Incapable de prendre plaisir à ce qu'il fait, le "fonceur" croit qu'il sera heureux le
jour où il atteindra un objectif donné. Il confond soulagement (d'avoir atteint son ...
L'apprentissage du bonheur Tal Ben-Sahar Synthèse par Olivier Leroy
Les plus éminents philosophes rejoignent Aristote quand il énonce : "Le bonheur est le principe et la raison d'être de la vie, le but et la finalité de l'existence humaine" Mais alors, si le bonheur est la quête partagée par l’humanité, comment fait-on pour être heureux ? Et dans notre société paradoxalement, à mesure que la qualité de vie augmente, le taux de dépression s'élève. Nous sommes plus riches et pourtant nous ne sommes pas plus heureux…
Qu'est-ce que le bonheur ? L'interrogation "Suis-je heureux ?" est fermée, impliquant une approche binaire de la poursuite du bonheur. Dans cette optique, le bonheur serait l'aboutissement d'un processus, un point fixe, défini, qui, une fois atteint, signe la fin de la quête. Or ce point n'existe pas. Si l'on considère ainsi le bonheur, on ne trouvera qu'insatisfaction et irritation. Comment alors trouver un bonheur durable ? Comment puis-je être plus heureux que je ne le suis ? Cette approche-là tient compte de la nature du bonheur, du fait que sa recherche est un processus constant, un continuum infini, non un point fixe. La théorie du hamburger Cette métaphore alimentaire propose d’articuler le bonheur autour de deux axes : bénéfice/préjudice d'une part, aujourd'hui/demain d'autre part : - le premier hamburger est celui de l'hédoniste : il procure un plaisir immédiat mais, ne contenant que des nutriments nuisibles, il engendrera un préjudice futur. Ainsi l'hédoniste veut-il jouir du présent sans tenir compte des éventuelles conséquences négatives de ses actes. Ce "viveur" fait l'amalgame entre effort et douleur d'un côté, oisiveté et plaisir de l'autre. - le deuxième hamburger est celui du "fonceur" : c'est un burger végétarien insipide, bon pour la santé (bénéfice futur) mais qui ne me procure aucun plaisir immédiat. Dans cette acception, le "fonceur" (ou "arriviste") est celui qui fait passer l'avenir avant le présent et se prive en prévision d'un bénéfice anticipé. "On n'a rien sans rien". Incapable de prendre plaisir à ce qu'il fait, le "fonceur" croit qu'il sera heureux le jour où il atteindra un objectif donné. Il confond soulagement (d'avoir atteint son but) et bonheur. - le troisième et le pire est le hamburger du nihiliste : aucun goût et mauvais pour la santé ! Le nihiliste a perdu goût à la vie : il ne jouit ni de l'instant présent ni de la perspective de l'avenir. Ce défaitiste s'est peu à peu résigné à son malheur présent et n'attend rien de l'avenir, enchaîné à ses échecs antérieurs (cf "l'impuissance acquise" de Martin Seligman).
- le hamburger idéal, le hamburger du bonheur, est savoureux et sain ; il associe plaisir immédiat et bénéfice futur. Au lieu de se demander : "faut-il que je sois heureux maintenant ou plus tard ?", le "bienheureux" raisonne en ces termes : "Comment être heureux maintenant ET plus tard ?!" Les gens heureux vivent en sécurité dans la conscience que les activités leur procurant du plaisir dans le présent les conduiront AUSSI à un avenir épanouissant. Le bonheur, ce n'est ni parvenir au sommet de la montagne, ni escalader ses pentes sans but ; le bonheur, c'est vivre l'expérience de l'ascension. Le plaisir et le sens Le lien entre bonheur et réussite est bilatéral : non seulement la réussite, professionnelle, amoureuse… contribue au bonheur, mais le bonheur augmente les chances de réussite. Pour Tal Ben-Sahar, le bonheur est la sensation globale de plaisir chargé de sens : - le plaisir : s'émouvoir c'est se mouvoir. L'émotion entraîne la motivation. Si nous étions dépourvus d'émotions, à l’image d’un robot, nous n'aurions aucune aspiration. Cependant le bonheur ne naît pas de n'importe quelle émotion ; pour être comblé, il nous faut ressentir des émotions positives donc du plaisir. Attention, il ne s'agit nullement d'un état permanent : le bonheur ne requiert pas une succession ininterrompue d'émotions positives. L'individu heureux passe par des hauts et des bas mais son état global est positif : le plaisir est la règle, la souffrance l'exception. Et malgré les épreuves il est capable de ressentir la joie d'être en vie. - le sens : mais le sens pour soi. Cf George Bernard Shaw : "c'est cela la joie véritable dans la vie : être au service d'un dessein que l'on considère soi-même comme supérieur." Pour mener une existence signifiante, nous devons nous inventer un objectif propre revêtant une importance personnelle à nos yeux, et non chercher une cible conforme à un modèle dicté par la société. Pour être heureux, il ne suffit pas d’introduire du sens dans son vécu ; il faut vivre ce sens et aussi des émotions positives ; un bénéfice immédiat ET un bénéfice futur. Le bonheur vit de cette relation synergétique entre plaisir et sens : bénéfice immédiat et bénéfice différé. Quand on retire de ses activités une sensation de dessein signifiant, on intensifie sa faculté de jouir des plaisirs ; or quand on prend plaisir à telle ou telle activité, on la rend elle-même plus signifiante. En complément, ce dont l’homme a vraiment besoin sur la route du bonheur, ce n’est pas de l’absence de tensions mais du combat obstiné pour le but qu’il juge digne de lui. Dans ce cadre, surmonter les obstacles est vecteur de bonheur. Le « principe des lasagnes » Attention, ce n’est pas parce qu’une occupation nous apporte sens et bien-être que nous atteindrons au bonheur en la pratiquant en permanence. Ce n’est pas parce que les lasagnes sont mon plat préféré (ma mère m’en fait systématiquement quand je vais la voir et ça me ravit à chaque fois !) que je pourrais me bourrer de lasagnes à longueur de journée tous les jours de la semaine ! Le même principe s’applique à mes occupations préférées : si ma famille est la chose la plus importante pour moi, la plus signifiante dans ma vie, cela ne veut pas dire que je serais le plus heureux des hommes en passant douze heures par jour, chaque jour, avec tous ses membres réunis. C’est en identifiant l’activité qui nous convient puis en en déterminant la juste quantité, qu’on progresse vers une vie meilleure.
Se fixer des objectifs Les gens qui se fixent des objectifs ont plus de chances de réussir que les autres. Les objectifs fixés enracinent en nous la conviction que nous sommes capables de surmonter les obstacles. Au lieu de se borner à réagir à la réalité, on crée sa réalité. Goethe : « quoi que vous puissiez ou rêviez de faire, faites-le ! L’audace a du génie, de la puissance et de la magie. » La première raison d’être d’un but qu’on se fixe – et qui concerne donc l’avenir – doit être l’amplification du plaisir présent. Le but est un moyen et non une fin en soi. Le psychologue David Watson souligne la valeur intrinsèque du trajet : « l’élément crucial dans l’avancée vers le bonheur est le mécanisme employé pour atteindre un but, plus que l’accomplissement de l’objectif lui-même. » Les buts à viser doivent être auto-concordants, c’est-à-dire à la fois agréables et chargés de sens pour soi, nés d’un désir d’expression de soi et non d’impressionner les autres, renvoyant à des prédilections plutôt qu’à des obligations. Le degré plus ou moins élevé de bonheur que je ressens dépend fortement du ratio entre obligations et prédilections dans ma vie. Ce ratio détermine dans une large mesure mon envie de me lever le matin. A la fin de la journée, je suis satisfait d’avoir accompli quelque chose ou au contraire soulagé que ce soit fini. L’état de flux (« flow ») Bien connu des sportifs quand, non seulement on est au sommet de ses capacités mais où, en plus, on y prend plaisir. On y jouit à la fois de l’expérience et de la performance optimales : on se fait plaisir et on donne le meilleur de soi-même. On vit le bonheur. On entre dans cette zone quand la tâche à accomplir n’est ni trop facile (ennui) ni trop difficile (angoisse), quand la difficulté de la tâche et le niveau d’aptitude coïncident. A noter que, si l’être humain dit préférer les loisirs au travail, les gens connaissent davantage d’états de flux au travail que chez eux. Alors que faire pour rendre mon travail plus agréable ? Le bonheur au travail Abraham Maslow considérait que le plus beau destin pour un être humain était d’être payé pour faire ce qu’il aime passionnément. Il existe trois manières de vivre son travail : - Comme un emploi : l’intérêt est le gain matériel, non l’épanouissement personnel - Comme une carrière : les motivations sont extrinsèques (argent, prestige, pouvoir) et on attend avec impatience la promotion. - Comme une vocation : le travail est une fin en soi. Evidemment le chèque en fin de moi est important, l’avancement aussi. Mais on travaille d’abord parce qu’on le veut. On le perçoit davantage comme un privilège que comme une obligation. Comment faire pour trouver cette vocation, cet emploi qui corresponde à la fois à nos passions et à nos atouts ? En commençant par se poser 3 questions fondamentales (c’est le procédé « SPA » = Sens, Plaisir, Atouts) - Qu’est-ce qui a du sens pour moi ? - Qu’est-ce qui me fait plaisir ? - Quels sont mes atouts ?
A défaut d’exercer sa vocation, on peut la façonner, c’est-à-dire introduire du sens dans ce qu’on fait. Parmi le personnel de nettoyage d’un hôpital, celui qui se borne à sortir les poubelles et laver le linge sale ne vit pas son métier comme celui qui pense contribuer au bien-être des patients et au bon fonctionnement de l’établissement. Plus que le travail luimême, c’est notre façon de le percevoir qui compte. Le bonheur ne dépend pas seulement de ce qu’on fait ou de ce qu’on est mais de ce que l’on choisit de percevoir. Exercice pratique : rédigez les caractéristiques de votre emploi de telle sorte que d’autres aient envie de postuler. Changez de lunettes ! Le bonheur en amour Les enfants jouant à proximité de leur mère déploient davantage de créativité dans leurs jeux que les autres. Comme s’il existait une sorte de « cercle de créativité ». Le seul fait de savoir qu’on nous aime sans condition crée un espace virtuel de sécurité et de confiance. L’amour inconditionnel crée un cercle de bonheur. Or être aimé pour son argent ou sa renommée, c’est recevoir un amour sous condition. Etre aimé pour son courage ou sa chaleur humaine, c’est l’être de manière inconditionnelle. Je peux alors entrer dans le « cercle du bonheur ». Comme dans toute transaction, plus la relation est avantageuse pour les deux parties, plus elle a de chances de s’épanouir. Chacun des deux est plus heureux parce qu’ils sont ensemble. Pour un couple également, sens et plaisir, bénéfice immédiat et à venir sont indispensables à l’instauration d’un bonheur à longue portée. Beaucoup pensent que pour vivre une union heureuse, il faut chercher LE bon partenaire. En fait le secret réside plutôt dans l’art de cultiver la relation qu’on a choisie. Le vrai labeur débute après qu’on est tombé amoureux. Bonheur et bienveillance Les émotions positives élargissent la portée de notre capacité d’attention. Quand nous sommes heureux, nous voyons plus loin que le bout de notre nez et nous sommes mieux disposés à aider les autres. Et c’est souvent en se livrant à des occupations signifiantes et plaisantes pour soi, mais qui contribuent AUSSI à aider les autres, que nous augmentons notre capital de bonheur. Les rituels accélérateurs de bonheur De la même façon qu’il suffit d’une ou deux petites flammes pour illuminer un espace, un ou deux événements positifs survenant dans une période terne peuvent métamorphoser notre état général. Ces épiphénomènes brefs mais générateurs de transformation sont des accélérateurs de bonheur. Le moyen le plus aisé d’instaurer le changement dans notre qualité de vie est d’y introduire graduellement des accélérateurs de bonheur, par exemple des rituels. Ecoutons (encore !) Aristote : "Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. Aussi l'excellence n'est-elle pas un acte mais une habitude." Et comme il est difficile de se défaire de ses habitudes, inventons-nous des routines bénéfiques, des rituels qui nous font du bien. Si je veux être plus heureux que je ne le suis, je me crée des rituels qui me procurent du plaisir. Loin de nous ramollir, ces accélérateurs de bonheur nous font gagner plusieurs niveaux d’énergie.
En conclusion Au lieu de nous laisser asservir par le passé ou par l’avenir, nous devons apprendre à tirer le maximum de ce qui est là, devant nous, autour de nous, en ce moment même. Une vie heureuse se construit peu à peu, expérience après expérience, période après période… Pour réaliser le potentiel de bonheur (« le capital suprême ») que contient chaque vie, nous devons d’abord accepter que tout est là : il n’y a rien de plus à vivre que les détails quotidiens, ordinaires, de la mosaïque. On mène une existence heureuse quand on tire du sens et du plaisir dans le temps passé avec ses proches, dans l’acquisition de connaissances nouvelles ou dans la mise en œuvre de tel projet professionnel qui nous intéresse. Plus nos journées seront pleines de ce vécu-là, plus nous serons heureux. Il n’y a rien d’autre…
Quelques citations éclairantes… « La grande fin de toute activité laborieuse de l'homme c'est d'atteindre le bonheur" (Hume) « Notre grand et glorieux chef d'oeuvre, c'est vivre à propos" (Montaigne) « On peut allumer des milliers de bougies avec une seule bougie sans que la vie de cette bougie s’en trouve abrégée. On ne réduit pas le bonheur en le partageant. » (Bouddha) « Le présent seul est notre bonheur » (Goethe) « Le bonheur dépend de nous seuls » (Aristote) « Pour la plupart, les gens sont aussi heureux qu’ils décident de l’être. » (Lincoln) « Ne vous demandez pas ce dont le monde a besoin mais ce qui vous éveille à la vie. Puis faites-le. Car ce dont le monde a besoin, ce sont des êtres qui s’éveillent à la vie. » (Whitman) « La vie est trop courte pour qu’on soit pressé » (Thoreau) « Soyez vous-même le changement que vous voulez voir dans le monde » (Gandhi)