie. La première est que, sur le long terme, les placements en actions offrent généralement une meilleure performance que ceux en actifs non risqués. Justifiée sur un plan théorique par l’existence d’une prime de risque rémunérant le risque pris par les investisseurs, cette affirmation est régulièrement confirmée par les études empiriques aux Etats-Unis comme en France³¹ , pour peu que l’horizon de placement soit suffisamment long. La seconde idée est que le risque, mesuré traditionnellement en finance de marché par l’écart type (ou la variance) de la rentabilité, diminue avec le temps. Là encore, cette affirmation est confirmée par les statistiques lorsque l’on calcule l’écart type des rentabilités annuelles des placements en actions.
² 9 Baromètre Epargne, juillet 2007, TNS Sofres – La Banque Postale/Les Echos. ³º Bruno Séjourné : “Comment les épargnants français intègrent-ils le paramètre temps dans la gestion de portefeuille ?” Les Cahiers scientifiques n°4, Autorité des Marchés Financiers, avril 2007. ³¹ Alice Tanay : “Les actions plus rémunératrices que les obligations et l’or au XXe siècle”. Insee Première n°827, février 2002.
2 Pourtant, le principe d’une réduction du risque à long terme est fortement discutable. La question qui se pose est de savoir si l’épargnant est bien sensible aux variations de la rentabilité annuelle de son placement ou bien si, sur un horizon lointain, il s’intéresse principalement à la variation du cours entre la date d’entrée et celle de sortie. Dans ce dernier cas, une double interrogation se présente : celle des probabilités que des pertes surviennent et, si ces cas se présentent, celle de l’ampleur des pertes potentielles. En théorie, si la probabilité de perte doit diminuer avec l’horizon de placement, la perte potentielle ne cesse de s’élever. Pour dire les choses simplement : la probabilité que le marché subisse une perte de 10% tous les ans ne cesse de se réduire au fur et à mesure de la durée du placement, mais si cela se réalise, alors la perte devient de plus en plus forte. De ce point de vue, les simulations empiriques ont montré que, sur le marché français, la probabilité de réaliser un gain s’élève bien avec la durée du placement mais que ce gain n’est jamais certain, même pour un horizon de placement de 30 ans³². Cette information est importante car si l’épargnant est victime d’aversion pour la perte, ce que les travaux récents de finance comportementale suggèrent³³, alors il refusera de détenir une forte proportion d’actifs risqués, même au plus jeune âge. Le principe de diversification temporelle doit être abandonné.
Cours boursier et comportement d’aversion au risque
3 La réduction du risque à long terme manquant de robustesse, il convient d’aller plus loin dans la réflexion. La diversification temporelle a fait l’objet d’analyses approfondies par le balayage d’autres types d’hypothèses³. La première concerne le processus de variation des cours boursiers sur l’horizon de placement. Si ceux-ci suivent un processus de retour à la moyenne, alors des périodes de hausse viennent régulièrement compenser des périodes de baisse et le risque diminue à long terme. Diversifier son portefeuille dans le temps est alors une stratégie payante. Cette hypothèse a fait l’objet d’une validation pour les Etats-Unis à très long terme (1 siècle). Mais d’une part, elle est encore soumise à débat et, d’autre part, rien ne permet d’affirmer qu’elle doit être retenue à l’avenir. Enfin, l’horizon de placement de l’investisseur n’est pas forcément aussi long ! Dans le cas où l’hypothèse de retour à la moyenne des cours boursiers n’est pas retenue, les économistes retiennent généralement celle de marche aléatoire. La tendance passée des cours boursiers ne présage alors en aucun cas de la tendance future. Dans ce cas, il faut analyser le comportement de l’investisseur vis-à-vis du risque pour lui recommander (ou non) de pratiquer la diversification dans le temps. Il a été montré que seuls les investisseurs témoignant d’une aversion pour le risque décroissante lorsque leur richesse s’élève sont intéressés par une telle pratique. Si cette aversion est constante, l’allocation du portefeuille est indépendante de l’horizon de placement, et si elle est croissante, alors le jeune investisseur se contentera de détenir des actifs non risqués ! Ainsi, la stratégie de diversification temporelle n’est probablement pas à conseiller indépendamment d’une analyse fine des préférences de l’épargnant, sous peine de fortement décevoir celui-ci !
³² Op. cit. Voir aussi Gilles Sanfilippo: « La diversification temporelle: mythe ou réalité? ». Finance, volume 25, 2004. ³³ Kahneman et Tversky : « Prospect Theory: an Analysis of Decision Under Risk ». Econometrica n°47, 1979. ³ David Stangeland et Harry Turtle : « Time Diversification : Fact or Fallacy ». Journal of Financial Education, automne 1999.
Gestion de patrimoine et risque de gestion
Une analyse erronée du risque ?
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Les difficultés à s’en tenir au principe de diversification temporelle.
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Gestion de patrimoine et risque de gestion
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Si l’on s’éloigne quelque peu du discours normatif sur les éventuels bienfaits d’une telle stratégie pour aborder l’aspect positif de la démarche, il semble que la diversification temporelle ne soit pas toujours facile à adopter. Les problèmes ne se trouvent pas du côté de la cession programmée des actifs risqués puisque les marchés sont a priori suffisamment liquides, mais plutôt en début de cycle, lorsque l’épargnant doit placer l’essentiel de son patrimoine financier en actions. Plusieurs arguments peuvent être avancés. Dans les années quatre-vingt-dix, le développement des travaux sur l’épargne de précaution a permis de mieux comprendre le faible effort d’épargne financière des plus jeunes et leurs choix patrimoniaux³. Le principe de l’épargne de précaution repose sur le comportement d’individus soumis au risque de perte de revenus du travail. Les jeunes ménages sont d’une part les plus exposés à ce risque et, d’autre part, n’ont pas encore accumulé un patrimoine suffisant pour faire face par exemple à une situation de chômage. Impatients par nature, ils accumulent donc sur de courtes périodes un petit matelas d’épargne, permettant de lisser les dépenses de consommation en cas de crise. Car par ailleurs, la taille insuffisante de leur patrimoine (qui pourrait pourtant servir de collateral) et la perception de ce risque par les établissements de crédit, leur interdit le recours à l’emprunt en cas de coup dur. Pour répondre à l’objectif fixé, ce petit matelas d’épargne ne peut être investi en actifs risqués car sa valeur doit être garantie et sa disponibilité assurée. Dès lors, au début du cycle de vie, lorsque l’épargne de précaution est la motivation principale, les jeunes ménages seraient peu enclins à se tourner vers les actions, leur préférant des actifs liquides.
Au-delà de ces comportements, il convient de rappeler que la participation aux marchés d’actions est coûteuse. Elle l’est en termes de frais de transaction et de gestion ; cependant on objectera que la participation aux marchés de titres de dette l’est également. Mais surtout, il faut prendre en compte les coûts, pas toujours quantifiables, qui s’imposent à l’épargnant lorsque celui-ci désire faire l’acquisition de titres. Il lui faut consacrer du temps et consentir des efforts pour apprendre à connaître le fonctionnement des marchés, les caractéristiques des actifs, les entreprises émettrices, la logique de gestion d’un portefeuille… Les économistes regroupent l’ensemble de ces coûts sous le vocable de coûts de participation. L’argument des coûts de participation rédhibitoires peut cependant être contré par le principe de la dilution temporelle de ces coûts fixes. Qu’il s’agisse des frais financiers liés aux transactions ou des autres coûts de participation, l’intensité relative de ces coûts d’entrée aura tendance à se réduire avec l’horizon de placement. Il s’agit d’un argument bien connu des intermédiaires financiers pour justifier des frais élevés lors de la souscription de produits d’épargne de long terme ! Se pose enfin la question de l’éducation financière de l’épargnant. En France comme ailleurs, il a régulièrement été observé une participation croissante aux marchés d’actions avec l’âge, au moins jusque vers la tranche 40-50 ans. Un phénomène d’apprentissage peut être suspecté. Il faut dire que, compte tenu des arguments précédents, la taille du patrimoine peut, jusqu’à un certain niveau et donc jusqu’à un certain âge, être jugée insuffisante pour que l’on s’intéresse aux marchés d’actions. Au total, plusieurs arguments expliquent une entrée tardive sur les marchés d’actions. En France on observe d’ailleurs qu’en milieu de vie active, une fois l’essentiel des dépenses de logement et d’éducation des enfants réalisées, l’effort d’épargne financière devient nettement plus élevé, les préoccupations d’épargne retraite pouvant alors se concrétiser par un abondement plus massif sur les produits adaptés. Mais rappelons alors que plus l’effort d’épargne pour la retraite est tardif, moins la stratégie de diversification temporelle mérite d’être mise en place puisque la probabilité de perte augmente lorsque la durée de placement envisagée se réduit.
³ Miles Kimball : “Standard Risk Aversion”. Econometrica n°61, 1993
Chapitre 2
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Le risque du professionnel de la gestion de patrimoine Maîtrise des risques : menace ou opportunité Didier PAGEL Conseiller en Gestion de Patrimoine
[email protected] Membre de la C.C.E.F.
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La gestion de Patrimoine est la science qui étudie le comportement de l’homme, à travers la relation entre ses fins et les ressources rares dont il dispose dans le choix de ses actions. Le Client qui recourt au service d’un professionnel est dans un état de besoin. Il dépend du professionnel, de ses savoirs (Savoir être, savoir faire, savoir comment), de sa sensibilité à ses particularités et du pouvoir de discrimination entre l’essentiel et l’accessoire, pour atteindre ce qu’il souhaite. La relation professionnelle participe à l’économie du savoir du Client, ce qui en fait la science du choix humain, avec une bonne compréhension des risques (opportunité ou menace) pouvant altérer la situation patrimoniale du Client mais aussi de l’organisation qui effectue la mission . En conséquence, l’activité de conseil en gestion de patrimoine est fondamentalement une activité de relation et d’intelligence (Aptitude et Capacité) qui doit permettre à chaque conseiller en gestion de Patrimoine de maîtriser les risques, par une démarche réflexive continue, lui permettant d’être tout à la fois : - L’acteur du développement de ses compétences; - Le maître des risques liés à la conformité professionnelle; - Le pivot des flux d’information.
L’acteur du développement de ses compétences : Pour être performant, il faut continuer à se former et à s’informer régulièrement pour que le savoir penser soit toujours d’actualité et stimuler la réflexion sur la gestion des compétences. Il faut s’attacher à la pertinence des procédures et des moyens de toute nature qui sont nécessaires à la réalisation du conseil en gestion de Patrimoine, en veillant à la transposition des règles professionnelles dans les procédures opérationnelles et en effectuant les vérifications qui accompagnent le traitement des opérations.
2 Le maître des risques liés à la conformité professionnelle : • La vigilance financière de l’organisation avec la détection du défaut de vigilance ou d’une carence dans l’organisation des procédures internes ; • L’éthique des affaires avec le respect des exigences législatives et réglementaires faisant appel aux valeurs, à la déontologie et agissant sous différentes contraintes réglementaires applicables au conseiller en gestion de patrimoine, quel que soit son statut.
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Le risque du professionnel de la gestion de patrimoine
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Cette éthique des affaires nous incite à appliquer la réglementation au sein de nos missions et à détecter les comportements déviants avec les différents risques concernant : - La sécurité des systèmes d’information ; - La sécurité économique ; - La sécurité physique ; - La sécurité juridique avec son risque pénal, déontologique, de responsabilité civile professionnelle et contractuelle, d’infraction au droit de la consommation et d’infraction au droit de la concurrence. - Le conflit d’intérêt et la non révélation de l’intérêt personnel du conseiller en gestion de Patrimoine qui pourrait être susceptible d’influencer véritablement son rôle d’agent d’affaires, résultant, d’un lien, d’une relation juridique, d’une situation de fait, d’une commission d’une autre personne que son Client, d’un avantage en nature.
3 Le pivot des flux d’information permettant la valorisation de la création de valeur pour le Client, à l’aide d’un grand nombre d’informations qui vont progressivement être recueillies, traitées, analysées, et se croiser à partir de nombreuses interactions entre le Client, les différents composants de son patrimoine et son environnement. • La traçabilité de la prestation de Conseil et de la préconisation (capture, indexation et archivage des informations), qui permet de pouvoir en contrôler l’obligation de conseil et de pouvoir en apporter la preuve en cas de contestation. Cette traçabilité est formalisée par la conservation de la fiche d’identification du Consommateur, de la lettre de mission acceptée du Client, de la fiche d’évaluation de ses connaissances en matière d’investissement, de l’étude remise au Client validant la mission, ainsi que du suivi des préconisations effectuées, reportées ou ajournées par le Client. • La vigilance formalisée sur les conditions du conseil et des préconisations souscrites et conformes à l’information pré contractuelle du conseil et/ou de la préconisation :
- L’objet de la prestation doit être assorti d’un conseil adapté à la situation propre du Client dans des conditions de transparence et de lisibilité satisfaisantes. - La nature de la prestation est formalisée selon le type de mission, son terme, sa durée, l’évaluation prospective de la création de valeur de la prestation qui inclue les frais globaux et leurs incidences sur la durée de la prestation de conseil. • La traçabilité des procédures internes mises en place pour connaître le Client; • La formalisation éventuelle du refus du client de fournir des informations requises ou de tenir compte de la mise en garde du conseiller en gestion de Patrimoine. • L’éthique professionnelle qui incite le conseiller en gestion de Patrimoine à mettre au service de son Client son savoir sous forme de processus permettant de se ménager une preuve que le conseil a bien été apporté au Client : - Par des écrits, la preuve que le conseil a bien été apporté au Client tout au long de la relation en six étapes selon la norme ISO 22222 : ▫ Établir et définir le contenu de la relation avec le Conseiller en Gestion de Patrimoine ; ▫ Collecter les informations relatives à la situation du Client, à ses anticipations et à ses objectifs ; ▫ Procéder à l’analyse et à l’évaluation de la situation patrimoniale du Client ; ▫ Élaborer et présenter le projet de gestion patrimoniale au Client ; ▫ Mettre en œuvre les préconisations ; ▫ Assurer le suivi du projet et de la relation Client dans le temps. - Par une régulation éthique et de compétences reconnues au niveau international par la norme ISO 22222 et qui restera inscrite dans la relation professionnelle : ▫ de service ; ▫ d’affaires ; ▫ de consommation.
Pour en savoir plus… Didier PAGEL : Conseiller en Gestion de Patrimoine, Responsable de l’évaluation en conformité du Conseiller en Gestion de Patrimoine, aux exigences de la norme ISO 22222 avec PROFI comme seconde partie, Auteur du “ Guide de Bonne conduite du Conseil en Gestion de Patrimoine ” se référant à la norme ISO 22222, paru en Septembre 2006 aux Editions PROFI enregistrées sous le N°ISBN 978-2-9527650-0-8 Co-Auteur “ La maîtrise des Risques : une approche innovante pour toutes les entreprises ” dans la collection “ Les Cahiers de l’Académie des Sciences et Techniques Comptables et Financières » publié en Décembre 2006, Auteur du “ Conseil en Gestion de Patrimoine ” se référant à la réglementation et à la norme ISO 22222, à paraître en Septembre 2007 aux Editions PROFI
Silvestre TANDEAU de MARSAC Avocat au Barreau de Paris Ancien membre du Conseil de l’Ordre Membre de la C.C.E.F.
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1 - L’évolution de la jurisprudence de plus en plus sévère pour les prestataires de services tenus d’une obligation de conseil ainsi que la généralisation de l’écrit détaillant les obligations de ces derniers, constituent des facteurs d’aggravation du risque contentieux pour le conseil en gestion de patrimoine (ci-après le « CGP »).
2 - La responsabilité du CGP est, par essence, de nature contractuelle. L’article 1147 du Code civil constitue la pierre angulaire de cette responsabilité en vertu de laquelle toute personne qui s’oblige à fournir une prestation ou un bien, doit être tenue pour responsable du préjudice causé par les manquements à ses obligations.
3 - Traditionnellement, la jurisprudence exige la réunion de trois conditions pour que la responsabilité d’une personne puisse être ainsi engagée sur le fondement de ce texte : • une faute, laquelle consiste dans la violation d’une obligation contractuelle et dont la charge de la preuve incombe au demandeur à l’action en responsabilité ; • l’existence d’un préjudice certain, direct et personnel dont la preuve doit également être rapportée ; • un lien de causalité qui doit unir le préjudice allégué et la faute invoquée. Là encore, la charge de la preuve de l’existence de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué incombe au demandeur.
4 - Toutefois, en dehors même de tout contrat, le CGP peut engager sa responsabilité vis-à-vis des tiers pour manquement à ses obligations professionnelles. La victime se placera alors sur le terrain de l’article 1382 du Code civil.
1. LA FAUTE 1.1. Définition
5 - La faute se définit comme la violation d’une obligation légale, réglementaire, déontologique ou contractuelle.
6 - La loi ne prévoit pas de définition particulière de la faute en matière de conseil en gestion de patrimoine. C’est donc à travers la jurisprudence que s’est construit peu à peu le droit de la responsabilité du conseil en gestion de patrimoine.
7 - Les cas de condamnation restent cependant assez rares, sans doute en raison d’une absence quasi-totale de réglementation de l’activité jusqu’à une époque récente.
8 - À l’origine, la jurisprudence s’est plutôt développée à l’occasion d’actions en responsabilité contre des professionnels exerçant, à titre accessoire, une activité de conseil en gestion de patrimoine : courtiers en produits d’assurance, banquiers, professions juridiques. Progressivement toutefois, émerge une jurisprudence spécifique qui sanctionne le manquement des « conseils et experts financiers » ou des conseils en gestion de patrimoine à leurs obligations. Le juge s’inspire d’ailleurs des règles applicables aux activités de conseil, notamment, en matière de services d’investissements ou en matière bancaire. D’une façon générale, les cas les plus fréquents de responsabilité sont liés à l’inexécution d’obligations d’information ou de conseil.
Le risque du professionnel de la gestion de patrimoine
Le risque contentieux
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Le risque du professionnel de la gestion de patrimoine
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1.1.1. – Distinction entre l’obligation d’information et le devoir de conseil
9 - Avant même l’introduction par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 d’obligations spécifiques dans ce domaine, le Code de la consommation avait déjà, dans son article L. 111-1, posé le principe selon lequel “ tout professionnel vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service. ”. Formulée de façon générale, cette règle concerne naturellement le conseil en gestion de patrimoine qui est un prestataire de services ou l’intermédiaire en produits financiers. Quel que soit le spectre des activités exercées par le CGP, celui-ci n’échappe pas à l’évolution de la jurisprudence qui tend à imposer, aux professionnels, des obligations spécifiques en matière d’information et de conseil. La loi du 1er août 2003 a introduit un nouvel article L. 541-4 dans le Code monétaire et financier dont le 4° a été modifié par l’ordonnance n°2007-544 du 12 avril 2007 transposant la directive MIF. L’obligation de conseil du conseil en investissements financiers (CIF) est pleinement consacrée puisqu’il a désormais l’obligation de s’enquérir auprès de ses clients ou de ses clients potentiels, avant de formuler un conseil, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissements, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d’investissements, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation. La transposition de la directive va très loin puisqu’elle impose, désormais, une obligation d’abstention au professionnel lorsque ses clients ou ses clients potentiels ne lui communiquent pas les informations requises. Devoir de conseil et obligation d’information sont donc clairement distingués dans la réglementation applicable au conseil en investissements financiers.
10 - Pour autant, la distinction entre cette obligation d’information et l’obligation de conseil n’est pas toujours très marquée en jurisprudence. La doctrine s’est montrée plus exigeante dans ce domaine. Le devoir d’information porte sur des faits objectivement vérifiables, tels que la transmission d’une donnée ou l’indication d’un régime fiscal alors que le devoir de conseil vise davantage à éclairer le client sur l’opportunité des choix à exercer. Le plus souvent les juges utilisent de façon indifférenciée l’expression “ obligation d’information et de conseil ”. Parfois, certaines décisions se risquent à donner une définition. Ainsi, la Cour d'appel de Nancy, dans un arrêt remarqué du 23 février 2004 énonce que : • “ l’obligation de conseil implique une appréciation critique destinée à orienter le choix du contractant au mieux de ses intérêts ¹ ”. La Cour d’appel de Paris a également pu préciser, dans un arrêt du 21 septembre 2006, que : • “en matière de services d’investissements, une banque peut être tenue d’une obligation de conseil ou d’une obligation d’informer. Les deux notions se distinguent en ce que l’obligation d’informer porte sur les conditions du service sollicité alors que le conseil concerne l’opportunité de celui-ci.² ”
1.1.2. – Le fondement du devoir de conseil et de l’obligation d’information
11 – Le fondement peut être contractuel quand l’obligation est due accessoirement à un contrat. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation relève qu’une cour d’appel a jugé à bon droit que le devoir de conseil constitue une obligation contractuelle ³.
¹ CA Nancy, 1re civ., 23 févr. 2004, Moret c/ Rousat ² CA Paris, 8ème ch., sect. A, 21 sept. 2006, Caisse d’Epargne et de Prévoyance Ile de France / Leroy Delbourg ³ Cass. com., 25 juin 1980 : Bull. crim. n° 276
2. LE PRÉJUDICE
- Pour autant, cette obligation peut avoir un fondement délictuel lorsqu’elle s’inscrit dans les rapports qu’un intermédiaire peut avoir avec un client ou un tiers avant toute naissance d’un contrat.
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S’agissant du devoir de conseil qui pèse sur le CIF, sont fondement trouve son origine dans la loi.
1.1.3. – Nature du devoir de conseil et d’information
13 - Traditionnellement, le devoir de conseil comme celui d’information en matière de conseil en gestion de patrimoine s’analysent en une obligation de moyen. Cette qualification serait justifiée par le caractère intellectuel de la prestation et l’aléa propre à toute gestion de patrimoine. Ainsi, la Cour d'appel de Besançon, dans un arrêt du 1er février 2005, rappelle que : • “ le conseil en gestion de patrimoine, tenu d’une obligation de moyens, doit guider son client dans le choix des différents placements ”. L’obligation d’information semble toutefois s’analyser comme une véritable obligation de résultat. L’information requise doit être transmise par le professionnel qui encourt une sanction s’il ne le fait pas.
1.2. La charge de la preuve
14 - Si, en principe c’est à la victime qu’il incombe de prouver le manquement à l’obligation de moyens, la Cour de cassation a posé le principe général que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information, doit apporter la preuve de l’exécution de cette obligation. La solution a été étendue au devoir de conseil, notamment en ce qui concerne l’avocat et d’autres professionnels.6
- Incontestablement, la victime d’un manquement du CGP à ses obligations professionnelles a droit à réparation du préjudice subi. Elle doit toutefois établir la preuve d’un préjudice certain, direct et personnel. Le principe demeure celui du droit à la réparation intégrale. Le préjudice est évalué à l’aune du gain manqué et de la perte subie, conformément au principe dégagé par l’article 1149 du Code civil.
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- La jurisprudence a également admis la réparation de la perte de chance.
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- Elle reconnaît ainsi que la perte d’une chance réelle et sérieuse de gain puisse constituer un préjudice certain appelant réparation.
18 - Ainsi, le client d’une gestionnaire de portefeuille, dont la responsabilité est engagée, peut obtenir réparation de la perte d’une chance réelle et sérieuse de gain. La solution est étendue aux CGP. Dans un arrêt du 27 janvier 2005, la Cour d'appel de Paris condamne un CGP à réparer le préjudice subi par sa cliente du fait d’un manquement de sa part à son obligation d’information et de conseil. Le préjudice est évalué à la perte de la chance d’avoir pu investir dans des fonds moins spéculatifs et moins sensibles aux fluctuations des marchés boursiers.
19 - Dans une autre espèce concernant une opération de défiscalisation requalifiée par l’administration fiscale, une cour d'appel accorde la réparation de la perte de chance d’obtenir l’allégement d’impôt escompté.9
CA Besançon, 2e civ., 1er févr. 2005 Cass. 1re civ., 25 févr. 1997 6 V. notamment, Cass. 1re civ., 27 févr. 2001, Dame Graham c/ Dame Martin Lanfret Cass. Civ. 1ère, 4 juin 2007, Lamy droit civil, n°41 sept. 2007, page 19, n°2653 CA Paris, 15e B, 27 janv. 2005, Lautredou c/ AS Finance conseil 9 CA Riom, 28 avril 2004, Buffet Franco c/ Fourrier
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3. LE LIEN DE CAUSALITÉ
20 - De façon constante, la jurisprudence rappelle qu’il ne suffit pas à la partie lésée d’établir la faute du défendeur et le préjudice. Il lui faut encore prouver l’existence du lien direct de cause à effet entre cette faute et le préjudice.¹º
21 - Bien souvent, l’auteur de la faute échappe à ses responsabilités en démontrant que le préjudice résulte, par exemple, de choix arrêtés par le demandeur et non des conséquences directes et inévitables de la faute invoquée.¹¹ Et la Cour de cassation ne manque pas de rappeler que le préjudice résultant de la réalisation d’un risque inhérent à une activité ne saurait justifier la responsabilité d’un contractant, même fautif, en l’absence de lien de causalité entre la faute invoquée et le préjudice allégué.¹²
22 - En matière de responsabilité du conseil en gestion de patrimoine, l’aléa financier est bien souvent invoqué pour démontrer l’absence de lien de causalité.
24 - Il est donc incontestable que le risque contentieux s’aggrave pour les professionnels du conseil en gestion de patrimoine. Si l’une des causes de cette aggravation peut être recherchée dans l’alourdissement réglementaire des obligations des CGP, pour autant le strict respect de la réglementation permet de limiter ce risque. Ainsi, l’élaboration systématique d’une lettre de mission et d’un bilan patrimonial permettra d’établir aisément, en cas de contentieux, le respect par le professionnel de son obligation d’information et de son devoir de conseil. Paradoxalement, l’encadrement réglementaire de l’activité des CGP leur assure aussi une certaine protection contre le risque contentieux.
¹º Cass. civ. 14 mars 1892 : DP 1892,1, p. 523 ¹¹ Cass. 2e civ., 14 juin 1995 : Bull. civ. II, n°187 ¹³ Cass. 1re civ., 22 juin 2004
23 - Lorsque ce n’est pas l’aléa financier qui est mis en avant par le professionnel dont la responsabilité est engagée, la faute de la victime lui est opposée.
Pour en savoir plus… Fischer Tandeau de Marsac, Sur & Associés 46 avenue d’Iéna -75116 PARIS Téléphone : 33 (0)1 47.23.47.24 Télécopie : 33 (0)1 47.23.90.53 Web : http://www.ftms-a.com Email :
[email protected] Auteur de "La responsabilité des conseils en gestion de patrimoine" Editions LexisNexis Litec, août 2006
Gilles PIETRIGA Conseil en gestion de patrimoine Membre de la C.C.E.F.
[email protected] La responsabilité civile professionnelle des conseils en gestion de patrimoine peut être mise en cause, et la “judiciarisation à l’américaine” touche cette profession comme toutes les autres professions de conseil. “Le conseil en gestion de patrimoine, tenu d’une obligation de moyens, doit guider son client dans le choix des différents placements qui s’offrent à lui, l’éclairer sur les conséquences juridiques et fiscales de ceux-ci, et sur les risques comparés de tel ou tel investissement” (Arrêt de la Cour d’Appel de Besançon du 1er février 2005).
1 Quel état des lieux peut-on faire actuellement ? Depuis 1988, la Chambre des Indépendants du Patrimoine a, la première, fait bénéficier l’ensemble de ses membres d’une couverture des risques spécifiques liés à leurs activités. Depuis quelques années, la CCEF propose également à ses adhérents une assurance couvrant leur activité de gestion de patrimoine. Parallèlement, d’autres associations ou .organismes ont également mis en place de telles protections. Enfin, et s’il en était besoin, le statut de C.I.F. a rendu obligatoire le fait de bénéficier d’une assurance RCP dont les cotisations soient à jour, sous peine de radiation par l’association ayant donné l’agrément. Ainsi, on peut pratiquement assurer qu’en l’état actuel, l’épargnant ou l’investisseur qui fait appel à un professionnel de la gestion de patrimoine agréé CIF est certain que celui-ci bénéficie bien d’une couverture RCP.
2 Une assurance RCP pour quels risques ? Si les contrats mis en place par les intervenants peuvent être différents, on notera néanmoins que dans l’ensemble, les activités garanties sont pratiquement les mêmes.
On y retrouve notamment l’analyse, le diagnostic et le conseil concernant la gestion du patrimoine, la préconisation et l’intermédiation de supports d’épargne, les montages de dossiers de crédits, l’assistance ou l’accompagnement concernant les déclarations fiscales IR et ISF, le courtage et le démarchage en produits financiers, l’ingénierie financière et patrimoniale, l’intermédiation immobilière, l’intermédiation, le courtage et l’audit en assurances de personnes, et bien sûr, l’activité de CIF telle qu’elle est définie aux articles L.541 et suivants, du Code Monétaire et Financier. Dans le cadre de ces activités, les fautes couvertes par l’assureur en R.C. sont essentiellement, le défaut de conseil et d’information (environ 90 % des sinistres), l’absence de vérification de la solidité d’une opération d’investissement, de son sérieux, voire de sa réalité, l’inadéquation entre les solutions proposées et les objectifs fixés par l’investisseur, les négligences ou les inexactitudes, les erreurs de fait, de droit, les omissions, ou par exemple, les retards dans l’exécution d’un ordre, la rédaction, à titre accessoire, d’actes juridiques, dans le cadre des dispositions légales, à condition que le conseil qui la pratique, bénéficie de la compétence juridique appropriée (C.J.A.). On peut par contre noter un certain nombre d’exclusions parmi lesquelles figurent notamment : • Les dommages résultant de la violation délibérée, par l’assuré, des lois, décrets, et règlements régissant la profession, notamment maintenant en ce qui concerne les C.I.F. , l’AMF imposant aux associations pouvant octroyer l’agrément, de vérifier sur site, la conformité des intervenants aux textes, • Les dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, • Les conséquences de consultations juridiques données, ou d’actes sous seing privé rédigés à titre habituel et rémunérés par des personnes ne bénéficiant pas de la C.J.A. ou qui sont en dehors du cadre délimité par l’article 60 de la loi nº 71 – 1130 du 31 décembre 1971, c'est-à-dire de consultations ne relevant pas directement de l’activité principale du
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rédacteur, et des actes sous seing privé ne constituant par l’accessoire nécessaire de cette activité • Les dommages liés à l’obligation de résultat ou de performance que ce soit sur le plan financier ou sur le plan fiscal. • L’exercice d’activités de promotion immobilière, de marchands de biens, de gestion immobilière, d’avocats, d’experts-comptables, de commissaires aux comptes ou aux apports, de société de gestion de portefeuille (sauf autorisation de l’AMF en ce qui concerne exclusivement la sélection d’OPCVM), de courtage d’assurance autre que le courtage d’assurances de personnes.
3 En cas de sinistre, comment choisir entre arrangement amiable ou procédure judiciaire ? C’est toujours au regard des pièces écrites constituant le dossier que va se déterminer la stratégie de défense. En la matière, et même si cela a contribué à modifier de manière sensible et ressentie parfois comme contraignante, la façon de travailler de nombreux conseils en gestion de patrimoine indépendants, la mise en place du statut de conseil en investissements financiers (C.I.F.) a impliqué de facto l’obligation de l’écrit. Que ce soit à travers la remise d’une étude reprenant la situation patrimoniale, les objectifs du client potentiel, exposant les stratégies ou solutions proposées, ou la rédaction de lettres de mission, d’information, de mise en garde, les annotations concernant notamment le caractère non contractuel des simulations financières, le niveau de risque selon le placement préconisé, la rémunération, les liens avec tel ou tel organisme, la culture de l’écrit se révèle de plus en plus essentielle dans la manière de gérer la relation au client, et au cas où, d’assurer une meilleure défense en cas de sinistre. Avant d’en arriver à une procédure judiciaire, c’est aussi l’examen de l’environnement du sinistre potentiel qui va déterminer la stratégie à adopter, et s’il convient ou non de recourir à une résolution amiable du sinistre : Y a-t-il eu incontestablement une faute de l’assuré ? Quelle est l’évolution de la jurisprudence en la matière ? Les relations avec le client justifient /elles ou non de poursuivre une action, avec le risque commercial y afférent ?
Le dossier est-il susceptible d’avoir une répercussion importante, de mettre en cause la probité ou de nuire à l’image de l’ensemble de la profession ? S’agit-il d’un sinistre « circonscrit » à un investisseur, ou en touche-t-il un grand nombre ? Autant d’éléments qui pourront infléchir la suite à lui donner.
4 Quelles sont les typologies des sinistres les plus fréquemment rencontrés ? Depuis quelques années, tant en montants qu’ en nombre, la très grande majorité des sinistres touche directement à la défiscalisation, et notamment à la loi Girardin, ou à celles qui l’ont précédées, qu’il s’agisse de la loi PONS ou de la loi PAUL. Montants importants puisque ce type de montage intéresse essentiellement les plus gros contribuables, et nombre important par effet de dominos, lorsque l’administration fiscale redresse un contribuable sur un dossier dans lequel il y a de nombreux autres investisseurs. Les difficultés rencontrées pour vérifier la faisabilité économique des montages proposés, associées à l’éloignement géographique, aux problèmes liés à l’exploitation ou la gestion, à la pugnacité de l’administration fiscale en la matière expliquent, pour partie, cette forte prédominance sur l’échelle de la sinistralité. Par ailleurs, peuvent sévir sur ce marché particulièrement lucratif, un certain nombre d’opérateurs indélicats. On peut craindre également, avec l’avènement du CIF et la transposition de la directive M.I.F, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, une recrudescence des sinistres liés à la transmission d’ordres. Elle pourrait engendrer dans les prochaines années un taux de sinistralité de plus en plus élevé. On a vu plus haut, que l’exercice d’activités de société de gestion de portefeuille par un conseil en gestion de patrimoine était presque systématiquement exclu du champ d’application de l’assurance en responsabilité civile. Or, de nombreux CGPI préconisent ou conseillent régulièrement à leurs clients, des arbitrages. Lorsque ceux-ci concernent exclusivement des parts d’OPCVM., le problème se pose avec moins d’acuité, notamment en ce qui touche aux preuves.
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Par contre, la transmission d’ordres concernant des titres « en direct », nécessite impérativement de mettre en place tous moyens de preuves, et notamment l’horodatage, qu’il concerne la réception de l’ordre, ou sa transmission au teneur de compte. La mise en place de tels outils est onéreuse et ne se justifie que si l’activité en ce domaine est importante. On peut malheureusement craindre que ces moyens techniques ne puissent être systématiquement mis en place lorsque la faiblesse de l’activité en la matière ne justifie pas la dépense, et que les intervenants aient alors du mal à se prémunir contre les risques de mise en cause de leur responsabilité, notamment lors de périodes boursières troublées où tous moyens peuvent sembler bons aux investisseurs pour compenser un mauvais choix. Plus qu’une assurance, la culture de l’écrit, l’obligation d’information de l’investisseur, la formation professionnelle continue, le développement de l’interprofessionnalité, gage d’un éclairage complémentaire notamment en ce qui concerne la qualité et la faisabilité des montages, sont autant d’éléments qui permettent et permettront plus encore, sans doute à l’avenir, d’endiguer, par la qualité des services proposés, la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle des conseils en gestion de patrimoine indépendants.
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